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Auteur Sujet: La nuit de la Saint-Barthélémy (Denis Crouzet)  (Lu 5639 fois)

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La nuit de la Saint-Barthélémy (Denis Crouzet)
« le: 11 mai 2014 à 14:12:01 »
La nuit de la Saint-Barthélémy de Denis Crouzet, est sorti en librairie en 1994, la même année que La Reine Margot de Patrice Chéreau.
    Le livre est assez imposant : 691 pages (mais si vous ne lisez pas l’épilogue, la postface et les notes, ça n’en fait plus que 531). Comme il n'est pas écrit très gros, on met bien 10 minutes à lire deux pages. Si donc vous avez 2655 minutes à tuer, ce livre est fait pour vous !
     Avec sa belle couverture, ses pages bien blanches et son titre digne d’un bon thriller, cet ouvrage sera également du plus bel effet dans votre bibliothèque.

    Mais surtout, il suffit de le prendre en main et de commencer la lecture pour sentir qu’on ne s’est pas fait avoir sur la marchandise : Crouzet écrit bien, et il a beaucoup lu.

    Pour le style, on frôle parfois la prose à la Foucault. Vous savez, le style du gars qui maîtrise tellement bien son sujet qu’il se permet quelques libertés avec la grammaire et le discours scolaire.
    Côté culture, on peut dire que ça envoie du lourd : 14 pages de sources primaires ! Bon, après, je n’y connais rien, ce n’est peut-être pas beaucoup pour un historien…
    Enfin, c’est sympa d’avoir des sources primaires, quand même, et pas juste des critiques de ce que d’autres historiens ont pu penser. C’est pas trop son style, à Crouzet, de baser son discours sur les erreurs des autres. Il lui arrive de dire que Machin ou Truc a peut-être un peu exagéré ou même qu’il s’est carrément planté dans son interprétation, mais ça reste amical, et puis on le tacle surtout dans les notes (comme par exemple cet historien, Jean-Louis Bourgeons qui, pff, le nul, croyait naïvement que l’assassinat raté de Coligny avait été commandité par le roi d’Espagne, parce que c’est ce qui se disait à l’époque. cf. note 42 page 622)


   Ce qui est chouette dans ce livre, c’est qu’il est parcouru de thèses fortes, bien identifiables, et pas seulement de faits historiques : bien que très touffu et riche en détails factuels (ou plutôt en témoignages d’époques sur les faits), le livre opère un vrai travail de synthèse, il essaie vraiment de penser l’époque, de mettre des concepts dessus. Une thèse qui ressort de ce livre, c’est que gouverner, à l’époque, c’est manipuler le langage, les informations, la rumeur. Le roi Charles IX et sa maman, Catherine de Médicis, auraient ainsi envoyé pendant longtemps des signaux contradictoires aux protestants et aux catholiques pour rester en bons termes avec les deux camps, et ainsi maintenir le royaume dans la paix.  On promet d'un côté aux protestants qu'on va s'engager contre l'Espagne aux Pays-Bas, on assure le contraire aux catholiques, réticents à se battre contre l’Espagne (catholique). On promet à demi-mot, on fait courir un bruit rassurant, on ne soutient ni trop les uns, ni trop les autres, afin de se protéger des différents revirements possibles de l'Histoire : prudence machiavélique des discours, donc, jusqu’au jour où on ne peut pas faire autrement que de mettre carte sur table ou de faire couler le sang.
      Pour que Charles et Catherine ne soient pas soupçonnés de jouer double jeux, ils se seraient presque distribués les rôles, comme au théâtre : Charles serait le pro-protestant, et Catherine la pro-catholique, pour donner l’illusion d’un conflit, de tension au sein même du pouvoir : illusion rassurante, en un sens, puisqu’elle donne au peuple le sentiment d’une sorte d’équilibre, semblable à l’équilibre des forces contraires qui, dans l’imaginaire de l’époque, régit l’univers…

*

En lisant la postface, on se rend compte que Crouzet ne s’est pas fait que des copains en écrivant son livre, qu’il a souffert de ne pas être compris (il dit que son bouquin a suscité « des réactions blessantes par leur outrance ».). La thèse de Denis qui n’a pas trop plu, c’est, pas de bol, l’idée centrale du livre : le massacre n’était pas l’expression d’une haine du pouvoir à l’encontre des protestants, c’était un « crime d’amour ». Formulée comme ça, bien sûr, l’idée a de quoi choquer. Mais si Crouzet a écrit 691 pages pour le dire, c’est que son idée est beaucoup plus compliquée et convaincante que ça.

En gros, le roi Charles IX, à cause de son éducation et de ses lectures  humanistes (Platon, Erasme par ex.) entretenait un idéal de paix, il concevait sa fonction de roi en terme de préservation de l’harmonie entre ses sujets. Mais un jour, suite à un assassinat manqué contre Coligny, la situation risquait fort de dégénérer en guerre civile. L'entourage du roi lui aurait suggéré alors de supprimer les grands chefs protestants, venus à la capitale pour le mariage de Henri de  Bourbon et de Marguerite de Valois (la Reine Margot). Et les frappes chirurgicales, visant d’abord les principaux chefs huguenots (Coligny, La Rochefoucauld etc.) aurait ensuite dégénéré en massacre, sans que le roi le veuille… Deux Saint-Barthélémy au lieu d'une, donc : un ensemble limité d'assassinats commandités par le roi, puis un mouvement populaire déclenché par ces premiers crimes.

Je n’ai pas assez lu de livres sur le sujet pour savoir quoi penser de cette théorie, mais je trouve qu’elle résout assez bien une question que je me posais depuis longtemps : comment le roi aurait-il pu ordonner les massacre de tous les protestants quelques jours après avoir organisé le mariage entre sa sœur Margot et le protestant Henri de Navarre, signe de réconciliation entre les religions ? 


Dernière info :
Les deux premières parties du livre (178 pages en tout), démontrent qu’il n’est pas possible de se baser sur les témoignages d’époque pour reconstituer les événements de la nuit tragique : ces témoignages, que Denis Crouzet restitue d’une manière fascinante, manquent de fiabilité, leurs auteurs sacrifiant toujours l’objectivité du discours à une description « partisane » : les protestants exagèrent l’horreur et le nombre des morts pour suggérer la cruauté des catholiques,  les catholiques décrivent les événements en terme d’exécution d’une justice divine, atténuent la cruauté des tueurs pour les présenter comme des instruments de cette justice. A partir de ce constat, Crouzet dit : eh bien, comme on ne peut se fier à rien, il va falloir imaginer ce qui a pu se passer en remontant un peu en arrière dans le temps, et en creusant un peu plus la mentalité des acteurs de l’histoire. *


* Petit correctif :
Pour être plus exact, le propos de Crouzet semble être de distinguer entre une démarche d'historien essayant d'expliquer les événements par d'autres événements clairement établis, et une démarche d'historien postulant et tenant en compte l'existence d'un certain "Esprit" d'époque, c'est-à-dire d'une mentalité et d'une atmosphère générale pouvant entrer en jeu dans l'explication d'un événement. Crouzet explique ainsi la possibilité du deuxième massacre de la Saint Barthélémy (le massacre "populaire", spontané, non-voulu par le roi), par une atmosphère construite et fortifiée depuis plusieurs années : atmosphère quasiment apocalyptique, construite par de nombreux discours religieux annonçant la fin des temps, insistant sur la colère divine à l'égard de son peuple pécheur... La décision du roi d'exécuter les chefs protestants aurait pu ainsi étre vécue par les catholiques comme un signe quasiment divin d'aller purifier la terre d'une mauvaise religion, seul moyen d'obtenir le pardon de Dieu...






 
« Modifié: 18 octobre 2015 à 19:42:07 par Zacharielle »

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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #1 le: 13 mai 2014 à 22:19:39 »
Hi !  ;D

Citer
ces témoignages, que Denis Crouzet restitue d’une manière fascinante, manquent de fiabilité, leurs auteurs sacrifiant toujours l’objectivité du discours à une description « partisane »

Ok, alors quelle est la bonne méthode ?...

Citer
A partir de ce constat, Crouzet dit : eh bien, comme on ne peut se fier à rien, il va falloir imaginer ce qui a pu se passer en remontant un peu en arrière dans le temps, et en creusant un peu plus la mentalité des acteurs de l’histoire.

Ah, ouais, de la psycho-histoire quoi, comme chez Asimov.   :viviane:


Je connais rien à cette période, mais ton enthousiasme est sacrément communicatif !

Thanks sir.  ;)

« Modifié: 13 mai 2014 à 22:21:13 par Bricoman »
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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #2 le: 15 mai 2014 à 08:19:29 »
Hey Bricoman !
Je ne connais pas la psycho-histoire d'Asimov. Qu'est-ce donc ? Quels sujets a-t-il abordé ? Ça sonne bien en tout cas...
Merci de ton passage en tout cas :-)

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Re : Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #3 le: 15 mai 2014 à 16:14:29 »
Hey Bricoman !
Je ne connais pas la psycho-histoire d'Asimov. Qu'est-ce donc ? Quels sujets a-t-il abordé ? Ça sonne bien en tout cas...
Merci de ton passage en tout cas :-)
C'est juste dans le roman de SF 'Fondation', d'Asimov. La psycho-histoire, c'est l'invention du personnage de Hari Seldon, qui à partir de calculs mathématiques avancés, arrive à prévoir l'avenir sur des milliers d'années.

Sinon, pour Denis Crouzet, je l'ai eu en cours d'agreg (et j'ai toujours eu du mal avec son style, à l'écrit ; super dense et conceptuel  :-[ ), et en effet, c'est très intéressant, mais j'arrive pas à le voir autrement que dans le cadre d'un programme de concours...  :-[
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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #4 le: 15 mai 2014 à 19:11:16 »
 :D ah ok je savais pas si cet auteur était une référence universitairement ! Son livre était au programme de l'agreg? C'est vrai que le style est dense, mais je n'ai pas l'impression que les thèses soient très nombreuses malgré tout. Il développe pas mal (peut-être même trop) deux ou trois idées centrales...
Merci pour l'explication sur Asimov! Je n'ai lu que les nouvelles 'espace vital' de lui, et j'avais adoré :-)

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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #5 le: 16 mai 2014 à 00:32:17 »

Ouais, c'était de la prédiction d’événements à partir de calculs, genre thermodynamiques, mais appliqués à la psychologie humaine. Exactement ce que préconise Crouzet, d'après ce que tu dis Holden.  ;)

flood/off
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Re : Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #6 le: 16 mai 2014 à 10:00:16 »

Ouais, c'était de la prédiction d’événements à partir de calculs, genre thermodynamiques, mais appliqués à la psychologie humaine. Exactement ce que préconise Crouzet, d'après ce que tu dis Holden.  ;)

flood/off
En fait je crois qu'y a un petit malentendu : D. Crouzet c'est un historien (d'ailleurs pas mal reconnu dans son milieu), dans le passage que tu cites, ce qu'il veut dire c'est que comme les témoignages des gens sur la St-Barthélémy sont en partie fantasmés, il faut se remettre dans le contexte pour expliquer de comprendre ce qui s'est passé, et comment/pourquoi ces discours sur la nuit de la St-Barthélémy ont été élaborés. (Et c'est pas vraiment ce qu'il préconise, c'est ce qu'il fait dans son livre)
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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #7 le: 17 mai 2014 à 22:50:48 »

Wah ! Mais je ne me suis pas posé en détracteur de Crouzet, je suis complètement nul en Histoire et je n'ai même pas lu son bouquin !  :???:

Nan, nan, j'ai balancé mon avis de comptoir, c'était juste pour marquer mon  passage sur ce fil en y laissant une réflexion à prétention spirituelle. Holden a rapporté que Crouzet conjecturait les faits en creusant la mentalité des personnages historiques, ça m'a fait penser à la psychologie prédictive d'Asimov, alors je l'ai dit. La comparaison est bien sûr débile, mais je la trouve amusante, il n'y a rien de profond ni même de pertinent dans ma remarque oh lala...   :D


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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #8 le: 18 mai 2014 à 06:50:50 »
Non, mais moi j'adore tes avis de comptoir, Brico !  :D En plus, l'expression "psycho histoire" colle assez bien, puisque l'auteur essaie vraiment d'explorer les possibles motivations des différents participants...enfin, je dirais ça comme ça, mais c'est sans doute assez classique chez les historiens.

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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #9 le: 18 mai 2014 à 08:56:54 »

Eh oui, je pense aussi que les historiens sont tout le temps obligés de recourir à leur bon sens et à leur imagination pour combler les vides factuels. Mais quand ils se mettent à extrapoler joyeusement les données prouvées, même s'ils sont passionnés et talentueux, c'est mieux de prévenir le lecteur, à l'exemple de Crouzet, dont tu parles. Cela dit, si la Sainte Barthe m'était contée, je préfèrerais autant me laisser porter par le souffle d'un auteur inspiré, plutôt que d'avoir à compulser des registres d'états civils en compagnie d'un historien rigoureux. En somme, c'est l'éternel penchant qu'on garde pour le jovial et délirant Hérodote, au grand dam de son irréprochable pair, le froid Thucydide.  ;)
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Re : Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #10 le: 18 mai 2014 à 11:24:03 »

Wah ! Mais je ne me suis pas posé en détracteur de Crouzet, je suis complètement nul en Histoire et je n'ai même pas lu son bouquin !  :???:

Nan, nan, j'ai balancé mon avis de comptoir, c'était juste pour marquer mon  passage sur ce fil en y laissant une réflexion à prétention spirituelle. Holden a rapporté que Crouzet conjecturait les faits en creusant la mentalité des personnages historiques, ça m'a fait penser à la psychologie prédictive d'Asimov, alors je l'ai dit. La comparaison est bien sûr débile, mais je la trouve amusante, il n'y a rien de profond ni même de pertinent dans ma remarque oh lala...   :D



Mais je ne défendais pas Crouzet en particulier, Brico ! ^^ C'est juste que quand je lis ça :

Mais quand ils se mettent à extrapoler joyeusement les données prouvées, même s'ils sont passionnés et talentueux, c'est mieux de prévenir le lecteur, à l'exemple de Crouzet, dont tu parles.
Je me dis que c'est pas une question d'être pour ou contre Crouzet, c'est une question de ne pas avoir compris du tout ce qu'il fait (ce qui est pas une critique, puisque tu n'as pas fait histoire et n'as pas lu le livre, c'est pas du tout une attaque contre toi).
Parce que non, c'est pas sa démarche : il n'extrapole pas des données prouvées !

L'histoire, ce ne sont pas des fait purement, ben, factuels, qu'on retrouve dans les archives et qu'on liste. L'histoire, c'est des analyses sociales, un peu comme on pourrait le faire pour la société actuelle, sauf que c'est pour des sociétés passées.

Citer
Cela dit, si la Sainte Barthe m'était contée, je préfèrerais autant me laisser porter par le souffle d'un auteur inspiré, plutôt que d'avoir à compulser des registres d'états civils en compagnie d'un historien rigoureux. En somme, c'est l'éternel penchant qu'on garde pour le jovial et délirant Hérodote, au grand dam de son irréprochable pair, le froid Thucydide.  ;)
Ben non ! Hérodote il racontait l'histoire en en inventant des bouts. C'est pas ce que fait Crouzet, c'est pas non plus ce que font les autres historiens. Crouzet a à peu près la même démarche que les autres historiens. Mais là il étudie les discours qui ont porté sur la St-Barthélémy.

C'est un peu comme si quelqu'un étudiant la vision du 11 septembre et ses suites dans les médias américains (panique contre le terrorisme, prétextes des guerres au Moyen Orient, etc.), en précisant bien : "attention, ça c'est une vision idéologique et en partie fantasmée de ce qui s'est passé, et donc c'est cette déformation-là que j'étudie". On pourrait pas dire qu'il invente ! C'est juste qu'il n'analyse pas la façon, factuelle, dont des avions sont entrés en collision avec des tours et dont les armées se sont déployées en Irak. On étudierait la vision, la conception, les exagérations éventuellement ou les atténuations, de ces événements, dans la presse et autres médias. C'est pas pour autant inventé, ni par manque de rigueur, ni pour rendre les choses plus attrayantes.
Ben là, c'est pareil, sauf que c'est un événement plus lointain dans le temps (la Saint-Barthélémy).

Et en fait, l'histoire, c'est surtout ça : étudier des phénomènes, en fournir une analyse avec des hypothèses d'explication. La recherche des faits, c'est le tout début de la démarche, après ce qui est important, ce qui fait l'étude historique, c'est comment on relie les faits pour proposer des explications ou mettre en évidence des phénomènes qu'on n'avait pas remarqués avant.
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Re : La nuit de la Saint-Barthélémy (Crouzet)
« Réponse #11 le: 03 juin 2014 à 01:51:57 »

Yep Milo !  :)

Je comptais lire le livre de Crouzet pour avoir le cerveau bien musclé avant de te répondre, mais j'aurai jamais le temps, alors je réponds tout de suite ; si j'attends encore, je vais oublier.

Bon, tes mises au point sont super claires, j'ai presque tout compris (enfin j'espère !  :D ), mais sans vouloir lancer une discussion trop pointue - que je pourrai pas suivre - , il y a une nuance dans tes explications que j'ai pas très bien saisie. En fait, pour moi, "extrapoler des données provenant de sources authentifiées", c'est quasiment la même chose que "étudier des phénomènes, en fournir une analyse avec des hypothèses d'explication". Tu as dissocié les deux procédés parce que tu as dit qu'en extrapolant, on obtenait des faits inventés ; tandis qu'en proposant des hypothèses d'explication, on se contentait de réagencer des éléments certains pour produire un résultat nouveau. Mais je doute qu'il y ait une différence fondamentale de nature dans les produits issus de ces deux process ; ce qui les distinguera, ce ne sera jamais que le soin apporté à leur élaboration.

Par exemple, quand Hérodote affirmait que les archers Sauromates rangeaient leurs flèches dans leurs guêtres en peaux de lynx, on devine qu'en racontant ça, il avait moins le souci d'instruire son lectorat érudit que de briguer la succession d'Homère dans l'estime des aèdes ; cependant on reconnaîtra que le détail ne manque pas de vraisemblance : s'il avait dit que les Sauromates se chaussaient dans du cuir de requin, on aurait pu lui objecter que l'animal ne s'était jamais encore montré en mer Caspienne ; mais il a dit en peau de lynx, ce prédateur emblématique des steppes de l'Oural. Le fait est inventé, sans doute, mais c'est une affabulation réfléchie, plausible et séduisante, qui contient déjà en germe les ressorts de la méthodologie historique.

Lorsque Crouzet, d'après Holden, réfute l'hypothèse de son confrère selon laquelle le Roi d'Espagne aurait commandité, par l'intermédiaire du duc d'Albe, l'attentat contre l'amiral de Coligny ; lorsqu'il démontre qu'on ne doit pas davantage accorder crédit à la tradition qui impute à la jalousie de la Reine Mère le meurtre de ce chef protestant dont l'ascendant sur le Roi contrariait son autorité maternelle, ainsi que nous le raconte Alexandre Dumas ; lorsqu'enfin, des trois suspects qui ont maintenu des générations de chercheurs dans l'irrésolution, Crouzet n'en retient qu'un ; lorsqu'ayant analysé la défense de chaque partie, il plaide la culpabilité de la maison de Guise, serait-il l'historien le mieux renseigné, le plus éloquent, le plus sincère, s'il ne peut prouver le fait, il l'invente. Car amener à l'existence ce qui n'est pas, c'est inventer. Raconter en alléguant la vraisemblance à dessein de persuasion, c'est affabuler. Toute hypothèse historique, je te le dis en vérité Milora, n'est jamais qu'une méticuleuse extrapolation.  :huhu:

...............................

P.S : te sens pas obligée de répondre à ma démonstration bidon hein, c'était juste pour délirer !  :D

En vrai, je sais même pas si Crouzet a plaidé pour la culpabilité des Guise, j'ai pas lu son livre, mais j'ai fait comme si, m'en fous.  :mrgreen:


« Modifié: 03 juin 2014 à 14:11:12 par Bricoman »
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