Salut ! (Ben dis donc, désolé d'avance c'est pas une bonne série pour moi aujourd'hui)
Comment aborder un tel texte ? Bon je dois dire que je suis très embêté, à la fois par ton texte mais aussi par tes explications. Et je crois que Dot a flairé quelques pistes problématiques.
Je précise que je lis ton texte à partir du titre « statuette d'une femme africaine ».
Bon la première remarque qui me vient en m'interrogeant sur ce titre après avoir été embêté par la lecture de ton texte est : pourquoi ne pas avoir écrit « statuette africaine d'une femme » ?
Il me semble que cette apparente subtilité, futilité pourrait-on penser, me permet de rendre compte de mon malaise. A travers ton poème, tu fabriques une « femme africaine » qui n'existe pas. Au lieu de parler de la statuette, d'une représentation africaine de la femme (parmi d'autres), tu te sers de cette statuette pour projeter ta propre vision de « LA femme africaine » et à travers elle de « l'Afrique ». Vision manifestement ethnocentrée (occidentalocentrée en l’occurrence, j'y reviendrais).
Ce qui est donc gênant dans ton texte, c'est qu'il y a une double essentialisation de l'autre : à la fois essentialisation de la femme, et essentialisation de l'africanité à travers notamment son exotisation et son érotisation. Ces procédés te conduisent à créer un stéréotype complètement fantasmatique et généralisant. Et c'est d'autant plus important et délicat de te faire ces reproches que tu sembles vouloir dresser une image positive/bienveillante, p-e teintée de condescendance involontaire, de ton sujet. (cf « Mythe du bon sauvage » )
J'en viens au texte dans le détail.
Elle porte l’Afrique sur sa tête. L’Afrique entière.
Ca annonce la couleur...
L'Afrique n'est pas un pays comme on dit trivialement. L'Afrique c'est vaste, c'est riche, c'est pauvre aussi, c'est varié, comme partout en fait, ce sont des langues, des cultures, des villes, des campagnes, des guerres, des festivals, des gastronomies, des religions syncrétiques et d'autres plus "traditionnelles", qui ne se résument pas à la plantain au manioc et au mafé. L'Afrique se sont des sociétés, des identités aussi différentes les unes des autres que partout ailleurs sur la planète à commencer par l'Europe. Ce n'est pas parce qu'en Afrique « noire » on trouve partout des personnes noires qu'on peut s'autoriser à dresser le portrait de LA (bonne) noire, « l'africaine ». Sans compter que la maghrébine blanche est aussi africaine que la sud africaine noire ou que l'éthiopienne amhara un peu plus claire de peau. Mais tu vas choisir dans ton poème des clichés, décider de les styliser, les esthétiser (leur donnant ainsi de la force, du poids, du crédit) et de les véhiculer.
Y compris la savane et le Kilimandjaro
Oui l'Afrique porte ces lourds clichés. Ta statuette en est le premier exemple.
Elle porte une bassine d’eau.
Toute l’eau de l’Oubangi et du Congo.
Ah oui tant que ça ?
L'entrepreneuse Rwandaise parfaitement intégrée à la jungle urbaine de la mégapole Kigali appréciera l'attention.
Elle porte un grand sac sur le dos, plein du poids des bananes.
Faudrait arrêter un peu de faire rimer Afrique avec banane. Y a quand même d'autres choses a en dire non ? Pourquoi revenir à ces images, qu'est ce que ça cache ?
Elle porte le dernier né sur la poitrine.
La bouche pleine de sein
Il me semble qu'il y a plus de chances de le voir sur le dos pour le coup, nan ?
Enfin, le but est sûrement d'introduire cette figure érotisante.
Les femmes africaines ne peuvent pas juste être perçues comme des femmes normales, sans êtres réduites à leurs attributs sexualisés, leur peau, leurs formes ? Sans que leur corps soit gratuitement sexualisé par le regard occidental ? Ici l'expression « bouche pleine » ne trompe pas sur l'intention de l'auteur de ne pas s'en tenir à une description purement réaliste/naturaliste.
Elle porte le prochain au fond du ventre.
Encore un sous entendu tendancieux colportant son cliché bien connu. + érotisation de la fertilité.
Elle porte un boubou de coton.
Bah non. « L'égyptienne » ne porte pas un « boubou » et ne joue pas du « tamtam ». « La massaï » non plus d'ailleurs. Et « la lobi » villageoise qui portait les cheveux rasés jusqu'à il n'y a pas si longtemps aime aujourd'hui à exprimer sa féminité à l'aide de rajouts tressés synthétiques. « La malienne » a des chances de porter un foulard et « la mahoraise » jeune, rien du tout, peut-être une perruque.
Pompidou sur une fesse, Bokassa sur l’autre
C'est trop léger pour être une dénonciation de la françafrique. Par contre c'est encore une occasion d'érotiser.
Elle porte le souvenir du morceau de chair entre les jambes
Et du coupe-légumes mal aiguisé.
C'est tout un champ lexical, je ne fais pas erreur. Là encore l'excision n'est pas partout pratiquée, et la où elle l'est elle obéit à des enjeux sociaux, culturels et sanitaires complexes. Sous cette image lapidaire, le résumé qui est dressé implicitement de cette question est aussi mal affûte que le coupe-légume. Ce qui en ressort c'est la sauvagerie et l'arriération d'un continent tenant dans l'image brutale de ce coupe légume mal aiguisé (forcément) sur la chair d'un clitoris.
Elle marche depuis que ses ancêtres ont traversé l’Océan en marchant.
Au fond d’une cale
Alors ça faudra m'expliquer :
Pourquoi la majuscule à océan ?
Pourquoi « en marchant » ?
Et enfin, pourquoi « ses ancêtres » ?
Si elle est africaines de naissance, c'est bien que ses ancêtres à elle n'ont pas été déportés, non ?
Encore un cliché sur l'esclavage, noir = descendant d'esclave. Par ailleurs certaines sociétés africaines étaient déjà des sociétés esclavagistes, comme l'ont été énormément de sociétés dans l'histoire et la préhistoire de l'humanité, sur tous les continents, sauf p-e en Océanie.
Elle marche sur le bord de la route.
Forcément, l'africaine n'a pas de voiture, c'est tout juste si elle est capable d'en conduire une !
Elle marche sur la terre rouge d’Afrique
Sandales à la main.
Oui elle préfère user ses pieds ou mieux, être en harmonie avec la terre rouge de ses ancêtres ancestraux, quitte à recevoir quelques épines. Où peut-être simplement qu'elle les a enlevées momentanément car elle a mal aux pieds, comme le ferait n'importe qui.
La fatigue glisse sur elle comme une goutte d’eau sur une plume.
Ben voyons... C'est la version grand voyageur de « ils ont le rythme dans la peau ? »
Elle traverse l’Afrique. A pieds. Sur la chair des chemins.
Du Nord au Sud. Du Sud au Nord.
Un peu dans l’Ouest. Dans l’Ouest du Sud. Et dans l’Est aussi.
Ca j'ai pas vraiment compris ce que ça venait faire, tu parles certainement du parcours véritable de la statuette, qui doit-être ton propre parcours...
Toujours droite. Fesses fermes.
Encore ! No coment
Son nom est dit par les scarifications sur le visage
Son prénom aussi
Bah ça dépend où...
T'auras du mal à trouver ça dans l'Afrique musulmane ou urbanisée... « Mais on aime bien l'Afrique rurale nous autres, la profonde, on veut de la brousse, de la case, de la palabre, enfin, la Vraie Afrique quoi ! Et on aime bien en rajouter, comprendre ce qu'on a envie, retrouver, vérifier par nous même ce qu'on nous a déjà raconté, mythifié, revenir et utiliser les grands mots sans n'avoir rien compris et donc rien expliqué, rien raconté d'intéressant. On veut du spectaculaire pour se la raconter. Montrer qu'on a vu ce que nos semblables frémiraient de voir en vrai. De vrais sauvages bien authentiques. Sisi, ils sont scarifiés madame. »
Rien de plus qu'une figure esthétique de l'altérité radicale. Incompréhensible, acomprise plutôt et pourtant vécue comme si belle, si vraie...
Deux étincelles vivent au fond de ses yeux.
Et toujours le sourire.
Toujours ce sourire africain.
Ce sourire aux dents blanches
Vraiment il a osé ? Tous les hommes ont les dents blanches. Si y a bien truc qui n'est pas différent d'un humain à un autre, c'est l'intérieur de la bouche !
Mais tu voulais plutôt (consciemment ou non) souligner par contraste que ton « africain(e) » a la peau noire... Merci.
fleurs d’orangers.
Pas compris mais ça doit se justifier par le simple fait que ça sonne exotique
Cette peau noire. Cette peau d’ambre noire.
Ouf, on était à deux doigts de lire « ébène ». Enfin, on l'a tous pensé. Ici l'image n'est pas meilleure.
Voilà à quoi est résumée ton Afrique(aine) : seins, fesses, noire, banane, à pieds, noire, vulve excisée, scarifiée, esclave, noire, peau, Kilimandjaro, mais souriante, dents blanches, noire
Cette odeur de sueur et de mangue.
Ah oui l'odeur de sueur des noirs, comme si les autres humains n'avaient pas d'odeur de sueur... Certains en font un objet de dégoût, de rejet, certains un objet de fantasme érotique. Tout ça ne sent pas bon du tout et ce n'est pas là une question d'humeur corporelle, crois-moi bien !
Cette peau perlée. Ces grains de soleil qui étincellent.
Cette peau pour 5 Francs CFA la nuit.
Ah oui il manquait plus que ça pour parfaire le tableau : la noire (on ne dit plus l'africaine à ce stade), la noire est une pute. Sous le soleil de 17h, quand elle marche les pieds nus sur la route en sueur, elle est objet de tous les fantasmes, elle paraît forte et désirable. Mais sache que la nuit tu peux la posséder car comme elle est pauvre, sans voiture, sans pudeur, tu pourras facilement l'acheter. Et puis elle a déjà vu pire !
Enfin, bref ton texte m'a soulevé le cœur à la lecture, mais je crois qu'à l'analyse c'est encore bien pire !
Mais je te remercie de l'avoir posté ici, d'avoir ce courage de t'exposer à la critique, aussi rude soit-elle. C'est important que ces choses sortent. Elles sont encore bien enfouies chez nous.
J'en viens à tes explication :
pour moi cette statue symbolise la femme africaine, force, fierté, beauté, le vrai pilier de l'Afrique.
Là tu corrobores complètement ma lecture. C'est bien ta vision de « la femme africaine » que tu exprimes. Et si ton intention est louable (je ne mets absolument pas en doute ta sincérité), celle de valoriser, de "rendre hommage", mais à qui rend-t-on hommage ? il me semble que le résultat est plutôt catastrophique.
Le femme africaine domine l'homme de toute sa hauteur (système matriarcal). Je n'ai jamais entendu qu'un homme aurait battu sa femme.
Par contre les femmes qui battent leur marri , oui.
Non pas du tout.
1) Aucune société sur la planète n'est matriarcale, aucune ne l'a été d'après ce qu'on connaît pour le moment. C'est un mythe contemporain très répandu chez les occidentaux qui idéalisent les sociétés qu'ils visitent. Il existe des sociétés matrilinéaires en Afrique et ailleurs, elles sont très minoritaires quelque soit l'aire géographique. Les sociétés matrilinéaires ne sont pas matriarcales ! Nulle part il existe de société dans lesquels les femmes dominent les hommes (c'est à déplorer ou non mais c'est la réalité pour le moment). La matrilinéarité concerne les règles de filiation et non la distribution de l'autorité et du pouvoir. Il est vrai que parfois dans ces sociétés les femmes jouissent de moins d’inconvénients que dans des sociétés à forte domination masculine, mais ce n'est même pas toujours vrai ! Enfin, en Afrique comme ailleurs malheureusement, la plupart des sociétés subissent une forte à écrasante domination masculine.
2) Des femmes battues et forcées, il y en a dans toutes les sociétés malheureusement ! Et de rares femmes qui s'opposent à leur mari, ça existe aussi, ça ne veut pas dire que l'ordre dominant (patriarcal) de la société en est bouleversé ! Il faut avoir une vision globale de la société pour aborder ces questions.
(elles doivent encore se le raconter le soir à la veillée)
Ah oui, elles vont raconter jusqu'à la nuit des temps, « à la veillée », le jour ou le blanc (? autre ?), le seul qu'elles n'avaient jamais vu avant, celui qui a eu l'immense privilège de les « découvrir », n'a pas réussi à porter une bassine qu'une gamine de 14 ans apprend à faire tous les jours...
Désolé pour le ton mais l'émotion doit être communiquée. Ton texte me donne l'impression d'un récit de voyageur d'il y a déjà plusieurs siècles ! Comment peut-on écrire ça aujourd'hui ? Comment peut-on ne pas comprendre ce qu'on est en train d'écrire vis ç vis des personnes dont on parle ? Comment peut-on être aussi peu les pieds sur terre ?
Tout de même, au plaisir de lire quelque chose de moins vulgaire, et j'ose même dire de moins obscène.
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