Le Monde de L'Écriture

Salon littéraire => Salle de lecture => Essais, documents => Discussion démarrée par: Alan Tréard le 16 février 2016 à 15:13:43

Titre: Bibliodiversité (Susan Hawthorne)
Posté par: Alan Tréard le 16 février 2016 à 15:13:43
Bibliodiversité
Manifeste pour une édition indépendante
aux éditions Charles Léopold Mayer.

Merci à la librairie Alterlibris (http://alterlibris.fr/) de m'avoir conseillé ce livre, je ne regrette pas mon achat !

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Alors, la Bibliodiversité, qu'est-ce que c'est ? Pourquoi ce terme est-il né aujourd'hui ? La Bibliodiversité, c'est un concept philosophique qui place la diversité éditoriale au cœur de nos sociétés. Cet engagement permet de réabiliter le rôle du livre dans notre vie quotidienne et dans nos sociétés. Susan Hawthorne, qui a écrit le manifeste, revient sur l'évolution récente de l'édition mondiale depuis le web-chamboulement, et prend position sur les enjeux qui nous attendent.

Citer
Peu enclins à l'originalité, à la prise de risque, à l'inventivité, les poids lourds de l'édition mondialisée ne se préoccupent pas de soutenir les livres audacieux et pertinents dans leur message, susceptibles de devenir des référence pour les générations à venir. Ils ne se soucient que de chiffres, de conformité et s'attachent à répéter la formule qui a engendré le dernier best-seller.

S. Hawthorne lance un cri d'alerte sur la disparition des maisons d'édition indépendantes, et les graves conséquences qui en résultent. Ce livre fait état d'un appauvrissement gravissime du marché du livre, et explique ce phénomène tout au long de ces dernières années. De cette diversité ressortait une multitude d'opinions vouées à disparaître, confrontée à une uniformisation du monde toujours plus incontrôlable, sans compter les risques pour nos démocraties. Ce livre met en lumière les désastres qui nous attendent, nous qui ne savons pas préserver l'édition indépendante et sa force de renouvellement. Comme le dit S. Hawthorne, sans indépendance, pas de nouveauté, et sans nouveauté, un affaiblissement constant de notre mode de vie. Ne pas réagir, c'est prendre le risque de voir nos acquis disparaître au profit d'une opinion dominante toujours plus asphyxiante et dangereuse. La Bibliodiversité serait un concept inverse qui irait placer la richesse des opinions au cœur d'un nouveau processus. On prendrait alors un chemin qui privilégie le droit à la différence, et surtout qui permette à des tas de voix divergentes de s'exprimer. Favoriser la diversité, c'est nous donner tous les moyens d'engager les décisions futures, celles qui privilégient l'équilibre et la pérennisation de notre identité.

Citer
La censure, ce n'est pas uniquement l'élimination et l'interdiction pures et simples d'œuvres d'écrivains et d'artistes, ni l'emprisonnement, la torture et l'assassinat de ceux qui prononcent des paroles rebelles. C'est aussi une forme de conditionnement social.

S. Hawthorne prend l'exemple du féminisme pour expliquer en quoi l'uniformisation des publications exclut le féminisme, et entraîne par la même occasion une exclusion renforcée des femmes. On voudrait croire qu'il ne sert à rien de s'engager, et l'on voit le paysage équitable s'effacer au profit de restrictions renforcées, et d'un amoindrissement des échanges toujours plus problématique. Bien sûr, espérer un miracle qui nous sauverait de l'exclusion serait contraire au livre, qui dit bien : "Il n'est toutefois pas suffisant d'être conscient de cette oppression : il n'y a pas de féminisme sans actions destinées à faire évoluer cette situation." L'édition indépendante a cette force inaliénable : celle de préserver les différentes prises de position, et d'ouvrir toujours le débat afin de favoriser l'échange. Allons-nous laisser un seul mode de vie prospérer ? Le bonheur de quelques uns au détriment de tous les autres ? Qui plus est, "l'arbre" qui est notre démocratie repose sur une multitude de facteurs microscopiques, ses "nutriments," autrement dit la diversité des opinions, celle qui passe à travers l'édition indépendante. Si nous perdons ces "nutriments," nous tuons l'arbre.

Citer
L'homogénéisation de l'édition entraîne la starisation d'une poignée d'auteurs qui, pour la plupart, ne font qu'offrir une version déformée et vulgarisée d'une idée souvent vieille de dix, vingt ou cinquante ans ; ils l'édulcorent et la mettent au goût du plus grand nombre : celui des lecteurs non avertis. Ces idées sont ensuite vendues comme si elles avaient une quelconque ressemblance avec les idées de départ. Parfois, elles sont aussi tout simplement mauvaises, mais il leur arrive également d'être dangereuses et déformées au point que leur véritable auteur en tremble chaque fois que ses propos sont repris dans des contextes improbables. Un peu comme si la tomate rouge vif mais insipide des supermarchés était mise sur le même plan que son équivalent, goûteux, fruité et juteux, des potagers d'antan. Petit à petit, les attentes des consommateurs sont modifiées. Les lecteurs cessent de demander des ouvrages biens écrits, solidement argumentés et structurés de façon originale. Ils obtiennent à la place des écrits abscons, sombres et truffés d'erreurs qui n'ont aucun sens. À l'autre extrémité du marché, on trouve des livres remplis de clichés, creux, prévisibles et simplistes. L'occasion est alors trop belle d'arrêter de lire, d'allumer l'ordinateur, la télévision, la tablette, son portable ou tout autre dispositif électronique dernier cri, et de s'abandonner au chaos de la pornographie, du sport, des vidéos de chatons ou de réseaux sociaux toujours plus chronophages.

Le danger est là où on ne le verrait pas forcément. L'absence de nouveauté entraîne elle-même une régression des attentes de chacun : on se conditionne à la famine, on accepte d'être sous-alimenté en nouveautés. Le manifeste montre bien quels sont les changements qui s'opèrent malgré nous, quels sont les risques encourus, quels sont les défis de demain. S. Hawthorne propose une expression équitable, c'est-à-dire une Haute Autorité qui contrôlerait la diversité des publications... Est-ce la meilleure solution à la crise ? Aurons-nous seulement encore le temps de porter cette équité ? Je médite encore sur la question.

Alors Bibliodiversité ou uniformité ? À vous de choisir !