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Auteur Sujet: The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)  (Lu 62881 fois)

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #45 le: 15 avril 2020 à 14:21:02 »
R 1.07
Traduit par EllieVia

 
Courir est une chose étrange. Et c’est l’une des rares choses dont je suis qualifiée pour parler dans n’importe quel monde. Pour moi, courir est la chose que je fais qui se rapproche le plus du fait d’être en vie. La course, je l’ai étudiée, je l’ai pratiquée, et je me la suis appropriée. Je ne peux pas en dire autant de quoi que ce soit d’autre.
 
Mais si la course est pure, la vie ne ‘est pas. Mon corps ne l’est pas, si cela a une quelconque importance.
 
C’est drôle. Apparemment, battre un record de marathon de 50 km à ma vitesse maximale n’est pas sans conséquences, surtout avec une jambe tout juste guérie. Autant dire que lorsque les Cornes d’Hammerad me rattrapèrent, ils furent obligés de me laisser monter dans le chariot sur la majeure partie du trajet qui nous ramena à Celum.
 
S’étendre au milieu d’un champ dans un épuisement physique total s’avère être très relaxant. J’étais tellement fatiguée que je ne me suis même pas demandé ce qu’il se passerait si un monstre me trouvait là. *
 
*Pas très dur à deviner. Apparemment, la plupart des monstres séparant les cités humaines de Liscor sont des Gobelins et quelques espèces aviaires. On m’a dit qu’il était préférable de se faire dévorer vivante par les oiseaux que de supporter ce que les Gobelins mâles infligeaient aux femmes. La prochaine fois que je vois un de ces salauds je lui éclate la tête.
 
Bref, j’ai de la chance que Ceria connaisse plein de sorts de localisation. Les Cornes ont rapidement compris ce qu’il s’était passé quand j’ai arrêté de bouger. Là encore, courir un marathon sur un ventre vide n’est pas une très bonne idée. J’ai fait des ultra-marathons et la clef de ces courses ce n’est pas la vitesse ni même tellement la pratique. Il suffit d’y aller mollo et de manger tout le long. Tout ce que j’aime.
 
Où en étais-je ? Ah oui. Courir. Courir est une chose aisée, à l’inverse de la vie. Même les boulots impliquant de courir sont difficiles.
 
Exemple concret : pourquoi suis-je encore plantée devant la guilde au lien d’entrer. Je ne veux vraiment pas faire face aux gens à l’intérieur - ou à qui que ce soit - là tout de suite. Pour tout dire, la seule chose qui me maintienne à peu près d’aplomb est le fait que ma jambe soit guérie.
 
Ma jambe est guérie. Quatre mots, mais qui changent tout pour moi. Passer de l’idée que je ne courrais plus jamais à celle que je peux courir où bon me chante ?
 
La vie est belle.
 
… à moins bien sûr que l’on soit une clocharde sans job et sans argent qui doit emprunter aux gens pour survivre. Papa m’a toujours dit que ça risquait de m’arriver si je ne filais pas droit. *
 
*C’est à dire, pour lui, partir dans la politique pour lécher des bottes et mentir 24h sur 24, 7 jours sur 7, donc il peut aller se jeter d’une falaise.
 
Je suis très littéralement sans le sou. Sans Garia et les Cornes d’Hammerad, je n’aurais même pas pu dormir dans l’auberge ces derniers jours, sans parler de manger. Il y a deux raisons à cela. L’une, et là encore, c’est entièrement ma faute, est que j’ai dû me reposer après le marathon débile que j’ai fait sur le chemin du retour. Même avec une potion, il m’a fallu faire un peu de rééducation. Cela a pris deux jours avant que Ceria me dise que c’était bon.
 
L’autre raison ?
 
Les gens.
 
Toutes les têtes se tournent vers la porte de la guilde lorsque je l’ouvre d’un coup de pied. Presque aussitôt, les Coursiers détournent le regard. * On dirait bien que la plupart des Coursiers de ville réguliers sont ici, ainsi que plusieurs personnes que je reconnais.
 
*Et un très bon regard avec ça. On dirait qu’ils attendaient clairement quelqu’un, n'importe qui d’autre que moi mais je suis là à présent et il va falloir qu’ils me supportent - principalement en prétendant que je n'existe pas. Bon sang. C’est pour cette raison que je n’aime pas regarder les gens dans les yeux.
 
Fals est en train de parler avec Garia à côté du comptoir de la réceptionniste. Les deux m’aperçoivent, mais Fals continue de parler et Garia est trop dans la lune pour l’interrompre. Et à l’autre bout de la pièce, en train d’observer Fals avec son gang, se trouve une autre charmante personne d’intérêt.
 
Persua.
 
Elle me fusille du regard puis se met immédiatement à m’ignorer et à parler fort et avec animation avec ses amis. Il faut que je trouve le temps de regarder quelle est le châtiment pour meurtre dans ce monde. Mais ce n’est pas elle qui m'intéresse, donc je m’approche du comptoir de la réceptionniste.
 
Fals et Garia sont devant moi dans la file tandis que la réceptionniste s’occupe d’un gamin en train d’apporter une livraison. Normalement, je resterais loin de Fals et irais attendre ailleurs, mais Persua viendrait probablement me piquer ma place et prendre son temps juste pour me faire chier. De plus, leur conversation a l’air intéressante donc je supporte Fals le temps de laisser traîner mes oreilles.
 
Garia a l’air plutôt bouleversée. Les des Coursiers parlent de quelque chose. Ah oui, cette requête anonyme qu’elle m’avait montrée il y a une semaine. J’ai l’impression que ça fait un bail, à présent.
 
“... troisième Coursier qu’on a perdu jusque-là. Pestrom.”
 
“Quoi ? Non. C’était un Coursier de ville expérimenté… Niveau 19 ! Je l’ai vu la semaine dernière.”
 
Fals secoue la tête. Il a l’air sincèrement en colère et frustré mais j’ai déjà vu des gens mimer parfaitement les émotions.
 
“Rien de cela n’a de l’import]ance dans les Hautes Passes, Garia. Les monstres là-bas… il faudrait des compétences de combat, ou un niveau extraordinairement haut… probablement au moins un niveau 30 pour sortir de là-bas sans dégâts. Je l’ai dit à Pestrom, mais il n’a pas voulu m’écouter.”
 
“Tu dois faire quelque chose à ce sujet, Fals. La récompense est passée à quarante pièces d’or. Il y a un groupe de Coursiers de rue… ils savent que c’est dangereux. Mais pour une récompense comme ça…”
 
Fals acquiesça d’un air grave. Le Coursier devant lui a fini, donc il s’avance et s’adresse à la réceptionniste.
 
“Teressa, ne laisse aucun Coursier prendre cette requête. Fais passer le mot aux autres Guildes. Quiconque tentera d’affronter les Hautes Passes mourra. On doit l’enlever du tableau de requêtes.”
 
La réceptionniste - Teressa, dont j’oublierai très vite le nom - semble bouleversée. Elle veut clairement aider Fals, et elle est également très clairement attirée par lui, mais il y a un problème.
 
“On ne peut pas la retirer, Fals. Tu connais les règles de la Guilde.”
 
Fals acquiesce. Il se penche sur le comptoir et adresse un sourire charmeur* à la réceptionniste**.
 
*J’imagine qu’il est charmeur. Le problème, c’est que j’ai vu tellement de sourires charmeurs que ce genre-là me donne systématiquement envie de casser quelque chose.
 
** Pourquoi est-ce que ce sont toujours des femmes ? Oh, oui. Le féminisme n’est pas mort dans ce monde, il n’a tout simplement probablement jamais existé. À moins qu’on ne compte quelqu’un comme Lady Magnolia, et elle est probablement une rare exception liée à son influence et à sa richesse. Charmant.
 
“Je sais. Mais pourrais-tu, disons, suggérer aux autres Coursiers de ne pas accepter la requête ? Crois-moi, tu sauverais des vies.”
 
La réceptionniste et Garia rougissent devant le sourire de Fals, ce qui ne fait que m’agacer un peu plus. Elle acquiesce.
 
“Je peux faire ça. Et je le ferai savoir aux autres.”
 
“En ce cas, Garia et moi allons dire aux autres Coursiers de faire passer le mot. Merci, Teressa, tu es une véritable sauveuse. Littéralement.”
 
Fals lui sourit de nouveau. Elle rougit et se met à jouer avec les Sceaux sur son comptoir.
 
“Nul besoin de me flatter, Fals. Et de toute façon, tu n’as pas trop de travail pour ça ?”
 
“J’ai toujours le temps de discuter avec une femme aussi charmante. Comment vont les enfants ? Est-ce que…”
 
Okay, je n’avais pas de problème tant que la discussion était intéressante, mais je ne vais pas attendre pour un flirt. Je ne pousse pas exactement Fals hors de mon chemin*, mais j’avance. Il sursaute et se retourne vers moi.
 
* Vraiment, je ne le pousse pas. Mais je lui ai peut-être un peu marché sur le pied.
 
“Oh, Ryoka…”
 
Fals jette un regard d’avertissement et elle se tait. Encore une raison pour moi de ne pas l’aimer.
 
“Tu as fini ?”
 
Il m’adresse un sourire que je ne lui retourne pas.
 
“Elle est toute à toi, Ryoka.”
 
“Bien.”
 
Okay, c’est le moment d’être méchante. Je pose mes mains sur le comptoir. La réceptionniste est clairement beaucoup moins contente de me voir, ou peut-être que c’est parce que j’ai fait partir M. Le Beau Coursier des Villes. Je n’en ai rien à foutre.
 
“Tu as des livraisons pour moi aujourd’hui ?”
 
Elle me jette un regard nerveux, mais ses yeux passent brièvement sur le visage de Fals.
 
“Oh, Mademoiselle Ryoka, je suis désolée, mais nous n’avons plus de requête. Encore.”
 
“Vraiment ? Vous n’en avez plus ? Absolument aucune ?”
 
Je trouve incroyable la manière dont les gens qui me mentent sont systématiquement incapable de croiser mon regard.
 
“C’est un problème... de timing.”
 
Vraiment ? Est-ce qu’il s’agit d’un euphémisme pour parler de politiques internes et de la volonté d’un groupe de crétins ? À ce stade, je me contente de la fusiller du regard. Cela me met très mal à l’aise, mais je parie qu’elle n’aime pas cela non plus. Elle craque en environ cinq secondes et sort un tas de papiers qu’elle avait préparé pour moi.
 
“Toutefois, nous avons plusieurs contrats pour Lady Magnolia si tu veux bien y jeter un œil…”
 
“Ça ira, merci.”
 
Merde, merde, [et]merde[/i]. Je savais que rien n’aurait changé. Mais qu’est-ce que je peux faire, putain ? C’est la vie à présent. Apparemment, me faire broyer la jambe n’était pas un avertissement suffisant. À présent, c’est soit je joue le jeu, soit je n’ai pas de job.
 
Pas de requête. Pas de livraison, et pas de paie. C’est le message qui m’a été transmis tous les jours depuis que je suis revenue. J’ai essayé d’aller dans trois Guildes de cités voisines et elles font toutes la même chose. Elles font faire toutes les requêtes avant que j’arrive, même si ça implique que les autres Coursiers bossent sans répit pour s’en charger.
 
En ce cas, je vais rester à Celum juste pour voir combien de temps ils peuvent tenir. La moitié des Coursiers de Rue et de Ville ici sont à moitié morts sur pied, mais ils le font quand même. Et on dirait qu’ils ont mis les meilleurs Coursiers de Ville dans le coup, comme Fals.
 
En gros, je suis bloquée jusqu’à ce que j’accepte de céder à leurs demandes. Ce que je ne ferai pas. Ce qu’ils veulent n’est pas si dur que ça…
 
Mais je ne le ferai pas. Je ne cède pas au harcèlement et à la pression de groupe. Et le regard innocent que m’adresse la réceptionniste me donne envie de l’assommer.
 
Qu’ils aillent se faire foutre. C’est le moment de devenir désagréable.
 
***
 
Garia observa Ryoka et sut qu’il y allait y avoir des ennuis. Elle n’avait pas de compétence spéciale comme [Instinct de Survie] mais elle n’en avait pas besoin. Elle connaissait Ryoka, pas seulement comme une amie mais comme un météorologue connaît le ciel. Et si Ryoka était un orage, alors ce serait un ouragan causeur de naufrages, bourré d’éclairs et de grêle pour faire bonne mesure.
 
La grande fille sans chaussures se pencha sur le comptoir et fusilla la réceptionniste du regard. Garia eut mal pour la femme. Teressa était gentille et serviable avec tout le monde - elle ne faisait que son boulot, même si Garia n’était pas d’accord. Ce n’était pas sa faute.
 
Là encore, Garia n’aurait pas souhaité une Ryoka aussi énervée à qui que ce soit. Sauf peut-être Persua. Les yeux d’un vert brillant de Ryoka lançaient des éclairs d’agacement.
 
“Ça fait quatre jours.”
 
Ryoka s’appuya au-dessus du comptoir et fusilla la réceptionniste recroquevillée du regard.
 
“Et tu es en train de me dire qu’il n’y a aucune requête ? Sauf, évidemment, celles de Magnolia.”
 
Teressa ouvrit la bouche, hésita, et regarda sur le côté d’un air implorant. Fals s’avança et sourit à Ryoka d’une manière qui fit battre le cœur de Garia. Ryoka tourna son regard noir sur lui.
 
“Nous ne voulons pas te mettre de bâtons dans les roues, Ryoka…”
 
“Oh vraiment ? Alors arrêtez de prendre toutes les demandes de livraisons.”
 
Fals se gratta l’arrière du cou et sourit de nouveau, mal à l’aise.
 
“On aimerait bien. Vraiment. Mais Ryoka, ce serait mieux que tu prennes d’abord l’une des requêtes de Magnolia.”
 
Elle savait pourquoi, mais Ryoka n’était pas d’humeur à être serviable. Elle croisa ses bras sur sa poitrine.
 
“Pourquoi ?”
 
Un autre sourire, légèrement contraint.
 
“Lady Magnolia refuse de prendre d’autres livraison tant que tu n’auras rien livré en personne. Tous les Coursiers des villes voisines sont impactés.”
 
“Et alors ? Vous n’avez qu’à faire les livraisons vous-même. Elle les prendra si je ne livre rien.”
 
“On aimerait bien, vraiment, Ryoka. Mais Lady Magnolia… personne ne lui dit quoi faire, Ryoka. Jette un œil à ses requêtes, peux-tu ? Elles ne sont vraiment pas difficiles.”
 
De ce que savait Garia, la facilité aurait encore moins d’attrait pour Ryoka. Mais elle regarda quand même avec réticence le tas de requêtes que lui tendait Teressa. Elle retroussa les lèvres en les lisant une par une.
 
“Des poivrons ? Des choux ? Elle peut les acheter n’importe où.3
 
“Mais elle veut un Coursier. Toi, pour être précis.”
 
“Donc tant que je ne serai pas passée la voir je n’aurai rien d’autre, c’est ça ? Et je suis censée lui demander de laisser les autres Coursiers prendre ses requêtes, c’est bien ça ?”
 
“On n’a pas dit ça.”
 
“Oh ?”
 
Fals parut choisir soigneusement ses mots.
 
“Si tu pouvais… suggérer à Lady Magnolia de rouvrir ses requêtes à tout le monde, les choses seraient… plu faciles.”
 
“Bien sûr. Et vous êtes tous payés donc tout le monde est content ?”
 
Ryoka se détourna de Fals et balaya la Guilde du regard. Les Coursiers de Rue et de Ville lui rendirent son regard. Ils regardaient tous Ryoka en silence, et pas d’un air amical/
 
“Donc tant que ce ne sera pas fait, vous allez continuer à prendre les requêtes.”
 
Fals haussa les épaules d’un air piteux comme s’il venait de se faire prendre à faire une blague.
 
“On ne fait que notre travail, Ryoka. Mais tu as raison sur ce point. On est tous dans le coup, Coursiers et Guilde.”
 
“Je n’aime pas qu’on me mette la pression. Que quiconque me mette la pression.”
 
Fals posa une main sur l’épaule de Ryoka, qui se tendit instantanément. Il lui fit un sourire rassurant qui fit bondir l’estomac de Garia.
 
“Ryoka, je suis parfaitement d’accord avec toi. Mais, s’il te plaît, regarde la situation du point de vue du reste des Coursiers.”
 
Il montra le reste des Coursiers et hocha la tête en direction de Persua. La fille transforma instantanément son regard meurtrier à Ryoka en un sourire maladif.
 
“On est une équipe. Okay, on ne s’entend pas tous parfaitement bien, mais si c’était chaque Coursier pour soi ce serait n’importe quoi. On travaille ensemble pour achever les requêtes difficiles et on partage la richesse pour que tout le monde soit tiré vers le haut.”
 
Il tapota légèrement sa poitrine.
 
“On est des Coursiers. On coûte peut-être cher, mais on fait le boulot ! Et si certaines personnes n’aiment pas ça, c’est parce qu’ils ne comprennent pas à quel point notre job est dur. On risque nos vies et notre intégrité physique pour aider les autres.”
 
Le reste des Coursiers dans la pièce sourire devant le discours de Fals. Ils murmurèrent leur accord et il poursuivit.
 
“Donc si on travaille tous ensemble - si on s’entraide - on survivra. Des centaines de Coursiers meurent chaque années, mais les Guildes locales sont celles qui en perdent le moins. On ne prend pas les requêtes dangereuses et on se serre les coudes si l’un d’entre nous est en danger. C’est sûr qu’on ne gagne pas autant que d’autres Coursiers mais au moins on peut compter les uns sur les autres.”
 
Ryoka dévisagea Fals tandis que le reste des Coursiers l’acclamaient. Puis, calmement, délibérément, elle attrapa son poignet et ôta sa main de son épaule.
 
“Joli discours. Mais tu n’es qu’un putain d’hypocrite.”
 
Le sourire de Garia s’effaça. L’ambiance de la pièce se refroidit instantanément. Ryoka dévisagea fermement les autres Coursiers. Elle se tourna de nouveau vers Fals qui la dévisageait d’un air confus. Puis elle secoua la tête.
 
“Tu veux faire un discours du les Coursiers et prêcher l’entraide et les faux-semblants ? PaaS de souci. Mais ne m’inclue pas dans ta petite clique.”
 
Elle pointa le pouce sur sa poitrine.
 
“Je cours pieds nus. Si j’avais quelque chose à foutre de l’opinion publique, je ne courrais pas du tout. Les Coursiers courent. On fait des livraisons. C’est un job, pas une vocation.”
 
Elle regarda de nouveau autour d’elle et cette fois-ci croisa le regard de Garia.
 
“Je me fous de si vous m’aimez ou pas. Tout ce que je suis ici pour faire, c’est livrer des trucs et gagner de l’argent. Je ne veux pas des requêtes à la noix de Magnolia. Si vous voulez gagner sa faveur, débrouillez-vous mais laissez-moi tranquille. Je ne prendrai plus aucune de ses offres si c’est ce que vous voulez.”
 
Fals écarta les mains d’un air impuissant.
 
“On aimerait bien te croire, Ryoka, mais…”
 
“Tu penses que je mens ?”
 
Fals hésita devant l’avertissement dans la voix de Ryoka. Elle avança et il recula.
 
“Je ne mens pas. Et je déteste les menteurs. Quand on fait une promesse, on la tient. Quand on parle, on regarde son interlocuteur droit dans les yeux en pensant chaque mot que l’on dit. Quand je dis que je ferai quelque chose, c’est que je le ferai. Si tu veux faire des livraisons à Magnolia, tu n’as qu’à prendre les putains de requêtes. Je me fous de la politique.”
 
Elle poussa le torse de Fals suffisamment fort pour le faire reculer.
 
“Mais si tu te mets en travers de mon chemin je t’éclaterai la tête.”
 
Fals ouvrit la bouche mais Garia le tira en arrière. Ryoka se retourna et fusilla l’assemblée du regard. Aucun Coursiers ne voulait croiser son regard mais le sentiment général…
 
Elle se dirigea d’un pas vif vers le panneau d’offres et le regarda d’un œil noir. Il était couvert de requête, et aucune pour elle.
 
Aucun intérêt à prendre l’une d’entre elles, elle le savait. Même si elle en amenait une au comptoir elle serait “miraculeusement” déjà prise par un autre Coursier. Et ils iraient la faire de ce pas.
 
Mais… elle eut une idée. Ryoka écarta plusieurs requêtes et en sélectionna une cachée au fond. Elle la ramena au comptoir et la tendit à la réceptionniste.
 
“Celle-là. Je prends la requête pour les Hautes Passes.”
 
“Quoi ?”
 
Teressa cilla. Elle se mit à bégayer.
 
“Celle-ci… mais tu ne peux pas…”
 
“Mauvaise idée, Ryoka.”
 
Fals se dégagea doucement de la poigne de Garia et se plaça de nouveau devant Ryoka. Il paraissait inquiet.
 
“Les Hautes Passes ne sont pas un endroit pour les Coursiers ni même pour la plupart des aventuriers. Celui ou celle qui a mis cette requête ne sait pas ce qu’il fait. Tu ne devrais pas la prendre.”
 
“Pourquoi pas ? Je n’ai rien d’autre à faire.”
 
Ryoka arracha le morceau de papier des mains de Fals. Puis elle sourit.
 
“À moins que tu n’aies envie de la faire ? Je te suivrai pour m’assurer que tu y arrives.”
 
Ryoka adressa à Fals un sourire plein de malice. Il eut un mouvement de recul visible et elle acquiesça.
 
“C’est bien ce que je me disais. Je la prends.”
 
“Tu vas mourir !”
 
Interrompit Garia. Elle rougit lorsque tous les regards se tournèrent vers elle mais elle reprit la parole d’un air désespéré.
 
“Ryoka, Fals a raison. C’est très sérieux. Prends l’une des requêtes de Magnolia ! Les Hautes Passes…”
 
“Je survivrai. Et je ferai la livraison même si c’est dangereux - pas juste pour l’argent. Apparemment, les Coursiers ne pensent qu’à ça.”
 
Ryoka poussa Fals et passa devant Garia. Elle marcha jusqu’à la porte et s’arrêta lorsqu’une autre personne lui barra la route. Persua et son gang de Coursiers dévisageaient Ryoka avec une hostilité non dissimulée. Elle croisa le regard de Persua.
 
“Tu vas aussi essayer de m’en empêcher ?”
 
Le regard de Persua disait clairement qu’elle aimerait l’arrêter, le plus douloureusement possible. Elle jeta ses cheveux en arrière à la manière d’un fouet avec lequel elle aurait voulu fouetter Ryoka.
 
Je n’ai pas besoin de faire quoi que ce soit. Tu vas mourir dans les Hautes Passes.”
 
“Oh vraiment ?”
 
Persua lui répondit d’un air méprisant.
 
“Pourquoi crois-tu qu’aucun des Coursiers expérimentés ne prend ce genre de requête ? Nous sommes suffisamment intelligents pour ne pas risquer nos vies. Nous travaillons ensemble, pas comme toi. Tu mourras seule parce que tu es une idiote.”
 
Ryoka acquiesça.
 
“Tu as probablement raison.”
 
Persua cilla, prise au dépourvu. Fals, Garia et le reste des Coursiers dévisagèrent Ryoka. Ryoka hocha la tête et parcourut de nouveau la foule du regard.
 
“Si je m’y prends à votre manière, je vivrai probablement jusqu’à la retraite. Et peut-être même que je gagnerai beaucoup d’argent, qui sait ? Et si je vous lèche les bottes suffisamment longtemps, vous finirez peut-être même par m’apprécier. Si j’étais comme vous, je ne prendrais pas cette offre.”
 
Elle s’arrêta. Puis elle plongea son regard dans les yeux de Fals pour finir sa tirade.
 
“Dommage que je ne sois pas lâche.”
 
Ryoka se détourna et sortit de la guilde au moment où le silence choqué se brisait et les cris furieux se déchaînaient.
 
***
 
Je brûle les ponts comme je respire. C’est un talent. Je l’ai toujours fait et j’imagine que certaines choses ne changent pas. Moi et ma grande gueule. Je me suis faite virer du lycée pour avoir dit au proviseur ce que je pensais de lui et à présent les autres…
 
Sont en rage. Je les entends hurler lorsque j’ouvre la porte. Mais je souris encore en sortant du bâtiment.
 
Une seule chose a de l’importance. Quelque chose à laquelle je me raccroche même mes jours les plus sombres. Et cette chose, c’est l’intégrité.
 
Je suis ce que je suis. Je suis qui je suis. Et je ne changerai pour personne d’autre que moi-même. Les pays et les cultures ont leurs propres règles. La société pousse et tâte. Tout le monde a ses plans et aucune intention n’est honnête.
 
Mais je ne m’inclinerai devant personne, surtout pas devant des tyrans et des menteurs comme Fals. Donc je souris, même en brisant les liens. Peut-être qu’après ça, de devrai aller ailleurs. En fait, pas “peut-être”. Je devrai probablement trouver une autre guilde si je ne voulais pas me faire broyer les deux jambes, cette fois-ci.
 
Jusqu’où s’étend l’influence de ces Coursiers ? Bon, où que j’aille je serai probablement précédée par un tissu de rumeurs et de mensonges. Et ce sera toujours pareil.
 
Quel groupe de gens petits et minables. Mais quel monde merveilleux. Si je le souhaite, je pourrai courir jusqu’aux bords de ce monde pour trouver un endroit où être libre.
 
Si seulement tout le monde n’était pas aussi mesquin. Enfin, ceux qui ne sont pas comme ça sont comme Fals, qui ne vaut rien non plus, à sa manière. Mais l’une d’entre eux…
 
“Ryoka…”
 
Merde. Garia est la seule personne du groupe à valoir son grain de sel. Dans son cas, elle vaut même bien une petite montagne de sel. Une colline, au moins.
 
Elle trottine pour me rattraper. Une partie de moi veut juste continuer à marcher jusqu’à ce qu’elle abandonne, mais même moi ne suis pas assez méchante pour faire ça. De plus, elle m’a tellement aidée que je lui dois bien ça.
 
Garia hésite en ralentissant pour s’ajuster à mon rythme. Je m’attends à ce qu’elle défende les autres Coursiers, mais elle me surprend.
 
“Je les empêcherai de te tomber dessus si j’y arrive. Mais ils sont en colère. Très, très en colère.”
 
Huh. Mais peut-être que j’aurais dû m’y attendre ? Garia est une fille droite dans ses bottes. C’est pour ça que je l’aime bien.
 
“Ils sont énervés parce que je leur ai dit ce que je pensais de leur petit culte ?”
 
Garia hésita.
 
“Je ne… je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’a dit Fals, Ryoka, mais je pense qu’il a raison sur certains points. Je pense que tu as aussi raison, cependant. Mais tu es unique. Tu… tu peux faire des livraisons toute seule mais certains d’entre nous ont besoin de travailler ensemble. Si la Guilde n’était pas comme ça, on serait plus souvent blessés.”
 
“Donc on travaille ensemble et on traîne dans la boue ceux qui ne sont pas d’accord, c’est bien ça ?”
 
“Je n’ai jamais dit que c’était parfait.”
 
“Une mentalité de meute. Et Fals croit tout savoir. Sommes-nous des chiens ou des dieux ?”
 
Je croyais que c’était une phrase intelligente. Ou stupide. Ouch. Le regard de Garia me fait me sentir comme la pire des connasses.
 
“Ni l’un ni l’autre. On est juste des gens, Ryoka. Et ils ne sont pas parfaits, je sais. Mais on ne peut pas tous être comme toi. Certains d’entre nous doivent travailler ensemble pour survivre.”
 
… Bordel. Ça devient douloureux.
 
“J’aimerais être capable de courir comme toi. Mais je ne peux pas. Je suis trop lente… je ne peux que porter des trucs très lourds au lieu de prendre les offres de livraison rapides. Si ce n’était pour la manière de travailler de la Guilde, je ne pourrais pas courir.”
 
“... Je sais. Mais je n’accepterai pas de me coucher pour eux.”
 
Garia acquiesce, puis prend visiblement son courage à deux mains. C’est le moment où elle va dire ce qui lui tient sur le cœur.
 
“Ne pourrais-tu pas… ne pourrais-tu pas simplement aller parler à Magnolia ? Ce serait si difficile que ça de simplement lui demander… ?”
 
D’un certain côté ? Non. D’un autre côté toutefois…
 
“D’une certaine manière non. Mais d’une autre manière, si. Je n’irai pas dans tous les cas.”
 
“Je savais que tu dirais ça. J’avais prévenu Fals.”
 
Ce bâtard. Il a demandé à Garia de me suivre. Cet espèce de manipulateur…
 
“Quand comptes-tu partir ?”
 
“Maintenant. Fals et les autres Coursiers vont probablement essayer de m’arrêter sinon. Je sais que Persua essaiera.”
 
“D’accord, d’accord.”
 
Soudain, Garia me saisit dans une étreinte d’ours. Et elle est… costaude. Sérieusement, je crois qu’elle va me casser une côte. Mais elle finit par me relâcher.
 
“Va. Je vais essayer de les distraire un petit moment. Et ne meurs pas, d’accord ?”
 
Elle fait volte-face et s’enfuit. Lentement, d’après les standards des Coursiers de ville. Sa posture est vraiment terrible. Mais elle a un grand cœur, et ça en fait la meilleure Coursière du lot selon moi.
 
Okay. Okay. C’était… surprenant ou gratifiant ? Les deux. Et une leçon d’humilité. Mais bon. Il faut que j’y aille.
 
Vérification du corps. Je suis en un seul morceau, et je ne suis pas blessée. Et comme je n’ai pas encore fait de livraison… je dirais que je suis prête au moins à 92%. Parfait.
 
La motivation, de l’autre côté… 60%. Ni bon, ni mauvais. * J’aimerais bien un peu plus, mais j’ai beau être heureuse de pouvoir courir, je ne suis plus émerveillée.
 
* Selon moi, une course est bonne quand je suis au-dessus de 80%. Pendant ces courses j’arrive à me glisser dans la zone et à battre mes records. Evidemment, je peux toujours courir très vite même si je ne suis pas motivée, mais il y a une grosse différence entre les moments où je me sens bien et les moments où je me sens mal. La Ryoka à 80% de motivation pourrait facilement battre à plates coutures la Ryoka à 40% et lui faire bouffer ma poussière.
 
Normalement, c’est suffisant pour n’importe quelle course. Je pourrais faire un marathon dans ces conditions, mais comme tout le monde l’a dit, ces Hautes Passes sont différentes. J’ai lu un peu à leur sujet dans la littérature locale et…
 
Oui, je risque de mourir. Donc il faut que je me prépare un peu avant de partir, et vite. Heureusement, je suis à Celum, et encore mieux, il y a un certain Minotaure et un groupe d’aventuriers à mon auberge.
 
Je me mets à courir à l’auberge. Garia pourra sans doute ralentir les autres Coursiers, mais je doute qu’elle arrive à me faire gagner plus d’une minute. Je vais faire un arrêt minute à l’auberge et décoller.
 
Il faut que je me dépêche de toute façon. C’est déjà midi, et les Hautes Passes sont suffisamment loin pour qu’il me faille me dépêcher. Je devrai atteindre un lieu à mi-chemin à l’intérieur de la passe, donc j’aurai besoin de provisions. Et les Cornes d’Hammerad sont les seules personnes qui voudront bien me prêter des trucs. Si je ne compte pas Magnolia. Elle peut aller se faire foutre avec le reste des Coursiers.
 
Bordel. Je déteste ne pas avoir d’argent.
 
***
 
Les contre temps.
 
Ryoka essaya de ne pas serrer les dents. Elle détestait les contre temps. Mais les explications prenaient du temps, surtout quand ceux à qui elle les faisait étaient longs à comprendre.
 
Gerial cilla encore une fois. Ryoka les avait trouvés alors que lui, Ceria, et le magicien des Cornes d’Hammerad étaient en train de déjeuner.
 
“Laisse-moi résumer. Tu pars faire une livraison dangereuse, et tu as besoin de notre aide. Et… tu veux qu’on prenne tes possessions ?”
 
Ryoka acquiesça.
 
“Je vais partir pendant au moins une journée, et le reste des Coursiers vont probablement mettre ma chambre à sac quand je serai partie.”
 
“Pourquoi feraient-ils ça ?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“Si Persua ressemble à d’autres filles que j’ai connues, c’est l’une des premières choses qu’elle fera. Heureusement que je n’ai pas de chaussures, sinon elle les remplirait de punaises.”
 
Là encore, Gerial cilla d’un air d’incompréhension. Mais Ceria acquiesça.
 
“On gardera tes trucs. Les Coursiers n’oseront pas cambrioler la Guilde des Aventuriers et on a notre propre espace de stockage. Mais que disais-tu à propos d’une aide ? On pourrait t’escorter aux Passes, mais Calruz n’est pas là et on est en sous-nombre. Et franchement, même au complet on ne serait pas capables d’aller très loin dans les Passes.”
 
“Je n’ai pas besoin d’escorte. J’ai juste besoin de provisions. Des potions de soin, de la nourriture… je les achèterais bien moi-même mais je n’ai plus d’argent. Je vous rembourserai le double de ce que je vous aurai emprunté.”
 
Gerial et Ceria échangèrent un regard. Il acquiesça. Elle récupéra son sac de voyage de sous la table.
 
“J’ai quelques potions de soin là-dedans. Et quelques rations sèches. Suffisamment pour quatre repas.”
 
“C’est largement assez.”
 
“Alors prends-les.”
 
Ceria sortit plusieurs potions colorées de son sac et les tendit à Ryoka.
 
“Elles sont de meilleure qualité que celles que tu trouverais au marché, de toute manière. Et tu en auras besoin.”
 
Ryoka hésita.
 
“Tu es sûre ? Je peux en acheter…”
 
“On n’a pas encore de contrat et Calruz n’est toujours pas rentré. Prends les potions, Ryoka. Si ce qu’on a entendu dire des Hautes Passes est vrai, tu vas en avoir besoin.”
 
Elle avait raison. Ryoka acquiesça et se mit à remplir son propre sac avec les potions. Elles étaient de diverses teintes rouges et jaunes. Ryoka attache ces dernières à l’extérieur de son sac pour pouvoir les atteindre rapidement.
 
Les potions de soin jaunes faisaient bizarre à Ryoka, mais apparemment la couleur n’avait pas vraiment d’importance pour la plupart des potions. N’importe qui pouvait rajouter du colorant alimentaire dans une bouteille pour colorer une potion de la couleur qu’il voulait. Elle supposait qu’elle devait s’estimer heureuse que les potions de soin ne ressemblent pas à du vomi. Elles en avaient le goût mais c’était une autre histoire.
 
Ryoka posa doucement son sac par terre à côté de celui de Ceria.
 
“Merci. Vraiment.”
 
Gerial fronça les sourcils, inquiet.
 
“Je ne suis pas certain d’être d’accord avec tout ça. Tu es sure que tu dois faire ça ? Si la Guilde des Coursiers te cause tant de problèmes, pourquoi ne pas aller chercher du travail ailleurs ?”
 
Ryoka secoua la tête.
 
“J’ai pris une requête de livraison. La récompense est de quarante pièces d’or.”
 
Les trois aventuriers sifflèrent.
 
“De plus, si je prends cette requête, je devrais pouvoir retrouver du travail même s’ils continuent d’essayer de me bloquer. J’ai juste besoin de sous.”
 
“On pourrait t’en prêter…”
 
“Non.”
 
Ryoka se leva.
 
“Je vais récupérer mes affaires.”
 
Gerial la regarda, impuissant, monter dans sa chambre. Le mage lui tapota gentiment l’épaule.
 
“Bien essayé. Mais elle est déterminée, pas vrai ?”
 
“Je ne savais pas que la Guilde des Coursiers était comme ça.”
 
Ceria secoua la tête.
 
“C’est pareil dans toutes les guildes. La nôtre est pareil.”
 
“Mais…”
 
“Crois-moi, Gerial. Si tu regardes de plus près tu verras que les mêmes choses se répètent encore et encore. Les humains sont comme ça.”
 
Les deux hommes regardèrent Ceria du coin de l’œil mais ne firent pas de commentaire. Ils regardèrent les escaliers, silencieux dans le brouhaha général de l’auberge. Ils ne virent pas la fille que Ryoka avait décrite comme ayant un visage exigu se faufiler vers les sacs au sol et en réarranger vivement le contenu.
 
Quelques minutes plus tard, Ryoka redescendit les escaliers, tellement encombrée qu’elle faillit renverser une serveuse. Elle avait entassé toutes ses possessions dans ses bras et elle les lâcha sur la table, quasiment dans les assiettes des aventuriers. Ce n’est que grâce au coup de poignet vif de Ceria que les bols et les assiettes parvinrent à s’envoler sur la table voisine.
 
“Voilà.”
 
Ryoka n’avait pas grand-chose. Juste quelques vêtements, le bandage magique, et quelques livres qui intéressaient beaucoup Ceria. Elle tendit le tout à Gerial, ignorant ses joues rouges lorsqu’elle lui tendit ses sous-vêtements et l’équivalent d’une brassière de sport. Puis elle hésita et sortit un dernier objet de sa poche.
 
“Prenez-en soin. C’est très fragile.”
 
Gerial cligna des yeux devant le rectangle de métal et de plastique dans ses mains. Il n’avait jamais vu son pareil - pour tout dire, la coque lisse de l’iPhone lui était complètement et horriblement étrangère.
 
Ceria se pencha par-dessus la table, soudain fascinée. L’autre mage et elle regardaient fixement l’iPhone d’un air ébahi.
 
“Qu’est-ce que c’est que ça ?”
 
“Un appareil. J’expliquerai si je rentre.”
 
Gerial le tint à bout de bras.
 
“Est-ce que… est-ce que ça va faire quelque chose ?”
 
Ryoka secoua la tête, d’un air presque triste. Elle toucha l’écran vide d’un air de regret.
 
“Il est cassé. Juste… prenez-en soin. N’y posez rien de lourd dessus et ne le faites pas tomber.”
 
“S’il est cassé, tu ne peux pas le réparer ?”
 
Ryoka sourit comme si Gerial avait fait une blague très drôle.
 
“Aucun forgeron ou artisan au monde ne pourra le réparer. Crois-moi.”
 
“Et pourquoi pas un mage ?”
 
“Quoi ?”
 
Le mage haussa les épaules. Il poussa ses assiettes sur le côté et ramassa une baguette dégageant une faible lueur posée sur la table.
 
“Tu veux bien me laisser essayer un sort ?”
 
Ryoka hésita. Elle semblait clairement déchirée, mais elle acquiesça. Lentement, elle tendit l’iPhone au mage. Il l’inspecta, parcourant l'écran tactile d’un doigt léger.
 
“Quel savoir-faire exquis. Je ne détecte aucun défaut, mais peut-être que les dégâts sont à l’intérieur ? Dans tous les cas, si ce n’est pas une création magique…”
 
“Ce n’est pas le cas.”
 
“Alors ça devrait marcher. [Réparation].”
 
Le mage agita sa baguette en un demi-cercle puis tapota l’iPhone. L’extrémité de la baguette émit un flash vert lorsqu’elle toucha la coque…
 
Et l’iPhone revint à la vie.
 
Ceria émit une exclamation étouffée, mais la réaction de Gerial fut bien plus spectaculaire. Il se propulsa en arrière sur sa chaise et s’étala au sol sous l’effet de la surprise. Ryoka se contenta de regarder l’iPhone fixement. Une seconde. Deux secondes.
 
“Fait.”
 
Le mage sourit et tendit son iPhone à Ryoka. Il regarda avec fascination l’écran aux couleurs vives, puis le visage de Ryoka. Elle regardait juste l’iPhone dans sa main. Encore et encore. Mais alors elle toucha l’écran et fit glisser son doigt.
 
L’affichage se modifia. Ceria et le mage étaient de plus en plus ébahis, peut-être parce qu’ils ne sentaient pas de magie émaner de l’iPhone malgré ce qui était en train de se passer, mais Ryoka se contenta de soupirer. Elle se tourna vers le mage.
 
“Désolée, je n’ai jamais eu ton nom. Ou j’ai peut-être oublié. Comment t’appelles-tu ?”
 
Il cilla, puis sourit.
 
“Sostrom Reidez, à votre service Miss Ryoka Griffin.”
 
“Sostrom.”
 
Ryoka lui prit la main et la serra. Elle le regarda droit dans les yeux.
 
“J’ai une immense dette de gratitude envers toi.”
 
Sostrom rougit légèrement. Il était dans la trentaine, ou dans la fin de sa vingtaine, mais malheureusement chauve - sauf des sourcils. Il tira son chapeau pointu un peu plus bas sur sa tête.
 
“Ce n’était rien, vraiment. Un simple sort…”
 
“Pas un simple sort.”
 
Ryoka lui sourit. Dans la lumière tamisée de l’auberge, l’iPhone éclairait son visage.
 
“Pas un simple sort. Un jour, il faudra que tu me l’apprennes. Si je peux faire de la magie, ce serait pour ne jeter que ce sort-là. Et à présent… ces connards ne vont rien comprendre à ce qui va leur arriver.”
 
Elle se tourna et sortit de l’auberge. Les trois Cornes d’Hammerad échangèrent un regard puis se levèrent pour la suivre. Ils n’auraient pas su dire quoi... mais quelque chose en Ryoka avait changé au moment où Sostrom avait réparer son téléphone.
 
Elle avait l’air différente.
 
Elle était différente.
 
***
 
L’iPhone est chaud dans ma main, et le monde me paraît différent à présent. Les couleurs vives de ce monde sont très, très différentes des couleurs artificielles sur l’écran. Les deux sont magnifiques à leur façon.
 
Il est réparé. Complètement, totalement. La batterie indique 100% au sommet de l’écran. Et c’est la chose la plus glorieuse qu’il m’ait été donné de voir si j’oublie la guérison de ma jambe. Et il est réparé.
 
Je sens à peine mon corps en sortant. On dirait que je flotte dans un monde qui m’est propre. Jambes - opérationnelles. iPhone - opérationnel. C’est tout ce dont j’ai besoin.
 
Il est temps. Temps de faire ce que j’ai toujours voulu faire.
 
Je m’avance au milieu de la rue. Aucun chariot n’est en vue, et les piétons sont principalement en train de déjeuner. Certains regardent mon iPhone, mais je ne suis qu’une Coursière parmi d’autres. Tout ce que j’aime.
 
Sauf évidemment qu’il y a toujours quelqu’un pour regarde. Ceria, Gerial et Sostrom sont sortis de l’auberge pour me regarder partir, mais je peux voir plusieurs Coursiers de Rue nonchalamment adossés le long de la rue. Prêts à me suivre et à m’intercepter ? Probablement.
 
Et bien sûr, je ne vois personne d’autre, mais j’e ressens un picotement à l’arrière de la nuque. Je me demande si Lady Magnolia engage des assassins, et si ses servantes ont un large panel de compétences. Ou peut-être que c’est quelqu’un d’autre. Qui sait ? Qui s’en inquiète ?
 
La mort. C’est ce que les gens me disent que je vais trouver dans les Hautes Passes. Et ils ont raison. C’est probablement l’endroit le plus dangereux de la région. Et même si ce n’est pas une mort certaine, c’en est plus proche que ce qu’une personne saine d’esprit tenterait.
 
Mais je ne suis pas saine d’esprit. Et je ne suis pas non plus une personne normale. La peur et l’euphorie se partagent mon cœur à parts égales en cet instant. Je veux les voir. Quelqu’un me dit que quelque chose est mortel et dangereux ? Je veux le voir de mes propres yeux.
 
De plus, qu’est-ce qui est normal dans ce monde ? Qu’est-ce qui est sain ? Depuis que je suis arrivée ici, j’ai lentement reconstitué le puzzle de la véritable forme de cette planète de fous. D’ici, on pourrait croire qu’on y est relativement en sécurité, une sorte de culture médiévale avec des avancées techniques de plusieurs siècles grâce à la magie, mais ce n’est pas le cas. Je le sais.
 
Dans ce monde, la sauvagerie menace la paix fragile de la civilisation. Bien que les races pensantes de ce monde soient nombreuses et possèdent la technologie et la magie, leur survie ne tient qu’à un fil. Quand le nombre de zombies augmente ou que les choses enfouies aux confins de la terre s’aventurent à la lumière, les nations brûlent.
 
Les livres que j’ai achetés m’ont appris des choses différentes que celles que me disaient les gens. C’est parce que les livres sont écrits par des individus, alors que les gens peuvent être très bêtes. Les gens ne savent que ce qu’ils veulent savoir. Les individus qui ont écrit mes bouquins ont monté leur affaire sur le fait de savoir un maximum de choses.
 
La paix et la stagnation. La guerre ne change pas. Ce continent est décimé par elle. Les nations humaines se battent contre les non-humains du sud, envoyant des armées se battre et mourir dans les Plaines Sanglantes chaque année. Une guerre distinguée ayant juré de ne se battre qu’à un endroit donné ? Non. Mais le coût d’une véritable guerre lors de laquelle des cités sont rayées de la carte est trop élevé pour les deux côtés en ce moment. Donc c’est plutôt une longue guerre d’usure, durant laquelle les alliances ont le temps de changer. Dans tous les cas, l’environnement et les attaques de monstres causent suffisamment de problèmes aux Cités-Etats.
 
Mais ce continent est calme. Comparé à d’autres.
 
À l’est, de l'autre côté des mers, le Roi Maudit mène une guerre éternelle contre les tribus de monstres et les démons. Son continent est en guerre depuis deux mille ans et sa nation est l’une des dernières à ne pas avoir été consumée. Des nations envoient leurs propres armées supporter la sienne, mais son peuple n’a jamais connu la paix. Leurs héros et leurs soldats sont les plus pauvres et les plus forts. Il mène une guerre quotidienne dont il perd un peu plus de batailles chaque année.
 
Au sud, un désert interminable empêche les armées d’envahir les terres plus fertiles. La pauvreté est omniprésente là-bas aussi, mais les nations se battent pour avoir ce qu’il reste comme une meute de chiens affamés.
 
Un jour, un chef de guerre extraordinaire est parvenu à conquérir tout le putain de continent et commençait à balayer celui-ci lorsque son empire s’est soudain effondré. Aucun livre n’explique pourquoi. Ce roi n’est pas mort - ni n’a été blessé. Mais il a abandonné ses rêves de conquête du monde. À présent, il siège dans son royaume en ruines tandis que d’autres pays démembrent pièce par pièce le prestigieux empire qu’il avait unifié. Le Roi de la Destruction dort.
 
Le continent au nord de celui-ci est rempli d’humains. Ils ont civilisé leurs terres et ont créé un continent où vivre en paix, ou du moins avec moins de monstres. Malgré cela, ils se battent entre eux dans une bataille interminable pour la suprématie. Leurs familles royales cachent des artefacts puissants dans leurs coffres mais ont peur de les utiliser au cas où cela entraînerait une destruction mutuelle assurée.
 
D’autres nations. J’ai lu des choses à leur sujet. Les océans à l’ouest sont pour la majeure partie inexplorés, mais j’ai lu qu’il y existait un continent proche d’une jungle, avec peu de cités et où les tribus avaient repoussé toutes les armées venues essayer de les conquérir. Une Amérique suffisamment forte pour résister aux envahisseur coloniaux.
 
Une armée de Minotaures comme Calruz se battent également contre… quelque chose au sud-est. Un quelconque ennemi du monde suffit à garder un million de Minotaures dans un état constant de paix et de guerre. Enfin, un million est le nombre écrit dans le livre, mais les informations dataient de plusieurs dizaines d’années. Mais l’Empire de Minos a ses propres mœurs étranges dont les humains et les autres races ne veulent pas entendre parler pour une raison qui m’est inconnue.
 
D’autres continents, d’autres îles et des lieux que mon livre ne pouvait que mentionner. Une calotte glaciaire Antarctique avec des pics de glaces plus hauts que des gratte-ciels. Un cimetière de bateaux naufragés et un maelstrom sans fin. Une île légendaire où les mages se rassemblent pour apprendre des sorts et où chacun est libre d’étudier. Des mythes de royaumes célestes anciens qui seraient tombés dans la mer.
 
Ce sont les légendes et les merveilles dont ce monde est pétri. Et pourtant, je suis ici, à l’un des endroits les plus ennuyeux, des plus sûrs du monde et les gens me disent de faire attention aux Hautes Passes comme si c’était là que résidait le danger ? Malgré les troubles, on est dans une ère de paix. Toutes les terribles batailles sont finies depuis longtemps.
 
Les Dieux sont morts à la guerre des dizaines de milliers d’années plus tôt. Comme je savais quoi chercher, j’ai lu des indices sur l’existence des Elfes, mais aucun livre mentionnant une liste de leurs pays ou nations où que ce soit. Les Nains sont cachés au cœur de montagnes qui réduisent l’Himalaya à de petites collines.
 
L’âge des grandes guerres, des mythes et des légendes est achevé. La magie demeure, mais ceux qui la pratiquent se sont effacés. Les nations sont en guerre, mais l’équilibre des pouvoirs est resté le même.
 
Ce n’est pas un temps pour les héros. Et cela me va très bien. Je ne suis pas une héroïne. Mais je veux voir ce qu’il en reste. Je veux voir les merveilles qui se cachent dans ce monde. Car j’en suis certaines : elles sont légions.
 
Le monde que j’ai vu jusqu’ici - les villes et les gens d’ici - sont tellement mesquins. Seules leurs misères et ce qu’ils pensent les uns des autres leur importe. Magnolia a beau être rusée, elle n’est qu’une petite propriétaire de terrain dans une petite partie du monde. Et c’est merveilleux.
 
La pire chose qui est arrivée dans mon monde est la mondialisation. Quand on a atteint le bout de la terre, on a perdu notre curiosité, notre volonté de grandir. Mais je la sens. Elle m’appelle.
 
L’aventure. Pure et simple.
 
Je vois les autres Coursiers en train de m’épier. Mais je n’en ai cure. L’iPhone au creux de ma main est chaud.
 
Je tapote l’écran et il s’allume. Gerial et le reste des Cornes d’Hammerad s’exclament encore une fois, et même Ceria a l’air émerveillée. Mais pour moi, c’est comme revoir un vieil ami.
 
Un vieil ami. Un iPhone 4, pour être précise. Noir, lisse. Il était plein de rayures et d’impacts accumulés le nombre de fois où je l’avais fait tomber, mais à présent le plastique brille au soleil. On dirait qu’il sort à peine de l’emballage.
 
Glisser pour déverrouiller. Pas de mot de passe. Si je perds mon iPhone je mérite de le laisser se faire hacker. Non pas qu’il y ait beaucoup de choses dessus. Quelques livres, des fichiers sauvegardés, une liste de contacts vide, des utilitaires comme Safari qui ne sont pas utiles ici… une seule chose remplit presque entièrement les 32GB de mon téléphone.
 
La musique.
 
Tout est là. Des milliers de chansons, certaines extraordinaires, d’autres médiocres. Mais chaque chanson que j’ai pu aimer dans ma vie et pu télécharger plus ou moins légalement est ici. Tout est là.
 
Je ne peux pas m’en empêcher. J’éclate de rire. Un rire qui rend hommage au salut pur et joyeux de la magie. Elle m’a donné tout ce que j’ai toujours voulu. Mes ailes, et maintenant ma musiques. Avec ça… avec ça…
 
Je suis libre.
 
***
 
Ryoka regarda son iPhone et se mit à rire. Pour elle, c’était un rire joyeux. Mais pour tous les autres…
 
Gerial et Sostrom s’écartèrent de Ryoka et les gens dans la rue lui lancèrent un regard qu’ils détournèrent aussitôt. Ceria ne put que sourire d’étonnement.
 
“Quel rire machiavélique.”
 
Peut-être que Ryoka l’entendit, parce qu’elle s’arrêta. Elle plongea la main dans sa poche et en sortit deux écouteurs. À la confusion de tous ceux qui observaient la scène, elle les brancha dans son iPhone puis dans ses oreilles. Puis elle se retourna et se mit à courir à petites foulées.
 
Les Coursiers de Rue quittèrent leurs positions et se mirent à la suivre, mais Ryoka accéléra brutalement le rythme. Elle disparut au loin devant les yeux des Cornes d’Hammerad.
 
“Qu’est-ce que vous pensez que c’était ? Tu as déjà vu quelque chose comme ça à Wistram, Ceria ?”
 
Ceria se tourna vers Sostrom et haussa un sourcil.
 
“Aucune idée. De plus, ce n’était absolument pas magique. Que c’est étrange. Mais je vois à présent pourquoi Magnolia est tellement fascinée par Ryoka et …”
 
Une idée lui vint. Elle plongea la main dans le sac qu’elle avait amené avec elle, à présent rempli des vêtements de Ryoka, et se mit à fouiller dedans.
 
“Et…”
 
Ceria pâlit en vérifiant ses sacoches et en sortit une potion bleue.
 
“Oh non. Comment est-ce possible ? Je vous jure que j’avais vérifié…”
 
“Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?”
 
Elle se tourna vers Gerial et Sostrom et leur montra la potion qu’elle avait dans les mains.
 
“Les potions que je lui ai données… la moitié étaient des potions de mana.”
 
Ils la dévisagèrent, frappés d’horreur. Mais quand ils se retournèrent pour crier, Ryoka était partie depuis longtemps. Elle courait. Et elle n’aurait pas pu les entendre, de toute façon.
 
La musique était sur le point de commencer.
 
***
 
Ryoka sentit les autres Coursiers de Rue essayer de suivre le rythme alors qu’elle fonçait à travers les rues, esquivant les piétons et leurs jurons et se tenant loin de tous les chariots, les wagons ou n’importe quel gros véhicule. Les pavés étaient merveilleusement lisses sous ses pieds.
 
Hm. Les Coursiers de rue tenaient bien le rythme. Elle pouvait s’y attendre, elle devait esquiver trop de choses à son goût. Mais ils n’étaient pas malins. Ils ne savaient pas comment équilibrer leur poids pour tirer profit de chaque foulée au maximum, ni comment prendre rapidement les virages. Ils n’étaient que des amateurs talentueux, ou pour la plupart, simplement des amateurs.
 
Ryoka atteint les portes et sentit d’autres Coursiers la suivre. Des Coursiers de Ville. Ils étaient plus rapides. Elle se demanda si Persua était dans la foule, en train d’essayer de la rattraper. Eh bien, ils pouvaient préparer autant de pièges qu’ils voulaient, il leur faudrait déjà l’attraper. Elle courait déjà plus vite que d’habitude, mais c’était le moment.
 
Elle pouvait à peine contenir l’excitation brûlant dans sa poitrine. Enfin. Après si longtemps, l’idée même lui donnait la chair de poule. Ryoka courut en gardant l’iPhone dans sa main. Elle parcourut les pages, sélectionna l’application de musique. Et là… c’était au sommet de l’écran, une paire de flèches croisées.
 
Elle pressa le bouton.
 
Mode aléatoire.
 
***
 
J’ai fait des courses, des marathons, et même un ultra-marathon, une fois. J’ai couru à travers la neige, la pluie, la grêle, à travers le tonnerre et les éclairs et même des ouragans. Mais je n’ai jamais couru comme ça.
 
La motivation. Après tant de temps à courir dans le silence, dès l’instant où j’entends les premiers accords de guitare la force dans mes jambes est démultipliée.
 
“Sweet Home Alabama” tonne dans mes oreilles alors que je fonce hors de la ville. Les paroles de Lynryrd Skynryrd explosent dans mes oreilles tandis que j’amasse de la vitesse, éparpillant des Coursiers à droite et à gauche. La musique n’est pas la meilleure pour courir - mais c’est loin d’être la pire. Et ce n’est pas tellement la chanson qui importe à ce moment. C’est juste la musique.
 
Courir. Musique. Courir en musique. La meilleure chose de toute l’histoire à avoir été inventée. Cela enlève la douleur de la course et me met directement dans la zone. Je pourrais courir pieds nus sur des clous et…
 
C’est une idée stupide. Mais je pourrais probablement esquiver la circulation sur une autoroute et faire un six-minute mile sans jamais m’arrêter en écoutant de la musique. Comment se fait-il que cela puisse à la fois me déconnecter complètement de ma course tout en me faisant me concentrer encore plus dessus ? Je ne sais pas.
 
C’est juste la musique.
 
Sweet home Alabama, where the skies are so blue. J’ai toujours voulu aller en Alabama juste pour courir en écoutant cette chanson.
 
Un mouvement. Un tas de Coursiers devant moi. Fals et quelques-uns des Coursiers de Ville de plus haut niveau. Ils veulent m’intercepter et ils sprintent le plus vite qu’ils peuvent. Et c’est peut-être dû à du talent ou à une Compétence, mais ils sont tellement rapides qu’ils pourraient m’attraper.
 
N’importe quel autre jour.
 
Je n’ai même pas à baisser les yeux. J’ai mémorisé l’emplacement du bouton suivant et mon doigt le trouve immédiatement. Ce n’est pas que je n’aime pas une bonne vieille chanson de rock country, mais si je dois y aller à fond, il va me falloir quelque chose de plus rapide. Le dieu de l’aléatoire fait son tour de magie. Et je l’entends.
 
Oh. Bon sang, oui. Je sais dès que la première cloche tinte de quelle chanson il s’agit. “I Will Not Bow” de Breaking Benjamin. Puis la guitare et la batterie explosent et tout disparaît. Je cours comme je n’ai jamais couru.
 
J’aperçois brièvement le visage stupéfait de Fals avant que je ne passe en coup de vent devant lui et le reste des Coursiers de Ville. Ils ne peuvent même pas tourner la tête assez vite pour me voir. Le paysage se brouille et disparaît sous mes pieds. Je cours aussi vite que le jour où j’ai retrouvé ma jambe. Aussi vite. Plus vite.
 
Je suis l’Heavy metal. Je suis le death et le rock. Je cours et la course devient moi. Nul ne m’arrêtera.
 
Le chanteur hurle dans mes oreilles et je continue ma course. Les Hautes Passes m’attendent. Une requête de livraison mystérieuse, des monstres mortels, et du mystère. Je laisse un peu plus derrière moi les intrigues, les Coursiers en colère, et les querelles mesquines à chaque foulée. Devant, toujours devant. Je cours et la musique efface la douleur du monde et je cours pour empêcher la mort de me rattraper.
 
Enfin.
 
Je suis libre.


« Modifié: 22 avril 2020 à 14:27:08 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #46 le: 18 avril 2020 à 11:56:38 »
R 1.08
Traduit par EllieVia


Je commence à ralentir après une vingtaine de minutes de sprint. Pas parce que je n’ai plus envie de courir plus vite mais parce que je sais que la route est encore longue.

Je réduis donc mon rythme. Je passe d’un record de vitesse à un trot soutenu. Un peu plus rapide que d’habitude, mais je ne peux pas m’en empêcher.

J’ai la musique.

En ce moment, je cours au son de la musique au rythme pas si rapide de Twenty-One Pilots, “Heathens”. J’adore. Et le film pour lequel elle a été écrite - Suicide Squad… je voulais vraiment le voir, même si je me doute qu’il ne devait pas être aussi terrifiant que ce que j’avais espéré. Déconseillé aux moins de treize ans ? Sérieusement ?

Il est sorti seulement un mois avant que je n’arrive dans ce monde. J’avais prévu d’y aller mais je n’arrêtais pas de repousser. J’imagine que je ne le verrai jamais, à présent.

Hm. Penser à chez moi, ou au monde d’ù je viens, fait toujours un peu mal. Mais c’est plus comme une épine que j’aurais déjà ôtée de mon pied* il y a un petit moment. C’est toujours douloureux, mais l’endroit où j’ai atterri compense un peu la perte que je ressens. Parfois, c’est juste de la merde, mais au moins…

*Plus d’une fois. Ça fait mal, bien plus que de marcher sur du verre. Pour tout dire, les coureurs pieds nus marchent rarement sur du verre. Tout le monde pense que si, mais si vous courriez pieds nus, est--ce que vous iriez mettre vos pieds sur du verre brisé ? Sérieusement. Pensez-y.

Ouaip. Au moins la vue est magnifique.

Le paysage s’étend à perte de vue, des collines verdoyantes et une route de terre qui se déroule sous mes yeux, rarement ponctuée de désagréments comme des pierres ou, au loin, de petites constructions. C’est la vue la plus splendide pour un Coursier.

Pour tout dire, le paysage me rappelle beaucoup la Mongolie. Il m’arrivait de me perdre dans les images des prairies de là-bas et de rêver d’y courir seule pendant des jours. Mais le paysage qui m’entoure fait passer la Mongolie pour un petit café hipster coincé au milieu d’une grande ville.

Ce monde est grand. Et même ce mot est trop petit pour comprendre la terre qui m’entoure. Infinie est probablement le meilleur terme pour décrire cette planète. Même le ciel est plus grand, ou du moins il me semble. Mais comment marcherait la gravité si c’était le cas ?

Par magie. Probablement. Dans tous les cas, j’avais dit que j’arrêtais de penser à ça. Concentre-toi, Ryoka. Pense à ton boulot.

Hm. Voyons voir. J’ai distancé Fals et le reste des connards qui essaient de se faire passer pour des Coursiers. C’est déjà un excellent début. À présent, réfléchissons. Celum est loin des Hautes Passes. À la vérité, a ville la plus proche des passes est Liscor, bien qu’il faille faire le tour de la chaîne de montagnes pour y accéder.

Dans tous les cas, je peux me détendre. Je cours à un rythme soutenu, mais je n’y serai pas avant plusieurs heures. Je me détends donc, et laisse mon esprit vagabonder.

***

Cours. Cours et mange. Cours et arrête-toi pour pisser. Cours et ralentis pour marcher un peu. Normalement, je serais en train de réfléchir pendant tout ce temps mais je me contente d’écouter la musique. Cela fait tellement longtemps que chaque musique me semble nouvelle et incroyable à écouter.

J’arrête de temps en temps la musique pour me concentrer. En tant que Coursière, c’est important d’être consciente de ce qui m’entoure. Et quelques détails me chagrinent.

Premièrement, je connais le paysage local. Dans le coin… dans le nord du continent de manière générale, la géographie alterne entre des terres relativement plates et des passes montagneuses qui mènent aux continents austraux. Certes, il y a quelques forêts denses plus au nord et à ce que j’ai entendu, plusieurs grosses rivières qui créent un réseau de transport qui rend les Coursiers un peu obsolètes. Mais c’est le nord, et je ne suis pas encore allée aussi loin.

De la même manière, je ne suis pas descendue au sud plus loin que Liscor. C’est là que le coin devient dangereux, apparemment. Des marécages, des zones montagneuses, et ce que les gens du coin appellent les Champs Sanglants dominent la majeure partie de la section sud. Pas étonnant qu’aucun humain ne s’y rende.

Donc je suis en train de courir dans l’un des meilleurs endroits du continent - les plaines. Les seuls monstres dans les parages sont des Gobelins et quelques spécimens de monstres un peu plus faibles. Mais plus j’approcherai des Hautes Passes, plus les probabilités de tomber sur quelque chose de dangereux augmenteront. Je ne sais pas exactement quel genre de monstres vivent dans les montagnes, mais ils relèguent les monstres vivant dans les terres humaines au rang d’adorables créatures.

C’est le premier problème. Le second, c’est qu’une nuée de lucioles est en train de me suivre.

Des lucioles. Ou… des étincelles animées ? C’est la description la plus fidèle que je puisse ne faire. C’est comme… c’est peut-être comme une sorte de manifestation magique ? Ces… symboles ne cessent de clignoter autour de ma tête et je jure que j’entends quelque chose à chaque fois que ces éclairs colorés passent autour de ma tête. Ils essaient sans cesse de s’accrocher, mais à chaque fois qu’ils tentent le coup j’accélère et les laisse derrière moi.

C’est probablement une sorte de malédiction. Je ne sais pas si Persua a assez d’argent pour engager un mage ou s’il est possible d’invoquer un éclair pour me griller, mais je ne compte pas faire face à ce truc, quel qu’il soit.

Continue de courir. J’aimerais simplement que la personne qui lance le sort abandonne. Ça devient agaçant. Mais je peux toujours augmenter le volume de ma musique pour faire disparaître le discours gargouillant. Okay. Quoi d’autre ?

J’ai mémorisé et noté les détails de la requête ouverte, et grand bien m’en fasse. C’est une requête de livraison de colis, mais je n’ai aucune idée de la nature du colis en question ou de l’identité de la personne qui requiert la livraison. C’est toujours le côté incertain des requêtes ouvertes, et aussi la raison pour laquelle peu de Coursiers veulent bien les accepter. Mais la récompense est extraordinaire, et ça me suffit.

L'avantage avec les requêtes ouvertes, c’est que je me rends au lieu indiqué et que je reçois ma paie en avance. L’expéditeur me dit où aller et on peut négocier un deuxième prix, ou je ramène la livraison à la Guilde où quelqu’un pourra finir le travail.

Ce n’est pas le meilleur des systèmes, mais il fonctionne et il permet de s’occuper des zones où l’identification et la sécurité ne peuvent pas être assurées. Apparemment, toutes les livraisons fonctionnaient plus ou moins comme ça avant, mais le nouveau système mis en place par la Guilde des Coursier est plus sûr pour les Coursiers.

Je suis peut-être en train de courir dans un piège. Pitié, faites que ce ne soit pas un piège.

Bref, dans tous les cas, je cherche une caverne le long de la route principale* des Hautes Passes. Elle sera marquée d’une sorte de bannière jaune.

*J’utilise le mot “route” au sens le plus large du terme. C’est plus un terrain vaguement plat qui file à travers les montagnes, entre les passes pierreuses et le réseau de cavernes, qu’une route.

C’est tout ce que j’ai comme information, et je ne suis plus qu’à quelques kilomètres des Hautes Passes. Je peux à présent apercevoir les montagnes dressées devant moi, des gigantesques masses de pierre couleur rouille qui tutoient le ciel. Et elles sont immenses. Je peux lever les yeux sans voir la masse montagneuse diminuer avant de disparaître dans le ciel brumeux et nuageux au-dessus d’elles.

Une montagne plus haute que l’Everest ? Peut-être pas, mais c’est probablement à peu près l’idée. Et ce n’est qu’une montagne au milieu de la chaîne. Cette dernière forme une barricade impénétrable, hormis à travers le petit espace qui dessine un passage à travers les passes.

Bon, par petit espace, j’entends une route aussi large que deux terrains de foot mis côte à côte. Et là encore, je parle de route mais si c’en est une, c’est la plus merdique du monde. Celle-ci a des rochers éparpillés un peu partout et plus gros que des chênes bicentenaires. Mais elle est à peu près plate, et ça suffira.

J’espère vraiment ne pas me couper les pieds sur les rochers. Ça devrait aller, mes cals sont vraiment durs, mais…

Quelque chose passe devant mes yeux et s’écrase dans l’herbe. Instinctivement, je plonge par terre, et c’est alors que je les vois. Une horde de petits hommes verts, sauf qu’on ne parle pas d’aliens, ici.

“Merde.”

J’imagine qu’écouter de la musique à fond n’est pas vraiment une bonne idée quand on est censé rester à l’affût du moindre danger. C’est probablement la raison pour laquelle je ne remarque le groupe de Gobelins que maintenant qu’ils me sont presque dessus.

Ils commencent à m’encercler, une foule de Gobelins. Pas trop grosse, du moins selon leurs standards, mais ils sont quand même nombreux. Je n’ai pas le temps de les compter. Ils sont vingt… trente ? Certains ont des arcs, comme celui qui vient de me tirer dessus, mais la plupart ont des armes. Des épées rouillées, des dagues, et même un bouclier ou deux. Mais ils n’ont pas d’armures, ils portent des loques.

Ils pourraient me découper en morceaux en quelques secondes. Et ils m’ont encerclée, ce coup-ci.

C’est pas bon, ça. Mais je lève les mains et serre les poings. Je n’ai jamais eu besoin de me battre avant, mais ce n’est pas parce que j’en suis incapable. Et aujourd’hui, je suis au top niveau.

Les Gobelins sourient. Ils ne voient qu’une humaine, seule, séparée du reste, et sans armes. Pas une menace. Ça me convient. Je vois un groupe de gars que je peux taper aussi fort que je veux et qui ont beaucoup moins de muscles et d’allonge que les voyous normaux. Et je connais le kung-fu. *

*Non, je ne connais pas le kung-fu. Je fais une version du Muay-Thai orientée MMA, bien que je ne fasse pas vraiment de mixed martial arts.  Putain de parents surprotecteurs.

Ajuste ta posture, tiens-toi basse sur tes appuis et penche-toi légèrement en avant, les mains levée et serrée en deux poings détendus. Je mets plus de poids sur ma jambe de devant. Je sautille, prête à bouger au dernier moment.

J’ai me suis déjà battue. Pas beaucoup, et certainement pas le genre de bain de sang sans détour dont on entend parler dans les cités, mais j’ai déjà eu à me défendre, et plus d’une fois. Mieux, après ma première bagarre les parents m’ont fait apprendre les arts martiaux pour que je sache me défendre. J’ai étudié l’art du combat.

Les Gobelins sont toujours en train d’essayer de m’encercler, attendant que l’un d’eux se lance. Peut-être qu’ils voient que je ne suis pas une fille ordinaire parce que je ne suis pas en train de courir ou d’essayer de m’enfuir. Au lieu de cela, j’oscille d’avant en arrière, maintenant de la distance entre eux et moi, essayant de les empêcher d’arriver dans mon dos.

L’une des règles lorsque qu’on se bat contre un groupe est de ne jamais les laisser vous encercler. Essayez de les faire se mettre en ligne si possible. Deuxio, ne jamais laisser passer une occasion d’attaquer. Soyez certaines de savoir quand ils vont vous attaquer.

Et porter le premier coup est un bon point. Donc dès que le premier Gobelin décide qu’il est temps de s’y mettre et se précipite en avant avec un cri aigu, j’avance.

Un pas en avant, tourne les hanches, et concentre tout le mouvement dans un coup de poing. J’atteins le Gobelins en pleine tête pendant sa charge. C’est un solide coup de poing, satisfaisant, et je le sens cueillir le salaud proprement.

Il s’effondre. Pas de clignement d’yeux confus, pas de chute comique. Le Gobelin tombe simplement par terre et ne se relève pas. C’est ce qu’on obtient avec un vrai coup de poing.

Les autres Gobelins cillent, consternés. Ce n’était pas comme ça que ça devait se passer. Mais ce sont des combattants. Ils ont l’air mignons, du côté méchant du spectre, mais ce sont tous des tueurs. Les gangsters normaux ne sont sans doute pas aussi vicieux que ces types. Donc dès qu’ils voient le premier type s’étaler au sol, sept d’entre eux me tombent dessus.

Je recule. Puis je me retourne et cogne. Sans vraiment viser, mais pour forcer les Gobelins derrière moi à reculer. Ils allaient charger mais ils esquivent et je passe en courant devant eux. Okay, à présent personne ne peut m’arriver dans le dos. Je me retourne donc et laisse les autres me foncer dessus.

Une ligne. Ils appliquent la technique débile de ne pas me foncer dessus tous ensemble. Je bondis donc en avant, frappe un coup, deux coups. Deux Gobelins s’effondrent et je saute en arrière, laissant leurs amis leur trébucher dessus.

Un Gobelin saute par-dessus ses amis et je le cueille en plein élan au creux de l’estomac. Il vomit en atterrissant. Un autre s’approche et ce coup-ci, il est assez malin pour se mettre à essayer de balayer l’air de son couteau avant de m’atteindre. J’attend. Un coup, deux coups…

Quand son couteau passe trop près de moi, je m’avance et le cogne. J’ai plus d’allonge en me penchant, bien plus longue que ses petits bras. Et voilà un autre Gobelin inconscient.

Les trois derniers Gobelins ralentissent, mais l’un d’entre eux est plus bête que le reste. Il continue de me foncer dessus, et je décide de faire un truc stylé. Au lieu de lui mettre un coup de poing, je recule et fait un coup de pied circulaire.

Le Muay Thai est un art martial qui insiste sur les coups de pieds   très puissants. Et l’un de ces célèbres coups de pieds est le coup de pied circulaire. Naturellement, c’était un de mes coups préférés à l’entraînement.

Le Gobelin me laisse le mettre en place. Il regarde mes mains, donc il ne voit pas ma jambe se lever d’un seul coup. Je peux donner des coups de pieds aussi rapidement que des coups de poings, et je le cueille en pleine tête. Les Gobelins sont si petits que leur tête est plus à hauteur de mon pied que leur taille ou leur poitrine comme chez les humains.

Mon pied touche sa tête et je sens sa chair s’écraser. Puis je sens quelque chose céder et j’entends un craquement. Le Gobelin vacille, s’envole, et roule dans l’herbe avant de s’arrêter, immobile. Il ne bouge plus. Et mon cœur s’arrête.

Les autres Gobelins regardent leur ami au sol, puis moi. Je sais que je devrais surveiller qu’ils ne me foncent pas dessus, mais mes yeux sont fixés sur le Gobelin. Je… je n’avais pas prévu de le taper si fort. Pas en pleine tête.

Il est trop immobile. Le Gobelin ne tressaille même pas. Il… Il est…

Il est mort. Je l’ai tué. Je n’avais jamais tué d’autre créature avant. J’ai déjà chassé pour le plaisir, mais je ne tue pas d’animaux. Même en combat, je me contente de briser des os. Je ne tue pas.

Mais il est mort. Et c’était tellement rapide.

Je contemple le Gobelin puis je vois une forme sombre foncer sur ma tête. J’esquive et la flèche manque ma joue de quelques centimètres. L’archer Gobelin baisse son arc et crie quelque chose à ses amis.

Bordel. Je dois me concentrer. Je dois réfléchir ! Les Gobelins se remettent en mouvement, essaient de m’encercler. Ils ne veulent pas s’approcher, cette fois-ci, et leurs archers se mettent à tirer leurs flèches, courtes et de confection maladroite.

Je dois fuir ou me battre. Je vais foncer sur les archers, les cogner, puis m’enfuir. Mes yeux se plissent et je me mets à courir en zigzag, alternant d’un profil à l’autre pour réduire la cible.

L’archer est au fond, celui qui a déjà tiré deux flèches est leur leader. Je dois le cogner et peut-être que les Gobelins lâcheront l’affaire. Il a quelques Gobelins devant lui, mais si je fonce dans le tas…

Le Gobelin encoche une flèche et me vise. Mon corps se tend…

Et la tête de l’Archer disparaît. Pas de manière mignonne, comme s’il s’était baissé d’un coup ou qu’il était tombé. Non. La totalité du cou et de la peau est tirée vers le haut tandis qu’une mâchoire gigantesque se ferme sur sa tête et arrache proprement sa tête.

Bon sang de ...”

Les Gobelins se retournent. L’un d’entre eux hurle, lève son épée et une griffe lui ouvre le ventre. Je recule. Les Gobelins reculent. Et le gigantesque loup attrape nonchalamment un autre Gobelin, mord dedans, le secoue, et le jette sur le côté comme un confetti.

Un loup. Un énorme loup géant. Pas comme ceux de mon monde : un véritable Grand Méchant Loup des plaines, presque aussi grand que moi. Plus grand. Il a plus de masse.

Le loup renifle et me regarde. Les Gobelins sont déjà en train de courir, mais il n’en s’en occupe plus. Il me regarde droit dans les yeux.

Calme-toi. * Ce n’est pas un Loup-Garou comme dans l’œuvre de George R. Martin. Ces trucs sont aussi grands que des chevaux, c’est ça ? Celui-ci… celui-ci n’est deux fois plus grand qu’un loup ordinaire. Juste deux fois plus grand.

*Calme-toi ! Ne panique pas ! Bon sang qu’il est gros !

Il a une fourrure d’un rouge rouillé. Pourquoi diable… est-ce que c’est à cause du sang ? Il gratte le sol, renifle de nouveau, puis se met à me tourner autour lentement. Il est tellement grand, et contrairement aux Gobelins, je peux voir ses muscles rouler sous sa fourrure.

Pas le temps de courir ou même de réfléchir. Je baisse de nouveau les mains. Les loups peuvent courir plus vite que les humains, tout comme les ours. Et courir me fait passer pour une proie. Je dois soit le faire abandonner, soit le faire fuir.

“Allez mon gros, donne tout ce que tu as.”

Le problème, c’est que ce loup n’est pas ordinaire. Les loups de mon monde ne chassent en général pas les humains. Mais celui-ci vient de manger une tête de Gobelin. Donc peut-être que les loups du coin ont un goût pour les humanoïdes.

Il me renifle une nouvelle fois. Puis le loup baisse la tête. Oh merde. Il va…

Je vois à peine le loup bouger. Il se jette sur moi et je me jette sur le côté. Le loup atterrit, fait volte-face, et je lui fonce dessus et lui met un coup de poing dans la tête.

Ne pas réfléchir. Agir. J’ai suffisamment pratiqué ces coups pour que mon corps prenne le dessus sur mon cerveau paniqué. Frappe, frappe, recule. Le loup claque les mâchoires et j’entame une torsion. Ma jambe se lève d’un coup sur le côté et cueille le loup en plein entre les yeux. Un bon coup.

Le coup de pied circulaire. J’avais vu un documentaire qui expliquait la puissance des coups de pieds du Muay Thai. Se faire frapper par l’un des champions du monde de coup de pied circulaire est comme se faire rentrer dedans par une voiture à 60 km/h. Je ne suis pas championne du monde mais je loup géant cille quand même, et secoue la tête. Il vacille sur ses pattes et je m’avance.

Un autre coup illégal en MMA est de mettre un coup de genou à l’adversaire lorsqu’il est à terre. C’est un coup létal. Tous les coups du Muay Thai sont faits pour tuer, mais les coudes et les genoux sont vraiment dangereux. On m’a répété des centaines de fois de ne jamais mettre de coup de genou dans la tête de quelqu’un à moins de vouloir le tuer.

J’espère simplement que mon professeur n’exagérait pas. Je cours en avant et lance mon genou aussi fort que je peux en plein dans la face du loup. J’entends quelque chose craquer. J’ai l’impression que c’est mon genou.

Le loup cligne des yeux, recule un peu, puis se met à gronder.

… Ah.

C’est drôle. Dans mon monde, je me prenais vraiment pour quelque chose. Je n’ai jamais perdu de combat contre des crétins de mon âge. Et j’étais douée.

J’ai atteint le 4e dan, qu’il est extrêmement difficile à obtenir, surtout à mon âge. À ce stade je pouvais enseigner les arts martiaux moi-même si je ne voulais pas être harcelée sexuellement et moquée toute la journée. Atteindre ce stade à mon âge est très rare*, et je sais me battre.

Je me suis déjà battue dans la rue, ou du moins j’ai assisté à quelques bagarres à l’école et j’ai été agressée pendant que je courrais. Il y a une différence entre connaître les arts martiaux et avoir obtenu sa ceinture noire à un McDojo.

*Avoir sa salle de sport personnelle et une mémoire quasiment parfaite aide pas mal, par contre. Sans parler d’avoir des parents qui te laisse t’entraîner aux arts martiaux tant que tu veux tant que ça t’évite les problèmes.


**McDojo. Très bon terme. Cela décrit toutes les cafétérias et les salles de sports pour les ados qui veulent plus se la péter qu’apprendre de véritables techniques. J’ai déjà mis un coup de pied à un “expert” ceinture noire et lui ai cassé deux côtes. C’était le bon temps.

Je sais me battre. Et même si je ne suis pas aussi bonne que quelqu'un de rôdé au combat ou qui s’entraîne depuis plus longtemps, je parie que je pourrais battre la plupart des aventuriers en-dessous du rang Or. Parce qu’ils sont humains, ou humanoïdes. Et les arts martiaux n’existent pas dans ce monde, du moins à ma connaissance.

Mais les arts martiaux n’ont jamais été prévus pour se battre contre des monstres.

Le loup que je viens juste de cogner de toutes mes forces du pied et du genou en pleine tête se relève et se secoue comme s’il ne s’était rien passé. Puis il me regarde en grogne. Sa truffe a l’air mouillé, mais je ne pense pas lui avoir fait si mal que ça. En fait, je crois que je l’ai juste énervé.

Il me fonce dessus. Je lance un coup de poing, mais le loup claque des mâchoires et je manque de peu perdre une main. Il galope autour de moi et je tourne pour suivre le mouvement. Il est tellement rapide !

Le loup claque les mâchoires près de ma jambe, je recule et lance un coup de pied. Mais il est trop rapide et sa fourrure le protège comme une armure. Il fond de nouveau sur moi et ce coup-ci, je peux sentir son souffle chaud sur moi au moment où je bondis en arrière.

Le Muay Thai n’est pas fait pour se battre contre une créature qui se bat avec ses dents. J’essaie de rester à distance mais il gagne du terrain.

Bordel. Il ne va pas me laisser partir. Et je ne sais pas quoi faire. Si j’étais plus rapide j’essaierais de lui arracher ses putains d’yeux. Mais il esquive tous mes coups.

J’essaie de lui mettre un coup de poing, mais la fourrure amortit encore une fois le choc. Puis le loup tord le cou et referme ses crocs sur…

Aaaaaaah !

C’est un véritable feu d’artifices qui explose devant mes yeux. Je martèle la tête du loup puis lui écrase un œil. Il me relâche et hurle d’agonie. Moi aussi.

Mon bras ! Il l’a mordu pendant moins d’une seconde, mais je crois qu’il a fendu l’os ! Je recule en titubant et heureusement, il ne me suit pas. Il secoue la tête et je sens quelque chose d’humide sur mes doigts. Je crois que je lui ai explosé l’œil mais il faut que je m’enfuie.

Je me mets à courir. En un instant, je suis en plein sprint. Derrière moi, j’entends le loup hurler. À l’agonie ? Non. Je crois que c’est pire que ça.

On dirait qu’il appelle sa meute.

Au moment même où je me dis ça, j’entends d’autres hurlement, cette fois-ci au loin. Mais ils deviennent de plus en plus forts donc je continue de courir. Mon bras saigne abondamment, mais je continue de courir. Je n’ai pas le temps de m’arrêter.

Coup d’œil par-dessus l’épaule. Je vois que le loup suit, mais seulement pour me garder à l’œil. Il veut rassembler sa meute. Et la voilà qui arrive. Des formes indistinctes foncent à travers la colline, vite, très vite.
 
Mon bras !
Je ne peux pas… le loup a arraché une énorme portion de chair. Il me faut une potion.

Elles sont dans mon sac, attachées à l’extérieur pour que je puisse facilement les attraper. J’en attrape une, fait sauter le bouchon et l’avale cul sec, m’étouffant à moitié. Puis je jette la bouteille sur le loup le plus proche, qui doit s’éloigner pour esquiver.

Le liquide infâme me coule dans la gorge et j’attends le soulagement en continuant mon sprint effréné vers les Hautes Passes. Le paysage change sous mes pieds. Soudain, je cours sur quelque chose qui ressemble plus à de l’argile et la terre et même les cailloux se teintent d’un rouge orangé. Et je suis au pied des montagnes.

Les loups me suivent, hurlant de plus belle tandis que d’autres loups foncent à travers la plaine pour les rattraper. Ils arrivent.

Je ne les sèmerai jamais à découvert. J’entends un grognement et je m’écarte à gauche alors même qu’un loup tente de me sauter dessus. Il atterrit et j’entame la pente rocailleuse. Les loups ne sont-ils pas censés avoir du mal à grimper ou un truc du genre ?

Ça fonctionne. La meute ralentit et je les vois peiner à crapahuter sur les rochers. Mais ils arrivent. Et ils continuent de hurler, et ça me glace le sang.

Doit continuer à courir. Continuer à bouger. Je grimpe sur l’aplomb rocheux, m’entaillant les jambes et les mains sur la surface inégale. Et j’ai la nausée ? Pourquoi ? Mon bras me brûle toujours. Il devrait… il devrait être en train de guérir.

Plus haut. Je vois une plateforme et je me jette dessus. C’est haut, mais je parviens à attraper le bord et à m’y hisser. Les loups chargent, mais ils arrivent trop tard. Je suis au-dessus d’eux, en sécurité, du moins pour le moment.

Je recule sur mon rebord pour m’écarter de la meute et m’adosse à la roche, pantelante. J’ai envie de vomir. La nausée, l’épuisement et l’adrénaline qui sature mon sang me font trembler. Et je continue de saigner ? Pourquoi ?

Une autre potion. Je tâtonne dans mon sac, en sort une autre bouteille de potion rouge et l’avale cul sec. J’attends que la douleur disparaisse. Rien.

Dans ma confusion et ma douleur, j’avale encore une potion avant de réaliser que quelque chose ne va pas à ce stade…

Je vomis. Quelque chose est… la potion que j’ai bue brûle dans mes veines. Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? Ce n’est pas une potion de soin. Qu’est-ce que…

Quelque chose bondit au-dessus de moi. Je hurle, lance la fiole de potion et manque de peu glisser dans mon propre vomi. La chèvre me jette un regard plein de reproches et me bêle bruyamment dessus alors même que les loups continuent à hurler et à gronder en-dessous de moi.

“Une chèvre ?”

Une putain de chèvre. Elle a failli me faire mourir de peur. Mais elle ne semble pas avoir peur de moi ou des loups. Plus précisément, elle jette un œil à la meute de loups qui essaie de grimper et bêle de nouveau, fort.

D’autres bêlements. Ce coup-ci, elles m’ont encerclée. Je lève les yeux et voit des chèvres dressées tout le long des crêtes et des rochers des Hautes Passes. Elles bondissent et dévalent les falaises sans difficulté, fonçant droit sur la meute et moi-même. Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? Elles n’ont pas peur des loups ? Mais lesdits loups se mettent à reculer et à gronder à l’attention des chèvres.

Pourquoi…

La chèvre la plus proche bêle de nouveau. Fort. À ce stade, on dirait d’ailleurs plus un cri. Un cri, et il se rapproche. J’ai soudain un très mauvais pressentiment. Je recule et les chèvres avancent.

La chèvre ouvre la bouche et je vois ses dents. Les chèvres ne sont pas censées avoir des dents pointues. Et sa bouche est disproportionnée. Elle crie et je crie et je me mets à courir mais elles sont de partout et...

***

“Les Hautes Passes.”

Lady Magnolia souffla les mots en dévisageant l’homme qui était dans son foyer. Il était… eh bien, à ce qu’elle savait de l’homme en question, Magnolia se serait attendue à ce qu’il porte des habits noirs et qu’il soit armé jusqu’aux dents, mais alors il ne serait pas discret, n’est-ce pas ? Les [Assassins] devaient être furtifs.

Mais cet homme était tellement banal qu’il était difficile de ne pas l’oublier. Magnolia était certaine que c’était une sorte de compétence, tout comme elle était certaine de ne pas apprécier la présente situation.

“Je te prie de m’expliquer, Assassin Théofore, comment cela se fait-il que Ryoka Griffin ait non seulement réussi à vous échapper, à toi et à tes congénères, mais qu’elle est de plus pressentiment, si j’ai bien compris, seule dans les Hautes Passes, en train d’être poursuivie par des Loups Carnassiers ?”

L’assassin connu sous le nom de Théofore n’aimait clairement pas qu’on l’appelle par son prénom, mais il était également assez malin pour ne pas se formaliser quand c’était Magnolia qui le faisait. Il écarta ses mains gantées et inclina la tête.

“Mes associés et moi-même étions parfaitement prêts à protéger Ryoka Griffin d’attaques venant de l’intérieur de la ville, voire même à l’extérieur. Mais nous n’étions pas prêts à ce qu’elle accepte la requête pour les Hautes Passes, sans parler de sa capacité à partir aussi vite.”

“Je vous avais prévenus qu’elle était rapide. Et la meute ?”

“Nous n’avons pas réussi à faire plus que tuer quelques loups avant qu’ils ne remarquent notre odeur. Et notre groupe n’était pas équipé pour des combats contre des monstres, lady. Nous avions supposé qu’il s’agirait d’une mission de protection contre d’autres humains et nous étions équipés en fonction. Nous avons été forcés de battre en retraite, et vous serez intégralement remboursée pour notre échec. Mais la Guilde ne peut prendre plus de responsabilité à ce sujet, Lady Magnolia.”

Lady Magnolia fit la moue, mais l’[Assassin] avait raison. Personne n’aurait pu prédire…

Pour être honnête, elle aurait pu le prédire si elle avait été au courant de la requête anonyme à l’avance. Magnolia connaissait bien la personnalité de Ryoka, de son expérience personnelle et grâce à sa Compétence. C’était un détail qui lui coûtait à présent, et qui coûterait à Ryoka… probablement sa vie.

Elle examina l’[Assassin] et se tapota les lèvres, et contempla les montagnes impérieuses à travers sa fenêtre.

“Si je faisais jouer mon réseau pour envoyer plusieurs équipes d’aventuriers dans les Hautes Passes, arriveraient-ils à temps ?”

“Peut-être pour récupérer ce qu’il restera de son cadavre, Lady Magnolia. Mais même cela risque d’être déjà dévoré quand ils arriveront.”

Là encore, Magnolia dut dissimuler sa contrariété. Enfin, contrariété était un terme léger pour décrire ses sentiments. Elle était considérablement bien plus que contrariée, mais une [Lady] prenait toujours soin de dissimuler ses émotions. Mais il lui fallait tout de même se défouler un peu.

“On m’avait assurée qu’embaucher au sein de votre guilde m’assurerait un service de la plus haute qualité. Je crois bien avoir été claire sur l’importance de garder Ryoka en vie ?”

L’[Assassin] n’était clairement pas au bon endroit en ce moment. Techniquement, il était un vétéran de sa Guilde et parfaitement capable d’ôter la plupart des vies d’un simple geste de l’une de ses lames dissimulées. Mais il était face à une femme qui pouvait résolument prendre n’importe quelle vie, y compris la sienne. Peut-être pas directement, mais la servante debout derrière Lady Magnolia activait toutes les sonnettes d’alarmes de Théofore. Il la regarda d’un air méfiant en choisissant les meilleurs mots pour répondre à l’accusation de Magnolia.

“Si nous avions su que la Coursière s’aventurerait dans une zone comme les Hautes Passes, nous aurions demandé dix fois le prix et envoyé nos meilleurs agents. Et même alors, nous n’aurions pu garantir sa sécurité. Pour rester pragmatique, nous aurions tenté de maîtriser Ryoka Griffin bien avant qu’elle n’ait pénétré dans la zone. Un nombre incalculable de monstres y abonde, lady. Les loups font partie des proies, là-bas.”

“Vraiment ?”

Le visage de Magnolia s’illumina à ces mots.

“Y a-t-il une chance pour que les autres monstres dévorent les loups et laissent Ryoka en vie ?”

“J’en doute, Lady. Ils essaieront de tuer tout ce qui les dérangerai. Et il est probable que même si Ryoka parvient à distancer les loups, elle ne puisse échapper aux monstres les plus abondants dans les Hautes Passes.”

“Et quels sont-ils ?”

“Les Gargouilles.”

“Les Gargouilles ? De quoi s’agit-il ?”


***

Des Gargouilles !

Je crois que je suis en train de hurler. Je suis définitivement en train de courir, mais je sens à peine mes pieds qui s’écorchent sur les rochers, entre ma nausée et la terreur qui électrifie mon corps.

Le rocher biscornu le plus proche déploie ses immenses ailes de pierre et saisit la première chèvre qui tente de me lacérer. La chèvre tente de s’échapper, bêlant de panique, mais la gargouille se contente de tirer et la déchire en deux. Une pluie de sang tombe autour de moi tandis que de plus en plus de rochers à l’air innocents prennent vie autour de moi.

Je viens de foncer droit dans un nid de gargouilles. Ce serait déjà terrible s’il n’y avait en plus les meutes de loups et de chèvres qui essayaient déjà de me dévorer.

L’abrupt rocheux derrière moi est déjà couvert de loups et de chèvres en train de s’entre déchirer. Et le pire, c’est que ce sont les loups qui perdent. Les chèvres ont dévalé les falaises en horde et se sont mises à dévorer les loups, les démembrant avant de se disputer les morceaux.

J’ai couru vers les hauteurs pour fuir celles qui me poursuivaient, mais je suis juste tombée dans un nid d’embrouilles bien pire. Du point de vue des gargouilles, c’est comme si j’étais venue apporter le repas sur un plateau en ramenant un gros tas e hors d’œuvres.

La gargouille qui vient de dépecer la chèvre jette les morceaux en l’air. Son espèce de bec-bouche incurvé claque, accompagnée par un horrible craquement. Les chèvres esquivent et se mettent instantanément à battre ne retraite, mais les autres gargouilles avancent d’un pas pesant. La moitié d’entre elles sautent en bas sur les chèvres et les loups à présent en train de décamper. L’autre moitié se précipite sur moi.

Je continue de courir. Je ne m’étais jamais arrêtée, mais j’arrive à trouver un peu plus de jus et à convaincre mes jambes d’aller encore plus vite. Je ne sais pas comment elles font.

J’ai envie de vomir. C’est comme si j’étais en train de s’évanouir, mais que quelqu’un me frappait avec un taser* en même temps. J’ai beau vouloir m’asseoir pour vomir, je cours plus vite que jamais. C’est comme si je ne pouvais épuiser mon énergie, et j’ai besoin de chaque goutte d’adrénaline disponible.

*Jamais été tasée. Cours !

Une énorme gargouille se déploie devant moi. On dirait vaguement un mélange entre un oiseau et un ogre, c’est une énorme bête géante avec une peau qui ressemble à de la pierre mais qui bouge comme de la chair. Elle ouvre la bouche et je vois une grande ouverture avant que quelque chose n’en surgisse.

Je sens quelque chose me faire pivoter puis tituber en avant. Ma main attrape mon épaule. La chair est déchirée. Une plaie profonde. La gargouille fait de nouveau feu et je titube sur le côté. Les éclats de pierre qu’elle crache me manquent et éviscèrent le loup derrière moi.

C’était quoi, ça, putain ? On dirait un fusil à pompe ! Et le bruit que font les gargouilles… un gazouillis rugissant qui déclenche des avalanches de pierres. Je le sens dans mes os.

Je ne peux pas me battre. Je ne songe même pas à essayer. Le Muay Thai n’enseigne pas comment éviter les balles ou briser la pierre.

Donc je cours. Je suis née pour courir. Je suis née pour voler.

Le nid de gargouilles est haut perché. C’est une zone relativement à découvert, surplombant les Hautes Passes se trouvant… quinze, vingt mètre en contrebas ? Ce n’est pas un à-pic, plutôt une pente très inclinée. Normalement, je la descendrais avec les plus grandes précautions mais les gargouilles s’avancent vers moi, et vite. Donc je me précipite vers le rebord alors même qu’une gargouille se précipite sur moi.

Je bondis, et mes pieds quittent le sol. Je saute par-dessus la queue de pierre de la gargouille qui tente de me faucher, et atterris sur un affleurement rocheux. Dès que mes pieds touchent le sol, je trouve un nouveau point d’appui et bondis. Un saut, et je vise à présent la pente rocheuse.

La roche craque et des crevasses trompeuses se jettent sous mes pieds tandis que je tombe au ralentis. La pente est un labyrinthe d’endroit où tordre ou casser mes chevilles. Mais je perçois toutes les failles de la face rocheuse.  Mon pied accroche le bord de la falaise et le plonge en avant, sprintant vers la passe tandis que plusieurs monstres de pierre se lancent à mes trousses, me crachant des aiguilles de roche.

Pied gauche, rocher. Pied droit évite la mousse verte et fragile. Je me penche en avant en dévalant la pente. Droit, gauche, saute, tourne…

Je perds l’équilibre et m’écrase contre un rocher. Je manque tomber mais je corrige mes appuis et repousse la roche. Je suis dans les airs pendant cinq secondes puis atterrit et convertit la force de ma chute en énergie pour descendre.

Vite. Tellement vite. La pente se brouille sous mes pieds, et je peux voir la passe s’ouvrir sous moi. Je vais trop vite pour m’arrêter. Donc j’entame une torsion...

***

La pente presque verticale menant au repaire des gargouilles s’effondre sous les tremblements de la descente de Ryoka. De petits cailloux rebondissent follement sur le paysage accidenté, délogeant des roches plus grosses et entraînant un petit tremblement de terre. Mais même l’avalanche est trop lente pour pouvoir la rattraper.

Les pieds de Ryoka étaient flous alors qu’elle accélérait encore dans la pente, prête à entrer en collision avec le sol. Elle allait trop vite. Même en essayant, la pression qu’exercerait sur sa jambe le fait de se prendre toute l’accélération qu’elle avait acquise dans la descente de plein fouet en atteignant le sol plat pourrait la briser. Elle se lança donc dans une roulade.

Ryoka rentra dans le sol et roula sur près de cinq mètres avant d’atterrir sur le dos. Elle leva les yeux au ciel nuageux, à bout de souffle. Mais l’instant d’après, elle se relevait et se remettait à courir. Elle était poursuivie.

Les formes rocheuses mi- pataudes, mi- aériennes des gargouilles s’élancèrent de la falaise. Elles ne craignaient pas de se briser quoi que ce soit. L’une d’entre elle s’écrasa au sol derrière Ryoka, faisant trembler le sol autour d’elle. Elle continua sa course alors que la gargouille bondissait à ses trousses.

Son corps était comme électrifié. Elle avait l’impression de mourir de fièvre, mais elle se sentait paradoxalement plus vivante que jamais. Ryoka saignait. Ses pieds déchirés saignaient, son bras mordu saignait, tout comme les endroits que les shrapnels de la gargouille avaient lacérés. Ses vêtements étaient déchirés et elle était meurtrie par un nombre incalculable de coups.

Le sol trembla sous le poids d’autres gargouilles qui s’élancèrent de la falaise pour atterrir au sol comme des bombes. Elles ne pouvaient pas vraiment voler, lourdes comme elles l’étaient… mais elles pouvaient orienter leur descente. Ryoka poursuivit sa course tandis que des monstres de pierre de deux fois sa taille se posaient lourdement tout autour d’elle.

Des oiseaux croassèrent dans le ciel, sauf que ce n’étaient pas des oiseaux. Une nuée de Becs-Rasoirs, ces créatures préhistoriques volantes aux ailes de cuir et aux becs pleins de dents plongèrent au sol. Ils fondirent au sol, saisissant des carcasses et des entrailles des monstres en train de se battre. D’autres fondirent sur Ryoka, mordant, lacérant ses chairs. Elle agita violemment les bras en continuant de courir.

La mort était partout. Ryoka la sentait à chaque morsure, chaque coup de griffe. Elle saignait d’une douzaine de blessures différentes, et il lui semblait mourir à chaque pas. Et elle était perdue. Elle avait peur - elle était terrifiée, et elle avait mal. Donc pourquoi ? Pourquoi….

Pourquoi était-elle en train de sourire ?

Un sourire sauvage couvrait le visage de Ryoka, se tordant en une grimace lorsqu’elle esquiva un coup sur sa gauche à gauche, se teintant de surprise en voyant le petit morceau de tissu jaune élimé s’agitant à l’entrée d’une gigantesque caverne. Ses yeux brillaient de vie, et tandis qu’elle pénétrait en courant dans un hall caverneux où un Boeing-747 aurait largement pu se garer…

Elle souriait. Les gargouilles firent volte-face et s’enfuirent, les Becs-Rasoirs s’éparpillèrent, criant de détresse, et le reste des loups et des chèvres s’enfuirent retrouver leurs tanières. Ryoka tituba dans la caverne.

***

La Coursière entra en titubant dans la caverne, sanguinolente, blessée, et malade. L’unique habitant de la gigantesque caverne leva les yeux et cilla. Il avait un visiteur. Quelle surprise. Il avait beau en avoir demandé un, il ne s’était pas attendu à ce que quelqu’un n’arrive avant encore quelques mois.

Ryoka tituba en avant, et se rendit compte que le socle de pierre rugueuse avait changé. Elle marchait soudain sur du… marbre ? Peut-être pas du marbre, mais une pierre lisse et brillante avait remplacé le sol rocheux d’un rouge sombre. Elle laissa des trace de pas teintés de sang en s’avançant dans la caverne, presque insensible aux différentes agonies qui se disputaient son corps.

Les monstres étaient partis. Ils avaient soudain cessé de poursuivre Ryoka. Elle avait du mal à digérer l’information, par contre. Elle regardait autour d’elle. Autour et au-dessus.

La caverne où elle venait de pénétrer paraissait déjà grande de loin. Mais plus Ryoka s’y enfonçait, et plus il devenait clair qu’au lieu de parler de caverne, il serait plus juste de dire que quelqu’un avait vidé l’intérieur de la montagne. Elle entra dans un immense auditorium rempli de… trucs.

C’était le seul terme pour décrire cela. Des trucs. D’énormes piliers gravés se dressaient de part et d’autre de Ryoka qui s’enfonçait de plus en plus dans la grotte. Ils furent remplacés par des tapisseries accrochées aux murs de paysages épiques et de personnages importants. Puis des rangées d’étagères pleines de livres apparurent soudain à sa gauche, puis des tables et un nombre incalculable de piédestaux mettant en valeur des objets brillant de magie et d’une lumière mystérieuse. Des bouts de parchemins et des liquides bouillonnants s’entassaient sur une gigantesque table aussi grande qu’un bus. Un laboratoire d’alchimie, installé juste à côté d’un miroir qui ne renvoya pas son reflet à Ryoka lorsqu’elle passa devant, laissant simplement apercevoir une brume d’étranges couleurs.

Des armures et des armes étaient posées contre un mur au loin, armurerie parmi les armureries. Des épées et des masses d’armes se mélangeaient aux armures de plates et aux armes que Ryoka ne pouvait pas nommer. La pièces caverneuse était remplie de richesses. C’était un trésor constitué d’un assemblage de tout et n’importe quoi, tant que c’était hors de prix.

Et debout au milieu de tout cela était un homme. Pas juste un homme, cependant. Ryoka tituba dans sa direction.

Son esprit…

Lui faisait défaut. Elle se sentait perdre des quantités astronomiques de sang, mais elle devait continuer à avancer. Si elle s’arrêtait, elle s’effondrerait. Ryoka plissa les yeux. C’était trop loin, elle n’y arriverait jamais. Mais elle continua sa marche.



Qui était-il ? Ryoka plissa les yeux. Elle avait l’impression d’être à la fois loin de lui et tout proche donc elle tituba en avant. Elle vit…

Un gigantesque dragon était assis dans la cave, les yeux baissés vers Ryoka. Ses yeux jaunes et ses écailles dorées luisaient dans la pénombre, il leva une griffe...

“Qu’est-ce que… ?”

Ryoka cligna des yeux. Sa tête… elle tituba en direction de l’homme vêtu de vêtements royaux, pressant sa main contre son flanc. C’était un vieil homme, avec une véritable crinière de cheveux argentés. Malgré cela, il était grand… plus grand qu’elle, même. Et ses habits semblaient être la chose la plus chère qu’elle ait jamais vue, comparable aux atours de Lady Magnolia.

Mais Ryoka fut saisie par son visage. Il était ridé comme celui d’un vieux chef d’état, mais ses traits auraient pu servir de modèle à une sculpture. C’était le plus beau vieillard qu’elle ait jamais vu, et elle n’était pas attirée par les hommes plus vieux. Mais il l’attirait, lui.

On aurait dit l’archétype de l’humanité, avec soixante ou soixante-dix ans. Il était splendide.

Et il était un Dragon.

Ryoka cilla. Elle était allongée par terre. Elle se redressa et vit le sang. Il coulait sur la pierre luxueuse. Elle se releva, lentement. Elle ne sentait pas grand-chose, mais elle vit l’homme s’avancer vers elle.

Elle carra les épaules. L’habitant de la caverne la regarda, une humaine sanguinolente, mourante. Elle lui sourit et leva la main.

“C’est pour une livraison.”

Puis elle s’effondra au sol, inconsciente. Le vieillard baissa les yeux sur la jeune fille inconsciente à ses pieds et cligna plusieurs fois des yeux. Que c’était surprenant.

… Si on y regardait de plus près, ses oreilles étaient pointues. Si Ryoka avait pu inspecter quoi que ce soit, elle l’aurait vu. L’”homme” soupira et marmotta quelques mots qui étaient à la fois doux et bruyants. L’hémorragie de Ryoka s’arrêta. Il claqua des doigts et les traces de sang se rejoignirent en une petite orbe cramoisie qui flotta jusqu’à lui.

Il l’attrapa et la jeta sur le corps de Ryoka. Le sang coula jusqu’à elle puis en elle. Elle s’agita puis soupira. Il soupira aussi.

“Ces Humains.”

Il était probablement préférable de laisser la magie agir. Elle souffrait d’intoxication au mana, ce qui était bien plus difficile à soigner qu’une hémorragie. Pendant ce temps-là, il pourrait examiner cette étrange humaine à loisir. Ses sorts ne lui permettaient pas d’afficher son Niveau ou sa Classe, pour une raison quelconque.

L’habitant de la caverne se détourna et s’éloigna d’un pas majestueux. Il fit cinq pas avant de trébucher sur un gobelet et de s’étaler par terre. Il se releva vivement et vérifia que l’humaine dormait toujours. Le vieillard fronça les sourcils, jeta un coup de pied dans le calice doré, et grimaça en l’entendant briser quelque chose au loin. Il fronça les sourcils.

“Fichtre.”
« Modifié: 23 avril 2020 à 15:55:57 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #47 le: 22 avril 2020 à 14:59:11 »
1.32
Traduit par EllieVia

Erin sortit trois fois de son auberge pendant les deux jours qui suivirent. La première fois, elle alla voir Selys et les deux discutèrent longuement - ou plutôt, Selys la sermonna - sur le fait qu’il ne fallait pas aller se battre toute seule contre des monstres. Puis elles allèrent aux thermes, choisirent ensemble des vêtements pour Erin, et allèrent voir les ruines.

Les ruines étaient à une quinzaine de kilomètres de la ville, mais la circulation était tellement dense entre les ruines et la ville qu’il était facile d’attraper un chariot pour s’y rendre. Erin se demanda comment se faisait-il qu’il soit possible d’aller visiter les ruines en toute sécurité. Selys lui montra le nombre incalculable d’aventuriers, tous niveaux confondus, massés devant les ruines.

Il devait y avoir au moins une centaine d’aventuriers à présent, pour la plupart humains, dans la cité et dans la ville de tentes qui avait commencé à se former autour des ruines ; Mais le campement avait beau être énorme, c’était un nain comparé aux ruines excavées.

Elles étaient gigantesques. Le site de fouille en soi était un énorme cratère dans le sol - trois fois plus grand qu’un stade de foot - où s’élevait une entrée en pierre sombre, des portes gargantuesques qui menaient à une crypte, à ce qu’avaient entendu dire Erin et Selys.

Elles ne s’approchèrent pas du bâtiment. Et peu parmi les aventuriers s’y risquèrent. Les marchands proposant différents articles s’étaient placés au bord du cratère.

Apparemment, les ruines étaient toujours remplies de terre et de boue séchée après avoir passé des années enfouies. Les aventuriers devaient donc creuser tout en combattant les monstres qui y vivaient. Apparemment, le lieu grouillait de rats fouisseurs géants - un délice, d’après Selys - différentes sortes de morts-vivants, plusieurs espèces d’araignées, et d’autres monstres faibles à moyennement puissants.

C’était cela qui freinait les compagnies d’aventuriers, ça et la taille des ruines. Mais à la vérité, c’était principalement parce qu’aucun des mineurs qui avaient été embauchés ne voulaient creuser trop profondément par crainte de tomber sur quelque chose, et que la plupart des aventuriers pensaient la même chose. C’était vrai que plusieurs d’entre eux avaient trouvé des petits coffrets de trésors comme de l’argent et des bijoux, ce qui indiquait qu’il s’agissait en partie d’une vieille crypte, mais d’autres s’étaient aventurés un peu plus loin et n’étaient jamais revenus.

Ou alors ils étaient revenus en traînant des pieds et en grognant et avaient tenté de manger la chair des vivants.

C’était sa première visite, et Erin eut la chance de ne pas voir l’un des zombies morts - en particulier parce qu’elle partagea un charmant repas en compagnie de Selys en observant les gens s’agiter sans vraiment faire grand-chose autour des ruines. Elle attirait elle-même pas mal l’attention, étant connue comme l’aubergiste tueuse d’Araignées à Cuirasse et, plus précisément, comme l’Aubergiste humaine.

Plusieurs humains aventuriers vinrent lui parler, mais il leur fut difficile de tenir longtemps sous les regards noirs de Selys. Ils lui promirent de passer à son auberge plus tard, une promesse qu’Erin ne pensait pas qu’ils tiendraient à présent qu’elle leur avait expliqué ne pas encore vendre d’alcool.
.

***

Le jour suivant, Erin retourna voir Selys, mais cette fois-ci pour les affaires. Pour être payée, pour être plus exacte.

Erin tendit joyeusement le sac en tissu devant ses yeux et le secoua. Un son métallique étouffé s’en échappa. Elle fronça les sourcils, mais l’absence de tintement satisfaisant ne la découragea pas.

“Des sous~ !”

Selys lui sourit en rangeant le reçu signé sous son bureau de la Guilde des Aventuriers.

“Ne dépense pas tout d’un coup, d’accord Erin ?”

“Bien sûr, bien sûr. Je vais juste m’en servir pour des trucs importants. Comme… des chiffons de luxe ! Ou de l’alcool ! Ou… une robe ?”

Selys la regarda d’un air sévère et secoua la tête.

“Pourquoi pas une arme ? Tu pourrais probablement t’en acheter une de bonne qualité, avec une telle somme.”

Tout compris, avec la récompense sur les Araignées Cuirassées et l’argent de la vente de leurs carcasses, Erin avait gagné un peu plus de onze pièces d’or, après avoir enlevé le prix des carcasses trop brûlées pour être utilisables. C’était généralement considéré comme une belle somme d’argent, mais ce n’était pas énorme pour les carcasses.

L’un des aventuriers Drakéïdes les plus âgés qui n’était pas en train d’examiner les Ruines se pencha par-dessus le comptoir pour parler à Erin. Il était amical et avait des écailles jaunes, et Erin n’arrivait pas à se souvenir de son nom.

“Tu aurais pu en tirer beaucoup plus si tu les avais vendues ailleurs. Probablement moitié plus, surtout si tu t'étais adressée aux bons marchands. La Guilde taxe beaucoup trop ses services.”

Selys fusilla le Drakéïde du regard.

“La Guilde paye un bon taux pour les carcasses de monstres ! Si tu as un problème avec ça, Ylss, parles-en à la Maîtresse de Guilde...ou au conseil.”

Ylss darda sa langue d’un air nonchalant.

“La Guilde ne veut rien entendre, et le conseil non plus. Mais j’ai discuté avec les aventuriers Humains et ils disent que leur guilde les paie beaucoup plus que la nôtre.”

“C’est parce que les aventuriers Humains vont combattre les monstres hors de la ville à la place de leur Garde. Si tu veux négocier les prix, va tuer un nid d’Araignées Cuirassées tout seul. Erin ici présente…”

Selys balaya la pièce du regard. Elle repéra Erin qui avait posé sa main sur la porte.

“Erin, tu t’en vas déjà ?”

Erin agita la main, sourit et ouvrit la porte avant que Selys puisse lui demander si elle voulait rester. Elle ne voulait pas, surtout si c’était pour entendre encore des gens se disputer. Les Drakéïdes avaient étonnamment - ou peut-être n’était-pas si étonnant ? - un tempérament de feu.

Il était temps de rentrer à l’auberge, avant de faire des folies. Erin se contenta donc de faire quelques emplettes nécessaires chez Krshia et dans d’autres échoppes, esquiva l’invitation de la Gnolle pour une tasse de thé, et rentra déjeuner.

***

Selys devait à moitié courir pour rester à la hauteur d’Erin qui traversait le marché d’un air furieux.

“Attends, laisse-moi résumer. Des monstres t’attaquent et tu t’en fiches, mais dès que quelqu’un te dérobe quelque chose tu veux trouver quelque chose pour te protéger ?”

Erin la regarda d’un œil noir.

“Oui !”

“Mais ils ne t’ont rien volé de très grave. Un peu de nourriture et quelques pièces…”

“Une pièce d’or et trois pièces d’argent !”

“Pourquoi ne les avais-tu pas mieux cachées ? Ou mis dans un coffre fermé à clef ?”

“Je n’ai pas de coffre. Ni de clef !”

“On peut t’acheter un coffre-fort, si tu veux. Ou un verrou et une clef enchantés si tu le souhaites. Je connais un bon magasin…”

“Non. Je veux une arme.”

“Comme tu veux. Les aventuriers aiment bien ce magasin-là”

Selys pointa ledit magasin tenu par un Gnoll massif du doigt et Erin s’y dirigea tout droit. Le Gnoll dénuda ses dents à l’attention d’Erin et hocha silencieusement la tête.

“Humaine Erin. Salutations.”

“Salut.”

Erin rendit son sourire au Gnoll, dénudant également ses dents. C’était un truc de Gnoll qu’elle avait appris. Selys hocha la tête sans dénuder ses dents.

“Je cherche une arme.”

Le Gnoll acquiesça et tendit un bras pour montrer ses marchandises. Erin regarda fixement la véritable armurerie d’armes présentées. La plupart lui disaient quelque chose, mais seulement parce qu’elle les avait vues dans des films. Elles avaient toutes l’air très aiguisées.

“Pour une amie de Krshia, je ferai de mon mieux pour t’aider, oui ? Te bats-tu avec autre chose que tes mains, Erin Solstice ? “

“Um… Non. Non… pour tout dire, je n’ai jamais tenu quoi que ce soit de plus gros qu’un couteau.”

Le Gnoll s’arrêta alors qu’il était en train de décrocher un cimeterre à l’allure démoniaque d’un présentoir. Il reposa l’arme et hocha la tête.

“Nous avons beaucoup d’armes pour les débutants et l’auto défense, oui ? Des dagues, des massues… ces armes seraient meilleures.”

Erin regarda attentivement la dague qu’il lui tendit, poignée en avant. Elle avait l’air pointue, et le métal était tellement poli qu’elle y voyait son reflet. Mais c’était là à peu près toutes les connaissances des armes qu’elle possédait.

“Je ne suis pas certaine qu’une dague aiderait contre la plupart des monstres que je vois vagabonder autour de mon auberge.”

Là encore, elle n’était pas sûre que même des haches de guerre seraient utiles contre un crabroche.

“... Et pourquoi pas une arbalète* ? Vous auriez ça ?”

Selys parut décontenancée.

“Un quoi ? Un arbre belette ?”

Selys la regarda avec des yeux ronds. Erin éclata de rire.

“Non ! Laissez tomber.”

Le Gnoll se gratta la tête puis se secoua. On aurait dit un chien et Erin s’écarta inconsciemment de peur qu’il ait des puces.

“J’ai entendu parler de ces armes. Les Minotaures les utilisent et certains humains des continents du sud. Mais elles ne sont pas communes ni faciles à obtenir ici, oui ? Cela coûterait beaucoup de pièces d’or et prendrait des mois pour arriver.”

“Okay, pas d’arbalète alors.”

Erin soupira et regarda longuement l’étal d’armes.

“Tu n’es pas obligée d’acheter une arme, tu sais. Je me tue à te dire que nos aventuriers n’auraient aucun problème à monter la garde à ton auberge.”

“Pour huit pièces d’argent par jour pour chaque aventurier ? Et c’est juste pour ceux de bas niveau ? Non merci.”

Erin secoua la tête. Elle avait une meilleure idée en tête que l’option de Selys, et heureusement, elle n’impliquait pas qu’elle doive apprendre à planter des bouts de métal dans des gens.

“Est-ce que vous auriez de bonnes épées courtes ? Est-ce que c’en est une ?”

Le Gnoll acquiesça. Il sortit une épée qui était courte, en effet, et la posa sur le comptoir. Erin en tâta précautionneusement la garde, gardant ses doigts soigneusement éloignés de la lame. Selys était jute à côté d’elle, et s’assurait qu’Erin gardait ses doigts loin de la lame. Elle et le Gnoll semblaient plus sur leurs gardes qu’Erin devant des lames.

“Tu sais qu’acheter une épée de te fera pas immédiatement gagner une classe ? Il te faudra des semaines … des moins d’entraînement avant que tu ne gagnes une compétence. Et je n’essayerais pas de brandir cette épée seule si j’étais toi, Erin.”

“Je ne suis pas stupide.”

“Non, mais…”

“Combien ?”

“Pour toi, deux pièces d’or et trois d’argent.”

Erin regarda Selys. La Drakéïde acquiesça d’un air prudent.

“C’est cher. Mais c’est en effet un excellent ouvrage.”

“Du bon acier. Tu ne trouveras pas mieux ici en ville.”

Le Gnoll acquiesça et tapota la lame. Il semblait honnête, ou plutôt Erin n’avait pas encore croisé de Gnoll qui ne l’était pas. Ils étaient plus francs que les Drakéïdes, et ces derniers étaient plus comme des humains.

“Okay, et un bouclier ? Euh, un écu ? Je ne sais pas comment vous les appelez ?”

Elle en pointa un du doigt et le Gnoll ramena un bouclier en métal arrondi au centre. C’était un tout petit bouclier, fait pour tenir à une main pour dévier les armes plus que les flèches.

Selys objecta.

“Il est trop petit. Écoute, il te faudra un plus grand bouclier si tu veux t’équiper. Ce que je ne recommande toujours pas, d’ailleurs.”

“Je sais ce que je fais, Selys. Dans tous les cas, ce n’est pas pour moi. Combien pour les deux ?”

“Nous ne vendons pas beaucoup de boucliers. Je te vendrai le tout pour quatre pièces d’or, Erin Solstice, tant que tu promettras de n’utiliser aucun des deux avant d’avoir été instruites dans leur maniement.”

Elle lui sourit, ses mains plongeant déjà dans sa bourse.

“Marché conclu. Mais comme je l’ai dit, ce n’est pas pour moi. C’est un cadeau. Ou peut-être un pot-de-vin.”

Selys secoua la tête en voyant l’argent changer de main et le Gnoll ajouta un fourreau pour l’épée courte.

“Un pot-de-vin ? Pour qui ? Qui utiliserait quelque chose d’aussi petit que… attends. Tu ne penses pas à… Erin ! Non !”

Erin souleva les deux armes dans ses bras. Même avec sa compétence de [Force Mineure], elles étaient lourdes. Elle se tourna vers Selys et imita l’air exaspéré de la Drakéïde.

“Pourquoi pas ? Ils ne coûtent pas cher, je les connais personnellement, et ils vivent près de mon auberge.”

“Ils te poignarderont dans le dos pendant ton sommeil !”

Erin s’éloigna du marchand Gnoll, se disputant avec Selys tandis qu’il les regardait partir d’un air médusé.

“Ils n’en ont encore rien fait. De plus, ils sont gentils. Enfin, en quelque sorte. Je leur ai déjà donné à manger.”

“C’est une très mauvaise idée, tu verras.”

“Non, c’est une excellente idée. Tu verras.”

***

Loks baissa les yeux sur les armes brillantes que lui offrait Erin puis les releva pour dévisager l’humaine qui la regardait avec un grand sourire. Lentement, la petite Gobeline secoua la tête.

Le visage d’Erin se décomposa. Elle tendit l’épée dans son fourreau à la Gobeline qui recula au milieu de ses gardes du corps.

“Non ? Pourquoi donc ? C’est une bonne affaire !”

Loks secoua de nouveau la tête, et les Gobelins qui la suivaient se mirent devant elle pour bloquer le passage d’Erin. L’aubergiste, bien plus grande qu’eux, fronça les sourcils et ils se recroquevillèrent un peu, mais ils étaient sept Gobelins dans l’auberge, dont Loks, et Erin était seule. Si ça devait en arriver là…

Ils fuiraient probablement. Mais étonnamment, Loks était sûre qu’Erin n’essaierait jamais de leur faire du mal. C’était une Humaine étrange, probablement gentille. Elle avait simplement de très mauvaises idées, comme le marché qu’elle proposait aux Gobelins.

“Écoute. C’est très simple, d’accord ? Je vous donne ces armes et je vous nourris autant que vous le voulez. En échange, vous gardez mon auberge. Vous éloignez les monstres et les voleurs. Ce n’est pas un mauvais marché, si ?”

C’était un mauvais marché. Loks n’était pas une oratrice très éloquente, mais son chemin de pensée était très clair. Sa tribu divisée était petite même avant la mort de leur Chef. À présent, c’était une lutte pour le pouvoir qui s’y déroulait où Loks menait la faction la plus petite qui pensait que tous les humains ne devraient pas être dévorés sur place.

De plus, la petite Gobeline connaissait bien les Plaines Inondées et elle était certaine que protéger l’auberge revenait à une condamnation à mort. Ce que l’étrange humaine offrait était un très mauvais marché. Les armes magnifiques tentaient terriblement Loks, mais elles ne pouvaient pas contrebalancer les énormes désavantages du marché que proposait Erin.

Et maintenant, comment expliquer cela à une idiote ? Les sourcils de Loks se plissèrent et elle essaya de faire de son mieux. Elle gargouilla quelques syllabes de son propre langage à Erin, puis essaya le langage d’Erin. Rien n’y fit. Erin se contenta de la dévisager d’un air décontenancé, on aurait dit l’un des animaux ruminants - les vaches.

“Tu ne veux pas l’épée ?”

Loks acquiesça. Elle montra du doigt les autres Gobelins, puis le sol, puis secoua la tête.

“Mais tu ne veux pas monter la garde.”

Loks acquiesça de nouveau.

“Pourquoi ? Est-ce que c’est parce que vous n’êtes pas beaucoup ?”

Acquiescement, acquiescement. Erin commençait enfin à comprendre.

“Eh bien… vous pourriez avoir une stratégie, non ? Et si je vous trouvais un arc et des flèches ? Ce serait probablement mieux que gambader en un seul bloc comme vous le faites d’habitude.”

Ce coup-ci, tous les Gobelins la fusillèrent du regard. C’était une tactique Gobeline valide. Loks avait amélioré la formule en faisant des charges contrôlées et en incorporant des tactiques effroyablement rusées comme des feintes à leur stratégie, mais charger en masse était ce que les Gobelins faisait le mieux.

“Je disais juste que se battre tous dans un gros tas ne me semblait pas plus malin que ça, c’est tout. Mais si vous aviez tous des arcs ou autre ?”

Là encore, Loks secoua la tête. Elle fit mine de tirer une flèche puis cogna doucement son voisin à la tête.
 “Oh, pas assez forts ? Vraiment ?”

Acquiescement. Loks aurait vraiment voulu savoir parler d’autres langues, ou au moins qu’une humaine puisse la comprendre. C’était déjà bien qu’elle soit une génie et qu’Erin soit assez maligne pour qu’elles arrivent à communiquer comme ça.

Et Erin parut comprendre. Les arcs étaient des armes utiles, mais pas autant qu’une bonne quantité de couteaux. La faible allonge des Gobelins et leurs forces réduites impliquaient qu’ils ne pouvaient pas tirer de flèches aussi loin ou aussi fort qu’un archer humain ou Drakéïde dans tous les cas.

“Je comprends. Des petits bras pour de petits arcs, c’est ça ? La taille compte. Dommage que vous n’ayez pas d’arbalète dans le coin.”

Les oreilles de Loks se dressèrent. Mais ce fut la seule réaction que la Gobeline se permit, laissant l’humaine continuer à bavasser, inconsciente de l’intérêt que ses mots avaient suscité.

“J’imagine que… eh bien, oui, n’importe qui en armure ne pourrait pas se faire tuer par des flèches. Mais les arbalètes et les arcs longs peuvent les traverser, non ? Mais les arcs longs…”

Erin examina les Gobelins. Ils faisaient environ un mètre vingt en moyenne, et seuls les Gobelins bizarres comme le Chef de tribu grandissaient plus que ça. Et même lui aurait eu du mal à tendre un arc long, qui pouvait attendre plus de deux mètres de haut.

“La vie est dure, hein ?”

Cette fois-ci, tous les Gobelins acquiescèrent. La vie était dure. Ils étaient en guerre… enfin, les Gobelins étaient toujours en guerre, mais cette fois-ci, il s’agissait d’une guerre interne. La tribu était petite, la nourriture était rare parce que l’hiver approchait, et ils n’avaient qu’une étrange humaine dans une auberge pour les nourrir quand ils ne fuyaient pas les innombrables aventuriers qui affluaient dans la région.

“Bon, j’imagine que je pourrai ramener ces machins.”

Erin soupira et posa l’épée courte et le bouclier sur une table. Elle remarqua les regards pleins de convoitise que jetaient les Gobelins sur les armes. Zut. Elle avait cru que ce serait une bonne idée, mais en y réfléchissant elle comprenait la situation de Loks.

De plus, quand elle avait la toute petite Gobeline devant les yeux, Erin avait toujours l’impression de parler à une enfant. Peut-être… peut-être que c’était le cas. Combien de temps fallait-il aux Gobelins pour grandir ? Comment pouvait-on savoir leur âge, déjà ?

Erin regarda les Gobelins qui semblaient discuter avec leur leader, Loks. Ils étaient blessés, pour la plupart. Ils venaient dans son auberge de temps en temps et mangeaient le plus possible avant de repartir en se dandinant, et ils payaient. Mais Erin avait la nette impression que la bataille qui avait débuté dans son auberge ne s’était pas terminée avec la mort de Klbkch. Les visages des Gobelins étaient difficiles à retenir, mais certains changeaient à chaque visite. Et le corps de Loks était parsemé de ses propres blessures et cicatrices.

Ils étaient… eh bien, certains d’entre eux étaient méchants. Mais ceux qui se tenaient devant Erin faisaient résonner quelque chose en elle. Une souffrance partagée, peut-être. Et Erin avait une idée qui pourrait les aider, et peut-être un peu l’aider elle.

Elle se leva. Les Gobelins levèrent immédiatement les yeux sur elle. Erin pointa du doigt.

“Restez ici. Et ne volez pas l’épée ou je vous écrase, compris ?”

Elle rentra dans sa cuisine ravagée qu’elle n’avait pas encore eu le temps de ranger. Elle avança jusqu’au fond de la cuisine, ouvrit un placard et regarda les fioles qu’il contenait. Le voleur qui avait pillé son auberge ne s’était pas approché de ce placard, et n’avait pas essayé de boire son contenu. Ce qui était très sage, étant donné la nature de ce qu’il y avait dans les fioles.

Les gobelins étaient tous massés autour de l’épée courte quand Erin ramena l’énorme jarre de jus de mouche acide dans la pièce. Ils étaient en train de toucher la lame avec précaution et de se couper les doigts sur son tranchant lorsqu’ils levèrent les yeux. Quand ils virent ce que portait Erin ils s’enfuirent immédiatement vers la porte.

“Attendez !”

Loks s’arrêta et fit un croche-pied au Gobelin derrière elle. Ils s’étalèrent tous en tas et elle regarda Erin d’un air suspicieux tandis que l’humaine posait la jarre au sol en grogna. Elle se frotta le dos et appela les Gobelins.

“J’ai une idée qui devrait nous aider tous. Et je vous donnerai l’épée et le bouclier, okay ? Je le mettrai sur votre ardoise.”

L’astuce fonctionna. Loks revint instantanément caresser la lame. Erin pointa le liquide du doigt.

“Vous savez ce que c’est ?”

Loks acquiesça. Elle garda une distance très respectueuse entre elle et l’acide vert luisant dans la jarre et fit reculer le reste de Gobelins. Erin en fut soulagé. Elle pouvait aisément imaginer ce qu’il se passerait si l’un des Gobelins trébuchait sur la jarre, et ce n’était pas une vision réjouissante.

Elle caressa la jarre de verre.

“Un truc dangereux. Et je n’en veux pas. Mais si je vous donnais quelques jarres plus petites ? Vous pourriez le jeter sur les gens, non ? Pas sur les Araignées Cuirassées, par contre. Ça ne marche pas vraiment sur elles. Mais sur d’autres trucs… ouaip. Vous en pensez quoi ?”

Elle sortit une petite fiole de la taille d’un poing humain et la montra à Loks. Les Gobelins cillèrent devant la petite fiole puis regardèrent la grosse jarre d’un air confus.

“Je vous vendrai ces fioles d’acides et vous pourrez me payer, okay ?”

Erin patienta. Loks examina le liquide vert de mouche acide où apparaissait de temps à autre un cadavre de mouche. Elle savait très bien à quel point ces mouches pouvaient être dangereuses. Elle était également très impressionnée qu’Erin soit assez brave pour récolter les mouches acides, surtout quand on savait à quel point certaines pouvaient être grosses. Et le marché qu’elle proposait ?

Ça, c’était un bon marché.

La Gobeline regarda les fioles et vit un millier de tactiques possibles, dont celle de laisser d’autres Gobelins boire l’acide mortel en le laissant traîner. Erin regarda les Gobelins et vit une machine de recyclage bien pratique qui pourrait peut-être la payer.

L’humaine et la Gobeline sourirent.

***

Passer un marché en langage des signes était étrange, mais Erin avait déjà joué contre des joueurs d’échecs d’autres pays par le passé. Même un sourd et deux muets. L’un d’entre eux l’avait écrasée deux fois d’affilée, et elle avait passé un excellent moment à s’esclaffer avec lui à propos d’un coup terriblement mauvais qu’elle avait fait…

Tout ça pour dire qu’elle pouvait plus ou moins communiquer avec Loks. La petite Gobeline était extrêmement intelligente, et c’était déjà avant d’avoir pu la comparer avec le reste des Gobelins qui la suivaient. Ils étaient satisfaits de se contenter de se gratter le nez et de s’essuyer les doigts sur les autres gobelins pendant qu’Erin et Loks “discutaient”’.

Elles avaient fini par s’accorder sur le fait que Loks et ses Gobelins paieraient une poignée de pièces de bronze par fiole d’acide. Ce n’était pas beaucoup, surtout qu’Erin allait devoir aller acheter de nouvelles fioles plus petites pour que les Gobelins puissent les porter. Mais c’était toujours mieux que de verser l’acide dehors comme elle le faisait jusqu’à maintenant. La terre était brûlée sur une grosse surface à l’extérieur de l’auberge, ce qui montrait bien à quel point l’idée était maligne.

Mais c’était un bon marché. Un excellent marché, même. Cela permettait à l’auberge d’Erin d’avoir un nouveau revenu, surtout que Loks acheta immédiatement toutes les fioles d’Erin et les remplit d’acide. Cela lui permettait de se débarrasser de quelque chose qu’elle ne voulait pas, et cela permettrait peut-être à la bande de Loks de survivre un peu plus longtemps.

C’était un bon marché. Ce n'était juste pas celui que voulait Erin.

Elle regarda la jarre d’acide. Elle pouvait faire ses propres fioles d’acide si elle le voulait. C’était une arme utile, même si les Crabroches et les Araignées à Cuirasse étaient globalement résistants à l’acide. Elle avait ses poings et sa compétence de [Rixe de taverne], ainsi que [Lancer Infaillible]. C’était suffisant pour se défendre contre la plupart des monstres qu’elle avait croisé, et elle pouvait fuir les autres.

Mais rien de cela ne permettait de protéger son auberge. Les gens pouvaient facilement entrer et voler tant qu’ils le voulaient quand Erin n’était pas là, ou ils pouvaient se cacher et l’attaquer à son retour. Elle n’avait pas de moyens de se défendre devant des hordes d’ennemis, et elle était sûre qu’un Crabroche pouvait soulever l’auberge s’il le voulait. Les noyaux ne suffiraient pas à faire fuir une horde de ces crabes pourris si quelque chose des effarouchait.

Elle avait besoin de protection. Sans ça, Erin était vraiment dans le pétrin. Et… et il fallait qu’elle nettoie son auberge ravagée, qu’elle achète de nouvelles provisions, et qu’elle espère qu’elle aurait assez d’argent après ça pour s’acheter… quelque chose. Et que le voleur mystérieux ne pointerait pas de nouveau son nez quand Erin ressortirait.

Rien de tout cela n’était particulièrement difficile à faire, mais c’était trop pour Erin en ce moment. Elle posa sa tête sur la table, épuisée.

Toc. Toc.

Erin ne leva pas la tête de la table.

“Entrez.”

Toc. Toc.

“J’ai dit, entrez.”

Pas de réponse. L’individu continua de toquer à la porte. Erin attendit que cela passe, mais l’individu était obstiné. Une minute, puis cinq, la personne continua à toquer en rythme, sans s’arrêter. Erin finit par se lever en grognant.

Elle marcha vers la porte et l’ouvrit à la volée.

“J’ai dit ...”

Un squelette était debout dans l’embrasure de la porte, aussi grand qu’Erin. Non, plus grand. Juste un squelette. Aucune chair ne s’accrochait à ses os jaunis, et pourtant il était debout, défiant les lois de la biologie et de la physiqueµ. Erin regarda la paire de flammes bleues et blanches qui vacillaient dans les orbites du squelette. Le squelette ouvrit la mâchoire et lui cliqueta quelque chose.

Erin ferma la porte. Puis elle hurla. Puis elle fit volte-face pour aller prendre des couteaux à la cuisine.

Ce ne fut que quand elle eut le dos tourné qu’Erin réalisa qu’elle n’avait pas fermé la porte à clef. Elle s’ouvrit et elle se retourna pour voir le squelette entrer silencieusement dans son auberge.

Erin recula. Le squelette avança. Il ne l’attaquait pas. Il ne l’attaquait pas, mais Erin était proche de la crise cardiaque. Il s’avança vers elle et Erin faillit trébucher sur la jarre d’acide encore par terre.

Soudain, le squelette leva une main. Erin se recroquevilla et leva les mains mais le mort-vivant ne l’attaquait pas. Il n’avait… pas d’arme. Et non, il n’était pas en train de l’attaquer. Au lieu de cela, il tenait quelque chose dans sa main.

Erin cilla. Le squelette lui tendit silencieusement le bout de parchemin. Elle recula et il avança. Pas trop près d’elle, mais il ne la laissait pas non plus s’enfuir.

Elle hésita. Le squelette se contentait de la dévisager, même s’il n’avait pas vraiment d’yeux, juste des orbites brûlant dans son crâne. Ce qui était pire. Il attendait. Elle devait faire quelque chose. Erin prit donc quelques profondes inspirations puis tendit la main.

Elle prit le morceau de papier des doigts du squelette d’une main tremblante. Erin s’éloigna du squelette et baissa rapidement les yeux sur le papier, lisant tout en surveillant le monstre mort-vivant. Elle cligna des yeux devant les mots écrits à la va-vite, regarda le squelette, puis autour d’elle. Elle regarda de nouveau le squelette, puis s’énerva.

Pisces !”

Il apparut dans la pièce, son image se précisant lorsque le sort d’invisibilité s’éteignit. Peut-être qu’il avait voulu faire une entrée théâtrale, mais Erin n’était pas très impressionnée. Ce n’était clairement pas aussi cool qu’une cape d’invisibilité.

Pisces ouvrit la bouche et Erin avança et lui mit un coup de poing au visage. Fort. Il tomba, et manqua renverser la jarre d’acide. D’un geste vif, Erin attrapa la jarre et la rangea dans la cuisine avant que l’un des deux ne la fasse tomber.

Le mage ou plutôt - le nécromancien - leva les yeux sur Erin d’un air de reproche lorsqu’elle revint dans la salle commune. Elle ne l’aida pas à se relever donc il se redressa seul avec réticence, en époussetant sa robe.

“Ce n’était pas très aimable, surtout pour un client loyal, Bonne Maîtresse.”

“Crétin. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?”

Erin pointa d’un doigt tremblant le squelette. Il avait regardé la scène en silence.

Boudeur, Pisces montra le morceau de papier par terre.

“Je pensais que mon explication répondrait à toutes les questions que tu pourrais avoir.”

Erin saisit le mage par la robe et attira son visage vers le sien.

“Qu’est-ce. Que. C’est ?”

Il plongea son regard dans le sien et choisit soigneusement ses mots.

“C’est un squelette. Un squelette mort-vivant, ranimé pour être plus précis.”

“Et que fait-il ici ?”

“Il est là pour te protéger, bien sûr. Et pour rembourser ma dette conséquente.”

Erin relâcha Pisces. Elle regarda le squelette et se tira les cheveux.

“Pourquoi est-ce que… Pourquoi as-tu...

Ses mains s’agitèrent d’un spasme et elle s’empêcha d’étrangler Pisces sur place. Il recula et lissa sa robe d’un air froissé.

“Ce n’est donc pas ce que tu cherchais ?”

“Tu as de la chance que je ne te jette pas d’acide à la figure.”

“S’il te plaît, Erin. Je n’ai à cœur que ton intérêt … et le mien. Je te prie de considérer l’acquisition de ce guerrier mort-vivant.”

Pisces montra le squelette silencieux.

“Pas cher, une protection compétente qui n’a besoin ni de sommeil ni de nourriture. Je dirais que c’est toi qui devrais être reconnaissante envers moi, Erin.”

Il sourit, fier de lui. Erin ne sourit pas. Elle regarda le squelette.

“C’est pour moi ? Il obéit aux ordres, c’est ça ?”

Pisces parut légèrement insulté.

“Bien sûr. Je l’ai déjà accordé à toi. Ce squelette va obéir à toutes tes commandes et montera la garde pour toi et tes possessions loyalement. Donne-lui un ordre et vois par toi-même.”

Erin ne voulait pas vraiment. Mais le squelette était trop près pour qu’elle se sente à l’aise.

“Va par là-bas.”

Immédiatement, le squelette se tourna et alla dans un coin, naviguant entre les chaises et les tables. Là, il s’arrêta et pivota la tête, guettant Erin en attendant son prochain ordre.

Pour une raison inconnue, avoir un squelette qui la dévisageait de l‘autre bout de la pièce était encore pire que de l’avoir à côté d’elle. Erin frissonna.

“Je n’aime pas ça.”

Elle lui ordonna de revenir. Il s’approcha de nouveau, docile, et Erin tourna autour du squelette. Elle dut lui ordonner de ne pas bouger, et le squelette se figea comme la statue la plus flippante qui soit.

“Pourquoi t’es-tu dit que ce serait une bonne idée, Pisces ?”

Pisces regarda Erin, déconfit que l’interrogatoire se poursuive.

“J’avais entendu tes plaintes répétées sur ton manque de protection adéquate. Et quand j’ai remarqué le ah, l’état de ton auberge ce matin…”

“Oh oui ! C’est toi qui as fait ça ?”

Il leva les mains et recula.

“Pas moi. Le coupable était déjà parti quand je suis arrivé.”

Le mage détourna le regard. Erin se demanda si c’était lui qui s’était servi dans ses pièces… ou sa nourriture. Elle gronda et le squelette bougea. Il se plaça dans une posture de combat basse et se tourna vers Pisces. Il parut aussi alarmé qu’Erin.

“Rappelle-le.”

“C’est toi le nécromancien, fais-le.”

“Je l’ai fait de manière à ce qu’il t’obéisse à toi. Rappelle-le ou je devrai le désassembler.”

“Hey, arrête !”

Erin mit une taloche à l’arrière de la tête du squelette. Elle le regretta immédiatement. La sensation de l’os lisse sous sa main était…

Le squelette pivota pour dévisager Erin alors qu’elle s’essuyait la main sur son t-shirt. Elle le pointa d’un doigt tremblant.

“Ne l’attaque pas. À moins que je ne te le dise. Compris ?”

Il acquiesça. C’était flippant. Erin frissonna.

“C’est un guerrier compétent qui se battra pour toi. Et je crois que c’est ce dont tu as besoin, à moins que je ne sois complètement dans l’erreur.”

Il avait raison, mais sa manière d’avoir raison était terriblement problématique. Erin ne savait pas comment l’expliquer à Pisces. Lui pensait clairement avoir accordé une faveur à Erin, et l’absence de gratitude inconditionnelle de sa part le rendait brusque. Mais elle remarqua un autre problème.

“Si c’est une sorte de guerrier, ne devrait-il pas au moins avoir une épée ?”

“Les épées sont chères, Mademoiselle Solstice. Et je suis - regrettablement - pauvre en ce moment. Tu pourras sans aucun doute te permettre d’équiper toi-même ton nouveau garde du corps ?”

Et elle venait de donner l’épée courte et le bouclier à Loks. Erin grinça des dents.

“Okay, très bien. Tu m’as donné un squelette de compagnie. Que fait-il, exactement ? À part me faire peur à mourir ?”

Pisces haussa les épaules.

“Ce que tu veux. Il obéira à n’importe lequel de tes ordres, mais ah, sa capacité à penser est plutôt limitée en ce moment. Cela s’améliorera peut-être avec le temps. J’ai fait quelques améliorations sur les sorts de ranimation traditionnels...”

“Donc c’est un monstrueux squelette mort-vivant en édition spéciale. Merveilleux. Et qu’est-ce qu’il se passe s’il se casse ou devient fou ?”

“Le sortilège ne s’épuisera pas. Le corps peut-être, au cours d’un combat normal. Je serais heureux de réparer n’importe quel dégât pour une modique somme…”

Erin secoua la tête.

“La maintenance du squelette. C’est comme ça qu’ils t’ont à chaque fois.”

D’un œil sombre, elle regarda le squelette. Était-ce parce qu’elle était devenue folle ou simplement parce qu’elle s’était habituée à ce monde ? Elle n’était pas à moitié aussi affolée qu’elle aurait dû l’être par le squelette. Et pire, elle était vraiment en train de réfléchir à garder le truc.

“Et c’est censé payer ta dette ? Tout l’or que tu me dois ?”

Pisces s’éclaircit la gorge, mal à l’aise.

“Eh bien, les sorts de réanimations avancés de ce type valent traditionnellement... ”

Il s’interrompit vivement en voyant Erin pencher légèrement la tête.

“Je suppose qu’un remboursement total de mes dettes et un petit crédit pour le futur ne serait pas trop demander ?”

“Peut-être.”

Erin regarda le squelette d’un air sombre. Il lui rendit son regard, attendant patiemment ses ordres.

“Okay, disons que j’accepte ça. La Garde ne risque pas de se fâcher ?”

Pas de réponse. Erin soupira.

“Et cela ne serait pas un corps appartenant à qui que ce soit à Liscor, non ? Mais non… C’est un squelette humain. À part…”

Elle fronça les sourcils. Maintenant qu’elle l’observait de plus près, le squelette n’avait pas l’air tout à fait normal. Certes, il avait un crâne humain, mais ses côtes avaient l’air légèrement différentes de celles des livres de biologie. Et à ce propos, quelques os autour du pelvis semblaient subtilement différents.

“Hey, tu n’as pas pillé un tas de tombes pour faire ça, pas vrai Pisces ? Parce que si c’est le cas… Pisces ?”

Fronçant les sourcils, Erin regarda autour d’elle. Elle ne vit pas de mage peu obligeant, juste le squelette. Juste une porte ouverte et une absence très nette de mage. Il était parti.

Erin regarda la porte ouverte. Puis elle se demanda si Pisces était toujours dans l’auberge. Avec ses sorts d’Invisibilité et tout le barda. Délibérément, Erin marcha dans la pièce avec les bras écartés, essayant de rentrer dans n’importe quoi d’invisible et écoutant les bruits.

Rien. Il était probablement parti. Probablement. Mais Erin se changerait sous une serviette à partir de maintenant.

Elle soupira, se tourna, faillit rentrer dans le squelette et retint un cri. Il la regarda fixement, dans l’expectative.

“Va par là-bas !”

Docile, le squelette s’éloigna, mais il tourna la tête, attendant les ordres. Erin essaya de ne pas paniquer. Elle ne pouvait pas s’occuper de ça maintenant. Même si ça avait l’air d’être une solution, c’était la solution la plus cogne-toi-la-tête-contre-un-mur qu’elle ait jamais vue.

Que faire ? que faire ? La première chose à faire était de sortir le squelette de la pièces, et possiblement de sa vie. Erin soutint d’un air sombre le regard du squelette et réalisa qu’elle allait forcément devoir baisser les yeux en premier.

Elle eut une idée. Erin pointa le squelette du doigt.

“Toi. Squelé-truc.”

Il la regarda avec un vif intérêt.

“Suis-moi.”

Erin entra dans la cuisine, attrapa quelques trucs et les fourra dans les bras du squelette qui l’avait suivie.

“Prends ça. Et suis-moi.”

Le squelette marcha derrière Erin, silencieux comme un fantôme. Ses pieds osseux cliquetaient silencieusement sur le plancher alors qu’elle montait les escaliers. C’était une zone de l’auberge qu’Erin visitait rarement pour une seule véritable raison :

La poussière.

Elle était partout. Et Erin avait beau pouvoir garder le sol du rez-de-chaussée globalement propre grâce à sa compétence de [Récurage Élémentaire], elle n’avait même pas tenté de l’essayer à l’étage.

Si on avait pu comparer l’effort associé au nettoyage de la salle commune à un petit footing, nettoyer l’étage était comparable à faire les sommets de l’Himalaya dos à dos avec quelqu’un. Même le squelette paraissait impressionné par les couches de poussière accumulées dans la pièce où l’emmena Erin.

“Donne-moi ça.”

Erin prit le seau et le vieux chiffon des mains du squelette. L’eau croupie éclaboussa le sol, dissolvant plusieurs années d’accumulation de poussière en un instant. Elle plongea le chiffon dans l’eau, l’essora, et le tendit au squelette. Il prit le chiffon et le regarda d’un air d’incompréhension. Erin montra la pièce.

“Nettoie ça.”

Le squelette la dévisagea. Erin montra les chambres poussiéreuses et le plancher moisi.
“Tout ça. Nettoie-le. Compris ?”

Lentement, le squelette regarda son chiffon. Puis le sol. Il jeta le chiffon par terre et se mit à frotter faiblement avec son pied. Erin secoua la tête.

“Non ! Tu prends ça…”

Elle attrapa le tissu et frotta énergiquement le plancher, ôtant une couche de poussière, de terre et de taches noires qui teintèrent immédiatement le chiffon de noir.

“Et tu nettoies. Tu vois ? Comme ça.”

Le squelette hésita, puis essaya d’imiter Erin. Elle le regarda, corrigeant, montrant ses erreurs.

“Frotte plus fort ici. Non… Ne bouge pas le chiffon comme ça. Fait des mouvements fluides et circulaires. Comme ça. Tu vois ?”

Après quelques minutes, Erin fut impressionnée malgré elle lorsque le squelette dévoila une surface brillante de plancher sous le tapis de saletés.

“Bien.”

Le squelette s’arrêta et la regarda. Elle agita sa main.

“Ne t’arrête pas ! Continues !”

Il regarda autour de lui, confus. Erin secoua la tête. Elle alla à la porte et montra les autres pièces au squelette.

“Tu vois ? Tout l’étage. Nettoie-le. Nettoie le sol, les murs, et les fenêtres. Ne t’arrête pas avant d’avoir terminé !”

Erin descendit brutalement les escaliers, laissant le squelette seul à l’étage dans la semi-obscurité. Il baissa les yeux sur le chiffon. Puis le squelette regarda la pièce. Elle était couverte des résidus dus à l’humidité, les fenêtres ouvertes, la poussière, les déjections d’animaux et la pourriture. Même le plafond était parsemé de moisi et même de vilaines taches. Et ce n’était qu’une seule chambre.
Les squelettes ne pouvaient pas soupirer. C’était un truc de pulmonés, et ils n’avaient pas de poumons. Mais le feu dans ses yeux diminua légèrement. Puis le squelette se baissa et se mit au travail.

Il ne gagna pas de niveau cette nuit-là. Les squelettes ne pouvaient devenir des aubergistes. Mais quelque chose était bel et bien dans son esprit. Quelque chose d’unique. Des mots qui avaient résonné à sa création. Des mots qu’aucun mort-vivant n’avait jamais entendus.

[Sans nom, Guerrier Squelette Niveau 1]

Il ne savait pas trop ce qu’il en pensait.

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #48 le: 25 avril 2020 à 14:46:26 »
1.33
Traduit par Maroti

[Aubergiste Niveau 12 !]
 
 
Un de ces jours, Erin allait entendre un de ces énervants messages résonner dans sa tête et sauter d’une falaise. Mais au moins elle avait réussi à avoir huit solides heures de sommeil après.
 
Erin se demanda tristement si elle avait gagné un niveau à cause du squelette. Ou quelque chose en lien avec le squelette ? Est-ce que les [Aubergistes] gagnaient des niveaux en engageant des gardes du corps ? Ou des… Videurs ?
 
« Est-ce que les squelettes vident ? »
 
Erin cligna des yeux en regardant sa pièce pendant de longues minutes. Il était trop tôt pour penser à ce genre de sujet complexe. Elle voulait, et rapidement, pas mal de chose. Les toilettes, de quoi manger et… C’était tout.
 
Les toilettes étaient difficiles. Il n’y avait pas de véritables toilettes dans son auberge. Erin n’avait pas d’idée pourquoi, mais quelques pots brisés à l’étage et une terrible tache présente dans chaque chambre lui laissait deviner que les pots de chambre avaient été à la mode.
 
Erin ne s’apprêtait pas à utiliser un pot de chambre. Elle avait pris l’habitude de creuser (et de recouvrir le trou avec un peu de terre et de sciure de bois) des latrines à l’arrière de son auberge. C’était le bazar, c’était dégoûtant… Et elle n’était pas vraiment heureuse du fait qu’elle devait squatter dehors.
 
Quelque chose devait être fait. C’est ce qu’Erin décida alors qu’elle termina sa courte affaire avant d’attraper un rouleau de papier toilette. Au moins, ce monde avait quelque chose ressemblant du papier toilette, même s’il n’était pas aussi duveteux et plus difficile sur la peau. Mais cette absence de véritables toilettes était problématique. Un jour, quelqu’un allait la trouver et Erin allait mourir de honte ou se faire poignarder.
 
Mais une fois que son affaire fut terminée, Erin pouvait laver ses mains  avec l’eau qu’elle avait dans l’un de ses seaux et prendre son petit-déjeuner. Elle était aussi en train de tomber à court d’eau, ce qui voulait dire qu’elle allait devoir retourner au ruisseau pour en chercher et possiblement éviter des poissons volant à l’humeur mordante.
 
À ce stade l’idée d’esquiver des monstres d’une cinquantaine de kilos recouverts de dents ne dérangeait presque pas Erin. C’était juste une autre corvée. Elle ouvrit les placards de la cuisine de manière mécanique, souhaitant une nouvelle fois qu’elle avait des runes de préservation. Mais elles étaient coûteuses et Erin n’avait ‘’qu’une dizaine de pièces d’or’’. Une autre chose dont elle allait s’inquiéter plus tard. Elle allait juste le mettre sur sa liste.
 
Erin se retourna, une jarre de lait dans sa main et manqua de trébucher sur l’endroit où elle dormait. Elle attrapa le comptoir pour se stabiliser et ajouta sur sa liste qu’elle devait bouger l’endroit où elle dormait. Elle ne voulait vraiment, vraiment pas trébucher un de ces jours et se renverser de l’eau bouillante sur le visage.
 
Mais c’était tellement un bon coin où dormir. Et le bouger représentait… Tellement de boulot.
 
Elle avait une charmante petite couverture et des oreillers qu’elle utilisait pour faire un couvre-lit à moitié permanant dans un coin de sa cuisine. En vérité, cela aurait été mieux d’avoir un matelas, mais Erin avait dût faire la pingre jusqu’à récemment.  Maintenant elle pouvait s’en payer un, Erin rêva d’un lit grand format avec des draps en soie. Elle n’avait jamais essayé des draps de soie, mais peut-être que Krshia en avait… ? Probablement pas.
 
Toujours à moitié endormie, Erin marcha dans sa cuisine, assemblant son petit-déjeuner. En fait, il y avait des céréales tout à fait acceptables qui allaient bien avec le riche lait de vache qu’Erin avait acheté. Il suffisait de saupoudrer le tout d’un peu de sucre pour avoir un délicieux petit-déjeuner.
 
Mais vu que le sucre était trop coûteux pour ça, Erin coupait un fruit bleu dans son bol à la place, c’était presque la même chose.
 
Nourriture, fait. Erin marcha jusqu’à la salle commune et posa son bol sur une table. Elle tira une chaise… Et remarqua que quelque chose se tenait derrière elle. Elle se retourna lentement.

Deux flammes bleues illuminant un visage dépourvu de chair. Un squelette sourit à quelques centimètres du visage d’Erin.
 
« Aaaaaaaaaaaaaaah ! »
 
Erin hurla en donnant un coup de poing. Le squelette reçu le coup en plein visage et tituba en arrière avant de tomber. Erin serra son poing.
 
« Aie ! Aie, aie… Va là-bas ! »
 
Le squelette se leva et marcha jusqu’au coin avec obéissance. Il regarda alors qu’Erin agita sa main et jura pendant quelques instants. Une fois sa crise de juron terminé, Erin marcha et tapota énergiquement son doigt contre l’une des côtes du squelette.
 
« Hey ! Je croyais t’avoir dit de rester à l’étage ! »
 
Il secoua la tête. Erin cligna des yeux et s’énerva. Elle tapota de nouveau le squelette, mais cette fois son doigt passa à travers les côtes et directement à l’intérieur de la cage thoracique. Erin retira son doigt, frissonnante.
 
« Je me souviens t’avoir distinctement demandé de nettoyer l’étage. »
 
Le squelette hocha la tête. Erin lui jeta un regard noir.
 
« Alors ? Pourquoi est-ce que tu es en bas ? »
 
Il la regarda. Enfin, Erin supposa qu’il était en train de le faire vu qu’il n’avait pas répondu. Elle jeta un coup d’œil en direction des escaliers.
 
« D’accord, gros malin. Voyons voir ce qui est arrivé pendant que je dormais. »
 
Elle tapa du pied en montant les escaliers, le squelette sur ses pas. Erin entra dans l’une des pièces sales…

Et s’arrêta.
 
« Wouah. »
 
Quelque chose avait changé. C’était comme l’un des jeux des sept différences dans un journal, sauf que cette fois la différence était toute la pièce. Erin cligna des yeux en regardant la pièce propre comme un sou neuf et se demanda si elle était en train d’halluciner. Si elle l’était, elle préférait ne pas se réveiller.
 
Lentement, elle regarda les murs, le sol, et les fenêtres. Il n’y avait plus une tâche. Tout était propre. Elle pouvait même voir la couleur d’origine du parquet. Au lieu d’être d’un gris-marron sale, la couleur du parquet s’était transformée en un marron doré et lustré qui était agréable à l’œil.
 
« D’accord. D’accord, c’est, heu… »
 
Erin se retourna et cligna des yeux en direction du squelette.
 
« Est-ce que tu as fait toutes les pièces comme ça ? »
 
Il hocha la tête. Le squelette marcha jusqu’à un coin de la pièce et souleva quelque chose. Il ramena un seau et un minuscule bout de quelque chose à Erin. Elle plissa les yeux. Cela semblait être… Un bout de chiffon. Minuscule.
 
« Mais où est le reste ? »
 
Le squelette haussa les épaules. Erin se demanda où le reste de la terre et de la saleté était passé. Il y avait une substance visqueuse dans le seau, mais il semblait que le squelette avait jeté la majorité de saleté par la fenêtre. Ce qui était un style de ménage qu’Erin comprenait.
 
Et toutes les chambres étaient propres. Enfin, à part pour quelques tâches. Malgré les meilleurs efforts du squelette, il ne pouvait pas nettoyer la moisissure. Quelques planches pourries avaient besoin d’être remplacées, mais Erin avait [Artisanat Élémentaire] et un marteau. Elle était la déesse des petites réparations.
 
L’étage était soudainement, et miraculeusement, habitable. Erin erra dans chaque pièce d’un air hébété. Elle retourna dans la première pièce et se demanda si le sol était plus doux ici que dans la cuisine. Eh bien, le squelette avait vraiment fait du bon boulot en fin de compte. Erin n’était pas certaine de ce qu’elle devait faire de ça. Mais les pièces étaient propres.
 
Puis elle se rendit compte de quelque chose. Erin leva la tête.
 
« Hey ! Tu as oublié le plafond ! »
 
Le squelette la regarda, avant de lever la tête vers le plafond sale. Erin fronça les sourcils.
 
« J’ai dit que tu devais tout nettoyer. Le sol, les murs, les fenêtres… Et le plafond. C’est ce que j’ai dit, pas vrai ? »
 
Le squelette secoua la tête. Les sourcils d’Erin se froncèrent de nouveau.
 
« Bah, je pensais l’avoir dit. Et tu aurais quand même dut le faire ! »
 
Il n’y avait pas de moyen de dire si un squelette était en colère, triste ou… les squelettes n’avaient pas d’émotion, pas vrai ? Mais les flammes des yeux du squelette semblaient s’obscurcir pendant un court instant alors qu’Erin le regarda.
 
Elle se sentit coupable. Non pas parce qu’elle s’intéressait aux sentiments du squelette, mais parce qu’Erin pouvait se rendre compte qu’elle était une idiote. Elle s’adoucit.
 
« D’accord. Tu as fait du beau boulot. »
 
Le squelette sembla s’illuminer légèrement en entendant ça. Il suivit Erin dans les escaliers. Elle s’assit devant son petit-déjeuner avec un soupir et s’arrêta. Le squelette se tenait juste à côté d’elle. Elle pointa un coin du doigt.
 
« Va là-bas. »
 
Il marcha jusqu’au coin. Erin regarda le squelette et parla de nouveau.
 
« Retourne-toi. »
 
Il l’écouta. Enfin, Erin pouvait profiter de son repas sans avoir deux yeux brillants l’observer à chaque bouchée.
 
Le petit-déjeuner se termina rapidement. Erin avait faim, mais elle n’était pas en train de savourer son repas comme elle le faisait habituellement. À la place, elle passa son repas à penser. Une fois terminé, elle éloigna son bol et plissa les yeux en direction du squelette. C’était quoi déjà le proverbe avec les citrons et la vie ? Quand la vie te donne des citrons… Brûle l’usine de citrons ? Quelque chose du genre.
 
En tout cas, c’était l’heure de retourner travailler. Erin se racla la gorge.
 
« Hey, toi. »
 
Le squelette se retourna aussitôt. Elle secoua la tête.
 
« Prends le seau et suis-moi, d’accord ? »
 
Elle se leva alors que le squelette courut immédiatement à l’étage avant de rentrer dans la cuisine. Erin était désormais assez riche pour avoir plus d’un seau, et donc elle et le squelette étaient équipés en quittant l’auberge pour se diriger vers le ruisseau.
 
C’était une marche silencieuse. Erin dit au squelette de la reculer un peu en la suivant et elle essaya de l’ignorer alors qu’elle se balada. Peut-être qu’elle pouvait lui parler, mais… Non. Le jour où Erin commencerait à discuter avec des squelettes serait le jour où elle aurait définitivement pété les plombs.
 
Ils se rendirent au ruisseau. Erin dit au squelette de bien laver son seau avant de le remplir d’eau. C’était aussi bien qu’elle ait un seau pour l’eau potable et un seau pour se laver. Elle avait délibérément marqué les deux seaux avec un peu de peinture pour éviter de boire… Les trucs qui continuaient de s’accrocher au seau du squelette.
 
« C’est bon, partons. »
 
Erin tendit la main vers son seau, mais le squelette arriva en premier. Il s’empara de l’anse de son propre seau puis du sien et tenta de soulever les deux. Il força, et tira, mais il n’arriva pas à soulever l’un des deux seaux de plus d’un centimètre. Erin secoua la tête.
 
« Tu vois, c’est juste triste »
 
Le squelette claqua ses dents. Erin frissonna. Elle attrapa son seau et le souleva. Il était lourd, mais elle était plus forte que le squelette.
 
« Ne fais pas ça. Prends un seau et suis-moi. »
 
Le squelette souleva maladroitement l’un des seaux d’eau et tituba derrière Erin. Elle marcha rapidement, tentant de trouver le juste-milieu entre marcher rapidement et ne pas perdre trop d’eau.
 
Elle était habituée au chemin retour, mais ses bras étaient quand même endoloris lorsqu’elle arriva à l’auberge. Mais depuis qu’elle avait obtenu la compétence de [Force Mineure] le trajet était devenu bien moins douloureux. Et cette fois elle n’avait pas à faire deux fois le trajet.
 
« Okay ! L’eau c’est fait. Maintenant allons trouver de quoi manger. »
 
Erin laissa les deux seaux à l’intérieur de l’auberge, attrapa un panier, et quitta l’auberge. Le squelette la suivit avec obéissance alors que les deux traversèrent les collines recouvertes d’herbe qui formait le paysage. Ils marchèrent pendant six minutes avant qu’Erin arrête le squelette d’un bras. Il la regarda, confus.
 
« Attention. Crabroche. »
 
Elle pointa du doigt. Le squelette suivit son doigt et vit, à environ deux cents mètres, un gros rocher marchant lentement le long de la prairie. Sous la large carapace creuse, le squelette pouvait voir les massives jambes propulsant lentement le rocher.
 
Quand le squelette réalisa ce qu’était véritablement le Crabroche, il leva immédiatement ses poings et tenta de charger le monstre. Erin dût attraper l’un des bras du squelette pour le retenir.
 
« Attends ! Qu’est-ce que tu fais ? »
 
Le squelette lutta pour aller affronter le crabroche. Erin lui ordonna de s’arrêter.
 
« N’essaye pas d’affronter ce truc ! Il va te manger. Ou… Te casser en deux comme un tas de brindilles. »
 
Le squelette se calma à contrecœur. Il regarda le Crabroche qui ignora Erin et le squelette en s’éloignant. Quand il disparut derrière une colline, Erin relâcha le squelette.
 
« Ne sois pas stupide. Viens et suis-moi. »
 
Le squelette marcha derrière Erin. Éventuellement, ils arrivèrent au verger de fruit bleu. Erin montra comment ramasser les fruits au squelette.
 
« Tu vois ce panier ? Rempli ce panier. »
 
En disant cela, Erin tendit le panier au squelette et s’assit. Aussitôt, le squelette commença à courir dans le verger pour ramasser les fruits tombés et donnant des coups de pieds dans les arbres pour les faire tomber. Erin s’installa sous un arbre et en profita pour faire une petite sieste.
 
***

Avoir un squelette était bien pratique. En une poignée de minutes le squelette avait déjà rempli le panier à ras bord. Il marcha soigneusement jusqu’à Erin en faisant attention à ne pas renverser les fruits.
 
Erin ne réagit pas alors que le squelette s’approcha, elle était en train de dormir. Le squelette hésita, et plaça le panier à ses pieds. Il se releva et attendit, mais elle continua de dormir. Elle n’était pas sur le point de se réveiller.
 
Le squelette hésita, il semblait être en train de penser. Du moins, il se tourna et commença à scanner le paysage autour d’Erin. Est-ce qu’il était en train de rechercher une menace ? Erin ne pouvait pas le dire.
 
L’une de ses paupières s’était légèrement entrouverte lorsque le squelette s’était approché. Maintenant qu’il regardait de l’autre côté, Erin soupira de manière inaudible avant de se rasseoir. Bien, au moins le squelette n’était pas en train d’essayer de la tuer dans son sommeil. Elle avait passé une terrible nuit en s’inquiétant de ça. Mais Pisces semblait avoir fait un boulot correct sur le squelette. Mais quand même, elle allait garder un œil sur lui.
 
Il était pratique, mais elle ne lui faisait pas encore vraiment confiance.
 
Erin claqua dans ses mains. Le squelette pirouetta, et se relaxa quand il vit que ce n’était qu’Erin.
 
« D’accord, c’était du bon boulot. Rentrons à l’auberge. »
 
***

 
Erin montra au squelette où placer le panier de fruits bleus avant de s’étirer.
 
« D’accord. Les corvées sont presque terminées. Qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ? »
 
Le squelette regarda Erin. Il n’allait certainement pas proposer ses propres idées.
 
« Je pourrai aller en ville. »
 
Erin y réfléchit, regardant le squelette. Elle ne voulait pas vraiment le laisser seul, pas tout de suite, mais il y avait bien plus à faire à Liscor qu’ici. Elle était en train de se demander si elle pouvait donner une tache simple au squelette, comme rassembler des mouches acides, quand elle entendit la porte s’ouvrir.
 
Le squelette et elle se retournèrent. Erin vit Pion et deux Ouvriers entrer. Elle sourit et leur fit un signe de la main. Le squelette eut une autre réaction. Il ouvrit sa mâchoire et les flammes jumelles dans son crâne s’embrasèrent.
 
« —— ! »
 
Le squelette chargea Pion et les deux Antiniums avec un cri sans mot, à la fois murmuré et hurlé. C’était un son qui ressemblait à quelqu’un qui soupirait, mais en bien plus fort.
 
Pion et les deux Ouvriers se figèrent, incertain. Ils reculèrent l’un dans l’autre, mais ils étaient trop larges pour se glisser à travers la porte. Le squelette bondit vers eux…
 
« Hey ! »
 
Le poing d’Erin toucha la tête du squelette et décrocha son crâne du reste de son corps. Pion et les Ouvriers s’arrêtèrent. Le squelette bougea les bras de manière désordonnée, avant de s’arrêter.
 
Sa tête roula sous une table. Le corps du squelette semblait savoir où elle était. Erin le regarda mettre le bazar en se dirigeant vers sa tête, renversant des chaises et se cognant contre des tables.
 
Le squelette ramassa sa tête et la replaça sur sa tête. La lumière réapparu dans ses orbites et il regarda Erin.
 
« Pas bien ! »
 
Erin ne savait pas pourquoi elle parlait à un squelette comme s’il était un chien. Elle le pointa du doigt.
 
« Tu ne les attaques pas. Compris ? »
 
Le squelette hésita et hocha la tête. La lumière dans ses yeux diminua. Erin le regarda pendant une seconde avant de se tourner vers Pion.
 
« Désolé pour ça. J’ai, heu, un problème de squelette. »
 
Pion inclina sa tête.
 
« Je ne suis pas offensé, Erin. Et je te remercie de nous avoir protégés. »
 
Les deux Ouvriers la saluèrent aussi de la tête et Erin secoua ses mains.
 
« Non, c’est ma faute. Je viens juste de recevoir ce truc squelette et je… Désolé. Mais rentrez. »
 
Elle se décala de manière gênée pour laisser entrer Pion et les autres Ouvriers dans l’auberge. Ils jetèrent un coup d’œil au squelette qui était toujours en train de les observer. Erin s’approcha de lui et tapa son doigt sur le squelette jusqu’à ce qu’il s’éloigne.
 
« Comment je peux vous aider les gars ? »
 
« Nous sommes venus pour jouer aux échecs si tu le veux bien, Erin Solstice. Nous aimerons aussi acheter des mouches pour les consommer. »
 
« D’accord. Pas de problème ! »
 
Erin se dirigea vers la cuisine et s’arrêta. Elle pointa le squelette du doigt.
 
« Restes. Ici. Ne fais rien. »
 
Quand elle retourna dans la salle commune avec un bol rempli de mouches mortes et du jus bleu, les Antiniums avaient déjà choisi une table et installé un échiquier. Erin s’assit avec eux et commença à jouer contre Pion. Ce fut une partie rapide, vu qu’il avait essayé de nouveaux coups qui avaient échoués de manière spectaculaire. Mais Erin l’aida en lui montra de meilleure manière d’attaquer l’ennemi avec son cavalier et les deux autres Ouvriers la défièrent un à un.
 
Elle discuta avec Pion tout en continuant de jouer.
 
« Qu’est-ce qui se passe chez les Antiniums ? Est-ce que vous aussi êtes déranger par tous les humains dans la ville ? »
 
Pion secoua la tête, regardant Erin commencer à amasser les pièces des ouvriers une à une.
 
« Nous travaillons. Nous vivons. Nous mourrons. Tout reste inchangé chez les Ouvriers, Erin Solstice. Mais nous entendons des… Choses. Quelque chose se passe en dessous. »
 
« En dessous ? Tu veux dire là où la Reine vit ? »
 
Pion hésita. Les deux Ouvriers levèrent la tête pour le regarder avant de baisser les yeux vers l’échiquier.
 
« Oui. Notre Reine agit. Elle est en train de faire… Quelque chose. Nous ne savons pas ce que c’est, mais nous le ressentons. Et il y a un autre Prognugator. »
 
La main d’Erin se figea au-dessus d’une pièce. Puis elle la bougea.
 
« Vraiment ? Un autre ? Ce Prog… Ce type, il a repris le boulot de Klbkch ? »
 
« Oui. Il garde la Colonie et observe. Mais aucun Ouvrier ne l’a encore vu. Il marche seul. »
 
« D’accord. Hum. D’accord. »
 
Distraite, Erin perdit un cavalier avant de se reconcentrer. Elle écrasa rapidement les deux Ouvriers avant de soupirer.
 
« D’accord. C’était une bonne partie, les gars. Vous vous améliorez. »
 
Pion hocha la tête.
 
« Nous gagnons rapidement des niveaux. Il est rare pour les Ouvriers de gagner un niveau. Nous te sommes endettés, Erin Solstice. »
 
« Vraiment ? Je ne fais pas grand-chose. »
 
« Tu enseignes. Tu aides. Tu es attentionnée. Nous savons et nous apprenons de toi sur comment être humain. »
 
Elle fit un sourire dépourvu de joie.
 
« Être humain n’est pas si bien que ça. Mais je suis contente de savoir que j’aide un peu. »
 
Elle eut soudainement une idée. Elle lança un regard de côté à Pion.
 
« Et peut-être que tu pourrais m’aider ? J’aimerai t’engager toi et les autres Ouvriers, si tu as le temps. Je sais que c’est ton jour de congé, mais… »
 
Pion secoua la tête.
 
« Nous serons heureux de t’aider. Que désires-tu ? »
 
« Des toilettes. »
 
Pion pencha la tête.
 
« Des toilettes ? »
 
Erin essaya d’expliquer en pointant à l’extérieur.
 
« Là j’ai… Je dois creuser un trou. Ce qui n’est pas fun. Je ne sais pas si les Antiniums vont aux toilettes, mais nous les humains nous aimons avoir un bon siège de toilette. »
 
« Un siège de toilette ? »
 
« … Laisse tombé. Comment les Antiniums, heu, excrètent ? Est-ce que vous avez quelque chose ressemblait à des toilettes ? »
 
« Nous avons une zone commune où les eaux usées sont accumulées. Nous recyclons les produits de ce genre dans la Colonie. »
 
« Ah. Heu. Les humains ne font pas ça. Jamais. Et j’aimerais vraiment avoir des toilettes. Rien de formidable. »
 
Pion et les deux Ouvriers hochèrent la tête.
 
« Nous sommes familiers avec la construction de ce genre de bâtiment. Cela serait une tâche simple de t’en construire un. »
 
« Oh. C’est… Bien. J’ai un peu de bois avec des clous et des trucs du genre au fond. Je peux vous en fournir plus si vous voulez. Est-ce que vous avez, hum, besoin de quelque chose en particulier ? »
 
« Nous sommes Antinium. Construire est dans notre nature. »
 
Parfois il était vraiment difficile de faire tourner la conversation avec Pion. Erin racla sa gorge de manière maladroite.
 
« Et combien je vous devrai ? »
 
Pion hésita.
 
« Nous ne souhaitons pas te faire payer pour notre service. »
 
Erin était de nouveau incertaine de ce qu’il fallait dire. Elle y réfléchit pensa pendant un moment.
 
« Tu sais quoi… Je donnerai gratuitement à manger à toi et à tes amis pour le reste de la semaine si tu me construis des toilettes. »
 
Vu qu’il y avait encore quatre jours restant dans la semaine, Erin pensa que c’était une offre correcte. Pion semblait penser la même chose, car il hocha la tête.
 
« Nous agréons. Nous allons commencer tout de suite. »
 
Les trois Antiniums se levèrent d’un seul mouvement et marchèrent jusqu’à la porte. Erin se leva, avant de s’en souvenir. Elle tourna la tête et vit que le squelette se tenait là où elle l’avait laissé.
 
« Quant à toi… »
 
Erin regarda le squelette, qui ne broncha pas.
 
« N’attaque pas mes clients, compris ? Pas sans qu’ils m’attaquent ou qu’ils font quelque chose de dangereux. Sinon, je dirai aux Ouvriers de te balancer dans la fosse et de t’y enterrer. Compris ? »
 
Le squelette hocha faiblement la tête. Erin se retourna.
 
« D’accord, commençons à travailler. Essaye de ne pas nous déranger. »
 
***

Qu’importe le nombre de fois qu’Erin le voyait, elle était toujours impressionnée par l’efficacité des Antiniums quand ils faisaient… N’importe quoi, en fait. Dès qu’elle avait choisi un bon coin pour les cabinets extérieurs, juste un peu plus loin de l’auberge et là où le vent ne ferait pas tourner l’odeur dans sa direction, ils commencèrent immédiatement à creuser et à poser les fondations du cabinet.
 
Heureusement, Erin avait encore pas mal de bois de côté. Et Pion connaissait un bon endroit où acheter du bois de qualité, donc elle leur donna de l’argent et les laissa partir. Elle avait peut-être [Artisanat Élémentaire] comme compétence, mais cela ne voulait pas forcément dire qu’elle était douée pour construire des trucs. Un cabinet extérieur était un peu en dehors de ses capacités.
 
Et apparemment, les Antiniums n’avaient pas besoin de Compétences, ou du moins pas pour quelque chose du genre. Ils étaient juste doués pour construire des trucs, et leurs corps étaient naturellement adaptés pour des tâches comme creuser ou construire. Quatre bras étaient mieux que deux.
 
Le cabinet était quelque chose de simple, du moins selon les standards modernes. Un bâtiment de bois solide qui se tenait droit, protégeant le seul occupant de la météo et des yeux curieux alors qu’une petite fosse attrapait ce qui passait à travers le trou des toilettes. C’était fonctionnel, solide, et ce dont Erin avait besoin en ce moment.
 
Cela les occupa toute la journée, mais Erin supposa que les Ouvriers n’avait pas à être rapide. Tout de même, est-ce que construire un cabinet à partir de rien était vraiment difficile ? Pion et les Ouvriers continuaient de parler d’une fondation quand elle leur apporta des mouches acides comme casse-croûte.
 
Le squelette trottina autour, poussant de la terre hors du chemin pour aider les Antiniums, remplissant les seaux d’Erin d’eau, et vérifiant les pièges à mouche acide. Elle dut tout lui expliquer la première fois, ce qui avait été une véritable corvée, mais une fois cela fait le squelette se souvenait comment faire.
 
Erin devait admettre, à contrecœur, que le squelette était sacrément pratique. Il était efficace, il ne s’arrêtait pas pour prendre une pause et ne se plaignait pas comme un certain humain. Grace à lui, son auberge était complétement prête quand le soleil commença à se coucher et que le rush de la soirée commença.
 
Aujourd’hui Loks et huit Gobelins visitèrent l’auberge d’Erin. Puis Pisces arriva, apportant sa suffisance, les Antiniums arrivèrent pour annoncer qu’ils avaient terminé le cabinet, et Scruta apparut de nulle part.
 
C’était une foule record qui était assise dans l’Auberge Vagabonde. Ils occupaient à peine plus d’un cinquième de la salle commune, même s’il était difficile de s’en rendre compte, vu comment ils étaient éparpillés.
 
Ce n’était pas surprenant. Les Gobelins avaient beau de pas avoir peur d’Erin, mais Pisces n’était qu’un autre humain pour eux et Scruta était une mauvaise nouvelle ambulante. Ils restèrent loin d’elle et du squelette. Erin avait pensé qu’ils allaient tous prendre la fuite quand le squelette leur avait ouvert la porte, mais Loks les avait empêchés de fuir vers les collines.
 
La réaction des Gobelins avait été normale. Pisces n’avait, bien sûr, pas été surpris par le squelette, et les Antiniums traitaient le squelette avec une certaine méfiance. Quand Scruta avait vu le squelette elle avait juste cligné son immense œil et froncer son sourcil sans faire de commentaire. Maintenant, elle continuait de regarder entre le squelette et Pisces en mangeant, mais elle n’engagea pas directement le [Nécromancien] pour discuter.
 
Donc tous les clients d’Erin se tenaient dans leurs propres bulles. Les Antiniums jouaient aux échecs, Pisces avalait sa nourriture, Scruta observait, les Gobelins mangeaient et parlaient entre eux et personne ne se mélangeaient aux autres.
 
Mais tous parlaient à Erin. Ou du moins, les Gobelins grognaient et Loks hochait la tête quand Erin parlait. Mais tout le monde lui parlait.
 
« J’ai remarqué ton nouveau bâtiment. Je suppose que cela fait office de toilette ? »
 
Erin sourit à Scruta et pointa Pion et les autres Ouvriers du doigt.
 
« Ouaip. Ils l’ont monté aujourd’hui. C’est super, pas vrai. Maintenant je n’ai plus à squatter dans l’herbe. Ahem. »
 
Scruta sourit alors qu’Erin toussa légèrement en rougissant.
 
« C’est pratique. Même si je te préviens qu’entretenir un tel endroit peut être difficile. Tu as bien fait de la construire loin de ton auberge et loin d’un point d’eau. »
 
Erin hocha la tête.
 
« Pion m’a parlé de tous les problèmes que des toilettes extérieures peuvent causer. Ils sentent et attirent les mouches. Mais je pense que je peux résoudre ce problème avec l’aide du plus grand liquide de nettoyage du monde. »
 
Scruta leva son sourcil, souriant légèrement.
 
« Et qu’est-ce que c’est ? »
 
« De l’acide. J’ai en plus que nécessaire, et ça mange à travers tout ce qui n’est pas de la pierre, du métal ou du verre très rapidement. Je jette un peu de ça tous les matins et voilà ! Problème résolu ! »
 
Scruta cligna de nouveau de l’œil. Depuis sa table, Pisces regarda vers elle et secoua la tête.
 
« Une nouvelle fois, ta fascination avec une substance aussi dangereuse est alarmante dans le meilleur des cas, Mademoiselle Solstice. J’espère que tu as au moins quelques potions de soin prête pour le jour où tu vas te verser de l’acide dessus. »
 
Erin le regarda.
 
« Je ne suis pas celle qui va porter l’acide. C’est trop dangereux. Il va le faire à ma place. »
 
Erin pointa le squelette du doigt alors que ce dernier arriva avec un autre panier de fruits bleus. Elle désigna la cuisine du doigt et il s’y engouffra rapidement.
 
Pisces regarda le squelette de manière incrédule.
 
« Es-tu… En train de lui faire ramasser des fruits ? Et tu veux lui faire nettoyer tes toilettes ? Tu réalises qu’il est là pour ta protection, n’est-ce pas ? »
 
« Bien sûr, bien sûr. Mais il est plus pratique en aidant l’auberge. »
 
Pisces grimaça en direction d’Erin alors qu’elle fit un tour pour une seconde tournée de jus fruits bleus.
 
« C’est un squelette guerrier, fait pour le combat ! »
 
Elle lui rendit son regard et remplit son verre d’eau.
 
« Il est plus faible que moi ! Je lui ai mis un coup de poing ce matin et sa tête s’est détachée ! »
 
Pisces rougit et fit ce qu’Erin identifia comme son expression de pré-boudage.
 
« Ma création est une œuvre d’art, mais elle doit d’abord grandir dans son potentiel. Elle n’est pas à utiliser pour des travaux manuels. »
 
Erin leva les yeux au ciel.
 
« Les travaux manuels sont tout ce dont pourquoi il est bon. Si je l’envoie essayer de tuer un de ces Crabroches il se fera écraser en un instant. Tu es un champion des [Nécromanciens], pas vrai ? Tu ne devrais pas être capable de lever un squelette de Niveau 15 ou un truc du genre ? »
 
Pisces secoua la tête.
 
« Je pourrai certainement créer des morts-vivants plus forts, ne comprends-tu pas l’importance de ce squelette ? »
 
« Non. Il est vraiment si spécial que ça ? »
 
Il cligna des yeux en la regardant.
 
« Ah. En effet, il l’est. »
 
Scruta parla. Son œil si dirigea vers le squelette, qui s’arrêta alors qu’il s’apprêtait à apporter des bols de mouches acides pour les Antiniums. Elle murmura dans sa boisson.
 
« Un [Guerrier Squelette] de Niveau 1. »
 
Pisces hocha la tête. Scruta cligna de l’œil en sa direction et inclina son verre vers lui dans une sorte de reconnaissance. Erin ne comprenait pas, mais Pisces semblait soudainement incroyablement content de soi.
 
« D’accord. Il est bien. Mais j’aimerais qu’il soit plus fort. »
 
Elle grommela en traversant la pièce, remplissant des verres avec son pichet. Scruta arrêta Erin et lui murmura quelque chose lorsqu’elle passa à sa table.
 
« Mais qui est ce [Nécromancien], exactement ? »
 
« Pisces ? »
 
Erin lança un regard à Pisces. Il était en train de sourire à son squelette alors que ce dernier faisait des va et vient dans la pièce.
 
« Oh, il est juste un type bizarre que j’ai rencontré il n’y a pas longtemps. Il est… Enfin, je suppose qu’il est un bon mage. Il fait ses trucs de nécromancien, mais le squelette est la première chose mort-vivante que je l’ai vu faire. Il fait aussi d’autres sorts. Pourquoi ? »
 
Scruta regarda Pisces et son œil s’éloigna quand il regarda dans sa direction. Elle lui hocha la tête de manière imperceptible alors qu’Erin remplissait de nouveau son verre.
 
« Il est… Talentueux. »
 
« Oh. »
 
Scruta hocha la tête. Après un certain moment Erin hocha les épaules et s’éloigna. Qu’est-ce que tu étais sensé répondre à ça ?
 
***

 
Une heure venait de passer, et Erin était en train de continuer de tenir l’auberge alors que les clients mangeaient, parlaient et, occasionnellement, utilisaient les nouvelles toilettes. Scruta ne bougea presque pas de son siège, mais son œil central continua de suivre Pisces et son squelette.
 
Puis, alors que le soleil commençait à disparaître derrière les montages et que la lumière se faisait de plus en plus faible, l’œil principal de Scruta tourna vers l’une des fenêtres. Elle tapa ses lèvres et sourit de nouveau.
 
Erin remarqua la Semi-Scruteur se leva et laisser des pièces sur la table. Scruta hocha la tête en sa direction alors qu’Erin s’approcha.
 
« Excuse-moi Erin, mais je dois m’occuper de quelques affaires. Je serais de retour sous peu. »
 
« Oh, d’accord. Amuse-toi ? »
 
Scruta sourit et s’en alla rapidement. Erin haussa les épaules et retourna à son service. Environ dix minutes plus tard, elle entendit quelqu’un frapper à sa porte.
 
« Entrez ! »
 
La porte s’ouvrit. Erin se retourna avec un sourire.
 
« Hey, bienvenue ! »
L’aventurier humain qui venait d’ouvrir la porte lui fit un grand sourire.
 
« Merci. Mes amis et moi sommes à la recherche d’un endroit ou rester et… »
 
Il vit Loks et les Gobelins en premier. L’aventurier jura et s’empara de son épée.
 
« Des Gobelins »
 
L’estomac d’Erin se retourna. L’aventurier recula et ses deux compagnons, deux aventuriers bourrus en armure, dégainèrent immédiatement leurs armes. Loks et son gang levèrent les yeux, soudainement tendus. Pion et les Ouvriers se figèrent lors de leur partie. Pisces avait déjà disparu.
 
« Non, non, attendez ! Ne faites rien ! »
 
Laissant tomber son pichet de jus sur la table, Erin courut pour se mettre entre les aventuriers et les Gobelins.
 
« Ils sont amicaux ! N’attaquez pas ! »
 
Le premier aventurier la dévisagea. Il portait un casque en métal qui donnait un aspect de pot à sa tête.
 
« Mais tu es folle ou quoi ? Ce sont des Gobelins ! »
 
Ses deux amis bougèrent derrière lui. L’un d’entre eux s’exclama lorsqu’il vit Pion et les Ouvriers.
 
« Ce sont les insectes ! Et… Un squelette ? »
 
Le premier aventurier était blanc comme un linge, il était difficile de dire si c’était de rage ou de peur. Erin le regarda, sa main serrant le pommeau de son épée.
 
« Qu’est-ce qui se passe ici ? »
 
« Ecoutez, que tout le monde respire un coup! Du calme ! Ces Gobelins sont pacifiques. Vous n’avez pas lu le signe… ? »
 
Le troisième aventurier, un immense homme qui faisait une bonne tête de plus que les deux autres, devint rouge. Il grogna en direction de Loks et de ses Gobelins, qui étaient tous debout, l’arme au clair.
 
« La ferme ! Ces créatures ne sont pas pacifiques. Ce sont des monstres ! J’ai perdu de bons amis à cause d’eux ! »
 
Il s’apprêta à dégainer sa hache. Erin attrapa sa main.
 
« Non, attends, laisse-moi… »
 
« Dégage ! »
 
L’aventurier bourru rugit et envoya valser Erin. Il la repoussa et Erin s’écrasa dans une table. Elle cligna des yeux de manière stupide en regardant le plafond alors que le monde tourna pendant un moment. Du coin de ses yeux, elle vit un mouvement aussi rapide que l’éclair.
 
Les aventuriers étaient en train de bouger vers les Gobelins, les armes aux clairs, quand le squelette sauta par-dessus une table, chargeant le premier aventurier et s’écrasant contre lui. Le guerrier squelette n’était pas armé, mais il leva un poing squelettique et l’enfonça dans le visage de l’aventurier.
 
La protection en métal du casque arrêta le coup, mais il ne pouvait pas protéger l’homme de se faire renverser lorsque le squelette le percuta. Le mort vivant donna un coup de pied et l’épée vola hors des mains de l’homme. Il jura alors que les deux autres aventuriers se dispersèrent. L’un de ses amis tira soudainement son épée, mais soudainement Loks et les autres Gobelins étaient sur lui.
 
Le grand aventurier rugit et leva sa hache, mais Erin le percuta. Elle tenta de tirer son bras vers le bas, mais c’était comme tiré sur une pièce de granite. Il la frappa dans les côtes, et Erin tomba. Ca faisait mal. Pas aussi mal que de se faire poignarder, mais elle ne pouvait plus respirer. Il montra les dents en la regardant, et puis Pion était devant lui. L’Antinium fit voler ses deux poings gauches et l’aventurier recula.
 
L’aventurier au sol jura et donna un coup vers le squelette, essayant de se relever. Le squelette se recula alors que l’aventurier donna des coups hasardeux. Donner des coups de poings sur le côté de la tête de l’homme ne faisait pas grand-chose. Mais le squelette frappait, et frappait et frappait.
 
L’aventurier au casque attrapa le pied du squelette et l’envoya en l’air. Il grogna et se releva alors que le squelette tomba à la renverse. Puis il s’empara de son épée.
 
Sa main venait de se fermer autour du pommeau de son épée quand Erin alla jusqu’à lui et lui donna un coup de pied sur sa tempe. Il retomba au sol, bien plus lourdement que lorsque le squelette l’avait frappé.
 
Elle regarda autour d’elle. Le deuxième homme était en train de se battre contre les Gobelins, donnant des coups d’épée alors qu’ils dansaient autour de des tables et des chaises. Il n’avait pas assez d’espace pour faire de grands mouvements, mais les Gobelins avaient plus de liberté. Ils bondirent sur lui, lui coupant les jambes, le frappant avec des massues, lançant des assiettes à son visage…
 
Un Ouvrier s’écrasa dans une table proche d’Erin. Il resta sur le dos, sonné, avant de se relever. Elle regarda dans sa direction. Le grand aventurier était en train de se battre contre les trois Antiniums qui l’encerclaient.
 
Il donna un coup vers Pion, mais Pion attrapa ses deux poings avant de le frapper avec deux autres poings. Le grand aventurier cligna des yeux, avant de repousser l’Antinium. Pion fit un vol plané, mais les deux autres Ouvriers prirent le relai. Il les rossa de coup de poings, mais ce que les Antiniums manquaient en puissance, ils le comblaient en durabilité.
 
C’était le foutoir. Erin ne savait pas quoi faire, mais quand l’un des aventuriers attrapa Loks et la jeta au sol, elle bougea. Il écrasa son estomac alors que la Gobeline hurla d’agonie. Erin leva le poing, et puis le squelette écrasa une chaise à l’arrière du crâne de l’aventurier.
 
Il s’effondra. Il ne restait plus que le plus grand des aventuriers, mais il était capable de gérer tous ceux qui voulaient l’attaquer. Il frappa l’un des Ouvriers si forts que la carapace de l’Antinium craqua, et mit un coup de poing au squelette pour l’envoyer valser au sol avant de donner un coup de pied dans le torse du mort-vivant. Deux côtes se brisèrent alors que les Gobelins se ruèrent sur l’homme.
 
Erin hésita, avant de courir dans la cuisine. Elle sortit avec un lourd objet entre les mains, juste à temps pour voir le squelette s’écraser dans une autre table, avec une hache dans le torse.
 
Le plus grand des aventuriers donna un coup de pied dans un Gobelin qui s’écrasa contre un mur plusieurs mètres plus loin. Fit un revers de main à Pion avant de grogner. Il se retourna, et la poêle à frire s’écrasa en plein milieu de son front. Erin avait l’impression qu’elle s’était déboitée l’épaule avec ce lancer, mais sa compétence avait envoyé la poêle là où elle voulait qu’elle aille.
 
Le combat était terminé. Erin devait encore rappeler le squelette et empêcher Loks et les Gobelins de poignarder les aventuriers au sol. Le squelette était en train de d’essayer de piétiner la tête de l’homme avec le casque alors que Pion et les deux autres Ouvriers étaient en train de vérifier leurs blessures.
 
Erin regarda autour de son auberge. Elle regarda le squelette, avec une hache coincée dans ses côtes brisées, les Gobelins blessés, le trio d’aventuriers au sol, Pion et les Ouvriers blessés, et puis sa salle commune. La moitié des tables et des chaises étaient réduites en miette, impossible à sauver, et toute la nourriture et la vaisselle avait été éparpillée dans la salle.
 
Elle avait envie de pleurer. Mais le premier des aventuriers était en train de se réveiller. Erin regarda l’homme gémissant au sol et pointa le squelette du doigt.
 
« Toi. Seau. »
 
Il hésita, avant de marcher dans la cuisine. Erin regarda autour d’elle, marcha jusqu’à sa poêle, en s’en empara.
 
***

Le jet d’eau froide réveilla les trois hommes d’un seul coup. Ils bredouillèrent, de nouveau dans le monde des vivants, haletant, avant de se rendre compte qu’ils n’étaient pas en train de se noyer. À la place, ils se trouvaient sur le parquet d’une auberge.
 
Les trois aventuriers levèrent les yeux pour voir le visage de la justice. Dans leurs cas, c’était l’arrière d’une poêle à frire. Erin se tenait au-dessus d’eux, flanquée par un groupe de Gobelin à sa gauche, et un squelette et trois terrifiantes monstres fourmis connues sous le nom d’Antinium à sa droite.
 
« Vous avez bousillé mon auberge. »
 
Erin toisa les trois hommes. Elle était en train de trembler. À moitié à cause du stress, et l’autre moitié à cause de sa rage.
 
« Tu… »
 
L’aventurier au casque hésita. Il lutta pour se relever, cherchant son épée. Il la vit dans les mains du squelette et pointa un doigt tremblant vers lui, reculant alors que ses deux amis se relevèrent.
 
« C’est quoi ce genre d’auberge ? C’est plein de monstres ! »
 
« Ce ne sont pas des monstres ! Ces Gobelins sont mes invités, et personne ne leur fait du mal ici ! Vous n’avez pas lu le signe ? »
 
Le plus grand des aventuriers tituba debout. Ses poings étaient serrés et il était en train de rougir jusqu’au cou. Loks et les autres Gobelins s’éloignèrent de lui, mais Erin vit Loks sortir une jarre pleine de liquide vert. Elle secoua sa tête en direction de la Gobeline.
 
« Tu es folle ! Espèce de… De tordue ! Tu nourris des monstres qui tuent des humains ! Et tu nourris des insectes et un monstre mort-vivant. Nous allons brûler cet endroit et te livrer à la Garde ! »
 
« Brûler mon auberge ? Je ne pense pas, non. »
 
Erin resserra son emprise sur le manche de sa poêle à frire. Les Antiniums bougèrent derrière elle et les deux plus petits aventuriers firent un pas en arrière.
 
« Salope ! »
 
Le grand aventurier hurla sur Erin. Sa salive était presque en train de recouvrir le squelette s’interposant entre lui et Erin.
 
« Ce n’est pas terminé ! On va ramener tous les aventuriers de la ville et revenir. Puis on va voir si tu veux toujours protéger ces monstres ! »
 
« Je ne pense pas que cela arrivera. »
 
Quelqu’un tapa sur l’épaule du grand aventurier. Il se retourna, donna un coup de poing, et manqua d’hurler alors qu’une poigne d’acier attrapa son poignet.
 
Scruta l’Omnisciente regarda l’aventurier qu’elle avait attrapé avec le même regard qu’un entomologiste étudiait un insecte qu’il avait attrapé dans son jardin. Elle repoussa la main de l’aventurier d’une pichenette désintéressé avant de se tourner vers Erin avec un sourire.
 
« Erin Solstice. Tu es pleine de surprises. »
 
Erin cligna des yeux.
 
« Oh. Scruta. »
 
Les deux aventuriers derrière le grand homme réagirent au nom du Scruteur, et à son œil, mais le dernier d’entre eux était toujours aveuglé par sa rage.
 
« Si tu comptes protéger cette salo… »
 
Scruta ne bougea pas. Elle ne bougea pas, mais son œil trésaillit. La pupille jaune sembla s’agrandit et briller pendant un instant et Erin se sentait mal à l’aise. Scruta était immédiatement, et sans aucune raison, absolument terrifiante. Et elle n’était même pas en train de regarder Erin. L’effet sur les aventuriers, surtout sur le grand homme, fût immédiat. Ils tremblèrent, pâlirent, et s’éloignèrent d’elle.
 
« Personne n’attaquera cette auberge. Ou je vous retrouverai et que vous ferai souffrir. Maintenant, vous allez tous partir. »
 
L’aventurier au casque frissonna, ses yeux se dirigèrent vers l’épée qui se trouvait toujours dans les mains du squelette.
 
« Mais… »
 
L’œil de Scruta tourna et sa large pupille jaune fixa le visage de l’aventurier, et les mots s’arrêtèrent.
 
« Hors de ma vue. »
 
L’aventurier regarda une dernière seconde le large œil de Scruta et manqua de se pisser dessus.  Il se tourna et courut avec ses deux amis au moment au Scruta se tourna et sourit à Erin.
 
« Je suis heureuse que tu ne sois pas blessée. »
 
« Quoi ? »
 
Erin cligna des yeux de manière stupide en regardant Scruta, avant de réaliser qu’elle tenait toujours sa poêle à frire. Elle la déposa sur la table, légèrement gênée.
 
« Hum, merci. Vraiment. Tu viens de tous nous sauver. »
 
Scruta agita sa main de manière dédaigneuse.
 
« Je les ai simplement empêchés de causer plus de problèmes. Mais tu te serais occupé d’eux de manière admirable si je n’avais pas été là. »
 
Ses plus petits yeux observèrent la pièce.
 
« Tout de même, je vois qu’ils ont causé beaucoup de dégâts. Je m’excuse. J’aurai dût les forcer à te payer les réparations. »
 
« Oh, ce n’est rien… »
 
Erin s’arrêta. Loks boita jusqu’à elle, tenant son estomac, et tapa son doigt dans son flan. Le Gobelin offrit un sac de pièce à Erin.
 
« Oh. Oups ? »
 
Loks hocha les épaules en direction d’Erin avant de grimacer. Elle serra son estomac, là où l’aventurier l’avait écrasé. Erin oublia aussitôt l’argent et se mit à genou, regardant anxieusement la Gobeline.
 
« Est-ce que tu vas bien. J’ai quelques potions de soins que je peux parta… »
 
Loks secoua la tête. Se tenant les côtes, elle tira quelque chose de sa bourse. Une potion de soin. La Gobeline retira le bouchon et but une gorgée du liquide violet et saumâtre.
 
Erin était certaine que les Gobelin n’avait pas leur propres potions de soin. Elle était aussi certaine que ce n’était pas l’une de ses potions, ou une potion de Scruta. Elle regarda en direction des autres Gobelins et vit qu’ils faisaient la même chose avec quelques autres potions de soin. Elle savait exactement d’où elle provenait.
 
Les aventuriers étaient venus avec des bourses, et des sacs à dos avec leurs armures et leurs armes. Et même s’ils étaient partis avec leurs armures, il semblait que quelqu’un avait coupé leurs bourses et leurs sacs de potion de soin lorsqu’ils étaient au sol. Les Gobelins se chamaillaient déjà sur le butin.
 
Erin avait l’impression qu’elle allait se faire blâmer pour la majorité de… Pour la totalité de cette affaire. Mais en ce moment, et en regardant les blessés de son auberge, elle s’en fichait.
 
« Tiens. »
 
Elle redressa une table, et fit s’asseoir Pion et les Ouvriers. Erin trouva quelques bandages dans ses sacs, aida à retirer la hache de la cage thoracique du squelette, et laissa Pisces travailler sur le squelette. Elle était si occupée à prêter attention à ses amis, les remerciant et leur offrant un second repas, qu’elle ne remarqua pas l’absence de Scruta lorsque cette dernière quitta l’auberge.
 
***

Scruta l’Omnisciente fit la route retour vers Liscor, le sol flou sous ses pieds. Elle n’avait pas d’autre affaire a réalisée à l’Auberge Vagabonde en ce moment. Erin Solstice était trop occupée à soigner ses clients pour une conversation, et elle avait vu tout ce dont elle avait besoin.
 
Encore plus important, elle en avait trouvé un. Enfin, elle en avait trouvé un. Et pas qu’un.
 
« Deux. »
 
Elle sourit pour elle-même. Elle avait cherché en long et en large pour des individus dignes de réveiller son lord et seigneur. Durant des années. Et elle avait désespéré. Mais maintenant elle en avait trouvé un. Non pas un, mais deux.
 
« Une mystérieuse enfant avec une compétence unique et un mage qui peut créer de nouveaux morts-vivants. »
 
Erin Solstice. Elle était différente de tous les humains que Scruta avait rencontrés, à l’exception d’un seul. Elle avait rencontré qu’un seul autre être capable d’unifier autant de races différentes de la sienne. Et le fait qu’elle avait dût intervenir pour la protéger de sa propre espèce ne la rendait que plus rare aux yeux de la Scruteur.
 
Mais il y avait plus que cela. Les origines d’Erin, sa manière de penser, et oui, même sa compétence d’[Instant Immortel] que Scruta n’avait jamais rencontré auparavant étaient tous unique. Elle était digne. Le mage était aussi digne, mais d’une manière différente. C’était un génie, tout simplement.
 
« Mais elle est différente. »
 
Scruta fronça son sourcil, laissant une unique paupière tomber sur son œil central. Oui, Erin Solstice était différente. Elle passa les portes de la ville, hochant la tête en direction du garde qui la regarda alors qu’elle marcha paresseusement dans les rues.
 
Erin Solstice. Elle était la bonne, et si Scruta devait choisir cela allait être elle. Mais c’était mieux de ne pas avoir à choisir. Il fallait mieux attendre et faire des plans. Scruta pouvait toujours agir maintenant, bien sûr, mais elle si elle voulait bien faire les choses elle devait prendre son temps.
 
Du temps et de la patience étaient deux choses que Scruta n’avait pas, mais elle ne voulait pas ruiner les choses, pas quand elle avait trouvé non pas une, mais deux personnes dignes. Elle se languissait de commencer, mais la patience… La patience était une vertu qu’elle avait appris à pratiquer.
 
Oui, peut-être que c’était mieux d’attendre. Mais elle était venue de loin après des milliers de kilomètres et d’innombrables années. Son Roi sommeillait toujours ; il allait devoir attendre un peu plus longtemps avant de s’éveiller. Ceux qu’elle allait apporter devaient être véritablement digne de son attention.
 
Alors que Scruta marcha dans les rues, elle remarqua qu’elle était suivie. Elle garda son œil principal devant elle, mais ses plus petits yeux pouvaient détecter du mouvement autour d’elle. Des Gnolls. Deux la filaient au loin, prétendant être des clients tardifs et des piétons rentrant chez eux.
 
Ils étaient sans aucun doute envoyés par une certaine marchande Gnolle. Elle les avait sans aucun doute organisé pour suivre Scruta, ignorant probablement la capacité que les Scruteurs avaient de tout voir. Ou peut-être qu’elle le savait et qu’elle laissait Scruta savoir qu’elle était suivit. Dans tous les cas, cela n’avait que peu d’importance. Les Gnolls étaient les moins expérimentés des observateurs de Scruta, mais ils n’étaient pas les seuls qui l’observaient.
 
Mais ce fut leur présence qui décida Scruta. Il y avait tant de choses cachées sous Erin que même ses yeux ne pouvaient pas tout voir. Elle allait attendre. Attendre, et en apprendre plus à propos de cette étrange humaine. Peut-être qu’un autre était digne. Trois étaient mieux que deux.
 
Alors que Scruta passa dans la rue du marché, elle remarqua un infime mouvement. Une petite humaine attrapa plusieurs objets d’une échoppe alors que le vendeur était en train de regarder de l’autre côté. Scruta prétendit de ne pas l’avoir vu, mais l’un de ses petits yeux traqua l’humaine alors qu’elle s’enfuit.
 
La voleuse disparu sous le couvert d’une allée, mais les yeux des Scruta n’étaient pas assez faible pour être arrêtés par de simples objets comme les murs à cette distance. Son grand œil bougea, et elle vit plus que la silhouette de la voleuse. Son nom et sa nature apparurent devant elle. Tel était le pouvoir des yeux de Scruta.
 
Mais dans ce cas, Scruta fut déçu. Elle secoua la tête.
 
« Ah. Ce n’est qu’une [Princesse]. »
 
Elle détourna le regard. Elle n’avait pas de temps à prendre pour la noblesse humaine. D’insignifiants lords et princesses de petites nations ne pouvaient pas soulever l’intérêt de son souverain.
 
Scruta leva son œil. Elle vit les vents changeants à des kilomètres au-dessus d’elle, vit le vent froid souffler à une vitesse que même son œil peinait à suivre. Oui, l’hiver approchait. Et rapidement. Cette région ne connaissait que peu de saison à l’exception de celle des pluies, mais le souffle hivernal allait tout de même geler cette région pendant une semaine au moins. Du temps, alors, pour observer les deux humains.
 
« Oui, du temps. »
 
Les aventuriers avaient été une aubaine. Leurs idioties avait donné à Scruta une idée sur la nature d’Erin. Elle allait s’assurer qu’aucune représaille ne prennent place, du moins pas sous la forme d’une foule, mais elle allait continuer d’observer Erin Solstice.
 
Elle voulait tout savoir sur elle.
 
***

Erin était assise dans son auberge, regardant la pièce récemment nettoyée. La moitié des tables et des chaises étaient désormais du petit bois pour le feu, mais au moins la nourriture renversée et la vaisselle brisée avaient été nettoyées. Elle allait en acheter d’autre chez Krshia demain.
 
Tout le monde était parti. Ils étaient partis en boitant, en marchant vers la ville, ou dans le cas de Pisces, en faisant un numéro de disparition. Ils étaient partis, et Erin était seule.
 
Avec le squelette, bien sûr.
 
Il était entièrement réparé et en train de balayer de la poussière. Erin le regarda travailler. Il s’arrêta, leva les yeux, et la vit en train de le regarder.
 
« Ouais. Toi non plus tu n’aimes pas ça, hein ? »
 
Après un moment le squelette recommença à travailler. Il se leva, pelle à poussière en main et marcha dehors pour jeter la poussière. Puis il entra de nouveau et se tint prêt à intervenir de nouveau, en regardant Erin.
 
Elle soupira, le squelette la regarda en attendant un ordre.
 
« Les squelettes. Tu sais,  je détestais les cours de biologie à l’école. Le squelette dans la classe me fichait les jetons, et celui-là ne bougeait pas tout le temps. »
 
Pas de réponse. Enfin, Erin y était habituée.
 
« Je n’aime pas les choses mortes. Et je ne te fais pas vraiment confiance. »
 
La lumière dans les yeux du squelette baissa légèrement, Erin soupira de nouveau.
 
« Mais. Je suppose que tu es ok. »
 
Les étincelles dans les yeux de squelettes s’allumèrent, Erin hocha la tête pour elle-même.
 
« Je vais te garder après tout. Tu es utile, et tu peux te battre. D’une certaine manière. Ne fais rien de stupide, d’accord ? »
 
Après une seconde, le squelette hocha la tête.
 
« C’est cool. Maintenant je suppose… Je suppose qu’il te faut un nom ? »
 
Pas de réponse. Mais le squelette semblait attendre quelque chose. Erin se gratta la tête. Elle avait vraiment besoin de dormir, mais c’était important.
 
« Qu’est-ce qui est un bon nom pour un squelette. Papyrus... ? Nah, t’es pas assez cool pour ça. »
 
Le squelette ne réagit pas. Erin pencha la tête, concentrée sur la question. Elle fit claquer des doigts.
 
« Je suppose que je vais t’appeler Clatter. Non… Claptrap ! Mais même toi tu n’es pas aussi agaçant que ce… Truc. »
 
Erin se gratta de nouveau la tête et commença à faire des rondes dans la pièce. Les yeux bleus et enflammés du squelette la suivirent dans la pièce alors qu’elle commença à jeter des noms au hasard.
 
« M.Os ? Trop simple. Pourquoi pas Carnage ? Mais ça sonne horrible. Steve le Silencieux… ? Non. Smitty Werbenjagermanjensen ? Trop long. »
 
Après un certain temps le squelette se retourna et marcha à l’étage. Il commença à nettoyer une décennie de saleté agglutiné sur le plafond en entendant Erin se parler à elle-même un étage en dessous.
 
« Pourquoi pas Napoleon ? Mais tu n’es pas petit. Skeletron ? Mais je vais me tromper. Paul Hendrickson Cinquième du nom ? Blanchot ? Attends, est-ce que c’est raciste ? »
 
Le squelette étouffa volontairement la voix d’Erin dans sa tête, du moins le plus possible. Il nettoya le plafond avec le fragment de chiffon avec force, souhaitant, autant qu’il pouvait souhaiter, qu’il était en train de tenir une arme à la place. Erin lui avait fait déposer la hache et l’épée dans la cuisine lorsqu’elle avait nettoyé.
 
Il n’avait pas de volonté. Les squelettes n’étaient pas censés avoir une volonté propre. Mais ils n’étaient pas supposés monter de niveaux non plus, et ce [Guerrier Squelette] était désormais au Niveau 2. Il ne savait pas comment se sentir à ce sujet. Il n’avait qu’une seule fonction : servir. Si gagner des niveaux lui permettait de mieux réaliser cette tâche, alors il allait gagner des niveaux.
 
Il souhaitait juste qu’Erin se taise.
 
« Osangle. Ossorama. Tête d’Os. Friedman? Tape Vertèbre. Harambe. Jack? Jack Sparrow? Jack Skellington? M.Squelette? Tête de Smiley? »
 
Une pause. Le squelette ne laissa pas échapper un soupir de soulagement.
 
« …Mike ? »
 
[Aubergiste Niveau 13 !]
 
[Compétence – Voix de Stentor obtenue !]

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #49 le: 29 avril 2020 à 13:46:39 »
1.09 R
Traduit par EllieVia

“Éveille-toi, humaine.”

J’ai déjà eu pas mal de réveil à travers les années. Quand j’étais petite, mes parents m’en avait donné un à l’ancienne* que je devais rembobiner tous les soirs pour qu’il ne s’éteigne pas. Dès que je l’ai pu, je suis passée aux réveils digitaux, puis à mon iPhone.

*Vintage, pour les hipsters. Et si c’est ton cas, inutile de m’adresser la parole.

J’aime me lever tôt pour aller courir - et donc avec l’âge, mes alarmes sont devenues de plus en plus fortes. J’ai dû acheter le réveil dans ma chambre parce que mon iPhone n’était pas assez puissant pour me réveiller. Je pouvais réveiller toute la maisonnée si je le laissais pour aller courir en oubliant de l’éteindre. Et mes parents ont une grande maison.

Mais aucune alarme, de réveil ou d’incendie, ne m’a jamais ramenée au monde éveillé aussi vite. Dès l’instant à j’ai entendu ces trois mots, je me suis réveillée. On aurait dit de la magie. *

*Probablement parce que c’était de la magie.

Je redresse la tête et me prépare instinctivement à accueillir la douleur. Je n’en ressens aucune, ce qui est déjà alarmant en soi. Je devrais être à l’agonie… ou morte. Et si je suis morte, qui m’a réveillée ?

Pitié, faites que ce ne soit pas un vieux mec qui se fait appeler Dieu.

“Assieds-toi.”

Là encore, la voix de Dieu fait exactement comme c’est marqué sur l’étiquette. Je me redresse sans vraiment réaliser ce que je fais. J’étais allongée au sol, mais à présent le monde se redresse dans le bon sens pour moi. Que se passe-t-il ?

Je me souviens m’être étalée par terre. Sur des carreaux de marbre, pour être exacte. Un sol pavé de carreaux de marbre au milieu d’une vaste caverne, tapissée d’un laboratoire ou d’une bibliothèque du trésor ou de l’armurerie d’un mage. En quelque sorte.

J’aimerais regarder autour de moi, mais mon corps est figé. Je suis complètement paralysée, incapable de tourner la tête. Je peux voir des rangées d'étagères sombres devant moi, puis quelqu’un entre dans mon champ de vision.

Un homme… oui, un homme est debout devant moi. L’homme le plus étrange, le plus séduisant…

Séduisant ? Lui ? C’est un vieux mec avec une barbe. Je déteste les hommes plus âgés que moi, principalement parce qu’ils me font penser à mon père. Mais cet homme… il est différent. Différent de tous les gens que j’aie jamais rencontrés.

D’une part, son apparence est extraordinaire de mille façons. Ses cheveux sont d’un blanc pâle, mais pas gris. Disons plutôt… argentés ? Ils ont un lustre qui me fait me demander s’il utilise l’équivalent de ce monde du gel. Mais même les icônes des défilés de mode et les top modèles de mon monde n’ont pas des cheveux comme ceux-là.

Et il a l’apparence d’un modèle. Un athlète Olympique plus dans la prime jeunesse mais qui aurait gardé le même corps. Il ressemble aux statues que faisaient les sculpteurs à la Renaissance, mais même David n’était pas aussi bien sculpté.

De plus, il porte une robe semblable à celle de Ceria. Une robe magique qui semble faite de soie et de lumière… mais en plus lumineux encore. *

*Je crois que mon cerveau est en train de lâcher définitivement. Il y a un problème. Les gens… personne ne devrait être aussi parfait.

Et je lève alors les yeux et croise un regard à la fois bleu et violet.

Non. Bleu et violet ? J’ai quoi, sept ans ? Les couleurs que je vois sont bien plus profondes que cela. Je plonge mon regard dans le sien…

Et je vois un fragment de magie éternel.

Cela devrait être impossible, mais c’est comme si je plongeais mon regard dans une de ces nébuleuses au fin fond de l’espace. L’améthyste et l’azur… non, même ces mots ne sont pas suffisants. Quand je vois les couleurs célestes de ces yeux, les mots héliotrope et céruléen me traversent l’esprit. Des mots de luxe pour une vision sans mots.

Les couleurs se mélangent dans ses iris, exactement comme les couleurs éternellement changeants des nuages d’étoiles. Nébulae. Les pupilles se focalisent sur moi et j’ai l’impression d’avoir été prise dans un aiguillon électrique à bétail. * Je ne sais toujours pas comment je peux être saine et sauve ni ce qu’est cet endroit, mais je crois que je peux imaginer ce qu’il est, lui.

*Je ne sais pas ce que c’est censé faire, je n’ai pas cette expérience personnelle, mais… c’est comme si mon corps tout entier était parcouru d’un courant électrique, et pas juste pour ses mauvais côtés.

Un mage. Ou plutôt, un sorcier ou un enchanteur. Parce que si ce type est un mage, c’est un archimage ou un magus.

Le mystérieux vieil homme-mage fait un crochet du doigt en ma direction.

“Lève-toi, je te prie.”

Je me redresse sur mes pieds aisément, là encore sans douleur et sans les trous béants dont mon corps devrait être recouvert. Pourquoi ?

À présent que je suis sur pieds je peux aussi voir que je suis plus petite que cet homme d’au moins dix centimètres. Et je fais un mètre quatre-vingt. Il est grand, beau, et bien que sa peau ne soit pas sombre elle est…

Je cille brièvement. Étrange, j’aurais juré que sa peau était blanche mais elle est plus sombre que ça. Il a l’air… de venir du Moyen-Orient ? Oui, un brun olive modéré blanchi par l’absence d’exposition au soleil, peut-être. Mais j’aurais juré qu’il avait la peau blanche la première fois que je l’avais vu.


Ses écailles scintillent à la lumière. Le dragon d’or me regarde et...


Non… C’est la lumière. Je veux lever les yeux, mais la lumière de la pièce a changé, d’une manière ou d’une autre. C’est comme si un filtre de couleur géant s’était posé au-dessus de la pièce, en changeant les apparences. Est-ce qu’il y a un gros miroir ou quelque chose… ?

Mais alors le mage me regarde et je comprends qu’il y a un autre problème. Plus exactement, un problème avec mes vêtements.

Ma chair est guérie, mais le tissu est fragile. Et quand un tas d’oiseaux aux allures de ptérodactyles essaie de te déchirer en morceaux et que des Gargouilles te crache des éclats de pierre dessus, il est inévitable d’avoir des dysfonctionnements de garde-robe.

L’un des éclats de pierre a dû m’atteindre à l’épaule droite, parce que ma bretelle de soutien-gorge a été coupée en deux. Ce qui ne serait pas si grave… s’il ne manquait pas également une bonne partie de mon t-shirt. Juste au niveau de la poitrine.

Il fait froid dans la caverne. Mais le vieil homme regarde ma poitrine d’un œil dédaigneux et soupire. Il n’a même pas l’air vaguement intéressé, et mon agacement à cette idée l’emporte sur le soulagement à l’idée qu’il ne soit pas une sorte d’enchanteur pervers.

*Écoute, je suis évidemment pour la dignité des femmes. Quelqu’un qui me siffle dans la rue me donne furieusement envie de lui enfoncer la tête dans une poubelle. Mais quand on est nue, on s’attend au moins à une réaction de la part d’un mâle, qu’il soit gay ou hétéro ou asexuel. Même s’il s’agit simplement de se couvrir les yeux et de se détourner poliment, ou alors de regarder fixement comme un singe. Mais ce type de cligne même pas des yeux. Même un aveugle serait plus heureux que ça d’entendre dire qu’il y a une femme nue devant lui. Le respect, c’est très important, mais j’aimerais avoir une quelconque reconnaissance du fait que je suis un peu plus importante qu’un bête caillou.

“Ah, bien sûr. Des vêtements.”

Il claque la langue d’un air agacé et lève un doigt. J’aimerais vraiment esquiver ou demander ce qu’il va faire, mais je suis impuissante.

“[Réparation].”

Son doigt ne brille même pas. Contrairement au moment où Sostrom a réparé mon iPhone, je ne vois aucun éclair de magie. Mais la magie opère.

En un instant, ma bretelle glisse de nouveau sur mon épaule et se répare. Je sens sans pouvoir tourner la tête le tissu pousser pour remplacer les morceaux manquants, se recousant en quelques secondes.

C’était… incroyablement terrifiant. Mais je suis plus heureuse à présent que je ne vais pas attraper un rhume et le vieux mage a l’air content aussi. Il acquiesce, une fois. Puis il me regarde de nouveau.

“Humaine, reste silencieuse et immobile. Ne parle point, ne bouge pas, sauf lorsque je requerrai une réponse. Je vais poser des questions et tu répondras au meilleur de tes capacités, promptement et distinctement. Tu ne feras point de magie, et aucun acte violent tant que tu seras dans ma demeure.”

Il marque une pause. Wow. La plupart des gens se contentent de dire bonjour quand ils me rencontrent, ou me demandent si je veux une paire de chaussures.

“De plus, ne défèque pas, ne ternit pas et ne souille ce lieu d’aucune manière, forme ou terme. Et reste droite.”

Okay, je ne sais pas avec quel genre d’humain il a l’habitude de traiter, mais… ma colonne vertébrale est déjà en train de se redresser. Je ne peux même pas le fusiller du regard. Merde. Est-ce que c’est une sorte de sort d’hypnose ? Mais à présent il tourne autour de moi, lentement. M’observant comme un morceau de poisson au supermarché.

“Je n’ai cure de ton nom, mais tu es une Coursière, une messagère, n’est-ce pas ?”

“Oui.”

J’ai essayé de dire “oui, connard” mais apparemment pas de violence implique pas d’impertinence non plus. Il acquiesce comme s’il s’était attendu à cette réponse.

“Très bien. Mais alors dis-moi… pourquoi t’es-tu risquée à faire une requête aussi dangereuse ? Trois des tiens ont déjà péri en tentant d’atteindre ma demeure. Qu’est-ce qui t’a poussée à tenter la mort pour cette livraison ?”

Là encore, la réponse me vient instantanément, avant même que j’aie pu réfléchir à une réponse.

“Pour la récompense. Quarante pièces d’or.”

À présent, il a l’air déçu.

“Simplement pour cela ? Aucune autre raison ?”

Huh. Était-ce une sorte de test ? Très bien, bouche motorisée, fais ton truc.

“J’ai accepté la requête pour l’argent, mais aussi parce que je voulais me donner un défi. Je n’aurais pu prendre aucune autre requête à la Guilde des Coursiers, de toute manière. Mes camarades Coursiers m’empêchent de faire les autres livraisons, et c’était la seule que je pouvais prendre.”

“Hum. Je vois. Quelle banalité.”

Il secoue la tête. Dans la mienne, je suis un peu agacée. C’est bien de savoir que même un archimage anciennement athlète peut être un connard.

“Très bien, alors dis-moi : d’où viens-tu ? Je n’ai pas vu de traits ou de couleur de peau telle que la tienne sur ce continent depuis… longtemps. Où es-tu née ?”

Ah, voilà les questions difficiles. Mais je suis prête pour ça. Enfin, pas de manière aussi franche mais après avoir rencontré Lady Magnolia, j’ai réfléchi à la meilleure manière de répondre à quelqu’un qui détecte les mensonges ou qui peut te forcer à dire la vérité. Dans tous les cas, la seule réponse qui peut les empêcher de découvrir la vérité est… une fraction de la vérité.

“Je suis née à Oakland, Californie.”

Il hésite. Le mage fronce brièvement les sourcils.

“Je ne suis familier d’aucun des termes. De quelle nation cette Oakland Californie est-elle originaire ?”

“L’Amérique.”

“Hum. Une autre nouvelle nation. Que c’est troublant.”

L’homme caresse sa barbe argentée. Puis il secoue la tête.

“J’imagine que cela n’a pas d’importance. À présent, je souhaite que tu répondes à cette question librement, mais honnêtement.”

Il me pointe du doigt.

“Mes sorts d’évaluation et d’identification ne m’ont pas révélé ta classe ni ton niveau. Et pourtant, tu n’es ni morte-vivante ni construite, et tu es entièrement humaine. Pourquoi ne puis-je voir ta classe ?”

Enfin, il semblerait que je peux dire ce que je pense. J’actionne ma mâchoire et ouvre la bouche pour lancer quelques jolies obscénités.

“___”

… Eh bien merde. On dirait que je ne peux toujours pas l’insulter, et je dois dire la vérité. Très bien. Je plonge mon regard dans celui du mage et prend la parole.

“Je me suis empêchée de gagner des niveaux. Vous ne pouvez voir ma classe parce que je n’en ai pas.”

Pour la première fois depuis que j’ai posé les yeux sur son visage, l’homme semble sincèrement étonné. Il penche la tête pour m’observer de plus près, et je remarque qu’il a les oreilles pointues. Oh. Bien sûr.

“Tu n’as pas de niveau ? Et tu refuses d’accepter une classe ? Pourquoi ?”

“Je n’aime pas être contrôlée. Et je pense… oui, je pense que les classes et les niveaux sont un moyen du monde ou d’un quelconque système pour contrôler les gens. Je ne veux pas y être mêlée. Et… ça ressemble très fort à de la triche.”

Là encore, il m’adresse une expression de pure incrédulité. C’est la première fois que j’ai aussi bien décrit mes sentiments à ce sujets, et je suis moi-même surprise de ma réponse. De la triche. J’imagine que c’est vraiment l’une des grandes raisons pour laquelle je n’aime pas le socle même de ce monde. Mais les gens gagnent des niveaux ou meurent, ce qui est probablement la raison pour laquelle il me regarde avec des yeux de merlan frit.

“Tu as refusé des niveaux. C’est possible ?”

Je hausse les épaules. C’est le seul mouvement que je puisse faire en guise de réponse.

“Je peux annuler le level up si je réfléchis très fort. Donc c’est clairement possible.”

Très bien, ce petit morceau d’impertinence m’a rassérénée. Il me jette un regard glacial.

“C’était une question rhétorique, il n’était nul besoin de répondre. Bien que… tu ne saches probablement pas de quoi je parle, n’est-ce pas ? L’éducation des humains étant ce qu’elle est…”

Pendant un instant les yeux du mage s’égarent. Je suis plutôt persuadée à présent que ce n’est pas un humain, mais il semble se concentrer de nouveau sur moi et son attitude change. Du mage impérieux, il devient ce que je m’attendrais d’un vieux professeur d’université en cours magistral. Il marche autour de moi, parlant à moitié à moi, à moitié à l’air qui nous entoure.

“Vois-tu, la question rhétorique a été inventée en premier lieu par les Dragons. Très naturellement. Bien sûr, les Elfes et les Nains adoptèrent la pratique, mais c’est bien le genre Dragon qui a imaginé le premier les questions qui ne nécessitaient pas de réponse. Les elfes étaient beaucoup trop en phase avec la nature, ils s’attendaient à ce que les réponses tombent, possiblement des rochers et des arbres auxquels ils parlaient. Les nains, d’un autre côté, sont des créatures littérales. S’ils vous posent une question, ils exigent une réponse. Les humains, c’est une autre paire d’écai… de manches...”

Il s’interrompit, secoua la tête et soupira.

“Mais j’oublie mon audience. Tu ne sais même pas de quoi je te parle, n’est-ce pas ?”

Il reste un con arrogant. Mais j’ai la nette impression qu’il manque cruellement de compagnie. Eh bien, je peux toujours répondre donc voyons ce qu’on peut faire. Même si jurer est hors de question, je suis très douée pour agacer les gens. C’est pratiquement une de mes Compétences… [Être une Connasse Sarcastique].

“Je sais ce qu’est une question rhétorique.”

Il agite une main dans ma direction et secoue la tête d’un air compatissant.

“Oui, oui, je suis certain que c’est le cas. Ah, j’avais oublié la tendance des humains à exagérer et à mentir.”

A-t-il oublié que je ne pouvais pas mentir en ce moment ? J’essaie de le fusiller du regard, mais mes muscles faciaux ne fonctionnent toujours pas.

“Est-ce que je pourrais être assez stupide pour mentir au sujet des questions rhétoriques ?”

“Eh bien naturellement, je pourrais supposer que…”

Pause. J’apprécie l’expression de son visage pendant quelques secondes avant qu’il ne me regarde d’un regard plat. Eh bien si je meurs, au moins je mourrai en faisant ce que je faisais de mieux. Vous pourrez mettre ça sur ma tombe. *

*Ryoka Griffin, 1995 - 2016. “N’a jamais su quand fermer sa gueule.”

“Ah. Je vois que tu es marginalement plus intelligente que ceux que j’ai rencontré. Très bien, en ce cas. Peut-être seras-tu également capable de répondre à ma prochaine question.”

Il lève un doigt, et une carte vole de nulle part et se déroule dans les airs. C’est une véritable carte, vieille et poussiéreuse. Je veux vraiment éternuer mais je ne peux pas. Elle s’immobilise dans les airs tandis que le mage me montre une carte du continent. Merde. Je voulais vraiment voir une carte du monde.

M. Mage tapote le vieux parchemin d’un doigt.

“Je souhaite savoir quelles sont les guerres en cours entre les différentes nations, quelles nouvelles technologies ou sorts ont été inventés, quels monstres légendaires ont été vus ou pourfendus… des informations de cette nature. Dis-moi tout ce que tu sais de l’actualité ou ce que tu as entendu dire pendant les dernières années. Qu’est-ce qu’il s’est passé tandis que j’étais… reclus ici ?”

Oh bon sang, je vais adorer ça. Je fais mon meilleur haussement d’épaules et ouvre les bras.

“Sais pas.”

“Je te demande pardon ?”

“Je ne prête pas attention aux nouvelles du monde. Tu en sais probablement plus que moi sur ce qu’il se passe.”

Cligne, cligne. Oh oui, un point pour Ryoka Griffin. *



*Il lui en reste quelques centaines de milliers de plus que moi, par contre.



Une fois encore, le mage se racla la gorge avec désapprobation et me jeta un regard noir, mais son sort de vérité fonctionne encore et lui comme moi le savons. Il soupire, triture sa barbe de nouveau et tente une nouvelle approche.

“Sais-tu au moins si Magnolia Reinhart est toujours en vie ?”

“... Oui.”

“Bien, bien. C’est très bien. Eh bien en ce cas, as-tu entendu parler d’une étrange enfant nommée Ryoka Griffin ? C’est une Coursière, comme toi, bien qu’elle soit probablement d’un très haut niveau dans la classe de [Coursière], contrairement à toi. J’ai entendu dire que sa jambe était blessée en ce moment, ou qu’elle aurait pu être guérie récemment. En as-tu entendu parler ?”

Bon sang. Poker face. P-p-p-poker face. Okay, arrête. Ne pense pas à la chanson de Lady Gaga maintenant. Je veux poser tellement de questions là tout de suite mais… ne dit que la vérité !

“J’ai entendu parler d’une Ryoka Griffin, oui.”

“Vraiment ? Connais-tu son adresse, un lieu où elle dort la nuit ? J’ai tenté de la voir magiquement mais soit son nom n’est pas le bon, soit elle est protégée par une magie très puissante.”

Pourquoi diable Magnolia… ? Non, c’est une question stupide. Je connais la réponse. Mais pourquoi ne peut-il pas me trouver ? Je n’ai pas de protection magique sur moi, du moins pas que je sache. * Et comme diable vais-je pouvoir répondre ? Ah, oui. Encore une fois avec la vérité.

*Note pour moi-même : vérifier ça et acheter quelque chose très vite.

“Ryoka Griffin… Ryoka n’a pas de lieu de résidence permanente. Elle se déplace beaucoup et elle ne reste pas très longtemps dans une ville ou une auberge si elle peut l’éviter.”

Le vieil homme soupire et secoue la tête.

“Très bien, très bien. Je devrai demander son véritable nom encore une fois. Bien que je sois époustouflé d’apprendre que Reinhart aurait pu échouer à récupérer son véritable nom.”

Aha ! Je l’ai. Je sais pourquoi il ne peut pas me trouver avec la magie. Il peut probablement jeter un sort de voyance de haut niveau ou autre, mais il ne lui sert à rien, s’il ne peut pas épeler mon nom. Comme quoi, avoir un père qui te donne un nom traditionnel Japonais peut être utile de temps à autre. Ryoka. Essaie d’en épeler le kanji, mon pote.

*Kanji, l’écriture du Japon. Mon nom est Japonais, et mon certificat de naissance américain a beau l’écrire en Anglais - Ryoka - mon véritable nom est 涼香. Je veux bien parier qu’il faut qu’il le sache pour pouvoir me trouver.

Bloquer sur un problème semble être une expérience inédite pour ce type. Il a l’air décontenancé, en tout cas, mais il finit par se tourner de nouveau vers moi et je me prends de nouveau toute l’intensité de son regard en pleine face.

“Eh bien, tout cela était bien intéressant mais je n’ai plus de questions pour toi. Coursière, dis-moi, fais-tu partie des meilleures de ta guilde, malgré ton manque de niveaux ?”

“Oui.”

Nul besoin d’exagération ou de duperie. Le vieux semble peu convaincu, mais il finit par acquiescer de mauvaise grâce.

“Très bien. En ce cas, écoute ma requête. Tu es venue ici en quête de récompense et d’un colis. Je t’offrirai la misérable somme que tu es venue chercher, mais tu accompliras la tâche que je vais te confier, et tu n’épargneras aucun effort pour l’accomplir, que ce soit de tes propres mains ou en déléguant la tâche à une personne plus qualifiée. Est-ce bien compris ?”

“... Oui.”

Je n’aime vraiment pas l’idée. Et j’ai le mauvais pressentiment que quoi qu’il me demande, je serai à présent tenue d’obtempérer. Un gessi*. Bon sang.

*Un gessi, ou geis si vous préférez la version Irlandaise, est un type de quête. Ou… un serment lié par le destin et la magie. Allez voir ce que c’est si vous n’en avez jamais entendu parler. Les vieux contes et les mythes en regorgent, et ça ne finit jamais bien pour ceux qui les acceptaient. Espérons juste que celui-ci sera facile.

Il me pointe du doigt. J’entends déjà l’orchestre silencieux commencer à jouer en arrière-plan. Parfait. Et pourquoi pas un peu de vent et quelques effets spéciaux pour rendre le tout plus théâtral, mon vieux ?

“Tu te rendras à l’endroit connu sous le nom de Champs Sanglants et trouveras l’individu connu sous le nom d’Az’Kerash. Ou… peut-être utilise-t-il son ancien nom humain. Perril. Perril Chandler, me semble-t-il.”

Perril Chandler ? Aucun rapport avec Az’Kerash. Mais comme je peux encore parler, j’imagine que c’est le moment de poser plein de questions.

“Qui est ce type ?”

L’homme me dévisage de nouveau, comme si je devrais le savoir. Je hausse les épaules, il renifle et secoue la tête.

“C’est un mage puissant. Un [Nécromancien], pour être plus exact. Mais je pense qu’il te sera plus facile d’identifier son apparence. Ses cheveux sont d’un blanc pâle, comme sa peau. Ses yeux sont violets. Bien que… il soit possible qu’il use de sorts d’illusions pour dissimuler ses traits lorsqu’il voyage.”

Oh merde.

Le type à la barbe argentée se caresse ladite barbe et marque une pause. Il paraît réfléchir un moment puis il hoche la tête.

“Je présume que le moyen le plus simple de le trouver est d’aller là où la population de morts-vivants est la plus dense. Il a une armée. Un royaume des morts, pour être plus exact.”

Oh merde. Oh bon sang. Oh vous, dieux tout-puissants et décédés en train de faire des claquettes sur ma tombe anonyme. Cela ne ressemble en effet pas du tout à une quête avec un pourcentage élevé de chances de survie.

Le vieux mage est déjà en train de se détourner, mais je ne peux pas simplement accepter ça et filer. Je m’éclaircis la gorge et il se retourne de mauvaise grâce vers moi.

“Parle.”

“Ah. Si ce type… Az’Kerash est entouré de morts, comment suis-je censée le trouver sans me faire tuer ?”

Il paraît agacé par la question, ou peut-être par ma stupidité.

“Naturellement, ses gardes du corps vont tenter de te pourfendre. Ils perçoivent sans aucun doute les vivants comme une menace. Tu dois simplement aller le retrouver, et qu’importe le péril. De plus, la plupart des morts réanimés sont lents et faciles à distancer.”

“Oui, mais ils ont des flèches. Comment suis-je censée les éviter, elles ?”

“Tu es une Coursière, non ? Ne peux-tu simplement les esquiver ?”

“... Non. Je ne peux pas non plus distancer les sorts, et j’ai vu des mages morts-vivants. Je ne survivrai pas plus de quelques secondes si je me retrouve seule face à une Liche.”

Barbe Argentée paraît décontenancé. Il tire une nouvelle fois sa barbe, presque comme s’il voulait l’arracher.

“Saleté de poils… je suppose que j’aurais dû m’y attendre de la part d’une Coursière humaine. Très bien. En ce cas…”

Il ne termine pas sa phrase. On dirait qu’il réfléchit intensément, mais j’ai encore des questions. Je me racle la gorge et ses sourcils se rejoignent d’un seul coup. Il me fusille du regard.

“Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement envoyer le colis ou autre par la magie ou un truc du genre ? Il est trop lourd à transporter ? Parce que si c’est le cas…”

“La magie n’est pas la solution, ici. Celui à qui je souhaite livrer une lettre et un petit objet… cache sa localisation sous un écran magique qui empêche toute communication, qu’elle soit mal intentionnée ou non. Et moi aussi. Je ne puis déterminer sa localisation ni lui parler sans recourir à la méthode la plus lente, ce qui est la raison pour laquelle j’ai demandé un Coursier. Par conséquent, je requière également ton retour pour confirmer que la livraison a été faire avec succès.”

Encore mieux. Je n’aurais vraiment pas dû ouvrir ma grande gueule.

“J’ai failli mourir rien que pour venir ici. Je ne survivrai probablement pas à une deuxième fois. Et si retrouver ce [Nécromancien] est aussi dangereux que cela en a l’air…”

“Je t’ai entendue. Silence.”

Et hop, plus de parole. Je reste debout, impuissante, et regarde le vieil homme se parler à lui-même.

“C’est pour cela… humains… pas le choix. Hm. Un Courrier aurait été bien préférable. Mais si le problème est simplement une question de survie et de rapidité, je suppose que…”

Il tourne la tête. Puis il pointe du doigt et fait un signe. Je vois une bouteille s’envoler d’un coin de la caverne et atterrir dans sa main. Les Mages utilisent la Force. Qui l’eût cru ?

Barbe Argentée me tend la bouteille. Je la regarde fixement. C’est une mixture orange… non, d’un orange rosé lumineux dans une bouteille de verre. Ça ne ressemble à rien de ce que je voudrais mettre dans mon corps, mais ma main se tend pour la prendre dans tous les cas.

“Voici. Prends ceci comme récompense pour la livraison. Et en ce qui concerne ta récompense pour être arrivée jusqu’ici, bien que blessée…”

Un autre geste, et une pluie d’argent s’envole en tourbillonnant dans les airs et tombe dans le sac qu’il tient à la main. Malgré la quantité d’or, le sac ne se tend même pas lorsque les pièces tombent à l’intérieur.

Le mage me tend le sac et je l’accroche instinctivement à ma ceinture.

“La potion est une concoction qui augmentera grandement ta vitesse. Ne la bois pas d’un seul coup. Une simple dose devrait suffire pour distancer n’importe quel monstre, mort-vivant ou autre créature que tu pourrais rencontrer. Avec cela, tu devrais pouvoir atteindre Perril Chandler plus ou moins intacte. Assure-toi également de ne plus confondre les potions de mana et les potions de soin. Ton intoxication au mana a été très embarrassante à éliminer.”

Oh. C’était donc de cela qu’il s’agissait. Bordel. Tout s’explique maintenant. Pas étonnant que je ne guérissais pas. Mais j’aurais juré que Ceria m’avait donné les bonnes potions.

“L’intoxication au mana était si grave que cela ? Si c’est le cas… merci, j’imagine.”

Cheveux d’Argent lève les sourcils, en prenant un air surpris.

“L’intoxication au mana ? Tu ne serais certainement pas morte de la quantité de mana que tu as imbibée. Tu n’aurais pas subi bien pire pendant les jours qui suivent qu’une nausée violente, de la fièvre, et des excrétions corporelles incontrôlables si je ne m’en étais pas occupé.”

Wow. Soudain, je suis extrêmement contente qu’il ait pris le temps de soigner ça.

“Était-ce intentionnel ? Si tu étais en train d’essayer d’améliorer tes capacités, permets-moi de te dire que c’était très maladroit. La seule manière appropriée d’acclimater un corps humain à la magie est d’en ajouter des doses minuscules à ton régime. Non pas que je m’attends à ce que les mages modernes sachent comment naturaliser la magie en eux.”

Okay, si mes oreilles pouvaient bouger elles se seraient définitivement dressées à cette idée. Et j’adorerais poser plus de questions, mais mon employeur semble soudain très pressé de me voir partir. Il secoue la tête et agite ses doigts dans ma direction.

“Dans tous les cas, ne te blesse pas inutilement tant que tu accompliras la tâche que je t’ai confiée. Prends cette lettre et cet anneau.”

Deux autres objets sortent de nulle part et le mage me les tend. Le premier est un rouleau de parchemin, bien scellé d’un cachet de cire. Le second est un petit anneau fait d’un métal semblable à de l’argent et serti d’un onyx. Je dis bien “ressemble”, parce que dès que ma main se referme sur le métal, je me rends compte qu’il est chaud, et le métal comme la gemme semblent luire de l’intérieur. De la magie. Ça en jette, par contre.

Le vieil homme me regarde d’un air sévère et montre les deux objets du doigt.

“Ne porte pas l’anneau, ou tu souffriras atrocement. Idem si tu tentes d’ouvrir la lettre, suis-je bien clair ?”

“Comme de l’eau de roche.”

Il me regarde de nouveau d’un air méfiant puis secoue la tête.

“Je pense que tu feras au mieux pour survivre. Retourner chercher mon message et mon présent serait incommode.”

“Cool de voir que ça vous inquiète. J’imagine que je vais y aller, alors ?”

“Et perdre du temps ? Non. Je vais expédier le premier pas de ton voyage. J’ai eu beau te soigner, tu devras sans doute te reposer quelques jours pour récupérer après toute la magie que tu as consommée et te préparer pour le voyage qui t’attend. Ne lambine pas.”

Il pointe le sol sous mes pieds. Je sursaute et trébuche lorsqu’un cercle alambiqué d'innombrables runes et formes entrelacées apparaît à mes pieds.

Oh, apparemment je peux de nouveau bouger. Mais Crinière-d ’Argent fronce les sourcils et mes pieds reviennent immédiatement au centre du cercle.

“Que… c’est quoi, ça ?”

“Un sort de téléportation. N’as-tu jamais… mais oui, j’imagine que vos mages sont trop faibles pour cela. À présent dis-moi, où habites-tu ?”

“Celum. Mais hey, je peux rentrer en courant. La potion que vous m’avez donnée…”

“Ne gaspille pas ses effets. Elle vaut bien plus que l’or que je t’ai donné. À présent dis-moi, cette cité, Celum… ce n’est pas trop loin d’ici, non ?”

“Moins de deux cent kilomètres. Pas trop loin, non.”

Mon sarcasme lui glisse dessus sans qu’il lui prête attention. Le mage se caresse la barbe en marmonnant.

“Celum ? Celum… ah. Je pense me souvenir des alentours.”

Il pointe de nouveau, et le cercle se met à luire. Je me demande s’il doit chanter son incantation comme j’ai vu d’autres mages le faire. Mais alors… ce type a l’air d’être largement au-dessus de tous les autres mages, donc j’imagine que les mots ne sont qu’une option pour lui.
LE mage finit par hocher la tête. Les runes magiques à mes pieds se mettent à luire d’une lumière aveuglante.

“Le sort te mènera au cœur de la ville. Va, et accomplis ma quête du mieux que tu le pourras.”

“Merci pour les encouragements.”

Il agite une main, puis marque une pause. Il me regarde tandis que le cercle magique à mes pieds se met à briller à différents gradients d’intensité et reprend la parole de mauvaise grâce.

“Je suppose que ce serait briser les lois de l’hospitalité les plus élémentaires que de ne pas le demander. Donc dis-moi, Coursière. Quel est ton nom ? Je suis Teriarch.”

Je lui souris. J’imagine que je peux me permettre une belle sortie. Les runes brillent à mes pieds… et je me sens entraînée par une force gigantesque. J’ouvre la bouche et déclare deux mots.

“Ryoka Griffin.”

Et je disparais.

***

Teriarch se figea et contempla l’endroit où l’Humaine connue sous le nom de Ryoka Griffin venait de disparaître. D’un geste désespéré, il tendit la main mais même magiquement, elle était déjà hors de portée. À moins de jeter des sorts imprécis qui feraient se téléporter une bonne partie de la cité ici, elle lui avait échappé.

Jurant silencieusement dans sa propre langue, Teriarch se morigéna de ne pas avoir suivi l’étiquette. Certes, c’était une humaine mais… comment était-il censé savoir que c’était cette Coursière, précisément, qui se présenterait à sa porte ?

Ah, baste. Il connaissait ses traits, et cela lui permettrait de la localiser un peu plus facilement. Teriarch ne comprenait toujours pas quel étrange pouvoir la protégeait de ses sorts de localisation, surtout que Ryoka n’avait ni pouvoirs magiques ni classes. C’était une humaine étrange, et il comprenait à présent en partie la fascination qu’elle exerçait sur Reinhart.

Cela pourrait s’avérer réellement problématique si elle mourait en livrant son message. S’il avait su que c’était elle, il lui aurait donné un objet bien plus puissant. Si elle mourait, Magnolia aurait son cuir.

C’était l’une de ses inquiétudes. L’autre était que soit la terre s’était de nouveau abaissée lors des dernières années, soit il avait mal calculé les coordonnées exactes de la cité de Celum. Pour être plus précis, il avait calculé les bonnes coordonnées, en longitude comme en latitude. La seule qu’il ait peut-être mal évaluée était…

L’altitude.

Teriarch grimaça en voyant Ryoka arriver dans sa vision magique de Celum. Elle était plus au moins au centre de la cité, comme il l’avait prévu, mais elle était vraiment trop haut. Il la regarda tomber du ciel, d’une dizaine de mètres.

“Oups. Ah, baste. C’est la raison pour laquelle les humains utilisent les potions de soin, après tout.”

Il se détourna. Ryoka vivrait, et il avait à faire. Teriarch fit quelques pas, puis trébucha de nouveau. Cette fois-ci, il s’était pris les pieds dans sa robe. Il gronda.

“Écailles écorchées et trésor maudit !”

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #50 le: 02 mai 2020 à 13:07:26 »
1.10 R
Traduit par EllieVia

Ryoka était attablée dans une auberge devant une assiette de ragoût et de pommes de terre qu’elle dégustait avec appétit. Elle se sentait un peu coupable, mais le menu du soir n’avait pas vraiment présenté beaucoup d’options et elle avait faim. Mais quand même, elle se sentait un peu coupable.

Son assiette était composée à 80% de pommes de terre et 20% de viande. Et ce n’était pas de la très bonne viande, avec ça. Les pommes de terre n’étaient pas si terribles - les gens du coin avaient la main lourde sur le mélange épicé de poivres et de fines herbes, ce qui rendait le tout relativement mangeable, mais ce n’était vraiment pas le genre de viande qu’une coureuse devrait consommer.

Et en plus, c’était déjà sa deuxième assiette. La culpabilité était tangible, mais Ryoka n’y pouvait pas grand-chose. Elle prit une autre bouchée de pommes de terre fumantes, et essaya de ne pas penser à l’apport nutritionnel approprié ni à un quelconque régime.

Elle évitait de se charger en glucide à moins de s’apprêter à faire une course mais… elle méritait bien de se régaler. De plus, elle était officiellement en train de se reposer en ce moment, pour se remettre de tous les sorts de guérison qu’elle avait subis. Et puis au risque de se répéter, l’auberge ne servait rien d’autre de toute façon donc il fallait bien qu’elle fasse avec.

Des patates et de la viande, avec beaucoup plus de gras et de nerfs que ce dont elle avait l’habitude. Mais elle était bonne et elle avait l’habitude de manger une cuisine un peu rustiques, surtout lorsqu’elle campait.

Et on ne parle pas ici de camping des temps modernes, non. Ryoka méprisait les gens qui dormait dans leur voiture ou pire, dans des camping-cars qu’ils traînaient sur les campings. Non, elle préférait y aller à la dure avec un sac de couchage, assez de nourriture pour quelques jours et quelques outils nécessaires. C’était la vraie vie.

Mais elle devait bien admettre que ce serait sympa d’avoir un hamburger de temps en temps. Et des légumes frais, comme du chou kale. Les moissons étaient terminées et l’automne tirait à sa fin (bien qu’il ne parût pas faire très froid), et il y avait moins de légumes à disposition.

Plus de viande, plus de légumes, beaucoup moins de glucides. Ce serait mieux. Mais elle avait ce pour quoi elle avait payé. Ryoka soupira et mangea un autre morceau de pomme de terre. Ce n’était pas mauvais. Ce n’était juste pas particulièrement bon non plus. Au moins, il y avait quelqu’un qui profitait du repas.

Garia termina sa troisième assiette de pommes de terre et de ragoût et but une longue goulée de sa chope avant de soupirer de contentement. Elle avait bon appétit. Ce qui était logique. Ryoka regarda discrètement les bras et le corps de Garia. Elle n’avait peut-être pas de tablettes de chocolat, mais Ryoka n’avait pas vu de bras aussi épais chez une femme en-dehors des tournois de MMA.

Non pas que ses muscles ressemblent à ceux de ces idiotes qui se bourraient de stéroïdes. Garia était juste une fille solide, qui avait clairement l’habitude de soulever des choses lourdes.

“Tu fais toujours les livraisons les plus lourdes ?”

Garia marqua une pause en levant sa chope à ses lèvres.

“Hum, oui. Normalement. JE veux dire, je ne suis pas très rapide mais je peux quand même gagner pas mal d’argent sur une livraison pendant la nuit.”

“Les épices que tu avais apportées ici. En faisant tout le chemin depuis Galles. Elles étaient lourdes. J’avais vu la taille de ton sac. Ça devait faire entre trente et quarante kilos. Et tu as couru tout le long du chemin ?”

Garia se tortilla et rougit légèrement.

“Bah, en distribuant bien le poids ce n’est pas si dur. Et parfois je marche un peu si je suis fatiguée.”

“Hm. Impressionnant.”

Ryoka mordit dans une autre pomme de terre et contempla ses oignons brunis, laissant Garia rougir tranquillement. Elle n’avait clairement pas l’habitude des compliments, mais Ryoka était impressionnée par quiconque était capable de courir avec un tel poids sur le dos.

“Les requêtes de la Guilde des Coursiers sont un mélange de livraisons rapides, livraisons sécurisées et livraisons lourdes, c’est bien ça ?”

“C’est ça. La plupart du temps, les gens qui sont loin préfèrent avoir leur commande rapidement, comme tu le fais toi. Mais parfois ils veulent être sûrs que personne ne lira leurs messages, et c’est important aussi. Mais quand ils ont besoin d’avoir quelque chose rapidement - enfin, plus vite que par chariot ou wagon, et si c’est suffisamment petit, ils font des commandes lourdes. Je prends celles-là, la plupart du temps. Ce n’est pas dangereux. Personne ne veut voler du minerai brut ou quelques sacs de sucre. Les trucs les plus précieux qu’il m’arrive de porter sont des armes et des épices.”

“Hm.”

Ryoka se demanda à quel point les Coursiers étaient plus efficaces que les wagons. Mais elle avait vu les bouchons dans les villes et à quel point les routes pouvaient devenir boueuses. Les Coursiers avaient beau être chers, quand on voulait quelque chose tout de suite ils restaient la seule option valable.

Lorsque Ryoka leva sa fourchette à sa bouche, elle leva les yeux et vit un homme la dévisager à l’autre bout de la pièce. Il baissa immédiatement les yeux sur son assiette en croisant son regard, mais il était loin d’être le seul. Plusieurs autres personnes, jeunes et vieilles, détournèrent le regard ou, plus rarement, croisèrent celui de Ryoka lorsqu’elle parcourut la pièce du regard. Même les serveuse la dévisageaient discrètement lorsqu’elle apportait une assiette à Garia.

Ryoka fronça les sourcils. Garia remarqua immédiatement l’expression de la Coursière et comprit tout de suite la source de son mécontentement.

“Ils sont juste curieux, Ryoka. Inutile de prendre cet air furieux.”

“S’ils sont tellement curieux ils peuvent venir me parler ici. Sinon, ils peuvent se la tailler en biseau et se la carrer où je pense.”

Garia cligna des yeux. Ryoka utilisait souvent des expressions étranges, mais elle pouvait comprendre ce qu’elle voulait dire la plupart du temps. Il était toutefois impossible de se tromper sur la signification du regard noir que Ryoka adressait à ceux qui l’observaient. Garia essaya de paraître raisonnable.

“Bah, peut-on vraiment les blâmer ? Je veux dire, tu es la première Coursière à survivre au Hautes Passes depuis des années - et tu t’en tires sans une égratignure, avec ça ! Et quand tu es tombée du ciel...”

“Ne m’en parle pas.”

Ryoka fronça les sourcils en regardant son assiette et essaya d’écarter le souvenir. Son dos était toujours courbatu, même après avoir pris une potion de soin. Au moins, elle ne s’était pas cassé quelque chose cette fois-ci, ou atterri sur la tête.

“Putain de bâtard de mage elfique.”

“Quoi ?”

“Rien. Dans tous les cas, je ne m’en suis pas sortie indemne. Je me suis faite à moitié dévorer à l’aller et il a fallu sérieusement me soigner ou j’aurais pu mourir.”

“Oh, donc tu as trouvé une potion de soin ? Ceria était tellement inquiète quand elle a compris qu’elle t’avait donné les potions de mana.”

“... un truc du genre. Et c’est bizarre. J’aurais juré qu’elle m’avait donné les potions de soin, aussi.”

“Elle est vraiment, vraiment désolée, tu sais.”

“Je sais. Dans tous les cas, c’est de notre faute à toutes les deux de ne pas avoir revérifié.”

Ryoka contempla d’un air sombre son assiette à moitié terminée. Garia s’agita, visiblement, elle tenait vraiment à laver l’honneur de Ceria.

“Elle a dit qu’elle avait essayé de te contacter plusieurs fois. Tu n’as pas, euh, remarqué ?”

Ryoka fusilla du regard son assiette innocente. Elle essaya de ne pas avoir l’air trop sur la défensive, mais c’était difficile.

“Comment étais-je censée savoir qu’il fallait que je touche ces putains de lucioles pour lui parler ? Je croyais qu’on me jetait une malédiction ou un truc du genre.”

“Oh, non. C’est la façon dont les élèves de l’Académie de Wistram communiquent, apparemment. Ceria ne connait pas d’autre sort de communication, du coup…”

“Je comprends. Je ne lui en veux pas. Et de toute façon, j’ai survécu. Tout va bien.”

Sauf si on considérait le fait qu’elle avait plus de problèmes qu’avant. Ryoka sentait encore les mots de Teriarch brûler au fond de son esprit. Mais elle pouvait les ignorer, tant qu’elle se disait qu’elle devait encore faire ses préparatifs. La potion étrange qu’il lui avait donnée était enfermée à double tours dans son coffre à l’étage.

“En parlant de ça, est Ceria ? Je ne l’ai pas vue. Je pensais qu’elle serait ici avec Gerial et Calruz.”

Garia secoua la tête.

“Ils sont tous partis. Calruz est passé et a récupéré tous les membres de la compagnie. Apparemment ils vont à Esthelm pour se préparer à entrer dans les ruines de Liscor.”

“Oh.”

L’expression de Ryoka ne changea pas de manière notable, mais elle jura intérieurement. Elle leva sa chope à ses lèvres, ouvrit la bouche pour poser une autre question, puis jura de nouveau, à voix haute cette fois.

“Bordel.”

Fals avançait dans leur direction, souriant à l’une des serveuses et serrant la main d’une connaissance. Il s’arrêta à la table de Ryoka et hésita. Il y avait trois chaises, mais le pied de Ryoka était apparu comme par magie sur le troisième.

“Ryoka, comment vas-tu ? J’espérais pouvoir te parler !”

“Vraiment ?”

Ryoka fusilla Fals du regard tandis qu’il attrapait une autre chaise et s’asseyait à côté de Garia, qui rougit et s’écarta de lui. Ryoka n’était pas vraiment en train de le fusiller du regard - principalement parce que Garia lui lançait des coups de pieds peu discrets dans les tibias pour lui dire d’être gentille. Elle n’avait pas envie d’être gentille.

“Je voulais simplement te féliciter pour ta livraison. Tout le monde en parle.”

“Cool pour eux.”

Garia la regarda d’un œil noir, et Ryoka diminua un peu l’hostilité omniprésente dans sa voix. Fals s’éclaircit la gorge, l’air confus.

“Écoute, je suis, ah, désolé pour l’autre jour. Nous ne nous sommes pas séparés en bons termes, pas vrai ?”

Ryoka le dévisagea. Fals hésita, puis reprit la parole.

“La Guilde - et moi-même - voulons nous excuser. Tu es clairement une excellent Coursière et on ne veut pas te perdre. On parlera à Magnolia, et si tu veux prendre d’autres requêtes on sera ravis de te laisser choisir celle que tu veux.”

Ryoka traduit mentalement sa déclaration. Comme elle avait gagné et qu’elle n’avait pas besoin de la Guilde, ils avaient décidé de la récupérer. Bah, ça lui allait. Et à la Guilde aussi.

Elle ne répondit pas, toutefois. AU lieu de cela, Ryoka prit lentement, délibérément, une bouchée de pomme de terre et la mâcha lentement en dévisageant Fals. C’était affreusement gênant, mais elle adorait le voir mal à l’aise.

Fals s’éclaircit la gorge et jeta un regard en coin à Garia, mais elle était en train d’éviter de croiser son regard tout en dévorant le contenu de son assiette.

“Du coup, euh, comment ça s’est passé dans les Hautes Passes ? Tu as croisé beaucoup de monstres où tu as réussi à tous les distancer ?”

“Croisé beaucoup de monstres. Dangereux.”

“Vraiment ?”

“Yup.”

“...des monstres intéressants ?”

Ryoka haussa les épaules.

“Des Gargouilles, des oiseaux avec des dents, des chèvres tueuses, et des meutes de loups. Tu adorerais.”

“Ah. Bien… bien joué d’avoir réussi à les éviter. Et le client ? J’imagine que tu lui as pris la livraison en mains propres, non ? À quoi ressemblait-il ? Ou est-ce que c’est une femme ?”

Garia leva les yeux, curieuse. Ryoka regarda autour d’elle. Elle avait l’impression que plusieurs clients à portée de voix l’écoutaient. Elle hocha la tête et revient à Fals.

“C’est confidentiel.”

“Ah.”

La conversation s’éteint. Bah, elle ne se déroulait pas très bien depuis le début et Ryoka écrasa toutes les tentatives de Fals de parler des Hautes Passes ou de sa livraison. Il finit par se pencher en avant et à décocher son sourire le plus charmant à Ryoka.

“Je sais que tu es toujours en train de récupérer, mais j’adorerais aller faire une livraison avec toi un de ces jours. On pourrait peut-être prendre une requête tous les trois, toi, moi et Garia ?”

“Peut-être.”

C’était sa manière de dire non, et les trois Coursiers le savaient. Fals ne faiblit pas.

“Est-ce que je peux, hum, faire quoi que ce soit pour toi ? Je sais que tu es probablement toujours en colère, mais j’aimerais vraiment me rattraper. Est-ce que tu me laisserais, disons, te payer quelques verres ?”

Ryoka y réfléchit pendant que Garia essayait de lui indiquer discrètement de dire “oui”. Elle finit par acquiescer.

“Il y a bien un truc que tu pourrais faire.”

Fals sourit, soulagé.

“Vraiment ? Qu’est-ce que c’est ?”

Ryoka hocha la tête.

“Tu peux partir. Je discute avec Garia.”

Il cilla et Garia grogna de manière audible. Fals essaya d’essuyer la remarque d’un sourire, mais l’expression de Ryoka resta impassible. Au bout de quelques secondes, il se leva, mal à l’aise.

“Eh bien ah, je vais y aller. C’était sympa de discuter avec toi, Ryoka. À plus, Garia.”

Il contourna la table et s’arrêta une seconde près de Ryoka. Elle l’entendit murmurer juste assez fort pour qu’elle soit la seule à l’entendre.

“Fais attention à toi. Persua est partie de la Guilde avec sa clique ce matin. Elle va probablement tenter un truc.”

Elle leva les yeux. Fals lui vit un haussement d’épaules à la française puis s’éloigna. Ryoka secoua la tête, dégoûtée, puis reçut un coup de pied sec dans le tibia. Elle leva les yeux.

“Tu n’étais pas obligée d’être aussi malpolie.”

Siffla Garia à Ryoka, son visage d’ordinaire amical assombri par ses sourcils froncés. Elle regarda Fals sortir de l’auberge, déçue. Puis elle se retourna vers Ryoka.

“Il essayait de s’excuser, Ryoka. Pourquoi tu l’as chassé ?”

“Je ne vais pas pourrir mon dîner à écouter un type me faire des excuses forcées en essayant de trouver le contenu de ma livraison. Je sais qu’il était venu pour ça.”

Garia hésita.

“Pas… forcément. Il euh… pourquoi est-ce que tu ne l’aimes pas ?”

Ryoka cilla devant le brusque changement de sujet.

“Il m’agace. Je déteste les charmeurs, et il n’est même pas vraiment charmant de base. Et de toute manière, il est de quel côté ?”

“Il n’est du côté de personne. Il essaie de garder la Guilde soudée, Ryoka.”

“En écrasant quiconque enfreint les règles ? Excellent méthode. Il n’a pas empêché Persua et ses sbires de m’attaquer - et il ne s’en occupera pas plus aujourd’hui, apparemment.”

“Il le ferait si tu le laissais rester. Fals ne peut rien faire d’autre à Persua que lui parler, mais il essaie d’aider. Il t’aime bien.”

Ryoka haussa les sourcils. Elle ne s’était pas attendue à ça. Et elle n’y croyait pas vraiment.

“Tant mieux pour lui, mais je n’ai pas besoin d’aide.”

“Pas même avec Persua ?”

Garia vit la main de Ryoka se serrer sur sa fourchette, écrasant presque le pauvre ustensile en fer blanc.

“Pas même avec elle. Je m’occuperai de Persua, maintenant que je sais à quoi m’en tenir.”

Garia était sceptique.

“Elle est comme un clébard, Ryoka. Même si tu la frappes, elle revient te japper dessus. Et si tu la mets effectivement en colère, elle devient vicieuse.”

“Oh, oui, c’est bien un clébard. Une clébarde. Et tu sais quoi ? Je suis fatiguée de ses conneries. Si elle tente de nouveau quelque chose je l’écraserai.”

Ryoka allait continuer, mais Garia se mit à lui faire des signes frénétiques pour qu’elle s’arrête. Ryoka, pourtant, continua sa tirade. Elle avait déjà vu les reflets dans sa chope, mais il fallait que ça sorte.

“Elle est agaçante, stupide, lâche, et elle ne sait pas courir. Je lui dois encore une jambe cassée. Si elle pense pouvoir tenter autre chose contre moi…”

Salut Persua !”

Ryoka leva les yeux. Persua était devant la table, souriant d’un air peu amical aux deux Coursières. Elle avait ses sbires habituels avec elle, et Ryoka repéra un type plus baraqué derrière eux.

“Ryoka, Garia ! Je suis tellement ravie que vous alliez bien ! J’ai failli ne pas vous remarquer, mais j’ai fini par repérer Garia - impossible de la rater, même dans cette foule - et j’ai décidé de venir vous dire bonjour !”

Garia tourna rouge pivoine et baissa les yeux sur sa pile d’assiettes tandis que Ryoka croisait le regard de Persua. Une étincelle de haine n’aurait pas suffi à décrire le regard qu’échangèrent les deux jeunes femmes.

Les méchantes filles. Ryoka se rappelait d’elles, à l’école. Persua était la représentation parfaite de la parvenue qui était prête à écraser quiconque lui déplaisait.

Et comme le reste des filles contre qui Ryoka s’était battue, Persua n’avait pas besoin d’invitation pour continuer de parler. Ses yeux balayèrent Garia, puis revinrent sur Ryoka.

“Navrée d’interrompre votre conversation. Vous parliez de moi, à tout hasard ?”

Garia se recroquevilla, mais l’expression de Ryoka ne changea pas. Elle acquiesça, leva sa chope en direction de Persua et sourit légèrement.

“Oui, désolée, je viens de te traiter de garce.”

Le sourire de Persua s’effaça en un instant. La bouche de Garia s’ouvrit en un “o” d’horreur parfait et elle dévisagea Ryoka.

“Ce n’est pas très gentil. Je n’aimerais vraiment pas me dire que tu m’insultes dans mon dos, Ryoka.”

“Ne t’inquiète pas. Je vais t’insulter en face. Je suis occupée, Persua. Va jouer ailleurs.”

“Et si j’ai envie de rester ? J’ai le droit de venir dans cette auberge, tout comme toi.”

“Trouve une autre table. Mais si j’étais toi, je me tirerais d’ici.”

“C’est une menace ?”

“Oui, en gros.”

Persua hésita. Elle ne s’était probablement pas attendue à ce que Ryoka la confronte aussi rapidement, mais Ryoka savait comment se serait déroulée la conversation dans tous les cas. Elle hocha la tête en direction de Persua et ses sbires.

“Vous allez dégager tout seuls ou il faut que je vous aide ?”

Si Garia avait pu s’éloigner plus de la table elle serait assise à la table derrière elle. Pendant un instant, Persua et ses amis hésitèrent. Ils avaient beau être des Coursiers, et avoir l’avantage numérique, Ryoka avait un côté tranchant qui les déstabilisait. Mais alors quelqu’un fendit la foule et vient se placer à côté de Persua.

Ryoka quitta Persua du regard et tomba sur un visage carré. Carré, ou moche, si on voulait être méchante. L’aventurier fronça les sourcils et se pencha par-dessus la table.

“Je ferais gaffe à ce que je dis si j’étais toi, Coursière. Tu devrais montrer plus de respect à tes aînés et tes supérieurs.”

Bien sûr. Ryoka plongea son regard dans les yeux d’un vert boueux et se morigéna de ne pas s’en être souvenue. Une autre astuce qu’appréciaient les filles méchantes lorsqu’elles ne pouvaient régler un problème par les mots et les méchants tours : courir chercher le plus grand garçon dans la pièce.

“Je ne sais pas qui tu es, mais tu me gâches la vue. Dégage, et prend Persua et ses petits camarades avec toi.”

L’aventurier cligna des yeux. Il était en train de faire la technique masculine classique de se pencher sur Ryoka d’un air menaçant et ça ne fonctionnait pas. Elle ne reculait même pas alors qu’ils étaient presque nez à nez.

“Je te présente Arnel. C’est un Aventurier Bronze de Celum.”

Persua sourit derrière l’aventurier. Elle tapota Arnel sur l’épaule, il se redressa et lui sourit. Elle grimaça lorsqu’il se retourna pour fusiller Ryoka du regard. C’était presque triste de voir le mépris qu’elle avait pour lui, et à quel point Arnel se faisait rouler dans la farine. Presque. Ryoka n’avait pas beaucoup de compassion pour les types qui venaient jouer les harceleurs.

Arnel se pencha de nouveau en avant, ce coup-ci sur Garia qui se recroquevilla en arrière. Il regarda Ryoka d’un œil noir et elle lui rendit son regard jusqu’à ce qu’il cligne des yeux.

“Je pense que tu devrais montrer un peu plus de respect à Mademoiselle Persua. Des excuses seraient un bon début, et j’insiste sur ce point.”

“Ou sinon quoi ?”

Garia donna un autre coup de pied à Ryoka, fort.

“Ou sinon quoi ?”

Arnel se retourna vers Persua, qui éclata d’un rire perçant. Il sourit à Ryoka avec hostilité.

“J’imagine qu’il faudra alors que je t’apprenne les bonnes manières, Coursière.”

“Vraiment ? Ce serait amusant à regarder.”

L’aventurier eut un regard vide pendant un instant. Là encore, la conversation n’allait pas dans le sens que son cerveau avait prévu. Mais Persua vint à sa rescousse. Elle fusilla Ryoka d’un regard méprisant.

“Arnel est un aventurier. Il a combattu des monstres, et pourfendu un nombre incalculable de Gobelins. Tu n’as pas ce gros nigaud de Minotaure et cette affreuse demie-elfe pour te protéger aujourd’hui, Ryoka.”

“Qui dit que j’ai besoin de protection ? “

C’était trop pour l’impressionnable Arnel. Il était conscient que des amateurs de l’auberge riaient sous cap, et même le gros aubergiste se préparait à prendre son courage à deux mains pour lui demander d’aller se battre ailleurs. Il grogna et poussa violemment Ryoka dans son siège.

“Ecoute-moi bien, espèce d’idiote. Ce serai ton dernier avertissement…”

Ryoka se leva. Il apparut qu’elle était plus grande qu’Arnel, et lorsqu’elle repoussa sa chaise en arrière, le silence s’abattit sur l’auberge. Elle avait encore sa chope dans les mains. Arnel essayait de trouver une bonne menace à proférer, mais Persua recula lorsque Ryoka leva sa chope à ses lèvres.

Elle prit une gorgée de boisson - principalement pour rajouter un peu de spectacle - puis jeta le reste du contenu de sa chope au visage de l’aventurier. Il cligna des yeux tandis que la bière pisseuse lui coulait dessus. Le visage de Garia semblait s’être transformé en un masque de cire. Persua sourit d’un air méchant.

L’aventurier était encore en train de passer du choc à l’outrage lorsque Ryoka lui assena un revers solide. Il s’écrasa au sol et elle jeta la chope sur Persua. Pas trop fort - enfin, d’accord, suffisamment fort pour que la fille soit obligée de plonger pour éviter de se faire casser le nez, mais pas aussi fort qu’elle aurait pu le lancer. Le pot de terre cuite explosa en mille morceaux et Ryoka attendit qu’Arnel se relève.

“Sale pute !”

Il hurla et se jeta sur elle. Ryoka attendit patiemment qu’il lui arrive dessus. Elle s’était déjà suffisamment éloignée de la table et avait enlevé la chaise derrière elle.

L4aventurier fondit sur elle, plus de soixante - non disons plutôt quatre-vingt-dix kilos de type en colère. Ryoka décala son centre d’équilibre et prépara son coup. Quand l’aventurier ne fut plus qu’à quelques dizaines de centimètres, elle se mit en mouvement.

Ryoka s’appuya sur une jambe en tendant la seconde. Elle ne mit pas un véritable coup de pied, c’était plus une sorte de poussée. Une poussée puissante qui brisa la charge de l’aventurier et l’envoya tituber en arrière.

Il revint à la charge, bien sûr. Ils revenaient toujours à la charge. Mais à ce stade, Ryoka avait l’espace, la puissance et le timing pour préparer son coup de pied circulaire. Elle l’atteint en pleine poitrine, et la collision émit un bruit sourd.

L’aventurier, le souffle coupé, tituba en arrière, cherchant son souffle. Mais il ne tomba pas.

Ryoka essaya de ne pas grimacer. Elle l’avait cogné fort, mais il portait quelque chose de rigide sous ses vêtements. Une cotte de mailles ? Ça y ressemblait, en tout cas.

Vivement, avant qu’il n’ait pu se remettre à bouger, elle lui mit un coup de pied éclair dans la poitrine. Ce n’était pas un coup de Muay Thai - mais elle n’avait pas assez de place pour autre chose.

Cette fois-ci, Arnel tomba, mais il se releva aussitôt. Ryoka grimaça et il bondit en agitant les poings. Elle balança un coup de poing mais il l’attrapa et tenta d’atteindre son visage.

Ryoka bloqua son poing d’un bras et sentit la puissance du coup. Merde. Ça ne sentait pas bon, cette histoire. Arnel était très énervé à présent, et il donnait des coups de gorille en direction de Ryoka. Elle esquiva et recula, mais elle avait peu de place pour manœuvrer. Et de plus, Ryoka était mal partie mentalement.

Elle n’avait pas l’habitude que les gens se relèvent une fois qu’elle les avait cognés.

Esquive, esquive… Ryoka contra et l’atteint en pleine mâchoire. Mais il était costaud, et il finit par réussir à l’atteindre.

Ryoka sentit l’impact sur sa tête et tordit le cou, mais elle avait bel et bien mal. Elle recula, et l’aventurier s’avança sur elle. Elle essaya de le garder à distance en cognant des poings, mais il était plus que ravi d’échanger des coups.

Il continua à la pourchasser, et les tables et les chaises rendaient l’esquive telle qu’elle l’avait apprise difficile. Elle préféra lever les mains autour de sa tête, formant une garde des deux côtés de sa tête. C’était une garde traditionnelle du Muay Thai, mais le problème était que l’aventurier n’essayait pas tant de la cogner ou de lui mettre des coups de poings.

C’était un mec, et elle avait la certitude qu’il ne voulait pas tant la cogner que la soumettre. Il essayait sans cesse de l’envelopper dans une prise d’ours. Elle le laissa s’approcher, mais attrapa ses épaules et lui balaya les pieds lorsqu’il tenta de l’attraper.

Il mordit de nouveau la poussière. Ryoka voulait lui donner un coup de pied au visage ou dans les noix ou les deux… mais quelque chose vola en direction de sa tête. Elle dévia la chope d’une main et leva les yeux. Persua la fusilla du regard et lança un autre verre qui atterrit à des kilomètres de Ryoka.

Son moment d’inattention lui coûta. Arnel se redressa et elle fut trop lente pour lui échapper. Il saisit son bras droit et se mit à la cogner. Elle lui martela le visage, mais il ne voulait pas la lâcher.

Il était fort. Elle ne pouvait pas s’échapper en se contentant de tirer, même si elle n’en avait pas l’intention. Arnel cogna Ryoka deux fois sur le côté du visage - pas très fort parce qu’il ne pouvait pas trouver le bon angle. Elle lui ensanglanta le nez et l’atteignit deux fois au visage, mais il rassemblait ses forces pour lui mettre un énorme coup de poing.

Impossible de s’échapper. Ryoka se prépara. Elle encaisserait le coup puis le cognerait du genou. Avec un peu de chance elle ne le tuerait pas et n’endommagerait pas d’organe vital, mais trop, c’était trop.

Elle se prépara à encaisser le coup dans ses côtes. Arnel leva le poing…

Et Garia la bloqua la main.

L’énergie qu’il avait mise dans le coup poussa l’homme en avant, mais Garia était un arbre et il s’y écrasa. Il se débattit pour la faire lâcher prise, mais Garia tenait sa main dans la sienne et sa poigne était de fer.

C’était un tire-à-la-corde à trois, avec Arnel qui tenait Ryoka et Garia qui le tenait lui. Pas pendant très longtemps, cependant. Dès que son attention fut détournée par Garia, Ryoka entra en mouvement. Elle lui mit un coup de coude à l’arrière du crâne tellement rapide qu’il la lâcha et elle s’échappa avant qu’il n’ait eu le temps de ciller.

“On se calme ! Tout le monde se calme !”

Ryoka entendit enfin ce que Garia disait par-dessus le rugissement du sang dans ses oreilles. Arnel était toujours en train de l’injurier, tirant sur le bras de Garia et Persua criait à ses amis d’aller l’aider. Mais les autres Coursiers ne voulaient pas s’approcher, surtout lorsqu’ils virent que Garia maintenait sans effort le grand costaud à distance.

“Lâche-moi, sale garce !”

“Je suis sûre qu’on peut s’arranger…”

Ryoka tenta de bloquer le coup, mais le point d’Arnel atteignit Garia en pleine bouche alors qu’elle était en train de parler. La grande fille tituba et il arracha sa main de sa poigne. Triomphal, Arnel se tourna vers Ryoka et leva les poings.

Garia vacilla, leva la main à son visage, puis regarda l’homme qui faisait reculer Ryoka. Ses yeux s’enflammèrent, et elle se redressa. Garia serra maladroitement les poings, puis s’avança.

Ryoka jouait au chat avec ses poings, et c’était le visage d’Arnel le chat. Il ne s’effondrait pas, ne ralentissait même pas, mais une planète s’interposa entre elle et l’aventurier. Garia. Arnel leva les mains pour un coup de taureau, mais trop tard. Elle avait beau être lente, la Coursière était devant lui. Et c’est à ce moment que tout changea.

Garia lança un coup de poing.

Il était lent. Ryoka vit la fille décomposer le mouvement, et sa posture était terriblement mauvaise. Mais quand elle cogna l’aventurier, il fit un bruit. Ou plutôt, son corps fit un bruit.

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Ryoka n’avait jamais vu les pieds de quelqu’un quitter le sol après un coup de poing. Arnel lévita pendant un bref instant, puis atterrit lorsque le poing de Garia le laissa redescendre sur terre. Il s’effondra comme un sac de patates.

Il était hors-jeu. Complètement hors-jeu, et sans aucune chance d’objecter. Ryoka cilla en voyant que la cotte de maille de l’aventurier s’était déformée autour du coup de poing de Garia. La fille se frotta la main et secoua la tête tandis que le bruit s’éteignait.

Quand Arnel fut au sol, les autres Coursiers réalisèrent que c’était le moment de partir. Persua s’était éclipsée avant même la fin du combat. Ses larbins tentèrent de la suivre, mais Ryoka en attrapa un et le jeta sur une table. Elle parvint à cogner une autre fille suffisamment fort pour lui faire un bleu sur la joue, puis ils étaient partis.

***

Les moments qui suivaient les rixes de tavernes n’étaient jamais plaisants, surtout quand un aubergiste vous criait dessus. Mais Arnel avait de l’argent - suffisamment pour rembourser les dégâts - et Ryoka n’était pas près de payer pour quelque chose qu’elle n’avait pas commencé. Enfin, si, elle l’avait commencé, mais elle n’allait pas payer pour ça.

La conséquence de tout cela fut que Garia et Ryoka se firent jeter dehors, au moins jusqu’à la fin du dîner. Elles descendirent le long de la rue, Garia parlant avec excitation avec Ryoka.

“Tu as été incroyable ! Il a à peine réussi à te toucher !”

“Meh. J’aurais dû l’assommer dès le début. Il était plus solide que je ne le pensais. Il m’a eu deux ou trois fois.”

Avec précautions, Ryoka se tâta la joue et les bras. Des bleus. Pas trop graves, mais agaçants. Elle les méritait, de toute façon, pour avoir été aussi maladroite.

“Mais cette manière dont tu bougeais ! C’était un aventurier, et tu l’as traité comme si c’était une espèce de [Voyou] de niveau 1 ! Comment as-tu fait ?”

“Oh, c’est juste des arts martiaux. Un peu de Muay Thai et d’autres styles.”

Ryoka vit du coin de l’œil le regard perdu de Garia et élabora.

“C’est une manière de se battre sans armes. On apprend à donner correctement des coups de pieds, de poings, etc..”

“Vraiment ? Et c’est efficace, ce Muy - Muy thaï ? C’est une Compétence ?”

Ryoka voulait gémir ou lever les yeux au ciel.

“Pas une compétence. C’est un truc qu’on apprend, pas une classe ou autre. Je l’ai appris quand j’étais petite. Tu pourrais apprendre aussi.”

“Vraiment ? Enfin, je veux dire, j’adorerais apprendre à bouger comme ça. Tu étais incroyable là-dedans ! Tu es pratiquement aussi bonne qu’un aventurier !”

Ryoka éclata d’un rire bref.

“Il n’était pas très fort. Et les arts martiaux ne marchent pas contre les monstres. Crois-moi, je m’en suis rendue compte à la dure.”

“Mais quand même, je n’arrivais pas à y croire. Quand tu lui as jeté la bière au visage j’ai cru qu’on allait devoir s’enfuir. Mais tu l’as battu !”

Ryoka s’arrêta. Elle lança un regard à Garia et secoua la tête, les sourcils froncés.

“C’est toi qui l’a battu. D’un seul coup de poing.”

“Oui, mais…”

Garia rougit et secoua la tête.

“J’étais juste énervée. Tu l’as beaucoup plus frappé que moi.”

Cette fois-ci, ce fut au tour de Ryoka d’objecter.

“Ne te sous-estime pas comme ça. Ce dernier coup de poing, c’en était un sévère. J’ai cogné plusieurs fois le type et il ne tombait pas, mais tu as réussi à traverser d’un coup sa cotte de maille. Tu es beaucoup plus forte que nous deux. Le dernier coup de poing que tu as lancé était plus fort que mon coup de pied.”

“Bah, tu sais… je porte plein de trucs lourds…”

Ryoka réalisa que Garia rougissait, et pas à cause des compliments. La fille aux pieds nus s’arrêta au milieu de la rue presque vide et dévisagea Garia.

“Qu’est-ce qu’il y a ? C’était un super coup de poing. Ta posture était horrible, mais ce n’est pas un problème d’être forte.”

“C’est juste que… c’est un peu embarrassant, c’est tout. Tu vois ce que je veux dire ?”

“Non. Explique-moi.”

Garia n’en avait clairement nulle envie, mais Ryoka n’allait pas la laisser s’en tirer aussi facilement. Elle soupira.

“Je suis une [Coursière]. Et… je sais que je suis plus grande que la plupart des filles. Je n’aime juste pas parler de ma taille.”

“Tu es très bien.”

“Je suis contente que tu le penses mais… c’est à cause de ma classe. Et de tout ce que je mange, mais ma classe fait partie du problème. C’est la raison pour laquelle je suis forte, aussi, mais c’est embarrassant.”

“Pourquoi ?”

Impossible de s’en sortir facilement... Garia regarda autour d’elle, mais il n’y avait personne à portée de voix. Elle baissa quand même la voix.

“Hum, j’étais une [Journalière] avant de devenir [Coursière]. J’ai atteint le Niveau 14 avant de changer de classe. C’est pour ça que je suis tellement… tellement…”

Elle rougit violemment. Ryoka la regarda d’un air confus.

“Tellement forte ? C’est quoi le problème.”

“Je suis corpulente, Ryoka ! Je n’ai pas envie de l’être, mais les [Paysans] prennent du muscle et c’est impossible de perdre du poids. Je n’ai pas envie d’être grande. J’ai envie d’être petite et légère comme toi et…”

Garia avait l’air sur le point de pleurer. Son visage était rouge et elle commençait à bégayer. Au bout d’un moment, Ryoka lui tapota gentiment l’épaule.

“Je ne suis pas légère. Je suis en forme, mais toi aussi. Qu’est-ce qu’il y a de mal à être aussi forte ? Et puis, [Journalière] ne me semble pas être un mauvais job… classe, je veux dire. Pourquoi est-ce que ça te préoccupe ?”

Garia secoua la tête d’un air désespéré. Elle ne savait pas comment l’expliquer.

“Ce n’est pas une super classe. Ni un super boulot, en fait. Même les [Paysans] ont plus de respect, comme ils savent vraiment labourer la terre et s’en occuper comme il faut. Moi, j’aidais juste avec la charrue, à lever des trucs, et tout et tout. Mais quand je disais ma classe aux gens ils se moquaient de moi - ou ils s’en doutaient à cause de mon apparence.”

Ryoka ne comprenait pas. Elle ne comprenait vraiment pas, mais il lui semblait qu’il y avait une sorte d’élitisme entre les classes. Une guerre des classes dans un sens plus que littéral ? Mais elle comprenait le problème de manière générale.

“Les gens sont vraiment des connards, peu importe le monde où tu es. Écoute, oublie ça. Cette classe t’a aidée si tu es aussi forte que ça sans avoir eu besoin de t’entraîner, pas vrai ?”

Garia acquiesça et renifla.

“Oui, ça m’a aidée. Même si personne n’aime la classe, on obtient quand même de bonnes compétences. [Force Mineure] est la première compétence qu’obtiennent la plupart des guerriers, mais les [Journaliers] l’obtiennent aussi. Euh, je l’ai obtenue à mon deuxième niveau. Mais après, il y a [Force Majeure], qui est ce que j’ai, et j’ai entendu dire qu’aux très hauts niveaux on pouvait avoir [Force de la Nature].”

“Et c’est rare ?”

“Je n’ai jamais croisé quiconque qui l’ait. Mais oui, les guerriers n’obtiennent [Force Majeure] qu’aux alentours du niveau 30. Comme je l’ai eue aussi rapidement, je suis plus beaucoup plus forte que la moyenne. Je peux soulever trente kilos sans les sentir passer.”

“Whoa.”

C’était impressionnant. Ryoka s’était toujours doutée que Garia était très musclée mais elle en avait eu la confirmation cet après-midi. Elle marqua une pause, et réfléchit avant de poser une autre question.

“Si cette compétence est si efficace, pourquoi est-ce que personne ne devient [Journalier] pendant un petit moment avant de devenir aventurier ? Ça m’a l’air d’être une bonne stratégie.”

Garia parut surprise.

“Pourquoi feraient-ils ça ? Personne ne veut travailler à la ferme. C’est fatiguant et ennuyeux, Ryoka.”

“Mais si c’est pour obtenir la Compétence…”

“Tu ne peux pas être sûre que tu l’obtiendras directement. J’ai juste eu de la chance. D’accord, pas mal de travailleurs dans mon genre obtiennent au moins [Force Mineure] rapidement, mais ça dépend. Dans tous les cas, j’ai bossé dans la ferme de mon père jusqu’à mes dix-huit ans et je n’étais qu’au niveau 14 alors que je bossais tous les jours de l’aube au crépuscule. Ça n’en vaut pas la peine.”

“Ah.”

On aurait dit… eh bien, on aurait dit que la manière dont les gens prévoyaient leurs compétences n’était pas très efficace. Ryoka ne jouait pas beaucoup aux jeux vidéo, mais si elle pouvait avoir cette [Force Majeure] en bossant à la ferme enfant, elle l’aurait fait. Mais quand on y réfléchissait… dix-huit ans, c’était long.

C’était une idée inutile dans tous les cas comme Ryoka ne comptait gagner de niveaux, même si elle était jalouse de la force de Garia. Mais l’autre fille était clairement embarrassée par son corps et sa classe, donc Ryoka abandonna le sujet.

“Au moins Persua a appris sa leçon, même si j’ai raté l’occasion de lui casser le bras. Il faudra que je fasse ça la prochaine fois que je la croise.”

Garia grimaça. Elle savait que Ryoka ne plaisantait pas.

“Pitié, pas ça. Si tu le fais elle fera quelque chose de pire encore.”

“Pire que d’embaucher un aventurier pour me mettre une raclée ? Je pense que je vais tenter ma chance.”

Ryoka secoua la tête. Elle allait devoir faire quelque chose au sujet de cette fille. La tuer était tentant, mais elle ne pourrait probablement pas le faire sans conséquences.

“Mais qu’importe. Merci pour les conseils. Mais j’ai d’autres chats à fouetter.”

“Des chats à… pourquoi donc ?”

“Je veux dire que j’ai d’autres choses à faire. Écoute, tu disais que Ceria était à Esthelm, non ? C’est où ?”

Garia se gratta la tête en essayant de se souvenir.

“Au bord de la route qui mène à Liscor. C’est au sud, à une centaine de kilomètres d’ici je crois ?”
Ryoka hocha la tête. Elle pouvait atteindre la ville en une nuit. Elle regarda attentivement les toits et examina les alentours. D’un air nonchalant, elle haussa la voix en répondant à Garia.

“Je vais passer la nuit ici. Et demain j’y irai peut-être. Si tu veux apprendre à te battre correctement, rejoins-moi là-bas.”

“Peut-être. Je ne suis pas sûre que je serai libre - ou même que je veuille apprendre à me battre. Je n’aime pas la violence.”

Ryoka fit une bourrade à Garia.

“C’est ton choix. Mais avec un coup de poing comme ça, ce serait dommage de ne pas apprendre à cogner proprement. Je t’enseignerai la prochaine fois qu’on se verra, ça te dit ?”

C’était la première fois que Garia voyait Ryoka insister pour… eh bien, insister tout court. Elle admit qu’elle essaierait peut-être et regarda la fille trotter pieds nus à son auberge pour y passer la nuit.

“Les arts martiaux ?”

Garia regarda son poing. Il portait toujours les cals de ses longues journées de labeur sous le soleil. Elle serra le poing à titre expérimental. Elle avait l’impression d’être incroyablement pataude. Mais elle avait impressionné Ryoka. C’était suffisamment rare.

“Mais faire tout le chemin jusqu’à Esthelm. C’est loin…”

Mais elle n’avait pas d’autre engagement, et il y avait toujours du travail pour quelqu’un qui voulait bien traîner de la marchandise lourde sur de grandes distances. Et pour être honnête, c’était probablement mieux si Garia s’éloignait de la ville pendant quelque temps, elle aussi.

La Coursière réfléchit à quelle serait la réaction de Persua aux événements de la journée. Sans parler de la Guilde d’Aventuriers locale. Ils ne seraient pas contents d’apprendre que l’un des leurs s’était fait battre par une civile, et encore moins par une Coursière. Garia frissonna, et songea qu’elle allait peut-être bien accepter quelques requêtes longues distances cette semaine. Probablement en direction d’Esthelm, mais dans tous les cas loin de Celum.

Elle courut à petites foulées jusqu’à son auberge. Sur son toit, l’[Assassin] regarda Garia partir. Elle n’avait pas d’importance, mais il se devait de mentionner tous les amis de Ryoka à Magnolia. Il était heureux que la fille ait arrêté le combat avant qu’il n’ait eu besoin d’intervenir.

Silencieusement, l’homme aux traits indéfinissables suivit furtivement Ryoka à son auberge. Normalement, protéger la fille des représailles inévitables des Guildes des Coursiers et des Aventuriers aurait représenter une véritable corvée, mais ce soir était une exception. Tout ce qu’il avait à faire, c’était attendre. Quelqu’un d’autre avait rendez-vous avec Ryoka Griffin, qu’elle le veuille ou non.

***

Ryoka se retira tôt dans sa chambre, et dormit une petite heure. Enfin, dormit est un bien grand mot. Elle fit une sieste légère, et se réveilla l’Osque son iPhone se mit doucement à sonner.

Avoir un iPhone était incroyablement pratique. Elle aurait simplement voulu être capable de jeter le sort de [Réparation] elle-même plutôt qu’avoir à le demander à un mage. Encore une bonne raison d’aller voir Ceria.

La nuit était tombée lorsque Ryoka s’habilla. Elle se déplaça en silence dans la chambre, récupérant différents objets en gardant les oreilles à l’affût du moindre bruit.

Rien. Eh bien, elle ne s’était pas attendue à entendre quoi que ce soit. Elle espérait juste que les rideaux fermés suffisaient à dissimuler ses mouvements.

Les yeux de Ryoka se dirigèrent vers la fenêtre. À Celum - ou dans n’importe quelle ville de ce monde - la nuit était vraiment sombre. Il n’y avait pas de néons, ni de voitures pour illuminer la ville. Et bien que quelques lampes et quelques torches éclairaient la rie, les toits et la plupart des rues n’avaient que la pâle lumière de la lune pour les éclairer.

Parfait.

Ryoka n’avait pas grand-chose. Juste quelques vêtements, un peu d’argent, son iPhone et ses libres. Et elle avait vendu deux livres qu’elle avait déjà lus, donc l’ensemble de ses possessions rentraient parfaitement dans son sac à dos de Coursière. Elle laissa quelques pièces sur la table, et ouvrit la fenêtre en silence.

***

L’[Assassin] qui était connu bien malgré lui sous le nom de Théophore était debout sur le toit de l’auberge et tentait de garder ses sens en alerte. C’était difficile. Il était vêtu de vêtements sombres indéfinissables, mais qui ne suffisaient pas vraiment à le protéger du froid de la brise nocturne. L’hiver allait bientôt atteindre ces terres, et quand cela arriverait, les missions de surveillance de ce genre deviendraient extrêmement douloureuses sans cristaux chauffants ni sorts coûteux.

Mais c’était son job et c’était un professionnel. Il n’avait pas un très haut niveau, mais il restait suffisamment compétent pour être assigné à Lady Magnolia sur demande. C’était aussi parce que la Guilde ne voulait vraiment pas gaspiller un membre de haut niveau sur une tâche aussi triviale, mais surveiller cette Ryoka Griffin s’était avérée être un véritable défi. L’incident des Hautes Passes avait été désastreux. Mais au moins elle était endormie à présent…

Un mouvement en-dessous de lui fit sursauter Théophore. Il entendit une fenêtre s’ouvrir, puis une silhouette agile se hissa sur le toit. Il n’y avait nulle part où se cacher, et Ryoka aperçut donc Théophore recroquevillé en silence au-dessus de sa chambre.

Pendant un instant, les deux silhouettes perchées à une courte distance l’une de l’autre se dévisagèrent. Puis Ryoka se leva.

Théophore bondit, les mains se précipitant sur ses couteaux mais il ne pouvait évidemment pas l’attaquer. Il devait la garder dans l’auberge, par contre, et cela impliquerait un combat à mains nues. Là encore, il était également entraîné pour cela, mais Ryoka Griffin était bien plus forte que l’aventurier Bronze moyen.

Ryoka s’avança sur le toit et Théophore se pencha en arrière juste à temps pour éviter le crochet qu’elle avait dirigé vers son visage. Il tenta de lui asséner un coup avec son unique compétence de combat à mains nues - [Point de Pression : Paralysie], mais elle dévia sa main d’une pichenette.

Damnation. C’était mal parti. Le toit de l’auberge était en pente, ce qui rendait l’esquive et le combat deux fois plus durs, même pour un [Assassin]. Si Théophore avait eu la compétence de [Foulée Équilibrée], les choses auraient peut-être été différentes mais…

Ryoka tenta de lui asséner une frappe verticale. Il le bloqua facilement, et c’était le but. Lorsque le bras de l’[Assassin] se releva, Ryoka avança et lui donna un coup de pied.

Il l’avait vue se battre, mais il n’était pas prêt pour le coup de pied bas qui s’écrasa dans sa jambe gauche, juste au-dessus du genou. Théophore vacilla. On aurait dit qu’une hache venait de rentrer tans sa jambe, l’engourdissant de douleur. Il recula, essayant de ne pas montrer son agonie sur son visage.

Mais Ryoka ne s’avança pas. Elle ajusta son sac à dos et fit volte-face. Théophore jura et se précipita, mais elle était déjà en train de courir. Les pieds nus de Ryoka claquèrent sur le long de la pente du toit. Elle atteint le bord et bondit.

Dans la noirceur de la nuit, une silhouette solitaire fila au-dessus du toit et atterrit avec un bruit sourd sur un autre toit. Elle courut, rebondit sur une cheminée avec ses deux mains et se mit à bondir de toit en toit dans un style connu dans son monde sous le nom de Parkour.

Pour Théophore, cela ressemblait affreusement aux mouvements des [Assassins] de très haut niveau. Il la pourchassa, jurant à cause de sa jambe blessée qui le ralentissait. Ryoka gagnait déjà du terrain. Il ne pouvait se permettre de la perdre de vue.

Elle savait qu’il la suivait. Sa tête se retourna un instant et elle le vit foncer sur les toits derrière elle. Théophore ne pouvait pas distinguer ses traits dans les ténèbres, mais il aurait juré qu’elle lui avait souri pendant un instant.

Ryoka détourna la tête, et accéléra le rythme. Une main se leva et un doigt se dressa dans un geste sans équivoque.

Théophore grogna et courut plus vite, ignorant la douleur de son membre blessé. Il ne la perdrait pas. Il était un professionnel, et il avait été entraîné à rattraper même des [Coursiers] si c’était nécessaire.

Les deux filèrent de toit en toit, bondissant, roulant, et sautant, faisant probablement sursauter les habitants dessous lorsqu’ils atterrissaient sur le terrain inégal. Ryoka avait une avance de quelques maisons, mais il finirait par la rattraper. C’était un [Assassin], et elle n’était qu’une [Coursière].

Il finirait par l’attraper. Les [Assassins] étaient connus pour leur capacité à poursuivre leurs cibles sur des courses à grande vitesse. Ils étaient connus pour leur maîtrise de l’escalade et leur agilité sur les toits. Ils étaient connus pour…

Ryoka bondit sur un autre toit et glissa sur les tuiles, en en faisant sauter quelques-unes. Elle sauta du toit, fit un salto et enchaîna sur une roulade en atteignant les pavés de la rue en-dessous. Théophore regarda, bouche-bée, Ryoka se relever et continuer à courir sans marquer de pause. En quelques secondes, elle était hors de vue.

Il s’arrêta sur le toit. Même s’il avait su ce qu’elle allait faire, il aurait perdu quelques secondes cruciales à trouver une prise et à descendre. Il n’aurait jamais essayé de sauter comme elle venait de le faire. Était-ce une Compétence ? Ou…

C’était sans importance. Elle était au sol, et Théophore savait qu’il ne la rattraperait pas. Il savait où elle allait, ce qui était déjà ça.

Mais Théophore savait que Lady Magnolia ne serait pas contente de son échec. Lentement, avec réticence, il rentra à l’auberge où Ryoka avait dormi. Il devrait faire un rapport. Il y aurait des conséquences, et elles retomberaient sur sa tête. Il serait probablement réaffecté ou un membre vétéran de la Guilde serait envoyé. Mais c’était seulement les problèmes qui concernaient la Guilde. Il y avait plus grave. Lady Magnolia ne serait pas contente.

Elle ne serait pas contente du tout.

***

Lady Magnolia était une femme joyeuse la plupart du temps. Elle était délibérément joyeuse, et de nature aimable parce que les gens aimaient bien les gens joyeux. Cela permettait de leur faire baisser leur garde, et de plus, elle trouvait la joie préférable aux soupçons ou au pessimisme, dans tous les cas.

Et dans ce cas précis, Magnolia était joyeuse parce qu’elle allait enfin avoir sa confrontation. Certes, ce n’était pas selon ses termes, mais on ne pouvait pas gagner à chaque bataille. Ryoka était parvenue à éviter de venir la voir pendant un bon bout de temps, donc Magnolia allait la voir, elle.

C’était une position de négociation inconfortable que d’être le côté qui avait besoin de l’autre plutôt que celui en possession de toutes les cartes, mais parfois, il était nécessaire d’être proactive. Et en ce cas précis, Magnolia avait décidé de mettre le paquet.

La joie, c’était très bien, tout comme la gentillesse et la générosité. La générosité ouvrait bien des portes que les menaces ne pouvaient ouvrir. Et la générosité couplée à des menaces implicites mais voilées ouvrait encore plus de portes, d’après l’expérience personnelle de Magnolia.

Exemple concret. Magnolia visitait une auberge, un établissement indigne d’une femme de son rang et de sa position. Personnellement, elle aurait adoré venir dans des auberges si ce n’était pas considéré comme répréhensible par les gens de sa société, mais en ce cas précis, sa visite était uniquement pour les affaires. Et la générosité avait bien marché ici. Une suggestion aimable ou deux, quelques pièces d’or et l’aubergiste avait vidé l’auberge pour elle.

Il était tard, et les clients avaient sans doute été vexés d’avoir été réveillés et envoyés dehors. Mais un peu d’argent et un repas, courtoisie de Lady Magnolia, adouciraient la plupart des humeurs.

Un serviteur ouvrit la porte de la voiture et Magnolia laissa Ressa l’aider à sortir. Une légère pluie s’était mise à tomber sur la ville, et un parapluie en tissu enchanté avec le meilleur sort d’[Imperméabilité] fut par conséquent immédiatement placé au-dessus de la tête de Magnolia.

Ses servantes et une poignée d’hommes et de femmes qu’elle avait discrètement employés s’étaient déployés autour de l’auberge, pour “décourager” plusieurs Coursiers et quelques aventuriers qui rôdaient près de la porte du fond.

Ressa accompagna Lady Magnolia au deuxième étage. Le reste des [Assassins] et des [Servantes] restèrent en bas, attendant les ordres de Magnolia. Elle n’avait pas peur. Son Intendante était suffisante comme escorte dans le cas où Ryoka se montrerait belligérante, et une [Lady] avait naturellement ses propres moyens de se défendre.

Mais Magnolia ne pensait pas qu’il y aurait trop de problèmes. Ou plutôt, elle s’attendait à pouvoir gérer n’importe quel problème à l’aide de ses Compétences. Elle s’arrêta devant la porte de Ryoka et frappa.

Pas de réponse. Magnolia échangea un regard avec Ressa et frappa de nouveau, plus fort.

Là encore, pas de réponse. Magnolia fronça les sourcils. Elle s’était attendue à ce que Ryoka remarque que le reste des clients se faisaient réveiller, mais ah, peut-être que la fille faisait sa forte tête. Très bien.

Lady Magnolia haussa la voix.

“Bonsoir, Miss Griffin. Puis-je entrer ?"

Il n’y eut aucune réponse.

Étrange. Lady Magnolia savait que ça aurait dû marcher. Elle haussa la voix.

“Ryoka, ma chérie ? Bonjour ? Y a-t-il quelqu’un ?”

Un silence de mort. Lady Magnolia fronça les sourcils.

“... Bonjour ?”

« Modifié: 31 mai 2020 à 19:47:54 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #51 le: 06 mai 2020 à 18:44:51 »
1.34
Traduit par Maroti

Erin s’assit avec Loks et regarda le mage dans son auberge. Un bazar d’assiettes vides, les restes d’un grand petit-déjeuner, était éparpillé autour du trio.

Ryoka s’assit dans une petite salle de la Guilde des Aventuriers à Esthelm et attendit alors que la mage Demi-elfe se préparait devant elle.

Elles étaient séparée par de nombreux kilomètres de distance, mais les deux jeunes femmes avaient toutes les deux posé la même question. L’une avait réveillé et soudoyé le mage avec de la nourriture et avait invité une Gobeline à apprendre. L’autre avait couru à travers la nuit et été arrivé fatigué et en sueur pour frapper à la porte de la mage et demander à être enseigné.

Les mages étaient aussi différents. L’un était une fille en partie humaine qui semblait être légèrement plus vieille que Ryoka, mais dont l’apparence supposait quelque chose d’intemporel, et dont la beauté attirait l’œil. Mais tout cela n’était que des indices, et sa beauté était autant dût à son héritage qu’à son apparence physique. Et pourtant, elle était une rare vision dans toutes les nations ; une demi-Elfe nommée Ceria.

L’autre mage était Pisces. Ses robes grises et sales étaient toujours tachées par la terre, la météo, ou les endroits sombres dans lesquels il errait. Il avait encore un peu d’œufs brouillés sur l’une de ses manches.

Différents mages, différentes chercheuses, dans des lieux différents. Mais les questions demandées et les réponses données étaient presque les mêmes. Car la nature des questions tournait autour de la magie, et, qu’il y a fort longtemps, les deux mages avaient étudiés ensemble.

 
***

Pisces termina enfin son morceau de toast au fromage et secoua sa robe pour faire tomber les dernières miettes sur le sol. Erin le regarda, mais il était toujours imperméable à son courroux. Il soupira, avant de regarder Erin et la Gobeline assise à ses côtés.

« Si nous devons faire cela, devons-nous vraiment inclure la Gobeline ? »

Le regard d’Erin se transforma en un froncement de sourcil.

« Son nom est Loks. »

Pisces leva un sourcil.

« C’est le nom que tu lui as donné, certainement. Son nom de Gobelin est probablement imprononçable pour toi et moi, mais je suspecte qu’elle proteste autant que moi à l’idée d’avoir un tel surnom. »

« C’est mieux que de l’appeler ‘Gobeline’. De plus, elle semble ne pas s’en plaindre. Pas vrai, Loks ? »

Erin lança un regard du coin de l’œil. Loks n’évita pas son regard, elle était juste occupée à ne pas quitter Pisces des yeux.

« Ahem. Nom à part, pourquoi est-ce qu’elle est ? Tu m’as demandé de t’apprendre de la magie. »

« Ouaip, et j’ai pensé qu’elle aimerait bien apprendre aussi. »

Loks hocha la tête. Pisces soupira et frotta ses yeux.

« C’est juste que… Puis-je désormais exprimer mes objections ? La magie n’est pas un jeu ou un ‘tour de passe-passe’. J’ai accepté ta demande malgré ma réticence parce que je crois que tu as réellement envie d’apprendre. Enfin, la Gobeline a peut-être le même souhait, mais cela n’est pas une triviale affaire. Me promets-tu de prendre cet enseignement avec le sérieux nécessaire ? »

« Je suis on ne peut plus sérieuse. Plus sérieuse que sérieuse. »

Erin sourit et Pisces lui lança un regard. Puis elle sursauta alors que Loks enfonça un ongle cassé dans sa hanche. La fille lança un regard à la Gobeline, qui lui rendit sans sourciller.

« D’accord. D’accord. Je suis sérieuse à ce sujet, Pisces. Et je veux vraiment savoir. Alors est-ce que tu peux m’apprendre ? S’il te plait ? »

Pisces hésita.

***


« Bien sûr que je peux t’enseigner, Ryoka. Je serais heureuse de t’aider, mais je suis curieuse, pourquoi ce soudain intérêt ? »

Ceria s’affaira dans la petite chambre qu’elle avait louée dans la Guilde des Aventuriers, cherchant pour sa baguette parmi ses affaires éparpillées.

« Tu as couru au milieu de la nuit pour venir ici ? Et tu as évité un… [Assassin] ? J’ai du mal à y croire, mais tu l’a parfaitement décrit. »

Ryoka se percha sur une chaise en bois et admira les cheveux brun-clair de Ceria capté la lumière du soleil. Malgré le fait qu’elle avait déjà traîné avec Ceria auparavant, la demi-Elfe était toujours différente dans l’air surnaturelle qu’elle exsudait, mais Ceria était trop occupé à soulever le matelas et regarder sous son oreille pour remarquer la curiosité de Ryoka.

La fille aux pieds nus essaya de ne pas bâiller en cherchant une réponse. Au moins, elle n’était pas en sueur. La Guilde des Aventuriers n’avait pas de douche, mais au moins il avait des lavabos et un puits qui était bien pratique.

« C’est juste quelque chose qui m’intéresse vraiment. Et pouvoir me défendre fait partie de cette raison, mais je veux juste apprendre des choses sur la magie. Ce n’était pas… Enormément pratiqué de là ou je viens. »

« Je vois. Mais, s’il te plaît, ne soit pas déçue si tu ne commences pas à envoyer des [Boules de Feu] à tout, d’accord ? La plupart des Humains à qui j’ai essayé d’enseigner étaient, et bien, plutôt impatients. Et ce n’était pas comme si avoir une demi-Elfe comme professeure accélérait l’apprentissage. »

« Loin de moi cette idée. »

Finalement, Ceria trouva ce qu’elle cherchait. Elle sortit sa baguette de derrière ses sacs de voyage et la place sur la table à côté de Ryoka avant de tirer une chaise pour s’asseoir en face.

« Très bien, par où pourrai-je commencer ? Je suppose qu’il serait important de savoir ce que tu sais déjà sur la magie. »

Ryoka présenta ses mains sans un mot. Ceria secoua la tête avec un sourire.

« Cela simplifie les choses. Fort bien, je suppose que je vais t’expliquer ce qu’est la magie. »

***


Pisces se leva de sa chaise. Son attitude changea dès l’instant où il avait véritablement décidé d’enseigner à Erin. Il libéra le sol autour de lui et commença à faire les cent pas. Il parlait comme l’un des vieux professeurs qu’Erin avait eu au lycée, ceux qui était pointilleux et pédants.

« La magie est un art. C’est une chose que seul les plus talentueux et dévoué peuvent espérer atteindre. Ceux qui possèdent une véritable maîtrise des arts magiques créent des œuvres de beauté et d’émerveillement avec chaque incantation. »

***


Ceria haussa les épaules et toucha délicatement le bout de sa baguette. Cette dernière produisit quelques étincelles violettes qui se dissipèrent en tombant au sol.

« Je ne sais pas exactement ce qu’est la magie. C’est un mystère, mais je peux t’assurer qu’elle est dans l’air que nous respirons, dans tous les pas que nous prenons et dans le battement de nos cœurs. C’est quelque chose d’incroyable, mais elle est dangereuse. Terriblement dangereuse, et les Humains surestiment leur maîtrise de la magie depuis fort longtemps. »

***


Pisces pointa Erin et Loks du doigt. Il rencontra leur regard de manière sérieuse.

« Ne sous-estime jamais la magie. Ne la prends jamais à la légère. Même en pratique, et même si tu penses avoir entièrement maîtrisé un sort. Contrairement au maniement du marteau ou de l’aiguille, la magie est parfaitement capable d’occire un praticien négligeant. »

***


Ceria soupira. Ses yeux se perdirent dans le vide alors qu’elle regarda à travers Ryoka.

« Il existait une époque où tout le monde savait utiliser de la magie, ou du moins c’est ce que mon grand-père m’a dit. C’était aussi simple que de prendre une respiration, même pour les enfants, et tous les demi-Elfes apprenaient un sort du Second Echelon avant de devenir adolescent.  Mais dans les villes humaines et dans les autres nations, les étudiants étudient sous la tutelle de plus vieux mages ou voyagent jusqu’à des écoles comme l’Académie de Wistram. »

« Les vrais [Mages] sont rares. Ceux accrédités par l’Académie de Wistram ou une institution magique similaire  sont plus rares encore. »

***


Pisces sourit avec suffisance aux deux membres de son audience sachant qu’il était le plus rares d’entre eux. Il agita sa main de manière dédaigneuse avant de continuer.

« Les [Mages] en général ? Pah. Tout le monde peut obtenir cette classe, ou l’une de ses variations, mais nombreux sont ceux qui stagnent et luttent pour attendre le Niveau 20. En effet, le manque d’éducation centralisé entre les nations a donné naissance à des variations moins puissantes basées sur la classe de [Mage]. [Sorciers des Haies], [Féticheurs], les [Sorcières] en général, les [Magelames] qui sont douteusement qualifiable, les [Druides]… Et bien, je suppose que les [Druides] sont l’exception qui confirme la règle, et bien sûr réservons la majorité de notre dédain pour les soi-disant [Ensorceleurs]… »

Pisces se rendit compte qu’il était en train de perdre son audience et s’arrêta. Erin était furieusement en train d’écrire le nom des classes alors que Loks était en train de nettoyer une de ses oreilles avec son auriculaire. Il s’arrêta avec reluctance.

« Même ces lanceurs de sort sont uniques. Élus. Ils sont capable de lancer des sorts, ce qui est déjà plus que la majorité de l’humanité. »

***


Ceria soupira et hocha tristement la tête.

« Tous les Humains n’ont pas le potentiel de devenir des [Mages]. C’est une histoire de talent et du potentiel magique inné de ton corps. »

Les oreilles de Ryoka se levèrent de manière métaphorique en entendant cette dernière phrase. Elle fronça les sourcils en regardant Ceria.

« ‘Tous les Humains n’ont pas le potentiel’ ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a certaine race qui sont ont plus ou moins de potentiel ? Qu’en est-il de ton espèce ? »

***

Pisces sourit avec suffisance aux deux membres de son audience sachant qu’il était le plus rare d’entre eux. Il agita sa main de manière dédaigneuse avant de continuer.

« Les [Mages] en général ? Pah. Tout le monde peut obtenir cette classe, ou l’une de ses variations, mais nombreux sont ceux qui stagnent et luttent pour attendre le Niveau 20. En effet, le manque d’éducation centralisé entre les nations a donné naissance à des variations moins puissantes basées sur la classe de [Mage]. [Sorciers des Haies], [Féticheurs], les [Sorcières] en général, les [Magelames] qui sont douteusement qualifiable, les [Druides]… Et bien, je suppose que les [Druides] sont l’exception qui confirme la règle, et bien sûr réservons la majorité de notre dédain pour les soi-disant [Ensorceleurs]… »

Pisces se rendit compte qu’il était en train de perdre son audience et s’arrêta. Erin était furieusement en train d’écrire le nom des classes alors que Loks était en train de nettoyer une de ses oreilles avec son auriculaire. Il s’arrêta avec réluctance.

« Même ces lanceurs de sort sont uniques. Élus. Ils sont capables de lancer des sorts, ce qui est déjà plus que la majorité de l’humanité. »

***


Ceria soupira et hocha tristement la tête.

« Tous les Humains n’ont pas le potentiel de devenir des [Mages]. C’est une histoire de talent et du potentiel magique inné de ton corps. »

Les oreilles de Ryoka se levèrent de manière métaphorique en entendant cette dernière phrase. Elle fronça les sourcils en regardant Ceria.

« ‘Tous les Humains n’ont pas le potentiel’ ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a certaines races qui sont ont plus ou moins de potentiel ? Qu’en est-il de ton espèce ? »

***


Pisces semblait mécontent en entendant la question d’Erin. Il croisa ses bras et fronça les sourcils.

« Je suppose que tu parles des demi-Elfes. Oui, leurs affinités pour la magie est bien plus grande que la nôtre. Cependant, un avantage lié à l’espèce ne se traduit pas dans le talent d’un individu, et cela ne veut pas dire que les plus grands mages ne sont jamais humains. En vérité, certains des plus grands archimage de cette ère son humain. Et des exceptions naissent dans des races qui ont normalement peu de talent magique. Les Minotaures, par exemple, sont presque dénués de potentiel, mais certains ont réussi à atteindre des sorts du Second Echelon. »

Erin tenta de s’imaginer un Minotaure, mais la seul image qu’elle avait été celle des monstres à tête de taureau et au corps humain représentés sur d’anciennes fresques grecques. Elle avait du mal à imaginer l’un d’entre eux murmurant des sorts ou lisant un livre.

Pisces fronça les sourcils et Erin arrêta de sourire.

« Bon, d’accord. Tous les humains ne sont pas des mages. Certains d’entre nous sont des Moldus. C’est bien ça ? »

« Des Moldus ? »

« Heu… Qu’en est-il des Gobelins ? »

Pisces renifla.

« Je n’ai jamais entendu parler d’un Gobelin avec des capacités rivalisant avec celle d’un vrai mage. Leur talent inné pour la magie est probablement trop bas pour supporter l’effort nécessaire pour lancer un sort. L’intégralité de leur race peut à peine éteindre une bougie, encore moins magiquement. »

Erin et Loks se redressèrent dans leurs sièges, indignées. Erin ouvrit sa bouche, mais Loks leva son doigt en première.

Vu qu’elle venait de lever son index plutôt que son majeur, Erin et Pisces la regardèrent avec curiosité. Elle murmura quelques mots dans sa propre langue et regarda le bout de son doigt.

Rien n’arriva. Erin échangea un regard avec Pisces, puis une étincelle de lumière lui fit cligner des yeux. Elle regarda le doigt de Loks et fut surprise de voir une petite flamme danser au bout de son doigt. Erin l’admira, avant de regarder Loks.

« Tu peux faire de la magie. »

Pisces secoua la tête. Il souffla sur le doigt de Loks et la flamme s’éteignit. Elle plissa les yeux, mais il n’était pas impressionné par sa magie ou son regard.

« De la magie tribale. Feh. »

« Attends une seconde. »

Erin était extrêmement confuse et elle voulait le faire savoir à tout le monde.

« Mais c’est de la magie ? Pourquoi est-ce que t’appelles ça de la magie tribale ? »

Pisces se frotta la tempe.

« Je devrai vraiment bannir tes questions. Pour résumer une histoire complexe, la magie que ta petite amie utilise n’est pas de la véritable magie. Ou du moins, pas la magie pratiquée par les [Mages]. Sa magie actuelle est un amalgame de mana tiré de sa tribu. »

Erin regarda Pisces avec incompréhension.

« Quoi ? »

Il soupira et serra son nez.

« Laisse-moi te l’expliquer d’une autre manière. La magie nous entoure. Elle est dans tout, mais la capacité de chaque individu pour la magie varie, et cela vaut aussi pour ce qui nous entoure. Ainsi donc, dans un environnement chargé magiquement, les sorts sont plus faciles à lancer. Dans une zone sans magie, un [Mage] ne peut compter que sur ses propres réserves internes de magie pour lancer des sorts. »

« D’accord, ça j’ai compris. »

Pisces hocha la tête. Il pointa Loks du doigt qui se pencha pour ne pas être dans la ligne de mire de l’index.

« Les Gobelins, de leur côté, pratique une autre forme de magie. Ils tirent leur mana non pas que de l’environnement, mais aussi des autres Gobelins. Donc un seul Gobelin peut utiliser le mana d’une tribu entière à laquelle il est affilié pour lancer des sorts. »

Erin claqua des doigts et Loks sursauta. La Gobeline regarda la main d’Erin de manière suspecte et tenta aussitôt de reproduire le geste.

« Oh, je comprends. Tu approvisionnes ta magie par la foule. »

Pisces cligna des yeux en regardant Erin, avant de décider d’ignorer son étrange commentaire et les tentatives de Loks de faire claquer ses doigts.

« Oui, enfin, c’est quelque chose de grossier. Mais je suppose que c’est suffisamment puissant à sa propre manière, vu que cela permet aux tribus Gobelines d’avoir un ou deux lanceurs de sorts. Ces, hum, ‘Shaman’ tirent leur pouvoir de la collectivité. Plus le groupe est large, plus ils sont puissants. Et donc, alors que les Gobelins de cette zone ne peuvent probablement pas créer plus que quelques étincelles là ou une tribu de plus de mille individus est capable de créer un [Shaman] décemment puissant. Mais cela est inefficace. »

Pisces secoua la tête.

« Un millier d’individus pour une seule personne capable de lancer des sorts ? Un ridicule gâchis. »

« Hey, si ça marche… »

Il renifla.

« Ce n’est pas de la véritable magie, c’est tout. Il est vrai que ces [Shamans] sont peut-être capable de copier de nombreux sorts, mais ils naissent d’une volonté collective en manquant de formes et de structures. Ce genre de sorts appartient plus à l’ancienne magie des Miracles plutôt qu’aux véritables Arts Magiques. »

Erin commençait à avoir mal à la tête. Elle leva la main comme si elle était en classe.

« Attends une minute. Les Miracles ? »

Un nouveau soupir. Loks arrêta d’essayer de faire claquer ses doigts et se rassit pour écouter.

« Une forme de magie plus ancienne et éteinte. Enfin, j’appelle cela de la magie, mais même aujourd’hui nous ne savons pas si les Miracles étaient de la magie ou… Autre chose. Tu peux les imaginer comme des prières prenant forme dans la réalité. Comme, par exemple, souhaiter qu’un ami soit guérit. Un miracle fermerait ses blessures et restaurera son essence à travers la foi. »

Erin cligna des yeux. Cela sonnait… Comme un vrai miracle, directement tiré d’un des passages de la bible qu’elle se rappelait vaguement de son temps à l’église lorsqu’elle était petite.

« Attends, tu veux dire qu’il y a un moyen de marcher sur l’eau ou d’ouvrir les mers ? Pourquoi est-ce que tout le monde ne fait pas ça ? »

Pisces cligna des yeux et lui lança un regard qu’elle commençait à reconnaître. C’était le ‘tu n’as vraiment pas compris?’ que Selys lui faisait souvent.

« Peut-être parce que les miracles étaient tirés de la foi et de la croyance envers les dieux. Et les dieux n’existent plus. Ergo, les miracles se sont aussi éteints. »

Erin ouvrit la bouche et la ferma silencieusement pour digérer ce qu’elle venait d’entendre. Pisces continua, ne prêtant pas attention.

« Mais tu es correcte. Il existait une époque où les miracles égalaient la magie dans sa capacité à distordre le monde. Il était dit qu’un [Clerc] du plus bas niveau pour faire des choses qu’un [Archimage] ne pouvait pas réaliser. »

Il s’arrêta et ferma les yeux. Pisces sembla réciter quelque chose de tête.

«Par la foi et uniquement par la foi ils distordent les chaînes de la réalité. Leurs désirs et croyances créent des Dieux et forment un passage entre l’impossible et la vérité. Même si les lames et les sorts peuvent prendre leur vie, leurs inviolables volontés feront bouger ce monde. »

Il secoua la tête.

« Tellement pour ça. Les dieux sont morts. Ainsi que les anciennes méthodes de la foi et des miracles. »

Erin ne savait pas pourquoi, mais elle sentit un poids dans son cœur en entendant ces mots. Comme si quelque chose avait été perdu avant qu’elle ne puisse le découvrir. Elle leva de nouveau la main.

« Donc il n’y a plus de miracles ? Je pensais qu’il y avait quelque [Guérisseur] à Liscor. Qu’en est-il d’eux ? »

« Ah, et bien. Les [Guérisseurs] sont simplement des pratiquants des arts de la restauration, et dont certains sont capable de lancer des sorts. Beaucoup comptent sur les potions ou de simples bandages plutôt que des miracles. La définition de cette classe a évolué, et accordement, les compétences et les sorts appris ont changé à leurs tours. En réalité, c’était un phénomène fascinant. Je l’ai étudié lors de l’un de mes cours à l’époque où j’étais à Wistram… »

Pisces secoua la tête.

« Mais je n’ai pas le temps de m’aventurer dans la variation des classes au fil des siècles. Ou est-ce que j’en étais ? Oh, bien sûr. La Magie. N’oublions pas que nous sommes là pour apprendre. Fort bien, je suppose que tu comprends un peu ce qu’est la magie. Maintenant, pour te tester. »

Pisces leva ses mains et s’avança soudainement vers Loks et Erin. Leurs chaises reculèrent, et il s’arrêta, irrité.

« Ce n’est pas un processus dangereux. Je souhaite simplement vérifier si l’une d’entre vous a la capacité de devenir mage. Je vous testerai de manière traditionnelle. Ne bougez pas, je vais saturer la zone autour de vous de mana brut et vous permettre de démontrer vos capacités magiques… Ou l’absence des dîtes capacités. »

***

Ryoka regarda Ceria.

« Est-ce que ça va faire mal ? »

« Oh, bien sûr que non. Ce n’est qu’un test, c’est tout. C’est comme ça que j’ai appris lorsque j’étais enfant. Je sais que les Humains le font différemment, mais il devrait marcher sur toi. »

Elle leva sa baguette et le bout brilla d’une lueur blanc-argenté. Ceria sourit pour calmer l’appréhension de Ryoka.

« Regarde. Je vais dessiner un symbole dans l’air. Je veux que tu le regardes et que tu me dises ce que tu vois. Ne t’inquiète pas, il n’y a pas de limite. Et tu peux détourner le regard si tes yeux commencent à te faire mal. »

Lentement, Ceria commença à bouger sa baguette à travers l’air, laissant derrière elle une image différée qui flotta et scintilla dans le champ de vision de Ryoka. La baguette de Ceria bougea et crépita, traçant un paterne qui ressemblait à une sorte de gribouillage et quelques lignes droites rassemblées de manière aléatoire.

Mais… Ce n’était pas qu’en deux dimensions. Ryoka cligna des yeux et se les frotta. Elle ne savait pas comment, mais la baguette de Ceria avait commencé à tracer l’image en trois dimensions. Et puis l’image changea de nouveau et la rune… Ou est-ce que c’était un mot ? Prit une nouvelle dimension qui ne pouvait pas être capturée par une caméra.

Ryoka pensa qu’elle avait entendu le mot magique se dessiner dans l’air. Ou elle le ressentit. Et quand Ceria reposa sa baguette, le symbole blanc et luisant brûla la vision de Ryoka.

« Calme-toi. Regarde-le tant que ce n’est pas inconfortable. Il n’y a pas de problème si tu ne peux pas le comprendre. »

La voix de Ceria provenait de derrière le nuage de lignes luisantes. Ryoka ouvrit les yeux et se força à se concentrer sur les lignes.

C’était si difficile à comprendre.

***

« Je ne comprends pas. »

Erin se plaint à Pisces alors qu’elle tenait ses mains en avant. Le mage grogna. Il était aussi ses mains en avant, paumes vers Erin et Loks. De la sueur coulait sur son front, mais rien ne semblait se produire.

« Je… Suis en train d’infuser l’air qui vous entoure de mon mana. Cela vous permettra de lancer des sorts si vous avez le potentiel. »

« Mais comment ? Tu ne nous as pas dits comment ? »

Une veine apparut sur le front en sueur de Pisces. Il grogna de nouveau.

« Pense à quelque chose. »

« Comme quoi ? »

« N’importe quoi ! Ce que tu désires ! Du feu, de l’eau, une nouvelle casserole neuve. Force la magie à obéir à tes ordres ! »

***

« Détends-toi. Ne le regarde pas trop fort. Laisse-toi faire. »

Ryoka tenta d’obéir. Vraiment. Mais le mot magique était comme un problème non résolu brûlant dans sa tête. Elle voulait le regarder, pour comprendre ce qu’il disait, et plus elle le regardait avec insistance, plus le cerveau devenait confus.

C’était comme un problème de math. Un problème difficile, bien plus difficile que ceux qu’elle avait eu dans sa classe de Calcul Avancé à la FAC.

Oui… Exactement comme un problème de math. Ryoka cligna des yeux. Soudainement, des parties du symbole avait du sens. Il y avait des… Facettes qui ressemblaient à une équation mathématique. Des choses qui devaient être balancées. Tu ne pouvais pas prendre la magie et l’utiliser sans répercussion. Couts et échange.

La Loi de Conservation de l’Energie. Il n’y avait que l’énergie qui pouvait être détruite par la magie. Mais le coût était tiré de la magie, et donc la loi restait approximativement intacte. Mais la magie n’était pas basée dans la science. Ce qui était détruit pouvait être plus ou moins que ce qui était gagné. La Magie était. Mais elle obéissait à certaines règles, comme l’osmose. Elle coulait. Et elle coulait autour du monde.

Ryoka posa sa tête entre ses mains et essaya d’arrêter de penser. Mais le mot était en train de la brûler de l’intérieur. Elle était sur le point de comprendre, et il lui parlait. C’était un mot. Mais est-ce qu’il y avait un nom pour ce mot dans son langage limité ?

Ceria croisa ses mains sur son giron et sourit légèrement en regardant Ryoka.

***

Pisces siffla alors que son visage se froissa de concentration. Il était déjà en train de devenir rouge, mais l’Humaine et la Gobeline ne faisait rien.

Erin se concentra. Vraiment. Elle essaya de penser à une flamme identique à celle que Loks avait conjurée, mais elle terminait par penser aux briquets et aux allumettes.  Elle tenta de murmurer des mots.

« Expelliarmus. Alohamora. Wingardium Leviosa. Wingardium leviosa. »

« Qu’est-ce que tu murmures? »

«Rien. »

Cela ne marchait pas. Erin ne ressentait rien, à part une légère douleur dans ses bras causé par le fait qu’elle tenait ses bras en l’air depuis trop longtemps. Elle serra les dents. Elle pouvait le faire. Elle ferma les yeux et poussa


Une flamme apparut et s’évapora dans un nuage de fumée. Erin laissa échapper un petit cri de surprise et sourit de soulagement et de triomphe…


Loks cligna des yeux en regardant son doigt et pointa de nouveau. Pisces poussa un petit cri alors qu’une petite flamme partit du bout de son doigt et se dirigea vers lui. La flamme se changea en fumée avant de l’atteindre et provoqua une quinte de toux.

« Oh. Encore de la magie tribale ? »

Le mage secoua la tête en toussant, dispersant la fumée. Mais il ne semblait pas en colère. À la place, il regarda Loks pendant quelques secondes avant de répondre lentement.

« Ce n’était pas de la magie tribale. C’était le tout début du sort de [Luciole]. »

« Vraiment ? »

Encouragée, Erin étira ses doigts et essaya le plus fort possible de réaliser la même chose. Mais Pisces n’était pas en train de la regarder. Son attention était fixée sur la fière Gobeline. Il mit l’une de ses mains à son menton et commença à murmurer dans sa barbe.

« Les Gobelins ne peuvent pas apprendre de la magie de manière traditionnelle. C’est impossible. Surement, s’ils avaient le potentiel il aurait été découvert et analysé il à des siècles. Les potentielles ramifications… Où n’est-ce qu’un accident de la nature ? Un ancêtre ? »

Il se retourna et pointa Loks du doigt, la Gobeline se pencha en arrière.       

« Toi. Enfant Gobeline. Est-ce que ta mère n’était pas une Gobeline ? Ou… Ton père ? »

Elle secoua la tête.

« Pourquoi est-ce que cela aurait de l’importance ? »

Erin s’adressa brusquement à Pisces. Il sursauta et regarda ses mains. Il les tendit de nouveau dans sa direction et se reconcentra en parlant.

« Cela expliquerait certaines choses. La descendance des Gobelins sont toujours des Gobelins, qu’importe le partenaire ou son sexe. Mais parfois les Gobelins peuvent hériter de traits de leurs… Parents. La, ah, victime peut permettre d’expliquer des talents inhabituels. Mais si cette jeune Gobeline… Loks n’a pas d’ancêtres directs non-Gobelins cela veut dire… »

« Qu’elle peut devenir mage. Je comprends. »

Erin fronça les sourcils en regardant ses mains. Elle se força à les imaginer en feu.

« Ne t’arrête pas. C’est à mon tour maintenant. Le test n’est pas terminé, pas vrai ? Je peux toujours continuer ? »

Pisces hésita. Quelque chose dans son visage s’adoucit alors qu’il regarda Erin.

« … Bien sûr. Continue d’essayer. »

Elle ignora ce qu’il y avait dans son regard et la manière dont Loks le regardait. Erin regarda ses mains. Elle lancerait de la magie. Elle le pouvait. Elle lancerait de la magie. Elle lancerait

***

Ryoka essaya de ne pas hurler alors qu’elle regarda le mot et que la magie lui rendit son regard. Elle ne pouvait pas lui échapper, même en fermant les yeux. Le mot était le début, et le mot était la magie et la magie était avec elle et la magie était en train de se réaliser…

Il brûla l’esprit de Ryoka comme un feu de forêt. Le savoir brûla à travers ses hypothèses et ce qu’elle avait sût jusqu’à ce jour, détruisant des murs dans sa tête dont elle avait ignoré l’existence. L’agonie était impossible à supporter.

Ceria était en train de la secouer, essayant de faire bouger Ryoka. Elle lui disait que cela n’aurait pas dû arriver, essayant d’effacer le mot magique. Mais il était enraciné dans l’âme de Ryoka. C’était un bout de la vérité, quelque chose à quoi s’accrocher même lorsque le reste du monde s’écroulait.

Ryoka rouvrit les yeux. La magie s’engouffra à travers elle, un sentiment différent de tout autre. Ce n’était pas comme se sentir plus vivant. La vie était la vie, mais la magie… Étais ouvrir une autre porte et entrer dans un autre monde.

Soudainement, la douleur disparue. Ryoka se rassit et retira les mains de Ceria.

« Je vais bien. Je suis. Je l’ai vu. »

Ceria regarda anxieusement le visage de Ryoka. La coursière avait mordu sa lèvre si fort qu’elle avait commencé à saigner, mais elle ne semblait pas s’en rendre compte.

« Je l’ai vu. »

Ryoka se répéta et regarda la forme qui se dissipait dans l’air. Elle n’avait pas besoin de le voir. Elle s’en rappelait. Elle allait s’en rappeler pour toujours.

Le savoir était dans ses yeux, dans la manière avec laquelle Ryoka bougeait, dans tout ce qu’elle était. Ceria regarda Ryoka, et ce qu’elle vit la rassura. Elle sourit, soulagée.

« Alors ? Est-ce que tu as vu ce que j’ai écrit ? Peux-tu me dire ce qui était écris ? »

Ryoka prit une grande inspiration. Cela n’avait pas de véritable nom. Pas en anglais, ni dans un langage qu’elle était capable d’exprimer, même avec un millier de mots. Mais il y avait tout de même un moyen de le dire.
Elle ouvrit la bouche.

« [Lumière]. »

Dans l’immobilité du matin, une lumière brilla à travers la fenêtre. Tout était immobile, et puis la lumière du soleil fut rejointe par autre chose.

Une douce lumière apparut depuis le torse de Ryoka. Elle descendit le long de ses bras, et à travers ses paumes, qui commencèrent à luire. Un balbutiement de couleurs luisantes flotta depuis les paumes de Ryoka, s’élevant jusqu’à son visage alors qu’elle la regarda.

C’était la chose la plus magique que Ryoka avait vu de sa vie. C’était la sienne. Un orbe brillant et nettement définit, composé de ce qui ne pouvait qu’être que de la lumière manifestée. C’était plus brillant qu’une ampoule car ce n’était que de la lumière, mais ce n’était pas éblouissant pour autant. Elle pouvait voir ce qu’il y avait derrière en regardant suffisamment fort.

Et ce n’était pas de la lumière blanche. Même pendant que Ryoka le regarda, de délicats éclats violets fusionnaient avant de lentement prendre un bleu profond et de s’illuminer pour devenir vert, puis jaune. La lumière était vivante, et elle se mouvait entre ses mains.

Si Ryoka était honnête, c’était… C’était un peu comme le logo de chargement d’un ordinateur Mac, mais en trois dimensions. Et alors qu’elle pensa à ça, les lumières changèrent et commencèrent à tourner d’une manière familière et agaçante.

Ceria cligna des yeux en regardant l’orbe lumineux de Ryoka. Elle mit une main sur ses hanches et toucha l’orbe du doigt de l’autre. Son doigt passa à travers l’orbe, faisant tourner la lumière autour de son doigt.

« Je n’ai jamais des couleurs comme celle-ci. Elles sont si… Chatoyante. »

Elle prit sa baguette et la tapa dans sa paume. Aussitôt, et bien plus rapidement que le sort de Ryoka, un autre orbe de lumière s’éleva depuis la paume de Ceria. Mais sa lumière était différente. Quand elle approcha son orbe de celle de Ryoka, les couleurs de l’orbe chargèrent et se devinrent plus sombres d’une manière que les couleurs de Ryoka ne pouvaient pas atteindre.

Les couleurs de l’orbe de Ceria étaient les mêmes qu'illuminant l’orbe de Ryoka, mais elles étaient, de manière inexplicable, encore plus réelles. Le bleu qui illuminait la petite pièce n’était pas plus vivide ou brillant, mais semblait plus profond, plus subtil, aux yeux de Ryoka. C’était une compréhension plus profonde de ce qu’était le ‘bleu’ et rendait ses couleurs digitales en comparaison.

« Wouah. »

Alors que Ryoka regarda, les lumières dans l’orbe commencèrent à changer, prenant les mêmes que celle de l’orbe de Ceria. Elle regarda l’orbe et se concentra.

La boule de lumière devint soudainement blanche, avant de changer pour prendre un noir ultraviolet qui fit sursauter Ceria de surprise. De la lumière noire. Ryoka cligna des yeux. Soudainement, l’orbe était un spectre arc-en-ciel de couleurs, une boule de disco de lumières changeantes…

Et d’un seul coup, elle fit à court de magie. La lumière disparue, et Ryoka se rassit dans sa chaise. Sa tête commença soudainement à tourner, comme si tout le sang était soudainement revenu vers sa tête. Elle tenta faiblement de se relever, mais Ceria la fit se rasseoir avec délicatesse.

« Du calme, du calme Ryoka ! C’était incroyable ! Je ne pense pas avoir déjà vu quelqu’un faire quelque chose de la sorte avec un sort de [Lumière] de base… Encore moins comprendre comment changer le sort si rapidement ! Tu as utilisé tout le mana dans ton corps. Tu seras fatigué jusqu’à reprendre des forces. Tiens… Restes assise et je vais te chercher de quoi boire et manger. Ça va t’aider. »

Ceria courut hors de la pièce. Ryoka regarda ses mains. Elle sourit.

***

La dernière goutte de sueur tomba du menton de Pisces. Il prit une grande inspiration et leva ses mains.

« Je suis presque drainé. Je suis désolé, je ne peux pas continuer. »

Erin continua de regarder le bout de ses doigts. Si seulement elle pouvait juste forcer quelque chose à arriver. Cela ne prendrait qu’une seconde, elle le savait. Une seconde de réalisation et elle serait capable de le refaire. Elle avait essayé et essayé mais…

Psices leva le verre d’eau que Loks lui avait amené et le vida, ne faisant pas attention à l’hygiène. Il hésita, avant de gentiment tapoter l’épaule d’Erin.

« Il n’y a plus de magie dans l’air. Tout s’est dissipé, Erin. »

« Oh. »

Erin regarda ses mains. Elles étaient toujours les mêmes mains, mais elles semblaient plus petites, moins importantes. Elles étaient de bonnes mains, calleuses à cause du travail, mais dépourvues de cicatrices. Mais elles n’étaient que des mains. Normales.

Pisces racla sa gorge en évitant le regard d’Erin.

« Je, ah, suis désolé, Mademoiselle Solstice. »

« Non, ce n’est rien. Je savais que la magie n’était pas pour tout le monde. Et Loks peut le faire, pas vrai ? »

Erin sourit à Loks. La Gobeline leva les yeux. Étonnamment, elle avait trouvé le temps d’aller chercher quelques saucisses et un peu de fromage depuis la cuisine d’Erin. Elle les cacha dans son dos de manière coupable.

« Mange. Je parie que tu as faim. Et toi… »

Pisces cligna des yeux, mais Erin était déjà hors de son siège. Elle se précipita dans la cuisine et en ressortit avec du jus bleu et de la nourriture dans les mains et les déposa devant lui.

« Tiens. Le déjeuner et le dîner sur offert par la maison. »

« Tu es… Vraiment généreuse. Merci. »

Il commença à dévorer la nourriture comme s’il était affamé. Et il l’était probablement. Erin regarda par la fenêtre et vit que le soleil était en train de se coucher plutôt que de se lever. Est-ce que cela avait vraiment duré si longtemps ?

Pisces avala et ingurgita son repas à la même vitesse que Loks. Ils semblaient tous les deux affamées, probablement à cause de la magie. Erin les regarda sans un mot avant de s’asseoir.

« Donc, c’est quoi la suite ? »

L’humain s’arrêta et regarda Erin avec précaution. Loks continua d’avaler son repas.

« Qu’est-ce que, ah, tu veux di.. »

« Je veux dire pour elle. Pas pour moi. »

Erin pointa Loks du doigt. La Gobeline releva la tête.

« Elle peut faire de la magie, pas vrai ? Et pas que sa magie tribale, mais ta magie aussi. Elle peut apprendre. Est-ce que tu vas lui enseigner ? »

Le visage de Pisces devint blanc comme linge, il regarda Loks.

« Moi ? Enseigner ? »

« Tu allais m’apprendre quelques sorts, pas vrai ? Je ne peux pas faire de magie, mais Loks peut. Alors est-ce que tu vas lui enseigné quelque chose ? »

Pisces ouvrit la bouche pour protester, la ferma, mâcha, et avala. Il lança un regard en coin à la Gobeline, puis vers Erin, puis vers le plafond comme s’il était en train de rapidement réfléchir.

« Je n’ai… Enfin, je n’ai jamais considéré de prendre un apprenti. Tu sais que je me spécialise dans la nécromancie, n’est-ce pas ? Mais d’un autre côté… Je suis compétent dans les autres domaines magiques. Et bien sûr n’importe qui avec une simple maîtrise des fondamentaux peut apprendre. Mais un Gobelin en tant qu’étudiant… ? »

« Tu sais quoi ? Si tu viens tous les jours pour lui faire cours, je te nourris gratuitement. Vendu ? »

Cela prit encore quelques minutes de négociations, mais Pisces finit par accepter. Loks n’avait pas d’argent pour le payer, mais il était heureux de pouvoir manger gratuitement. Et de toute façon,  ce n’était pas comme si Erin avait vu de l’argent venant de lui.

Elle quitta l’auberge et Pisces commença à expliquer l’histoire de la magie et les théories fondamentales de l’Art de la Magie à une Gobeline abasourdie et marcha descendit rapidement la colline. Sa destination était Liscor.

Après quelques minutes, Erin remarqua que quelque chose était en train de la suivre. Elle marchait assez vite pour que le squelette doive trotter derrière pour la suivre. Erin s’arrêta et il continua de courir jusqu’à s’arrêter à quelques pas derrière elle et d’attendre patiemment. Elle fronça les sourcils.

« C’est toi. Va-t’en, toi. »

Le squelette, toujours sans nom, hésita. Avant de claquer sa mâchoire. Erin le regarda. Elle ne pouvait pas le comprendre, et sa compréhension d’elle semblait limitée.

« Je vais visiter quelques amis. Ne me suis pas dans la ville. Attends-moi à l’auberge jusqu’à mon retour. Fait quelque chose d’utile. Je serais de retour avant la tombée de la nuit. »

Il hésita.

« Allez. Ouste ! »

Erin le pointa du doigt avant d’agiter les mains comme si elle voulait faire fuir des poules. Le squelette fit demi-tour avec réluctance et s’en alla vers l’auberge.

Erin soupira. Puis elle continua de marcher.

***

Elle n’avait pas de destination particulière en tête, elle ne voulait juste pas être dans son auberge en ce moment. Donc Erin décida d’explorer des parties de la ville qu’elle n’avait pas encore visitée. Ce n’était pas difficile. Elle n’avait pas visité une majorité de la ville. Elle ne connaissait que le district du marché, la partie du district résidentiel pou Selys vivait, et la rue principale qui menait à la Guilde des Aventuriers.

Il était grand temps d’explorer le reste de la ville. Erin décida de marcher jusqu’à la Guilde des Aventuriers et de faire son chemin à partir de là. Elle fit une dizaine de pas dans la foule quand une main velue l’attrapa et la tira hors de la foule.

« Ah, Erin Solstice. J’attendais ton retour, n’est-ce pas ? »

Sans savoir ce qui se passait, Erin se sentit entraîné aux côtés d’une grande Gnolle.

« Tu n’es pas occupé ? Nous allons prendre quelque chose à boire dans ma demeure. »

« Quoi ? Oh, bien sûr. Je ne suis pas occupé. »

« Bien ! Ma maison n’est qu’à une poignée de minutes d’ici. Suis-moi. »

Krshia relâcha Erin et l’humaine marcha plutôt que de se faire tirer. Elle n’entendit pas le silencieux soupir de soulagement que les autres Gnolls qui avaient observé les portes de la ville laissèrent échapper.

***

Krshia déposa un grand bol de viande luisante devant Erin. Cela contrastait avec la tasse de thé aux couleurs de racines qui se trouvait dans la main de la fille.

Erin regarda le plat de viande, mais elle était assez habituée aux Gnolls pour comprendre qu’elle n’était pas délibérément insultée.

Avec un soupir, Erin attrapa une pièce de viande avec précaution. Le plat semblait… Cru. Mais si les Gnolls pouvaient en manger, elle pouvait probablement en prendre aussi. Le sentiment d’Erin était que Krshia n’allait pas volontairement lui servir de poison.

Mais quand même, tous les articles qu’elle avait lus à propos du E. Coli et de la viande crue lui revinrent en tête alors qu’elle mit le morceau de viande dans sa bouche et commença à mâcher.

« Hm ? Hm~.Mm ! »

En vérité, c’était vraiment bon. Erin était surprise. Elle s’était attendu à ce que la viande est un goût de bacon, mais c’était une expérience plus riche et complexe. Bon et gras, mais c’est la graisse. Elle s’empara aussitôt d’un autre cube de viande et le mâcha. Elle décida aussi de ne jamais demander de quel animal venait cette viande.

« Ah, tu aimes les amuse-bouche ? C’est bien. »

Krshia s’assit avec un soupir dans le siège en face d’Erin. C’était une bonne chaise, merveilleusement remboursée, légèrement usée et bien trop grande pour Erin.

L’appartement d’un Gnoll était différent de celui d’un Drakéide comme Selys. Les espaces ouverts étaient importants pour les deux maisons, ou peut-être que ce n’était que l’architecture, mais la maison de Krshia avait bien plus de tapis, de fournitures rembourrées, et d’oreilles en général. C’était aussi dans un état qui méritait un bon coup de balais.

Mais en vérité, ce n’était pas si terrible que ça. Mais Erin pouvait définitivement sentir la différence dans les standards de propreté entre les Drakéides et les Gnolls. Cependant, l’échoppe de Krshia n’avait pas le moindre poil perdu ou la moindre tâche, donc c’était peut-être la différence entre le travail et maison.

« Comment est-ce que ça va, Krshia ? »

Erin sirota délicatement son thé et continua de sa gaver. Krshia se servit de la viande dans son bol et mâcha rapidement.

« Mm. Je vais bien, merci de demander. Et je suis heureuse de pouvoir enfin te parler. Bien des gens et biens des choses ce sont misent sur le chemin de notre discussion, n’est-ce pas ? Mais c’est important que nous puissions parler. C’est ce que j’ai décidé. »

Erin cligna des yeux. Etrangement, Krshia semblait plus intense que d’habitude. Elle soupira, une autre chose dont elle allait devoir s’inquiéter.

« D’accord. Qu’est-ce qui se passe ? »

Krshia cligna ses gros yeux marron à Erin. Elle observa la petite humaine et fronça les sourcils.

« Tu sembles être découragée. Quelque chose ne va pas ? »

« Oh, ce n’est rien. »

« Mm. C’est un autre mensonge poli des Humains, n’est-ce pas ? »

« Ouais, mais vraiment, ce n’est rien. »

Krshia regarda Erin. C’était étrange. Il n’y avait pas de blanc dans ses yeux. Il n’y avait que la pupille, et une cornée brune. Cela aurait du être vraiment troublant, mais Erin s’y était habitué.

Elle soupira. Krshia attendit patiemment alors qu’Erin prît une autre pièce de viande avant de la reposer dans son bol.

« J’ai appris que je ne suis pas un mage, c’est tout. Je ne peux pas faire de magie et je serais incapable d’en faire. »

Elle soupira de nouveau. Krshia prit une longue gorgée de son thé bouillant.

« Ah. Et qui est celui qui te dit tout cela ? »

« Pisces. »

« Bah. »

« Il n’était pas méchant. Il a fait un test… Il semblerait que je sois juste un des humains qui ne puissent pas faire de magie, c’est tout. Ce n’est pas sa faute ou quoique ce soit. »

Krshia secoua la tête et quelques cheveux tombèrent sur le parquet.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. Il te dit que tu n’es pas une magie. Mais ce n’est pas à lui de décider, n’est-ce pas ? »

Erin cligna des yeux.

« Mais il y a eu un test. Je ne peux pas faire de magie, Krshia. »

La Gnolle haussa les épaules.

« Si tu étais née Gnolle, cela ne serait pas un problème, n’est-ce pas ? La magie des Humains est différente de la nôtre. Nous donnons de la magie à ceux qui sont choisis. Un shaman est choisi dans chaque tribu, et ils utilisent la magie de la meute. Nous choisissons tous qui peut utiliser la magie, pas une seule personne. »

« Oh, de la magie tribale. Oui, Pisces m’en a parlé. Mais je ne suis pas née Gnolle. »

Krshia haussa un sourcil.

« Oui, et tu es dit que tu ne pourras jamais devenir un mage car quelqu’un te l’a dit. C’est regrettable, n’est-ce pas ? »

Erin ne s’avait pas quoi dire à ça. Elle baissa les yeux vers son thé.

Krshia cliqua sa langue.

« Assez de tristesse. Ce n’est pas pourquoi je t’ai appelé ici. Laisse la magie aux [Mages], Erin. Ce n’est pas aussi important qu’ils le pensent. Les gens sont importants. La meute est importante. Les amitiés et les liens sont importants. »

Elle tendit la main et tapota délicatement Erin sur le torse. C’était un geste légèrement brusque tout de même, mais Erin se sentit mieux.

« Bon, d’accord. De quoi voulais-tu tant discuter, Krshia ? »

La Gnolle s’arrêta et sembla chercher ses mots.

« J’ai réfléchi à bien des choses depuis que je t’ai regardé joué le jeu des échecs. Contre l’Antinium nommé Pion. Tu as dit bien des choses que j’ai entendit et sur lesquels j’ai réfléchi. »

Erin semblait perdue.

« Comme quoi ? Tu parles des échecs ? Ne t’en fais pas, personne ne comprend. »

Pendant une seconde elle pouvait jurer que Krshia était en train de l’observer pour voir si elle allait rire. Mais la Gnolle secoua brusquement la tête.

« No. C’est ce que tu as dit. Tu viens d’un autre monde. Je t’ai entendu parler et je me suis questionné sur ce miracle. »

Erin devint pale comme un linge, ses yeux s’écarquillèrent.

« J’ai dit ça ? »

Krshia hocha gravement la tête. Ses yeux étaient fixés sur le visage d’Erin.

L’humaine ne savait pas comment réagir. Un bref moment de chagrin fut remplacé par un grattement de tête. Après quelques secondes Erin releva la tête et haussa les épaules.

« Oh, hum, ouaip. Je viens d’un autre monde. Désolé de ne pas te l’avoir dit plus tôt. »

Krshia la regarda. C’était possiblement la manière blasée avec laquelle Erin l’avait dit, sans aucune considération, qui fit manquer un battement de cœur à la Gnolle. Erin continua, ignorant cela.

« Je viens d’un endroit qui s’appelle le Michigan. C’est plutôt sympa comme coin. Il y a plein de grands lacs et un super temps… Sauf quand il neige ou qu’il pleuve très fort, bien sûr. Je vivais dans une bonne maison, avec mes parents… »

Elle s’arrêta, pendant une seconde Erin baissa les yeux vers sa tasse et continua comme si rien n’était arrivé.

« Hum, un jour je me suis retrouvé là. J’ai simplement passé un coin et blam. »

« Blam ? »

« Je me suis retrouvé nez à nez avec ce gros lézard. Avec des ailes. Un dragon. »

« Un Dragon ? »

« Ouaip. Il m’a craché du feu dessus et j’ai pris la fuite. Puis il y avait quelques Gobelins… Et j’ai trouvé l’auberge. Après ça, c’était que de la survie jusqu’à ce que je rencontre Klbkch et Relc et puis… Tu connais la suite. »

De nouveau, il y avait quelque chose de dérangeant en écoutant la facilité avec laquelle Erin parlait de ce qui lui était arrivé. Krshia dut secouer plusieurs fois sa tête et prendre plusieurs gorgées de son thé pour se calmer.

« Tu as survécu à bien des choses. »

« Je suppose. »

Erin haussa les épaules. Cela ne semblait pas être beaucoup. En fait, elle avait l’impression que c’était arrivé il y a une éternité durant laquelle elle avait continué d’avancer, luttant pour survivre. Et au fond, qu’est-ce qu’elle avait vraiment fait ? Réparé quelques portes, un petit coup de ménage, gagner quelques niveaux en tant qu’[Aubergiste]… Et causé la mort d’un de ses amis.

Pas grand-chose.

« Je te demande tout cela en secret, n’est-ce pas ? Je promets par ma tribu, par le ciel ouvert et par la terre que je ne trahirai jamais ta confiance ou les secrets que tu m’as confiés. Mais je dois te demander, et mon peuple doit savoir. Cette terre dont tu viens… Elle est différente de la nôtre, n’est-ce pas ? »

Erin s’arrêta et cligna des yeux en regarda Krshia. Cela semblait être un serment très sérieux, mais qu’est-ce que Krshia avait dit à propos de son peuple.

« Tu veux dire que tu vas en parler… Aux autres Gnolls ? »

« Mm. Oui. C’est la vérité. Et ces Gnolls en parleront à d’autres Gnolls si nécessaire. Mais c’est une promesse, n’est-ce pas ? Ton secret restera un secret pour tous ceux qui ne sont pas Gnolls. C’est cela que je veux dire. Par le plus grave de nos serments, nous jurons de garder tes secrets. »

La promesse qu’une espèce entière taise ce secret. Erin aurait bien rit, mais elle sentait que cela risquait de mal se finir si elle le faisait. Krshia semblait sérieuse, et Erin savait que la Gnolle était sérieuse.

Et… Qu’est-ce qu’elle avait à perdre ? À part sa vie ? Donc elle haussa les épaules.

« Mon monde ? Ce n’est pas comme lui. Pas du tout. C’est si différent que je ne peux commencer à expliquer à quel c’est étrange d’être là. »

Comment décrire un monde sans magie et sans niveau à quelqu’un qui n’avait jamais vécu dans ce monde ? En fait, comment décrire un monde qui était mille fois plus avancé technologiquement ? Erin se gratta la tête et fit de son mieux.

« En fait… Nous avons bien plus de technologie. Et moins de magie. Pas de magie, en fait. Et nous n’avons pas de Niveaux ou de Classes ou de Compétences, mais nous avons bien plus d’humains. En fait, nous avons que des humains. Il n’y a pas de Gnolls, ou de Drakéides ou de monstres. Et… Est-ce que ça va Krshia ? »

La Gnolle avait les yeux écarquillés. C’était un changement si brusque par rapport aux yeux habituellement entrouvert de la Gnolle qu’Erin s’inquiéta.

« Ne fais pas attention çà moi. »

Krshia vida sa tasse, et s’empara d’une large théière dentée. Elle remplit de nouveau sa tasse avec des mains velue et offrit une nouvelle tasse à Erin. L’humaine refusa la tasse avec politesse.

« Tu sais que ce monde est plein d’humain ? Cela est étrange, n’est-ce pas ? Est-ce qu’il y a d’autres créatures ? »

Erin hocha la tête et reformula rapidement sa phrase.

« Oh, des tonnes des créatures. Pleins d’animaux. Des chiens, des chats, des pingouins, des vaches… Mais pas de gens comme… Comme toi. Je veux dire des gens qui pensent et parlent. »

« Je… Vois… »

Krshia avait mal à la tête. La Gnolle aurait aimé s’asseoir dans un coin et frapper sa tête contre un mur rien qu’en imaginant ce qu’Erin était en train de dire. Mieux encore, elle aurait aimé retourner la table et appelé Erin une menteuse qui mordait sa queue. Mais [Détection d'arnaque] était une compétence de [Marchand] et de [Commerçant] et même si ce n’était pas aussi puissant que [Détection de Culpabilité] ou [Détection d’Intention], c’était plus que suffisant pour voir à travers un tel mensonge. Ce qu’Erin disait était la vérité.

« Ces Humains. Tes Humains. »

Krshia se mordit la langue et tenta de parler avec plus casuellement.

« Combien sont-ils ? Combien de nations ? Est-ce que ce monde est petit ? »

« Un peu ? Il semble petit, parfois. Je sais que la surpopulation est un problème. »

Erin leva les yeux au ciel en réfléchissant.

« Hum… Est-ce que c’est six ou sept ? Ou huit ? Je crois que nous sommes autour de huit maintenant. «

« Huit quoi ? Huit nations ? »

« Non. Huit milliards d’humains. »

Krshia semblait pale.

« Je ne connais pas ce mot. Erin, qu’est-ce qu’un ‘milliard’ ? C’est un nombre pour compter, n’est-ce pas ? »

« Ouaip. Est-ce que tu sais ce qu’est un, hum, million ? »

Les sourcils de la Gnolle se froncèrent.

« C’est un mot que j’ai entendu en parlant de Gobelins. Un million est un grand nombre. Plus grand que les montagnes. Mille fois mille, n’est-ce pas ? »

« … Oui ? Je crois que oui. Attends… Laisse moi faire le calcul. »

Erin tenta d’imaginer combien de zéros il y avait dans un million.

« Ouaip, c’est ça. »

« Mm. Donc un milliard est deux millions ? »

« Oh, non. »

Erin rit devant l’air confus de Krshia. Elle ne remarqua pas les mains de la Gnolle tremblait autour de sa tasse.

« Un milliard est mille millions. Donc cela serait mille fois mille fois mille. Quel virelangue. Cela serait… Dix mille fois cent-mille. Est-ce que ça fait sens ? »

Erin regarda Krshia. La Gnolle était assise de manière très droite dans sa chaise.

« Krshia ? »

Les Gnolls n’avaient pas de peau visible, rien que de la fourrure. Mais ses oreilles étaient droites sur sa tête. Erin pouvait voir que sa queue était hérissée et droite entre les pieds de sa chaise.

Sans un mot, et sans le moindre avertissement, la Gnoll pencha soudainement en envie et tomba dans les pommes. Erin hurla et se jeta sur le côté juste à temps alors que Krshia s’écrasa sur la table, brisant de la porcelaine et tordant la théière.

« Krshia, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Erin se pencha vers la Gnolle inconsciente et la releva avec beaucoup de difficulté. Les bouts de porcelaine brisés n’avaient pas coupé la Gnolle, arrêtés par sa fourrure, mais Krshia était quand même inconsciente. Erin ne pouvait voir que le… Noir de ses yeux.

« Est-ce que ça va ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Parle-moi, Krshia. »

Mais Erin avait beau essayé de la réveiller, la Gnolle restait inconsciente. Désespérée, Erin poussa Krshia dans sa chaise et hésita entre chercher de l’aide et attendre que Krshia se réveille. Elle ne semblait pas être blessée.

Erin s’assit parmi la viande renversée et le thé refroidissant. Sa tête lui faisait toujours mal, mais au moins, elle avait une raison de paniquer. Elle posa sa tête entre ses mains.

« Pourquoi est-ce que ça m’arrive toujours. »

Pourquoi Krshia avait voulu lui parler, en plus ? Parler de son monde n’était probablement pas la meilleure chose à faire… Ou du moins elle allait devoir éviter de parler des hyènes qui étaient chassées… Ou toutes les mauvaises choses, en fait. Elle avait été tellement intéressée. Et Erin s’était souvenue…

Elle avait coupé son cerveau de la moindre pensée de son monde. Non, concentre-toi. Krshia était importante. Si elle ne se réveillait pas dans dix minutes elle allait aller chercher de l’aide. Un autre Gnoll, probablement. Vu qu’elle en voyait plus que d’habitude dernièrement.

Mais pourquoi Krshia s’était évanoui ? Si c’était ce qui était arrivé.

« Pourquoi ? »

Erin secoua la tête. Elle n’en avait pas la moindre idée. Mais…

« J'ai dit quelque chose qui ne fallait pas ? »
« Modifié: 09 mai 2020 à 15:16:01 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #52 le: 09 mai 2020 à 15:38:49 »
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Traduit par Maroti

Quand Krshia se réveilla, elle se réveilla de manière dramatique. Les Gnolls n’étaient pas aussi… Aussi civilisés que les autres races. Mais Erin devait éviter de penser comme ça, bien sûr. C’était simplement le fait que les Gnolls vivaient encore proches à proximité des monstres, encore plus que les Drakéides. Ils devaient être prêts à se défendre au cas où un monstre attaquait leurs villages. C’était probablement pourquoi Krshia se réveilla en prenant une grande inspiration avant de sortir ses griffes de ses pattes en manquant de décapiter Erin.

C’était un accident. Erin en était presque 100% certaine. Et Krshia s’était excusé à maintes reprises.

Après avoir bandagé la joue d’Erie et versé une goutte de potion de soin sur la griffure pour qu’elle disparaisse plus rapidement, la Gnolle et l’Humaine nettoyèrent la table brisée et le thé qui avait été renversé. Ils recommencèrent à prendre le thé, même si le thé était froid, et qu’il y avait moins de place pour poser sa tasse.

Krshia avait un charmant fromage qu’Erin n’hésitait pas à grignoter. Il était délicieusement goûtu et le thé n’était pas si mauvais froid, probablement parce qu’il n’était pas si bon que ça quand il était chaud.

« Je te présente mes excuses de nouveau, Erin. »

La grande Gnolle soupira avant de s’asseoir de nouveau dans sa chaise en repoussant les restes de la table du pied. Elle avait ramené un tabouret sur lequel se balançait l’assiette de fromage comme remplacement.

« C’était rien. Vraiment. Mais pourquoi est-ce que tu t’es évanouie ? »

« Mm. J’étais simplement surprise. Pardonne-moi. »

Krshia prit une gorgée de son thé et frissonna pendant un instant.

« Les humains de ta planète… Je n’étais pas prête pour un tel nombre. »

« Quoi ? Oh, tu veux dire les sept milliards ? Je suppose que c’est beaucoup.»

« Oui, en effet. »

« Ah. Heu. Est-ce que c’était si surprenant que ça ? »

La complète incompréhension d’Erin donna l’envie de gentiment mettre une gifle à Erin. Mais les Humains étaient tellement fragiles et elle se garda sa voix plaisante malgré le tressaillement de sa patte.

« C’était peut-être le choc, ou c’était peut-être quelque chose que j’ai mangé, n’est-ce pas ? »

La jeune femme lança un regard au bol de viande qu’elle n’avait pas fini.

« Je n'espère pas. »

« C’était une blague. »

Krshia secoua la tête. Les Humains n’avaient vraiment aucun sens de l’humour. Ils n’arrivaient jamais à savoir quand elle était ironique, sardonique, sarcastique, ou simplement en train de gentiment plaisanter. Par contre, il était facile de lire leur expression.

« Mettons cette interruption derrière nous. Tu étais en train de me parler de ton monde. Il est très peuplé, je le réalise désormais. Mais qu’est-ce qui est différent ? »

Erin fronça les sourcils, se gratta l’oreille d’un doigt avant de hausser les épaules, impuissante.

« Heu, tout ? Enfin, la majorité. Nous avons des montagnes et de l’eau et les mêmes trucs que vous, mais en terme de technologie et de bâtiments ou de… Tout est différent. »

Krshia se pencha en avant.

« J’aimerais connaître les détails dans ces différences. Peux-tu me donner quelques importantes différences entre nos mondes ? A l’exception de l’absence des Niveaux et des Classes. »

« Enfin… Il y a beaucoup de choses. Je veux dire, nos cultures sont tellement différentes. La nôtre est plus avan… Différente sur bien des choses. Genre… Vous avez des armes et nous avons des armes mais les nôtres sont plus à base de tir. »

« À base de tir ? »

« Ouais. Genre ‘pan’. »

Erin imita un pistolet avec ses doigts en faisant le son. Krshia cligna des yeux en la regarda avec incompréhension.

« Ce que je veux dire, c’est que nous n’utilisons plus les épées ou les haches. Nous avons des armes à feu. Ce sont comme des, heu, des sortes d’arbalètes mais en mieux ? Est-ce que tu sais ce qu’est une arbalète ? »

« Je… Vois. Oui, j’ai entendu parler des arbalètes ? Et vous avez beaucoup de ces armes ? Et elles sont puissantes, n’est-ce pas ? »

« Ouais. Mais nous ne les utilisons pas pour tuer des monstres, nous les utilisons pour nous entretuer. Et nous n’utilisons plus les chevaux… Enfin, nous les utilisons, mais nous avons d’autre moyen de nous déplacer. Comme des voitures. »

D’une certaine manière, s’évanouir avait été moins compliqué que parler à Erin pour Krshia. Elle commençait à avoir mal à la tête.

« Des voitures ? Quelles sont ces créatures ? »

« Ce ne sont pas des animaux. Ce sont des, heu, boites de métal qui bougent. Sur des roues. »

« Vous… Les poussé, n’est-ce pas ? »

« Non… Elles bougent parce que nous brûlons des choses à l’intérieur. La combustion. Elles avancent toutes seules. Enfin, elles n’avancent pas toutes seules. Tu as besoin d’un humain pour la conduire et la faire avancer. Mais les voitures les plus récentes peuvent se conduire d’elle-même. Mais la plupart ne le peuvent pas. Et elles ont besoin d’essence. Du gasoil. Je crois que c’est un type d’huile. »

Erin regarda Krshia avec impuissance. La Gnolle était en train de se masser les tempes.

« Heu. Est-ce que j’arrive à me faire comprendre ? »

***

Elles essayèrent pendant une autre demi-heure avant d’abandonner. Erin fit de son mieux, mais elle ignorait comment la moitié des choses de son monde marchait. La meilleure explication qu’elle donna pour les voitures était qu’elles avaient une sorte de créature-engin dans leurs estomacs qui mangeait l’huile pour rendre la voiture plus rapide qu’un cheval. Et elle n’avait pas la moindre idée de comment les avions volaient, surtout quand Krshia continuait de lui demander comment quelque chose fait de métal pouvait voler sans magie.

Ce n’était pas comme si elle avait ratée ses cours de science ou ne savait pas comment ce genre de choses marchaient. Mais elle n’avait pas participé à une classe d’ingénierie. En fait, elle n’était jamais allée à la fac, préférant travailler en tant que tutrice pour joueur d’échec et participer à des tournois pour gagner de l’argent avant de commencer sa première année.

Tout cela voulait dire… Que même si Erin racontait beaucoup de choses fantastiques à Krshia, elle donnait l’impression de tout inventer. Et Krshia était clairement distraite. Elle n’arrêtait pas de se frotter les tempes. Erin supposa qu’elle s’était fait mal lorsqu’elle était tombée dans les pommes.

« Assez, assez. Je suis las et tu es assoiffée. Bois, et parlons d’autre chose pour le moment. »

Erin hocha la tête et accepta de se faire servir une tasse de thé que Krshia avait infuser durant leur discussion. Elle regarda la Gnolle.

« Je suppose que je n’arrive pas vraiment à bien décrire mon monde. Mais ton monde est tout aussi étrange pour moi. Les choses comme la magie… Ce ne sont que des contes de fées dans mon monde. »

« Ah, vous avez des fées ? »

« Non, je… Tu sais quoi ? Oublie ça. Je dis simplement que nous n’avons pas de magie. Donc quand je suis venue ici je n’avais pas la moindre idée de comment tout cela marchait. »

« Hum. Je me souviens. Alors, tu étais perdue et effrayée. Mais tu t’es bien débrouillée depuis, n’est-ce pas ? »

« Je suppose. »

« Il n’y a pas de supposition. J’ai vu que tu t’es amélioré et que tu as fait de ce lieu ta maison. Nous avons été témoins de tes triomphes. Nous avons vu tes victoires. Il y a de quoi en être fier, Erin Solstice. »

Erin soupira et secoua la tête avec déni. Puis, elle releva soudainement la tête, un brin de suspicion sur le visage.

« Krshia. Pourquoi voulais-tu que je parle de mon monde ? »

Krshia réfléchit rapidement en gardant un visage impassible. Elle répondit avec précaution.

« J’étais simplement curieuse. Il est naturel de questionner de telles déclarations, n’est-ce pas ? »

« Je suppose. Mais tu as dit que tu m’avais observé. Et tu as dit ‘nous’. Est-ce que c’est pourquoi je continue de voir des Gnolls partout où je vais ? »

Erin pouvait parfois être étonnamment perceptive pour une humaine. Krshia maudit son dérapage et continua de garder un visage impassible. Mais était avait joué trop de parties d’échecs, elle pouvait voir quand quelqu’un essayait de ne pas trahir ses émotions et plissa les yeux.

« D’accord. Je suppose que c’est à mon tour de poser les questions. Krshia, qu’est-ce que les Gnolls me veulent ? »

Krshia tapa ses griffes contre la tasse de thé. Elle choisit de nouveau sa phrase avec beaucoup de soin, comme si elle négociait un contrat valant plusieurs centaines de pièces d’or.

« Les Gnolls de Liscor ont de nombreux désirs. Nous espérons… Que tu pourrais nous aider sur certaines choses. Mais ce n’est qu’une partie de la raison pour laquelle je t’ai fait venir ici. L’autre raison était de poser une question. Qu’est-ce qu’Erin Solstice veut ? »

Erin cligna des yeux alors que Krshia lui renvoya une question.

« Ce que je veux ? »

« Un donné pour un rendu, c’est comme ça que cela marche, n’est-ce pas ? Nous pouvons te donner bien des connaissances. Des objets de valeurs. Des choses qui pourraient aider notre peuple. Mais toutes les choses ont un prix. Nous pouvons exaucer tes souhaits si tu as quelque chose à nous offrir en échange. »

« Je n’ai rien à t’offrir. À part de la nourriture. Mais c’est à toi qui me vends ça. »

« Il est possible que tu ne réalises pas ta propre valeur. Une étrangère provenant d’un pays lointain possède bien des secrets, bien des talents de valeur qu’elle ne sait pas qu’elle possède, n’est-ce pas ? »

« Peut-être, mais j’en doute. »

« Qu’importe. Je t’ai posé une question. Que désires-tu ? Nous t’aiderons, si possible. Et si ma tribu n’est pas d’accord je ne t’aiderai pas en tant qu’une personne cherchant à faire un marché, mais en tant qu’amie. »

Erin sourit à Krshia.

« Et bien, quand tu le dis comme ça… Je ne sais toujours pas. »

Krshia fronça les sourcils.

« Il y a bien de choses que les humains veulent. Tu souhaites sûrement quelque chose, n’est-ce pas ? De l’argent ? »

« Sur quoi je l’utiliserai ? Pour réparer l’auberge ? Je suppose que ça serait plaisant, mais je vais bien. »

« Hrm. Alors souhaites-tu plus de Niveaux ? De meilleures armes ? Ce sont les choses que les humains désirent. Ou un compagnon attirant et fertile ? »

« Non, non, non et définitivement non. Je ne suis pas vraiment intéressé par tout ça. Vraiment. j’ai déjà beaucoup à faire avec ces aventuriers qui m’abordent dans la rue. »

« Hrrm. »

C’était délicat. Krshia avait déjà fait le tour de ce qu’elle voulait. Erin ne semblait pas être intéressée dans sa reproduction pour le moment et elle n’était pas une guerrière… Ou du moins elle n’aimait pas se battre. Mais elle n’était toujours pas heureuse.

« Alors quel est ton souhait ? »

Erin haussa les épaules. Elle regarda la coupe à moitié vide, puis le plafond, et autour de la pièce de Krshia… Avant de réaliser ce qui lui manquait. Elle regarda Krshia.

« Je veux rentrer à la maison. »

C’était une simple phrase, prononcée avec facilité. Mais la vague d’émotion que Krshia pouvait sentir en provenance d’Erin racontait une autre histoire. La commerçante Gnolle avait une forte envie de froisser son nez ou de se gratter, mais cela l’aurait trahit.

« Je vois. Mais si tu n’es pas déjà rentré, c’est que tu ne connais pas le chemin retour, n’est-ce pas ? »

« Oui… Enfin, non. Je ne le connais pas. »

Erin secoua la tête, distraite. Son attitude changea maintenant qu’elle avait dit ce qu’elle avait sur le cœur. Son langage corporel était en train de changer, et la tempête d’émotion en son sein fait tressaillir le nez de Krshia.

« Ce désir qui est le tien. Tu le souhaites ardemment, n’est-ce pas ? »

« Non. »

Erin mentit, avant de corriger son mensonge quand Krshia leva un sourcil.

« Peut-être. Oui. Je ne veux pas insulter cet endroit. C’est un magnifique monde que tu as, Krshia. Il est plus fantastique que tout ce que j’ai dans mon monde. Et je me suis fait des amis. Selys, Pion, toi… Même Pisces. Et c’est super mais… »

Elle s’arrêta, avant de regarder dans sa tasse. La voix d’Erin était faible.

« J’ai ma famille à la maison. Ma mère et mon père. Et j’avais des amis. Ce n’est pas comme s’ils me manquent constamment… J’essaye de ne pas y penser. Mais… Je n’ai même pas pu leur dire au revoir, tu vois ? »

Pendant deux secondes, Erin donna l’impression qu’elle allait se briser. Elle cligna rapidement des yeux et essuya ses yeux. Mais les larmes ne vinrent jamais. Elle soupira et le moment passa.

« Désolé. C’est juste que… J’aimerais vraiment rentrer chez moi. Si possible. Je c’est que c’est peut-être impossible. Je ne sais même pas si c’était un sort ou un… Accident cosmique qui m’a amené ici. Mais je veux juste rentrer chez moi. »

Krshia fixa Erin de ses yeux noirs sans ciller. Elle ne dit rien de vive-voix, mais elle était en train de réfléchir. Pendant une seconde, le comportement joyeux et lumineux d’Erin s’était brisé. C’était un masque, une couche de protection autour de son cœur. Elle était forte, mais fragile, comme les Antiniums sous leurs carapaces. Sa peau était solide, mais elle se briserait si Krshia poussait un tout petit plus…

La Gnolle prétendit de ne rien avoir vu et continua de parler jusqu’à ce qu’Erin reprenne le contrôle de ses émotions. Aujourd’hui n’était pas le jour pour de telles choses.

« Cela peut être de la magie. Peut-être. Je ne connais pas ce genre de choses. Je ne suis qu’une simple [Commerçante]. Mais je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui aurait changé de monde à la suite d’un sort. Seuls les plus sombres des créatures et les démons font de telles choses. Mais il y a bien des magies qui téléportent. Peut-être qu’un très grand [Mage] a utilisé ce sort par accident ou par erreur. »

Erin fronça les sourcils de manière spectaculaire.

« Peut-être. Mais je n’avais pas l’impression que c’était de la magie. Mais je n’ai jamais été téléporté donc peut-être que c’était bien de la magie et que je ne me suis pas rendu compte. Cela avait vraiment l’air d’un accident. »

« Accident ou non, tu es là. Et peut-être que la cause est révélant, n’est-ce pas ? Tu es là. La question n’est pas de savoir ce qui t’a amené ici, mais comment tu vas pouvoir rentrer. »

« Et est-ce que la magie est la solution ? »

« Fort probable. Je ne connais pas d’autre moyen. Mais comme je te l’ai dit, cela il faudrait être un [Mage], non… Un [Archimage] pour lancer un sort de cette envergure si cela peut être fait. »

« D’accord. Tu n’aurais pas l’un d’entre eux traînant dans le coin, à tout hasard ? »

Krshia secoua la tête.

« Ce sont les plus rares des lanceurs de sorts. Je n’en connais que peu, et aucun d’entre eux ne vit sur ce continent. »

« Super. »

Erin secoua la tête et Krshia sourit.

« Ne désespère pas avant d’avoir entendu parler d’eux, n’est-ce pas ? Il y a plusieurs archimages. Un sur le continent des Humains au nord. Deux autres sur d’autres continents. Mais au moins trois d’entre eux se trouve à Wistram, l’Ile des Mages. »

Erin releva la tête.

« Vraiment ? Trois ? »

« Ils partent et viennent. Mais Wistram est leur maison. Si tu attends là-bas pour un moins tu en verras forcément un, n’est-ce pas ? Et peut-être que tu n’as pas besoin d’un archimage, mais du sortilège adéquat. »

« Donc ce que tu dis c’est que Wistram est l’endroit que je dois visiter si je veux trouver un moyen de rentrer à la maison, c’est ça ? »

« Mm. Peut-être. »

Erin imita Krshia et fronça les sourcils à son tour.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Ce n’est rien. Je suis certaine que si tu voyageais jusqu’à Wistram ils te laisseraient entrer. Mais ce n’est pas un endroit où je te conseille de voyager seule, n’est-ce pas ? »

« Vraiment ? Mais je pensais que c’était comme Poud… Une, heu, école de magie. Pourquoi ça ne serait pas un endroit sécurisé remplie de sorts sympas et de truc du genre ? »

Krshia fit un mouvement dédaigneux de sa main.

« Peut-être que certain l’appel ainsi. Mais ton Pisces, il a obtenu son diplôme à Wistram, n’est-ce pas ? Et il est un [Nécromancien], un voleur et un pilleur de tombe. »

« Quand tu le dis de cette manière. »

« Et Wistram est habité par de nombreux humains, n’est-ce pas ? Ils sont sournois et se chamaillent comme beaucoup de ton espèce font. Des non-humains vivent parmi eux, bien sûr, mais ce n’est pas un paradis. Wistram n’est pas une amie de ceux dépourvus de magie. »

Une sombre expression passa sur le visage de Krshia. Erin se raidit dans son siège, se rappelant de respirer. Elle avait oublié à quel point les Gnolls pouvaient être terrifiants. D’un côté, ils étaient comme des ours en peluche géant, de l’autre ils ressemblaient à des ours en peluche géants avec des griffes plus tranchants que des rasoirs.

« Est-ce que quelque chose t’es arrivé, Krshia ? Est-ce… Est-ce que tu t’es déjà rendu à Wistram ? »

« Moi ? »

Krshia renifla de manière dédaigneuse avant de secouer la tête.

« Je ne visiterai jamais un tel endroit. Ni quelqu’un de mon espèce, même pour marchander et gagner de l’argent. Nous ne faisons pas affaire avec ces imbéciles. »

« Imbéciles ? »

Krshia secoua la tête.

« C’est une vieille histoire. Je ne te troublerai pas avec ça, Erin. »

« Non, raconte là moi s’il te plaît. Je suis intriguée. »

La Gnolle hésita, mais Erin semblait vraiment intéressée. Et car Krshia était clairement énervée, elle décida de raconter cette histoire.

« Wistram est un lieu de magie. C’est l’endroit où les mages se rendent et apprennent, n’est-ce pas ? Les autres villes ont leurs propres guildes et même des écoles, certaines nations payent des mages pour apprendre et servir. Mais Wistram est sans nation et une nation en elle-même. Ils ne se sont jamais inclinés devant un souverain et ils ne le feront jamais. Donc ils sont bien vus de tous ceux qui pratiquent la magie. Mais ce sont des imbéciles. »

Ses doigts serrèrent sa tasse et se relaxèrent avant qu’ils ne brisent la délicate porcelaine.

« Il y a presque vingt ans de cela, les tribus Gnolles ce sont rassemblées pour parler et forger des alliances et planifier le future. Ce rassemblement prend place tous les dix ans, et c’est une période importante. À cette époque nous avons tous entendu parler de Wistram et beaucoup d’entre nous souhaitaient que les Gnolls apprennent les secrets que l’Académie enseigne. »

Erin s’assit dans sa chaise, écoutant la profonde voix et pensant. Elle pensait déjà savoir comment cette histoire allait se finir, mais elle se demandait d’autre chose. Est-ce que Krshia avait été là ? À quel âge. Et… Qu’est-ce que les Gnolls voulaient ? Mais Krshia continua, et Erin fut absorbée dans son histoire.

« Il fut décidé que les tribus enverraient l’un de nos meilleurs [Shaman] à Wistram pour intégrer l’Académie. Nous avons choisi quelqu’un de jeune mais talentueux au-delà de ses années et nous lui avons donné des artefacts magiques et plus d’argent que nécessaire pour faire le voyage. Nos guerriers l’ont amené jusqu’à une ville portuaire et il a pris un bateau jusqu’à Wistram, bravant les tempêtes et les pirates lors de son long voyage. »

L’expression de Krshia se fit plus colérique encore. Son poil se hérissa, et Erin regarda avec fascination les cheveux sur la nuque de Krshia se tenir droit.

« Les mages de Wistram lui firent passer un test pour rejoindre l’Académie. Ils ne le crurent pas quand clama être un lanceur de sort comme eux. Ils lui demandèrent de lancer des sorts, mais il était seul, n’est-ce pas ? Seul, sans personne sur qui tirer du mana. Sans les autres, il n’y a pas de magie pour les [Shamans]. C’est pour cela qu’il a demandé à être éduqué comme les autres étudiants. Mais les mages, ils n’écoutèrent pas. Ils le chassèrent et déclarèrent que tous les Gnolls étaient dépourvus de magie. Sans talent. »

Krshia grogna et cracha. Erin regarda le glaviot couler le long d’une des armoires de la Gnolle et se demanda si elle allait le nettoyer plus tard.

« C’est pour cela que depuis ce jour les [Mages] de Wistram ne sont pas admis parmi les tribus et que nous ne commerçons pas avec leur île. Et c’est pour cela que même si tu pars, tu ne dois pas leur faire confiance, Erin Solstice. Les mages de Wistram ne croient pas ceux qui ont une magie qu’ils ne reconnaissent pas. »

Erin hocha la tête. L’histoire de Krshia ressemblait à un bon vieux cas de racisme, ou peut-être de l’ignore. Sans tous les cas, elle comprenait la colère des Gnolls. Mais cela ne changeait pas les choses.

« J’aimerais toujours parler à un mage. Ou plutôt, à un autre mage que Pisces. »

Krshia haussa les épaules, fatigué de raconter son histoire.

« Il y en a plusieurs dans la ville. Mais les meilleurs mages Drakéides se battent avec leur armée, n’est-ce pas ? Et la magie n’est pas grandement pratiquée dans cette région. Tu trouveras peut-être quelqu’un d’assez sage pour t’aider, mais tu devras chercher longtemps. »

« Donc Wistram est ma seule option ? Je veux dire, je dis pas que je vais me lever et me rendre là-bas directement mais… »

« Si tu souhaites rentrer chez toi, cela est peut-être ton meilleur choix. »

Erin resta assise pendant un long moment, regardant sa tasse de thé. Elle la leva à ses lèvres et prit une longue gorgée de son thé qui était désormais froid et amer.

« D’accord, d’accord. C’est… C’est un objectif, au moins. »

« Il est bon d’avoir des objectifs. Et c’est peut-être quelque chose pour laquelle nous pouvons t’aider. »

« Vraiment ? Je veux dire, pourquoi ? Est-ce que c’est vraiment si difficile de se rendre à Wistram ? »

Krshia haussa les épaules.

« Peut-être pas pour quelqu’un avec beaucoup d’argent, mais la route est longue pour une humaine qui n’est pas une guerrière, et même pour une humaine qui en est une, n’est-ce pas ? Tout le monde peu essayer de voyager jusqu’à Wistram, mais réussir ce voyage et y survivre est une autre histoire. »

Ça ce n’était pas rassurant. Pas du tout. Erin fronça les sourcils.

« Qu’est-ce qui est si difficile ? Tu prends un chariot, va dans un port, prends un bateau et tu es presque arrivé, pas vrai ? »

Krshia rit doucement et tapa amicalement l’épaule d’Erin. De nouveau, les Gnolls avaient les pattes lourdes et une simple tape donnait l’impression de s’être fait bousculer.

« Qu’il est bon d’être jeune et pleine d’entrain. Mais ce n’est pas bon d’arrêter de penser, n’est-ce pas ? Wistram est protégé par d’autres choses que des mages. La mer autour de l’université est parfois calme, mais elle peut aussi être agitée et dévorer des bateaux et faire couler des flottes. Surtout l’hiver. »

Elle secoua la tête en regardant Erin.

« Même si tu pars maintenant, l’hiver te gèlera en mer alors que tu voyages vers le nord et les tempêtes craqueraient la coque de n’importe quel navire assez fou pour braver l’océan. Et il faut penser au coût de tout ça. »

« Oh, c’est vrai. Prendre un bateau doit être vraiment coûteux, pas vrai ? »

« Tu chercherais une place dans un bateau pour Wistram. Cela ne serait pas trop coûteux, mais je parle du coût du voyage. Pour voyager au nord jusqu’aux villes portuaires en sécurité il faudra que tu rejoignes une caravane qui engage des aventuriers. Cela te coûtera cher. Une bonne place sur un bon bateau avec un capitaine compétant te coûtera cher. Un garde du corps ou quelqu’un pour te protéger te coûtera cher. Et trouver un endroit ou se loger à Wistram te… »

« J’ai compris. Cela va me coûter cher, pas vrai ? »

Krshia renifla en regardant Erin avant de donner une petite pichenette sur son front comme si elle disciplinait un enfant. Sauf que cela faisait vraiment mal.

« Aie ! Arrête ! Tes griffes sont coupantes ! »

« Mes excuses. Mais tu n’es toujours pas en train de réfléchir. Disons que tu atteignes Wistram après ce long voyage. Dis-moi, Erin Solstice, comment comptes-tu trouver un mage pour te ramener à la maison ? »

« Et bien… »

Erin s’arrêta et cligna des yeux.

« Je, heu… n’ai pas vraiment pensé à ça. Je suppose que j’irai directement voir leur directeur et demander de l’aide. »

Le rire de Krshia fut long et profond.

« Je demande à voir quelque chose comme ça. Oui, et parler à un leader parmi les mages serait déjà un succès en soi ! Tu n’es qu’une enfant parlant d’autres mondes. Et même s’il y est facile de prouver ce que tu avances, comment vas-tu les convaincre de t’aider ? »

« Et bien… Je viens d’un autre monde, n’est-ce pas suffisant ? »

« Peut-être pour certain. Mais pour les mages ? Beaucoup s’en moqueraient. Et comment trouveras-tu ceux qui veulent t’aider ? »

Le cœur d’Erin s’enfonça dans sa poitrine.

« Donc tu es en train de me dire qu’il faut que je paye un mage pour m’aider ? »

Krshia hocha la tête.

« Tu dois soit payer un mage pour t’aider ou trouver un mage digne et capable de t’aider. C’est le réel coût dont je te parle. »

Les choses n’étaient jamais aussi simples que dans les livres. Ce fut au tour d’Erin de se frotter les tempes en mettant la tête entre les mains. Si elle était dans Harry Potter elle serait simplement capable d’entrer dans le Chemin de Traverse et… Enfin, elle était une moldue et elle avait oublié le mot de passe donc ils ne la laisseraient pas rentrer, et même si elle entrait pour demander au gens s’ils étaient des sorciers…

« Ça craint. Tu me dis que je vais devoir payer pour rentrer chez moi ? »

« N’est-ce pas toujours le cas ? »

Erin fronça les sourcils en direction de Krshia, mais le Gnolle lui fit un sourire en retour. Erin commença à compter sur ses doigts avec réluctance.

« D’accord. Disons que c’est mon but. Tu penses qu’il me faut combien? Cent pièces d’or pour le voyage ? Et peut-être cent autres pièces d’or pour le logement ? Et, hum, disons six-cent pièces d’or pour trouver un mage qui prêt à m’aider ? C’est… Beaucoup. »

« Beaucoup trop, je pense. »

Krshia secoua la tête en direction d’Erin.

« Tu n’as pas idée des prix, n’est-ce pas ? Je pourrais probablement t’amener à Wistram pour quarante pièces d’or. Le voyage sera plus long et tu devras trouver quelqu’un pour te protéger, mais c’est réalisable. Et une centaine de pièces d’or te permettra de durer plusieurs années à Wistram. Mais le véritable prix est pour les mages. »

Erin sentit son cœur descendre plus bas encore dans sa poitrine.

« Six cent pièces d’or n’est pas assez ? »

« Ce n’est pas à propos d’argent. Les mages ont beaucoup d’argent, et offrir de les payer peut ou ne peut pas marcher. Ton argent serait de piètre intérêt pour tous sauf les plus avides d’entre eux. Ils ne sont pas ceux que tu veux, je pense.»

« Non, définitivement non. »

« Nous avons parlé des Archimage, n’est-ce pas ? Ils sont ceux que tu recherches. Trouver une audience avec l’un d’entre eux à travers ta ruse ou un pot de vin, c’est cela ton véritable challenge. Et pour cela il faudrait tout l’argent que je possède, et quelque chose pour attirer leur attention. »

Erin se rassit dans sa chaise, accablée par l’idée et par le coût. Krshia rit de nouveau.

« Ne désespère pas. Ces choses sont grandes, mais elles ne sont pas accablantes, n’est-ce pas ? Assis-toi et bois. Et laisse-moi te parler de ce que les Gnolls peuvent faire. Et ce que tu peux faire pour nous. »

Erin resta assise alors que Krshia se leva. Elle laissa la Gnolle fouiller sa maison, remplir la tasse d’Erin de thé et lui offrir plus de nourriture. Elle pensa au voyage, à ce que Krshia proposait, et au danger et la difficulté qui l’attendait à chaque pas. Mais elle pensa aussi à autre chose.

Elle se souvint d’une maison silencieuse, à deux personnes avec qui elle pouvait confier tous ses soucis. Elle pensa à son lit, à ses amis. Elle pensa à la maison et réalisa que c’était là qu’elle voulait vraiment se rendre.

***

Il faisait presque nuit une fois qu’Erin sortit de la maison de Krshia. La Gnolle insista pour accompagner Erin jusqu’aux portes de la ville et Erin dut la convaincre qu’elle pouvait rentrer seule. Elle avait aperçu une tête brillante et sans… Cheveux ou peau se cachant sur une colline proche et elle ne voulait pas que la Gnolle ne panique.

Il aurait fallu beaucoup pour que Krshia panique à ce stade, et c’était si elle savait encore correctement paniquer. Leur conversation avait été longue, passant par la logistique nécessaire pour voyager de Liscor jusqu’à Wistram, traversant des centaines… Peut-être des milliers de kilomètres. Erin avait oublié de demander une distance précise, probablement parce qu’elle était trop effrayée d’avoir les données exactes.

Mais entre les discussions d’argent et le voyage, Krshia avait parlé avec Erin de son monde, et avait extrait la promesse que l’humaine reviendrait parler de son monde une autre fois. C’était cette promesse qui faisait faire des tours à l’estomac de la Gnolle, et la raison principale pour laquelle elle n’avait pas senti l’odeur putride des os, de la magie et de la moelle porter par le vent.

Elle regarda Erin disparaitre dans la nuit, ignorant le garde posté à la porte jusqu’à ce que l’humaine franchisse le col d’une colline. Elle pouvait entendre Erin crier quelque chose, mais elle était trop loin pour comprendre ce qu’elle disait, même pour ses oreilles de Gnolle.

Elle attendit cet instant pour se tourner vers le garde qui était délibérément en train de l’ignorer et lui tapoter l’épaule.

« Il n’y a personne qui nous observe. Tu peux arrêter de faire la comédie, Tkrn. Dans tous les cas, tu es terrible pour prétendre des choses. »

Tkrn, le garde Gnoll qui avait été assigné à la porte pour plusieurs jours de suite, fit un sourire plein de dents à Krshia.

« Tu es enfin venu. Je me demandai si tu avais choisi l’autre option quand je ne t’ai pas entendu venir. Mais si cela avait été le cas, j’aurais déjà senti le sang. »

Krshia fronça les sourcils vers l’autre Gnoll et lui donna un méchant coup dans les côtes. Le Gnoll grimaça même à travers sa cote de maille.

« Je t’ai dit que cela ne viendrait pas à ça. Et toi et les autres sont des imbéciles pour le suggérer et espérant que sa disparition passerait inaperçue. »

Tkrn fronça les sourcils en se frottant les côtes. Mais il n’osa pas lui répondre. À la place, il regarda l’endroit où Erin avait disparu.

« Elle n’est pas une menace ? »

« Je l’ai dit, donc ça l’ait. Elle n’est pas une menace ; simplement une fille perdue cherchant à rentrer chez soi. »

Tkrn secoua la tête.

« Donc c’est vrai ? Elle vient d’un autre monde ? »

« C’est une partie de la vérité. Oui, elle est celle qui est venue ici par erreur. »

De nouveau, l’autre Gnoll secoua la tête, incrédule.

« La première fois que je l’ai senti, elle empestait un lieu rempli de métal, d’huile et de choses brûlée. Est-ce que son monde est comme ça ? »

Krshia s’arrêta, pensante.

« De ce qu’elle a dit, et qu’elle n’a pas dit, c’est un monde d’Humain. Ce sont les seuls à l’habiter. Est-il meilleur que le nôtre, je ne le sais pas. »

« Mais il est différent. »

« Oui. Très. De manière troublante et grandiose. Mais elle ne parla pas beaucoup de ces différences et je n’ai que peu compris ce qu’elle disait. Mais elle est… Utile. Elle est importante. »

« Ah, mais elle veut rentrer chez elle. Je vous ai entendu parler. Donc, nous allons la faire faire ce dont nous avons besoin qu’elle fasse, n’est-ce pas ? »

Krshia lança un regard sinistre en direction de Tkrn et il baissa la tête.

« Tu étais supposé guetter d’autres oreilles curieuses, pas écouté aux portes, imbécile. Quel est le point d’écouter ce que je m’apprête à dire au clan ? »

« Mais cela n’a pas d’importance, pas vrai ? Je n’ai vu personne écouter. »

Tkrn gémit en direction de Krshia, mais la Gnolle ne céda pas. Elle secoua la tête.

« Nous avons besoin d’Erin Solstice plus qu’elle a besoin de nous, n’est-ce pas ? Et nous ne voulons pas qu’elle parle avec d’autre capable de voir sa vraie valeur. »

Krshia appuya lourdement son doigt sur le torse de Tkrn.

« Alors sois plus alerte ! Je veux savoir quand elle revient. Et ce soir, demande çà l’un des Coursiers. Lv or Tshana. Ils doivent envoyer un message aux tribus. »

Tkrn leva la tête. C’était sérieux. Il écouta attentivement alors que Krshia lui parla de nouveau.

« Ils doivent envoyer plus des nôtres. Des sages. Je demande aussi des conseils, sur tout ce que j’ai appris. Je parlerai à ceux dans la cille dès que nous nous serons rassemblé et que nous aurons envoyé un second Coursier. Mais le premier doit partir le plus tôt possible. »

« Qu’est-ce que tu leur demandes ? »

« Demande leur s’ils y ont trouvé d’autres tels qu’Erin. Et s’ils n’ont rien, demande leurs de chercher ! Demande leur de chercher parmi les humains pour ceux qui sortent du lot, qui parlent et agissent de manière différente. Nous en avons trouvé quelques-uns. »

« Jusqu’ici ils étaient tous mort de longue date. »

« Oui. C’est pour cela que celle-là ne doit pas mourir. »

Tkrn se redressa. Il avait une épée à sa hanche et un bouclier rond sur l’un de ses bras. Mais il aurait été dangereux même sans arme. Ses yeux luirent à la lumière de la lune.

« Souhaites-tu que je rassemble certains d’entre nous pour surveiller l’auberge ? Nous pouvons installer un camp à quelques kilomètres en secret. »

De nouveau, Tkrn reçu un autre coup de coude pour sa proposition et fit de nouveau la grimace. Krshia aplatit ses oreilles et le regarda.

« Hst. Tu es un imbécile, Tkrn. Comme un chiot lors de sa première chasse. Elle s’en rendra compte si nous plaçons des nôtres autour de son auberge, n’est-ce pas ? Et avant qu’elle ne s’en rende compte, d’autre l’auront remarqué et se poserons des questions. Et nous avons déjà assez peu de guerriers dans la ville. »

Tkrn gémit. Il n’aimait pas parler à Krshia, surtout quand la punition pour chaque erreur était si douloureuse.

« Comment pouvons-nous la protéger si nous ne sommes pas proches d’elle ? »

Krshia ne se retourna pas en s’éloignant. Elle parla brusquement par-dessus son épaule en si dirigeant vers d’autres Gnolls.

« Nous lui donnons des crocs pour qu’elle se défende. »

***

Toren était en train de se faire gronder. Ou plutôt, Toren était en train de se faire crier dessus. C’était presque la même chose, mais le volume était la vraie différence.

Erin marcha à travers l’herbe vers son auberge, s’énervant contre le squelette qui la suivait, un poisson à la main.

« Pourquoi est-ce que tu m’as suivi jusqu’ici ? Tu sais ce qui aurait pu arriver si le garde t’avait vu ? Il t’aurait réduit en pièce et je me serais probablement retrouvé dans la mouise. D’une manière ou d’une autre. »

Toren le squelette ne dit rien, il ne pouvait rien dire, mais il ne l’aurait pas fait s’il le pouvait. Il se sentait mal, et bien, c’était un sentiment confus. Mal parce qu’Erin lui criait dessus, bien parce qu’il avait un nom.

Toren. Ou Tor pour faire court. Le squelette ne comprenait pas pourquoi quelqu’un voulait un nom plus court, mais Erin lui avait dit que c’était son nom. Toren. Cela voulait dire pion dans une autre langue, Toren n’avait pas la moindre idée de ce qu’était un pion. C’était juste une pièce de pierre taillé sur l’objet qu’Erin aimait tant regarder. »

Erin marcha à travers l’herbe avec colère, Toren la suivant doucement. Sa colère envers le squelette était rapidement en train de se dissiper, principalement parce qu’il ne faisait qu’encaisser son savon. Mais elle s’énervait à chaque fois qu’elle se retournait pour le voir tenir son poisson plat et mort.

« Et à quoi est-ce que tu pensais ? Est-ce que tu pensais ? Est-ce que tu peux penser ? Pourquoi est-ce que tu pensais qu’attraper l’un de ces fichus poissons était une bonne idée ? »

Toren baissa la tête et ne répondit pas. Le poisson qu’il portait dans ses deux bras continua de pendre mollement alors qu’il la suivit.

Vraiment, le squelette n’avait pas eu l’attention de tuer le poisson. Il lui avait sauté dessus lorsqu’il avait été en train de remplir les seaux d’eau. Mais en le traînant hors de sa maison aquatique, Toren avait appris une importante leçon : les poissons ne peuvent pas respirer hors de l’eau.

Il n’avait pas été certain de la dangerosité des poissons-plats, mais le squelette était conscient de leur écrasante force et de leurs dents mortellement aiguisées. De plus, le squelette désormais connu sous le nom de Toren ou ‘Tor’ avait senti quelque chose de précieux pouvait être gagné. Il était… Oui, il était déjà au Niveau 2 en combattant les aventuriers. Peut-être qu’il pouvait gagner un autre Niveau en tuant le poisson ?

Après tout, un niveau n’était pas grand-chose, surtout à ce stade. Mais le squelette avait senti un léger changement dans sa condition, sa force, son endurance et la totalité de ses aptitudes au combat. La connexion était simple dans sa tête. Les Niveaux étaient du pouvoir. Comme la compétence de [Escrime Elémentaire] qu’il avait obtenu.

Il avait des ordres. Faire quelques choses de productifs. Cela pouvait dire tuer des poissons. Donc le squelette avait mis ses bras dans l’eau en les bougeant pour attirer l’attention. Tuer des choses était facile, contrairement au ménage.

Et donc, il avait tué plusieurs poissons plats et les avait ramenés à l’auberge. Et il en avait rapporté un à Erin comme quelque chose de ‘pratique’. Cela avait clairement échoué.

« Écoute, ce n’est pas que je n’aime pas le poisson. J’aime le poisson. Un poisson mort avec un peu de jus de citron pressé sur eux après avoir été bien grillé. Et peut-être avec un peu de sel et de poivre. J’aime bien ce genre de poisson. Mais ce poisson est une mauvaise nouvelle. J’ai déjà essayé de couper ses écailles et j’ai failli me couper la main. »

Cela semblait être un problème mais Toren ne sait pas trop ce qu’elle voulait qu’il fasse à ce sujet.

Erin ouvrit la porte de l’auberge avec un coup de pied, s’arrêtant quand son nez sentit l’odeur de poisson et se tourna vers Toren. Le squelette eut un mouvement de recul et son exclamation fit presque trembler les lattes du parquet.

« C’est quoi ça ? »

Les poissons étaient faciles à attraper, surtout lorsque Toren n’était pas dérangé par le fait qu’ils s’accrochent à ses bras. Mais ils étaient difficiles à retirer, donc ils devaient les faire tomber avec son épée. Et donc, les poissons dans la cuisine d’Erin étaient plus que morts, ils étaient…

Désassemblés.

En fait, le poisson que Toren tenait était le seul poisson qui était presque intact. Toren avait collecté les autres… Bouts, les nettoyant de la terre et du sang, avant de la déposer en une pile organisée sur l’une des planches à couper de la cuisine.

Des entrailles de poissons coulaient sur le sol. Toren posa son poisson de manière automatique sur le comptoir et se dirigea pour nettoyer la mare d’eau sanglante.

« Arrête. »

Le squelette s’arrêta avec le chiffon dans ses mains alors qu’Erin se frotta le visage en essayant de ne pas crier. Il pouvait sentir qu’Erin était en colère, mais il ne savait clairement pas pourquoi. Erin soupira et pointa le poisson mort du doigt.

« Tu as fait ça. »

Le squelette hocha la tête.

« Je crois que je comprends. Tu voulais être utile. C’est de la nourriture. Ce qui est… Utile, pas vrai ? »

Un autre hochement de tête. Erin soupira.

« Mais écoutes… Je ne peux pas manger. Personne ne peut. Même pas le Gob… D’accord, peut-être les Gobelins. Mais nous ne mangeons pas de nourriture comme ça. »

Elle fit un signe en direction de la pile de poisson. Toren semblait confus.

« C’est à cause des écailles, tu vois ? »
Erin pointa en direction des écailles brillantes et tranchantes sur le comptoir.

« Elles ne sont pas comestibles, et celles-là sont tranchantes. Si tu veux manger du poisson, tu dois d’abord de débarrasser des écailles. Et je… Je ne peux pas le faire. Sérieusement. Comme je te l’ai dit, la dernière fois… »

Erin s’arrêta. Le squelette, elle continuait d’oublier qu’elle l’avait appelé Tor, était en train de hocher la tête. Il marcha jusqu’au poisson en attrapant un couteau, avant de s’emparer du poisson et de lever le couteau.

Il n’avait pas de talent de cuisinier et probablement pas la moindre idée de ce qu’était la cuisine. Il trancha le poisson de manière énergique et complètement inefficace avec le couteau. Des écailles et des viscères volèrent autour de lui. Erin se couvrit le visage et cria alors que le squelette coupa, força, et généralement arracha les écailles et la chair du poisson.

« Arrête, arrête ! »

Tor s’arrêta et la regarda. Erin pointa.

« Dehors. Fais ça dehors, sur une table ou quelque chose. Et après ça, nettoie… Non, laisse tomber. Je vais nettoyer tout ça, tu commences à retirer ses écailles, d’accord ? »

Le squelette hocha la tête. Il mit le couteau entre ses cotes avec précaution pour le tenir en place, souleva le gros poisson avec ses deux mains, et marcha hors de la cuisine avec lui. Erin le regarda jusqu’à entendre le crissement du bois sur le bois alors que le squelette commença à tirer un table vers la porte.

« Je… Ne sais même pas. Je ne sais pas. »

Elle baissa les yeux vers les écailles et le sang sur le sol de la cuisine, puis vers le tas de morceaux de poissons éviscérés. C’était le foutoir.

Mais… Peut-être était-ce parce qu’ils étaient coupés en morceaux ? Mais d’une certaine manière, Erin savait ce qu’elle pouvait faire avec les tripes de poisson maintenant qu’elles étaient coupées en morceaux qu’elle pouvait cuisinier. Sans les écailles, elle pouvait les frire, les utiliser dans une soupe, en faire une tarte si elle avait la pâte…

« Je suppose que [Cuisine élémentaire] n’inclut pas l’épluchage des écailles. Ou… L’épluchage des poissons tueurs. »

Erin se rappela de quelque chose. Elle marcha jusqu’à l’entrée de la cuisine et appela à l’extérieur.

« Retire aussi les dents, les os et les nageoires ! »

Elle n’entendit pas de réponse, mais elle commençait à s’y habituer. Avec un soupir, Erin entra de nouveau dans la cuisine et regarda la saleté.

Ce n’était pas très difficile à nettoyer, et le squelette avait de trouver une nouvelle source de nourriture. Ou plutôt, il avait transformé une ancienne source de nourriture en quelque chose de comestible. Pour elle. Il l’avait fait pour elle.

C’était sympa. Et Erin avait finalement trouvé un nom grâce aux parties d’échecs en ligne et aux conversations qu’elle avait eu avec des joueurs étrangers. Les Allemands avaient de super noms.

Tout allait bien. Même sa conversation avec Krshia…

« C’était pas un peu bizarre ? »

Erin murmura pour elle-même et commença à séparer les parties clairement inutilisables du poisson. Les tripes firent des bruits horrible mais son esprit était autre part.

La maison. Elle essayait vraiment de ne pas y penser. Mais maintenant qu’elle l’avait fait, elle l’appelait. Et c’était toujours si loin. Un mage ? Un Archimage ? Bon sang, où est-ce qu’elle allait trouver un truc du genre ? Mais elle avait désormais quelque chose sur quoi se concentrer, un but.

Et c’était bien. Tout allait bien. Mais maintenant qu’Erin était de retour dans l’auberge, elle se souvint de quelque chose. Ou de quelques personnes. Loks et Pisces étaient partis. Enfin, bien sûr qu’ils étaient partit une fois qu’ils avaient réalisés qu’elle n’allait pas revenir pour le dîner. Et c’était mieux comme ça. Erin ne pensait pas être capable de leur faire face.

Les viscères étaient totalement séparés et Erin avait les dents, les os et les autres bouts inutiles prêts à être emporté par Tor pour qu’ils s’en débarrassent. Loin de là. Elle allait devoir lui préciser, car il serait capable de les jeter dans le ruisseau.

Elle baissa les yeux vers le poisson presque entièrement sans écailles. Le sang et les entrailles lui rendirent son regard. Elle pouvait les cuisiner, après tout. Elle pouvait les tourner en quelque chose d’utile. C’était une Compétence pratique, une qu’elle avait obtenue sans avoir à s’entraîner. C’était presque comme de la magie.

Le poing d’Erin frappa la pile de viscères de poisson.

« Merde. »

Elle frappe le poisson de nouveau. Des gouttelettes de sang s’écrasèrent sur son visage, mais Erin frappa de nouveau.

« Merde. Merde, merde, merde, merde, merde. »

Elle frappa le poisson vidé, ignorant le bruit et les projections de sang. Elle donna un coup de pied dans le comptoir, frappa le poisson jusqu’à ce que ses mains soient rouges et la picotent. Des morceaux de poisson s’accrochèrent à sa peau, et elle s’arrêta.

« Putain. Stupide, stupide… »

Il n’y avait pas de bons termes. Et tous ceux qu’elle connaissait semblaient creux et pitoyable. Erin mit ses mains sur son visage avant d’aussitôt les retirer. Des morceaux de poisson s’accrochèrent à sa peau alors qu’elle regarda autour d’elle.

Le comptoir et le sol étaient encore plus sales qu’avant. Tout comme les cheveux et les vêtements d’Erin. Elle empestait le poisson mort. Il allait lui falloir du temps pour tout nettoyer, même avec l’aide de Tor.

Si elle avait été un mage elle aurait été capable de tout nettoyer avec un sort, ou un mouvement de baguette magique. Si elle avait été un mage, elle serait capable de tout cuisiner et de se reposer sans avoir à se soucier de la moindre chose. Si elle avait été un mage, elle aurait pût apprendre un sort pour rentrer chez elle.

Si elle pouvait utiliser de la magie…

Mais elle ne le pouvait pas.

Quelques larmes coulèrent sur les joues d’Erin. Elle aurait bien essayé ses yeux, mais ses mains étaient sales. Elles étaient sales. Et elle n’avait pas de magie pour tout faire disparaître. Elle ne pouvait même pas rêver de magie. Car elle n’en n’avait pas. Et être consciente de ça aggravait la chose.

Ses larmes coulèrent sur la planche à découper et se mélangèrent avec le sang et la mort sous elle. Erin s’en fichait. Elle laissa les larmes tomber, et entendit le son d’ailes de chouette s’envoler, les premières notes d’une céleste et, loin, très loin de là, des cuivres et des violons.

Durant un instant elle était habillée de robes en tenant une baguette brillante et crépitante. Durant cet instant, elle pouvait voler, même si c’était avec un balai et il n’y avait rien qu’elle ne pouvait résoudre sans l’aide de quelques mots de latin et un sort. Durant un instant.

Mais la magie avait disparu. Il ne resta qu’Erin, recouverte de poisson mort et perdue.

Seule, et rêvant de sa maison.

« … Bon sang. »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #53 le: 13 mai 2020 à 15:41:46 »
1.11 R
Traduit par EllieVia

Cinq personnes siégeaient autour de la table et se dévisageaient avec attention. Tous étaient des guerriers, et tous sauf l’un d’entre eux étaient humains. Et bien que certains parmi eux soient amis,  ils n’étaient pas là pour socialiser. On parlait affaires ici, et en ce moment précis, on se disputait sur un sujet précis.

 Le Minotaure fut le premier à prendre la parole. Calruz, capitaine des Cornes d’Hammerad, n’était pas du genre à attendre de manière générale, et sa patience atteignait déjà ses limites. Il cogna légèrement la table de bois massif de la Guilde des Aventuriers du poing - légèrement dans le sens où il ne la fendit pas en deux. Le bruit fit sursauter deux des autres capitaines de compagnies et tout le monde se tourna vers lui.

 “N’avez-vous donc aucun courage ? C’est l’opportunité d’une vie et vous n’osez pas vous lancer ! Prenez vos haches et allons fouiller ces maudites ruines !”

 La femme assise à côté de lui secoua la tête. C’était une guerrière à la peau pâle et aux cheveux blonds, vêtue d’une armure d’argent poli, qui contrastait vivement avec le torse nu de Calruz et sa nature impatiente. Toutefois, ils étaient tous deux d’accord sur un point.

 “La plupart d’entre nous ne nous battons pas à la hache, Calruz. Et tu as beau présenter de bons arguments, ta témérité est la véritable raison pour laquelle tout le monde hésite. Nous devons prendre nos précautions, mais je dis que c’est jouable.”

 Le Minotaure lui lança un regard en coin hargneux, mais il était suffisamment sage pour ne pas s’attaquer à la seule alliée qu’il avait dans la salle. Il se réadossa à sa chaise en marmonnant.

“Si on n’est pas là-bas les premiers, une compagnie Or va organiser une expédition et tout rafler avant nous !”

L’un des capitaines assis face à lui secoua la tête. C’était un archer, du moins si l’on se fiait à l’arc long massif qui reposait contre la table à ses côtés.

 “C’est ce qu’avait dit Charlez. Il y a emmené tout son groupe dès qu’il a eu la nouvelle et ils en sont tous ressortis sous forme de zombies. Pas une éraflure sur leurs lames, mais leur armure était à moitié arrachée. On sait tous ce que ça veut dire.”

 “Moi pas. Cesse de jouer aux devinettes et dis-moi le fond de ta pensée.”

 Déclara l’un des capitaines en se penchant en avant d’un air menaçant. C’était un homme trapu, équipé d’une hache presque aussi large que celle attachée dans le dos de Calruz. Il adressa un regard noir au capitaine à l’arc.

 Cette fois-ci, ce fut l’homme en robe assis à côté de lui qui répondit au capitaine.

 “Ce que ça signifie, Gregor, c’est que quel que soit le monstre sur lequel Charlez et son groupe sont tombés, ils n’ont eu aucune chance de le combattre avant de se faire réduire en miettes. Et alors quelque chose - ça pourrait être un autre monstre ou peut-être bien le même - les a réanimés et renvoyés à la surface. C’est une menace sérieuse.”

 “Et qui dépasse nos compétences.”

Ajouta un homme couturé de cicatrices qui ne portait qu’une épée longue à la ceinture. Il n’était pas en armure comme le reste des capitaines aventuriers, mais ils avaient tous voyagé dans la nuit pour arriver à temps à cette réunion. Il croisa les bras et secoua la tête en direction de Calruz et de la capitaine.

 “On a tous entendu le nombre de Bronze et d’aventuriers en solo qui ont été perdus dans ces maudites Ruines jusqu’à aujourd’hui. Certes, la plupart d’entre eux se sont précipités là-bas sans s’y être préparés mais Charlez n’était pas de ce genre-là. Il avait de l’expérience et il y est entré en étant prêt à battre en retraite si nécessaire. La chose qui l’a coincé les a tous tués. Et tu suggères qu’on entre là-dedans sans savoir ce que ces ruines renferment ?”

 La femme à l’armure argentée secoua la tête.

 “Je suggère qu’on s’allie et que l’on lance un raid à six équipes dans ces ruines. On fait des provisions, on regroupe nos meilleurs guerriers et on fortifie le chemin en allant aussi loin que possible.  On aura une bien meilleure chance de s’en sortir si on  travaille ensemble et les Ruines n’ont pratiquement pas été touchées en-dessous du premier étage. J’ai entendu dire que Liscor ne veut pas les examiner elle-même et laisse la mission aux aventuriers. Si on veut récupérer les trésors qui y sont enterrés, c’est notre chance.”

 Calruz acquiesça vigoureusement, mais les autres ne parurent pas convaincus. L’archer se pencha en avant et s’adressa à la tablée.

 “Pourquoi ne pas laisser d’autres aventuriers y aller avant et attendre qu’au moins un ou deux en ressortent avec un peu plus d’informations ? Ça ne te ressemble pas, Yvlon. Je vois bien Calruz vouloir entrer là-dedans, mais comment a-t-il réussi à te convaincre ?”

 Yvlon, la femme à l’armure argentée, sourit au capitaine.

 “L’impatience et l’audace, Cervial. J’étais aussi excitée que le reste d’entre vous lorsque j’ai entendu parler des Ruines. Mais tu as raison. Ce n’est pas Calruz qui m’a convaincue d’agir au plus vite. J’ai entendu dire qu’une compagnie d’aventuriers Or a entendu parler des ruines. Ils descendent au sud et y seront d’ici une semaine, voire moins.”

 Ces mots agitèrent la tablée. Le reste des capitaines marmonnèrent, mécontents.

 “Eh bien, c’est sûr que cette information change la donne.”

 “Vraiment ? Je ne suis pas d’accord. Les Ruines restent trop dangereuses.”

 “Mais laisser des Ors rafler tout le trésor ? C’est une autre histoire.”

 “Vraiment ? Ce n’est pas du tout ce que j’ai entendu dire. Et mes infos sont bien plus dérangeantes.”

 Cette fois-ci, c’était le capitaine-mage qui avait pris la parole. Il parcourut l’assemblée du regard.

 “Une Aventurière Légendaire est déjà dans la ville au moment où je vous parle. Vous en avez peut-être déjà entendu parler. Scruta l’Omnisciente.”

 Tous les capitaines se turent. Ils n’avaient peut-être pas entendu parler de cette Scruta en particulier, mais une aventurière Légendaire, c’était une autre affaire.

 L’Or était le niveau le plus haut dans le système de rangs autorisé sur tous les continents. En règle générale, les aventuriers Bronzes étaient à peine plus que des débutants, tandis que les Argents valaient plus que la milice d’une petite cité. L’équipement et la magie dont disposait une compagnie comme celle des Cornes d’Hammerad leur permettait de relever des défis qui donneraient du fil à retordre même à une grosse garnison.

 Au-delà de ça. Les aventuriers Or étaient des groupes expérimentés et hautement entraînés qui pouvaient aisément gérer la plupart des menaces de monstres. Au sommet de ce classement, les compagnies d’aventuriers étaient l’équivalent d’une petite armée et pouvaient affecter les conflits internationaux.

 Certains pays avaient des systèmes de classement bizarres qui s’étendaient au-delà du rang Or au rang Platine, Adamantium, et cætera. Mais d’un point de vue fonctionnel, si un individu ou une compagnie d’aventuriers atteignait ce niveau de renommée, il n’était plus classé.

Au lieu de cela, ces aventuriers devenaient des aventuriers Légendaires car leurs noms étaient connus dans toute la région du monde où ils voyageaient. Ils devenaient des légendes vivantes pour les aventuriers à en début de carrière comme les capitaines Argentés de la salle.

 L’homme couturé de cicatrices à l’épée longue interrompit le premier le silence.

 “Eh bien, c’est différent. Très différent. Si une aventurière Légendaire est dans la ville, il n’y a probablement qu’une seule raison pour laquelle elle peut y être. Les Ruines. Mais la véritable question est : pourquoi n’y est-elle pas encore entrée ?”

 “Je vais vous dire pourquoi. Parce qu’elle est prudente. Et si une aventurière Légendaire ne veut pas y entrer tout de suite…”

 “Elle n’a peut-être aucune idée de ce qu’il y a là-dedans. C’est peut-être jouable.”

 “Ou il pourrait y avoir des monstres qui feraient passer les Hautes Passes pour une petite caverne à ours ! Non ! Mon groupe ne participera pas à cette mission suicide.”

 “Espèce de lâche. Où est ta fierté de guerrier ?”

 Calruz haussa la voix en s’adressant au capitaine à la hache. L’homme rougit et repoussa violemment sa chaise, mais le mage à ses côtés posa une main sur son épaule.

 “Aucun d’entre nous n’est lâche, et tu ferais bien de te le rappeler avant de lancer des insultes, Calruz. Mais ça change la donne.”

 “Seulement si on regarde le point de vue négatif.”

 C’était l’archer qui avait parlé. Il réfléchissait, caressant la poignée de son arc d’un air pensif en reprenant la parole.

 “Je pourrais, je dis bien pourrais, vouloir tenter ma chance. Les Cornes de Hammerad et les Lances d’Argent représentent une grosse force de frappe. Si mon équipe les rejoint, on aura une compagnie assez grande pour défier même les menaces des tréfonds des Ruines d’Albez.”

 “Ne sois pas stupide, Cervial. Tu ne peux pas croire que ces Ruines seront semblables à celles d’Albez.”
 Cervial secoua la tête et répondit.

 “Je ne suggère pas que ce soit le cas. Mais entre nos trois équipes, on vaut au moins une ou deux équipes Or, et si le reste d’entre vous nous rejoignaient, ça pourrait marcher. Ça pourrait.”
 Calruz se pencha en avant et s’adressa à Cervial.

 “Si tu es avec nous, je veux un engagement total, pas des promesses incertaines. Mon équipe a entendu ma décision et ils sont avec nous. Si tu n’as pas leur courage, on n’a pas besoin de toi.”

 Yvlon grimaça et Lir, le mage, secoua la tête. Calruz n’était pas un négociateur. Mais Cervial n’avait pas l’air particulièrement offensé. Il dévisagea Calruz puis lui demanda :

 “Que pense Ceria Springwalker des Ruines ?”

 Tout le monde se tut pour entendre la réponse et se tourna vers Calruz. Les naseaux du Minotaure s’écartèrent et il souffla de colère.

 “Ceria n’est pas la capitaine des Cornes d’Hammerad. C’est moi.”

 “Oui, mais elle a plus d’expérience en tant qu’aventurière que nous tous réunis. Si elle pense que ça vaut le coup, je me joindrai à vous.

 Gregor, le capitaine à la hache, dévisagea d’un air incrédule Calruz et Cervial. Il se leva.

 “Vous êtes tous fous à lier et la chose qui est là-bas va vous bouffer vivants. Je m’en vais, et  ma compagnie aussi.”

 La femme à l’armure d’argent soupira et secoua la tête. Elle regarda avec espoir le capitaine mage.

 “Lir ? Tu en es ?”

 L’homme en robe hésita, puis secoua la tête à contrecœur.

 “Je suis désolé, mais Gregor a raison. C’est trop risqué, et mon groupe a besoin de place pour jeter nos sorts. Si on savait vraiment ce qu’il y a là-dessous, je viendrais avec vous. Cervial, tu devrais prendre le temps d’y réfléchir toi aussi.”

 Le capitaine à l’arc réfléchit, puis haussa les épaules.

 “Je comprends, mais je vais faire confiance à notre vétérane Demie-Elfe sur ce coup. Si elle pense que le risque en vaut la peine, j’emmène mon équipe, que les couloirs soient étroits ou pas. Tu crois que ce genre d’opportunité se représentera souvent ?”

 Sa question resta sans réponse. Gregor et Lir quittèrent la pièce en secouant la tête et en parlant à voix basse. Au bout d’un moment, le capitaine aux cicatrices se leva et les suivit, laissant les trois capitaines seuls à la table.

 “Eh bien, ça aurait pu mieux se passer.”

 La capitaine courba la tête d’un air abattu tandis que Calruz fusillait la porte fermée du regard.
 “On n’a pas besoin de lâches. S’ils n’ont pas le courage de risquer leurs vies, on est mieux sans eux. Ce genre de faiblesse ne ferait que rendre les choses plus difficiles.”

 “Oui, mais maintenant on va devoir les remplacer par des Bronzes, et ça, c’est une faiblesse. J’imagine que ça dépendra du nombre d’aventuriers qui traîneront autour des Ruines. Il nous faudra plus de mages et de guerriers de première ligne. Au moins, on a une équipe qui peut détecter et désamorcer les pièges.”

 L’archer leva une main en signe d’avertissement.

 “Seulement si...”

 “Oui, si Ceria pense que ça en vaut la peine. Mais je pense que ces Ruines sont peut-être encore plus grandes que celles d’Albez, pas vous ?”

 “Alors pourquoi est-ce que Ceria ne nous a pas rejoints pour nous prêter main forte quand on se disputait ? Si elle était venue…”

 Calruz grogna d’un air moqueur.

 “Bah. Elle voulait rester à Celum.”

 “Pourquoi ?”

 “Elle attendait une Coursière. Elle a fait une erreur et lui a donné des potions de mana au lieu de potions de soins juste avant qu’elle ne se rende dans les Hautes Passes.”

 Les deux autres capitaines pâlirent. Cervial secoua tristement la tête, mais Calruz ne paraissait pas inquiet.

“Je lui ai dit que ça n’avait pas d’importance. Cette Coursière n’est pas une lâche comme le reste d’entre eux. Erreur ou pas, elle aura survécu au voyage. Et pendant ce temps, on a une expédition à préparer.”

 “Tu as l’air bien confiant, Calruz. Les Hautes Passes ne sont pas une plaisanterie. Si on allait explorer la région, je ne me sentirais pas en sécurité même en alliant nos trois équipes.”

 “Elle survivra. C’est une Humaine qui mérite mon toute mon admiration et mon respect. Elle survivra.”
 Yvlon haussa les sourcils à l’attention de Cervial. Il était rare que quiconque entende Calruz parler en bien des humains, et encore moins avec tant d’emphase.

 “Ça ne pourrait pas être cette Coursière pieds nus donc j’ai tant entendu parler, si ? Est-ce que c’est celle qui vous a sortis d’affaire quand vous vous battiez contre la Liche ?”

“Celle-là même. Son nom est Ryoka Griffin et elle ne connaît pas la peur.”

Cervial claque légèrement des doigts. Les deux autres capitaines le dévisagèrent, surpris.

“Je me demandais où j’avais vu sa tête. Cette fille… je crois que je l’ai vue la nuit dernière. Elle a couru droit dans la ville juste avant la nuit. Elle est ici en ce moment-même, d’ailleurs. Je l’ai vue entrer dans la guilde.”

Calruz écarquilla les yeux. Sa bouche s’entrouvrit légèrement. Les grandes oreilles poilues du Minotaures s’immobilisèrent totalement. Il cligna des yeux devant Cervial puis les fixa sur le plafond.

“Ryoka Griffin est ici ?”
 
***

C’était étrange. Ryoka était certaine qu’elle n’avait pas brûlé tant de calories que cela avec son petit tour de magie, mais elle avait englouti sans s’en rendre compte un gros tas de fromage, une demie miche de pain, un bon morceau de viande et une demi-tablette de beurre.

Pas séparément, évidemment ; c’était sous forme de sandwiches, mais c’était quand même répugnant de penser qu’elle avait dévoré autant de nourriture d’un seul coup.

Ceria balaya d’un revers de la main le dégoût de Ryoka. Elle expliqua qu’être affamée était normal pour quelqu’un qui venait de jeter son premier sort, et pour les mages de manière générale.

“C’est pour cette raison qu’on ne voit pas beaucoup de mages gras - enfin, du moins parmi les mages qui utilisent vraiment leurs sorts en combat. Il m’est déjà arrivé de manger un jambon entier après une bataille particulièrement éprouvante.”

 Ryoka cilla et la mage rougit. Il ne paraissait pas possible qu’un jambon puisse entrer dans le corps menu de la Demie-Elfe.

 “Ton peuple n’est-il pas censé être… végétarien ?”

Le visage de Ceria s’assombrit d’un seul coup.

“Pas tout le monde. Je ne sais pas ce que tu as entendu dire, mais on mange comme les Humains.”

 “Oh, bien sûr. Désolée.”

 Ryoka se donna un coup de pied mental. Elle était vraiment fatiguée, pour faire des erreurs de ce genre. Mais au moins elle ne s’était pas mise à parler des elfes de Tolkien ou d’autres stéréotypes. Et en parlant de ça, elle n’y connaissait pas grand-chose en Demis-Elfes de toute façon. Elle n’était pas une grande fan de fantasy.

Passant à autre chose, Ceria tapota sa baguette et pointa Ryoka du doigt.

 “Tu vas probablement atteindre ton premier niveau de [Mage] dès que tu feras une sieste. Avec un peu de chance, tu l’auras avec une Compétence ou un sort, mais ne t’inquiète pas si ce n’est pas le cas. Après ça, tu pourras réfléchir à quelle spécialité tu voudrais te consacrer.”

 “Oh. Les niveaux.”

 Un autre problème. Ryoka soupira.

“Est-ce que… est-ce qu’il est nécessaire de gagner des niveaux pour apprendre la magie ? Est-ce que je ne pourrais pas apprendre la magie sans gagner de… de classe ?”

 Ceria parut surprise et prit le temps de réfléchir à sa question.

“Bien sûr que tu n’as pas besoin de niveaux pour apprendre des sorts. Mais ça accélère tellement les choses. Par exemple… quand j’ai atteint le niveau 18 dans ma classe d’[Élémentaliste], j’ai appris le sort de [Boule de Feu]. Ça m’aurait pris un mois à étudier les bons parchemins pour ne serait-ce que commencer à jeter ce sort, sinon.”

 Elle regarda Ryoka d’un air légèrement soupçonneux.

 “Pourquoi ? Tu ne fais pas partie de ces gens qui croient à la Limite, si ?”

 “La Limite ?”

 “Une limite des niveaux. Certaines personnes… pensent qu’on a tous une quantité de niveaux limitée. Si on en gagne trop dans différentes classes, on n’en aura plus. Tu n’en as jamais entendu parler ?”

 “Non. Et je n’y crois pas non plus. Je voulais juste savoir si je pouvais étudier seule ou si je devais… attendre d’avoir gagné des niveaux pour apprendre plus de sorts.”

 “Oh. Eh bien, c’est une erreur fréquente. Les mages gagnent des niveaux en jetant des sorts, mais on gagne beaucoup d’expérience en étudiant la magie. Tu ne peux pas juste te contenter de jeter des boules de feu et t’attendre à gagner plein de niveaux d’un coup.”

   Et c’était un autre élément. En continuant de parler avec Ceria, spéculant avec légèreté sur la branche de magie qu’elle souhaiterait étudier, Ryoka réfléchissait furieusement.

   Des limites de niveaux ? Ça, ça ressemblait à un jeu, selon elle. Mais les gens traitaient l’idée comme une sorte de superstition. Que savaient-ils exactement sur les niveaux, d’abord ?

   Ryoka avait beau être exténuée, une partie de son esprit se posait des milliers de questions, mais elle n’en posa délibérément aucune à Ceria. Elle aimait bien la Demie-Elfe, elle lui faisait même confiance, mais il était préférable de ne pas poser certaines questions. Du moins, pour le moment.

   “Tu as l’air à plat. Je te proposerais bien mon lit, mais tous les autres aventuriers sont en train de se réveiller. Ils vont se mettre à traîner leurs gros pieds et à faire du bruit dans quelques minutes.”

   Ryoka était relativement certaine qu’elle pourrait s’endormir sous un chemin de fer en ce moment précis, mais elle déclina tout de même la proposition de Ceria.

  “J’aimerais bien discuter un peu plus de la magie, et jeter un œil à la Guilde des Aventuriers si c’est possible.”

“Bien sûr. Je suis libre jusqu’à la fin de la réunion de Calruz avec le reste des chefs de compagnies Argent. Et puis, de toute manière, c’est l’heure du petit-déjeuner et tout le monde devrait être en bas. On peut aller les retrouver et manger avec eux.”

Ceria ne remarqua pas la brève expression de dégoût qui passa sur le visage de Ryoka. La fille ne voulait pas descendre et parler avec des gens, mais elle n’avait pas le choix. Avec réticence, elle descendit les escaliers derrière Ceria.
 
***

Merde. Je déteste parler aux gens. Non… ce n’est pas exactement ça. Je déteste parler aux gens en groupes. Les individus, ça va. Ceria est cool, Garia est cool... Sostrom est cool...

 … C’est à peu près tout. Je serais très contente de parler avec n’importe lequel d’entre eux, mais je préfèrerais que le reste aille en enfer plutôt que de venir m’embêter. Mais malgré tout ça, je me retrouve à suivre Ceria pour descendre faire la conversation.

 Je déteste l’idée. Mais je lui dois bien ça, et pas seulement parce qu’elle m’a aidée à apprendre la magie. Moi. Apprendre la magie.*
 
*Si je n’étais pas aussi fatiguée, je pense que je courrais de partout en agitant les bras et en hurlant d’une voix suraiguë.**
 
**Probablement pas. Mais je suis vraiment, vraiment excitée. C’est de la magie ! De la magie ! Je me demande quels sorts je peux apprendre et… bordel, voilà des gens.
 
Je suis Ceria dans la pièce principale de la Guilde des Aventuriers. Le rez-de-chaussée est doté d’un hall où les gens peuvent soumettre des requêtes d’assistance à la guilde et les aventuriers peuvent rapporter les monstres mis à prix et récupérer leurs récompenses comme à la Guilde des Coursiers, mais il y a aussi d’autres sections prévues pour pallier aux besoins de la vie d’aventuriers.

 Le petit couloir se termine par une petite échoppe tenue par des employés de la guilde de la ville avant de déboucher sur ce que je ne peux que décrire comme une cantine. C’est un réfectoire, mais la disposition des tables me hurle immédiatement “cantine scolaire”. Et ce n’est pas une association plaisante.

 La cantine est principalement constituée d’un mur au fond dévoilant partiellement une cuisine bruyante et d’un long comptoir où les aventuriers peuvent payer leur repas sans avoir à se rendre dans une auberge. La Guilde des Aventuriers d’Esthelm est même assez grande pour disposer de quelques chambres à louer comme celle où Ceria dormait. Je suppose que c’est logique - on peut gagner encore plus d’argent si on nourrit les gens qui tue les monstres pour nous.

 À notre arrivée dans la pièce, tout le monde se tourne pour nous dévisager. J’imagine que c’est un truc d’aventuriers - et de Coursiers maintenant que j’y pense - de ne pas vouloir se faire surprendre.

 Mais la vérité, c’est que Ceria et moi attirerions probablement l’attention où que nous allions. Ceria est Ceria - sublime et à moitié immortelle. Et je suis… moi. Je suis pieds nus et plus grande que pas mal des gars ici. De plus, j’ai des traits Asiatiques et on est dans un monde vachement anglo-saxon.*
 
*Sérieusement. C’est quoi le délire ? Est-ce que c’est juste une règle globale que les Blancs soient toujours les colons qui déboîtent les indigènes ? Je sais que les humains ne sont pas natifs de ce continent, mais est-ce que ça veut dire que les blancs - excusez-moi, les caucasiens** sont l’ethnie dominante de ce monde ? Ou… est-ce que ça reflète notre monde, d’une manière ou d’une autre ? Hm.

**Techniquement, caucasien n’est pas non plus politiquement correct comme cela implique qu’on parle de quelqu’un qui descend de la région du Caucase; ce qui n’est pas nécessairement vrai. De plus, le mot désigne littéralement les gens blancs, juste sans dire le mot blanc explicitement. Le terme correct serait ici Européen-Américain, sauf que ça ne s’applique pas aux gens d’ici comme il n’y a pas d’Amérique ou d’Europe, ce qui veut dire que “les blancs” est littéralement le meilleur terme à utiliser dans cette situation et arrête de réfléchir à ça...

“Ryoka Griffin !”

Une voix interrompt mon monologue intérieur incohérent. C’est une voix familière, mais cela ne signifie pas que je sois ravie de l’entendre. Mais bon, il faut que je sois gentille. Et j’ai vraiment une dette envers ces gens, même si on dirait que la moitié d’entre eux sont un peu trop intéressés par ma personne en tant que membre du sexe opposé.

 Je souris donc, me retourne, et serre la main de Gerial, Sostrom et le reste des Cornes d’Hammerad lorsqu’ils se lèvent de leurs sièges. Il y a plusieurs personnes que je ne reconnais pas, et ils hochent la tête à mon intention lorsque Ceria et Gerial me les présentent.

 “Hey, Ryoka, voici bla bla ou quelqu’un quelqu’un qui est ici pour taper des trucs ou tirer des flèches sur des gens”. Je m’en fous pas mal, surtout que j’ai encore faim, je suis fatiguée, et grognon de devoir rencontrer des gens. Mais ma dette envers les Cornes me force à serrer des mains, à sourire et à faire semblant de les apprécier, ce qui n’est pas mon point fort.

 Je suis juste fatiguée. C’était une erreur de dire à Ceria que je voulais jeter un œil à la Guilde des Aventuriers. Ce que j’aurais dû dire, c’était que je voulais regarder vite fait la guilde, lui parler pendant encore trois heures, puis aller me coucher pendant le reste de la journée avant de faire quoi que ce soit d’autre.

 Au lieu de cela, je suis coincée. Et vous savez quoi ? J’ai oublié que les gens n’avaient pas encore entendu parler du fait que je suis allée dans les Hautes Passes, ce qui signifie qu’un tas de gens agaçants veulent soudain que je leur raconte exactement ce qu’il s’est passé.

 “Je suis tombée sur un tas de Gobelins, quelques loups, quelques chèvres, puis quelques gargouilles. J’ai juste continué de courir jusqu’à ma destination.”

 Gerial émet un son poli d’incrédulité pendant que Ceria me dévisage en nous ramenant un peu plus de bouffe. De la bouffe de cantine pour aventuriers. Charmant.

 Pour être honnête, c’est de la saucisse, du pain d’orge, et un peu de soupe de légumes fumante dans un bol. Et une boisson mentholée légèrement alcoolisée que les gens du coin adorent. Et on est sur de la super cuisine selon les standards médiévaux. C’est bien plus élaboré que ce que mangeaient la plupart des pauvres gens de manière générale.*
 
*De l’orge. Du pain d’orge, des pizzas d’orge, des pancakes d’orge, de la soupe d’orge… ouaip. Ils n’avaient pas beaucoup d’options à l’époque.
 
Je mange tandis qu’ils m’assaillent de questions. Les Cornes d’Hammerad ont leur propre table, mais on dirait qu’un bon nombre d’aventuriers errent vers notre table comme par hasard pour laisser traîner des oreilles.

“Il y a forcément plus à raconter que ça. Quel genre de loups ? Des loups normaux ou des vrais monstres ?”

 Je lève les yeux sur Gerial. Il sourit toujours en essayant de jouer à M. Gentil. Okay, peut-être qu’il est vraiment gentil, mais je n’arrive quand même pas à l’apprécier facilement comme Ceria. Probablement parce que c’est un mec et que même lui n’arrive pas à résister à l’envie de regarder mes seins une ou deux fois.*
 
  *Mes yeux sont là-haut. Non pas que je veuille spécialement croiser le regard des gens. J’aime bien quand ils regardent par-dessus mon épaule, mais j’ai aussi l’habitude qu’ils regardent mes pieds, aussi. Et au moins Gerial a la bonne grâce de ne pas trop mater et de s’arrêter quand il réalise ce qu’il est en train de faire. C’est le signe que c’est un gars presque décent, contrairement au type assis à côté de lui qui ne peut pas s’empêcher de les regarder.
 
Okay, j’ai capté le problème. Je décroise les bras et me redresse sur ma chaise. Quand on les a, mieux vaut éviter d’en faire l’étalage sauf quand on veut que les gens aient envie de les toucher. Un truc du genre.

 “Je ne sais pas. Ils étaient bien plus gros que des loups normaux. Et ils avaient le poil roux.”
 Et des corps d’acier. Gerial regarde autour de lui. L’un des mages assis à côté de Sostrom hoche la tête.

 “Des Loups Carnassiers.”

 “Pas de doute.”

 Plusieurs aventuriers autour de nous sifflent et Ceria a l’air peinée. Ah oui, elle culpabilise vraiment de m’avoir donné des potions de mana par accident. Je lui ai dit qu’au final tout s’était bien passé mais…

 “Ils étaient assez vicieux. Ils ont mangé les Gobelins qui m’avaient tendu une embuscade puis ils se sont fait dévorer par les Gargouilles et les chèvres.”

 Les aventuriers murmurent une nouvelle fois et se dévisagent. Gerial secoue la tête et se penche en avant, me regardant cette fois-ci droit dans les yeux.

 “Tu vois, je comprends les Gargouilles. Ce sont des monstres terrifiants quand on les trouve dans des cavernes ou en train de terroriser un village. Mais les chèvres ? Qu’est-ce que tu entends par “chèvres” ?”

 “Probablement les chèvres carnivores, celles avec les dents acérées qui peuvent dévorer même des Loups Carnassiers.”

 C’est un type debout au milieu du reste des aventuriers qui a parlé. Il a une cicatrice sur tout un côté du visage et il porte une épée longue à la ceinture. Ce qui veut dire qu’il a peu d’équipement par rapport au reste des aventuriers qui paradent avec leurs cottes de mailles ou avec des armures de cuir même en mangeant.

 Il hoche la tête dans ma direction tandis que Gerial et le reste des Cornes se retournent sur leurs sièges.

 “Hendric, aventurier Argent. Tu dois être la célèbre Coursière va-nu-pieds. C’est ce genre de chèvres que tu as vues ?”

 Je le dévisage. Malgré la foule qui se forme à présent autour de notre table, les gens lui laissent de l’espace et personne ne lui donne de coups de coude. C’est clairement un type important.
 “Oui, j’imagine. Elles avaient des dents tranchantes. Et elles crient.”

 Le mec aux cicatrices acquiesce d’un air sombre.

 “C’est bien elles. Ces chèvres chassent en meute et peuvent grimper n’importe où. Ce sont des monstres capables de raser des villages. Dès qu’elles sortent des Hautes Passes, elles dévorent tout sur leur passage sur des kilomètres. Si tu as réussi à leur échapper, Miss Coursière, tu peux t’estimer chanceuse.”

 Tous les autres aventuriers paraissent impressionnés. Le type à la cicatrice a l’air d’avoir combattu les satanées chèvres plus d’une fois, et Gerial et les autres se mettent à lui poser des questions à leur sujet.

 Je me penche vers Ceria.

 “Qui est-ce ?”

 Elle marque une pause, avale, et jette un œil au gars aux cicatrices en train d’expliquer comment décapiter correctement les chèvres.

 “C’est Hendric, le capitaine des Chiens de Contrépée. Une compagnie d’Argent, plus connue au nord. Il était censé parler avec Calruz et le reste d’entre eux mais…”

 “D’accord, d’accord. Tu as échappé aux monstres, mais qu’est-ce qui t’attendait à l’autre bout ?”

 Ceria arrête de parler lorsqu’un des nouveaux membres des Cornes d’Hammerad nous interrompt. Connard malpoli. C’est également le mec le plus jeune, avec des cheveux châtains en bataille. Il me dévisage et demande à savoir qui j’ai rencontré.

 “Qui c’était ? Un riche ermite ? Un mage exilé ? Une silhouette entourée d’ombres ?”

 Comme si j’allais lui dire, à lui ou à qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Teriarch le mystérieux archimage, potentiellement elfe, a beau m’agacer, il reste mon mystère personnel.

 “Personne d’intéressant.”

 J’ai beau détester les gens, je suis douée pour garder un visage impassible lorsque je mens.* Et au moins, ici, je peux jouer la carte de la confidentialité des Coursiers donc je n’ai pas à répondre à d’autres questions à son sujet.
 
*Des mensonges du genre, “oh, je suis tellement navrée” que ton hamster pourri soit mort” ou “je n’arrive pas à croire que ton crétin de copain consanguin t’ait larguée ! C’est affreux !” et autres.
 
“Mais des Gargouilles ? Je n’en ai jamais vue de près. Elles ressemblaient à quoi ?”

 “Grandes. Rocheuses. Elles crachent des cailloux et essaient de te manger.”

 Qu’est-ce qu’ils me veulent, bon sang, un dessin d’observation avec des légendes anatomiques ? … Bon sang, j’achèterais bien un bestiaire de monstres s’ils en ont un dans le coin. Mais tout ce que veulent ces aventuriers, c’est savoir comment les tuer, et je ne suis certainement pas la bonne personne à qui demander ça.

 “J’en m’en suis à peine tirée. J’ai surtout eu de la chance de m’en sortir.”

 “Je ne suis pas d’accord. Quiconque parvient à distancer une horde de Gargouilles ne peut pas être simplement chanceuse.”

 Cette fois-ci, la voix claire me parvient de derrière le reste des aventuriers. Les gens se tournent, et s’écartent pour laisser passer les trois aventuriers. C’est probablement aussi lié au fait que l’un d’entre eux n’est autre que Calruz. Personne ne se place en travers de son chemin.

 Calruz, un type armé d’un énorme arc long aussi grand que lui, et une femme en armure argentée s’avancent jusqu’à ma table. Super. Encore plus de gens, et ceux-ci ressemblent à des capitaines. La femme aux longs cheveux blonds flottants derrière elle me sourit et me tend une main gantelée.

 “Yvlon Byres, aventurière Argent. Je suis la Capitaine des Lances d’Argent, et je voulais faire ta connaissance.”

 Bon dieu on dirait qu’elle sort tout droit d’un film. Je lève les yeux sur elle, le visage couvert de miettes, puis lui serre la main. Une poignée ferme et voilà qu’elle et le reste des capitaines sont assis à notre table.

 Génial. Je n’en avais pas déjà suffisamment bavé. À présent, Calruz est assis à côté de moi, et je ne suis pas ravie d’avoir un Minotaure géant et poilu comme voisin. Et maintenant quatre capitaines Argent sont assis autour de moi, bloquant parfaitement toute conversation possible avec Ceria tandis qu’une bande de gens me dévisagent comme si j’étais un étron* incroyablement fascinant.

 *Ou autre chose. Honnêtement, je pourrais bien être un caniche doré pour ce que j’en ai à foutre. Je déteste être dévisagée quand je ne cours pas, et même lorsque je cours je n’apprécie pas particulièrement. Mais au moins je peux fuir loin des regards.
 
“Traverser les Hautes Passes et s’en sortir indemne n’avait pas été fait depuis des années. Non pas que beaucoup de Coursiers aient tenté l’exploit, mais il faut être quelqu’un d’extraordinaire pour le tenter.”

Calruz souffla des naseaux et le reste des aventuriers acquiescèrent tandis qu’Yvlon, la magnifique capitaine à l’armure fabuleuse, continua de chanter mes louanges. Ça risquait de devenir encore plus exaspérant que les questions.

“C’était une requête. Je l’ai réglée - enfin, à moitié. Je n’ai plus qu’à terminer ma livraison et ce sera fini.”

 “Vraiment ?”

 Cette fois-ci, tout le monde a l’air intéressé. L’un des aventuriers tente de paraître nonchalant.

 “Où donc ? À qui ?”

 “C’est confidentiel.”

 Ils font tous la moue. Mais je doute qu’un seul d’entre eux se soit réellement attendu à ce que je leur dise la vérité dans tous les cas. Mais dès que je mentionne la livraison, l’anneau et la lettre qui m’ont été confiés brûlent dans mon esprit. Je les ai laissés dans mon sac dans la chambre de Ceria. Merde. J’aurais dû être plus prudente. Il faut que je les livre…

 Je cligne des yeux, la vision floue pendant un instant. Le sort. Pendant un instant, j’avais failli me lever pour me mettre à courir. Ce crétin de mage…

 “Ryoka ?”

 Je lève les yeux. Tout le monde me regarde. J’ai dû rater un épisode. J’essaie de ne pas rougir, échoue, puis regarde Yvlon.

 “Désolée, tu disais ?”

 C’est pour cette raison que je déteste parler aux gens. Mais elle sourit comme s’il ne s’était rien passé et me repose sa question.

 “Je me demandais simplement si tu avais des niveaux dans une classe de combat, ou si tu n’en avais qu’en tant que Coursière. Tu as eu d’autres classes avant celle-ci ?”

 Pour le coup, ça, c’est une sacrée question à laquelle je n’étais pas préparée. Je cherche une réponse… abandonne.

 “Pourquoi ça t’intéresse ?”

 Oui, je sais. Je suis à peu près aussi crue qu’un marteau dans la face. Mais Yvlon se contente de sourire.

 “Simple curiosité. J’aimerais savoir à quel point tu t’en sortirais en combat. On m’a dit que tu étais une sacrée pugiliste malgré ton métier de Coursière.”

 Pugiliste ? Qui donc utilise encore ce terme ? Oh, c’est vrai. On n’a probablement pas encore inventé la boxe.

 Gerial a l’air décontenancé. Les aventuriers autour de la table échangent un regard.

 “C’est quoi, une “pugiliste”?”

 Ceria soupire et fournit la réponse.

 “Une boxeuse.”

 Tous les aventuriers comprennent tout de suite et hochent la tête. D’accord, peut-être que la boxe existe bel et bien dans ce monde et qu’Yvlon est juste une imbécile. Ou alors quelqu’un qui apprécie la littérature. Je pourrais respecter ça.*
 
*Mais je ne le ferai pas. Je suis trop fatiguée. Et pugiliste est un mot débile, de toute façon.
 
“Qui t’a dit ça ?”

La rumeur selon laquelle j’ai écrasé ce crétin d’aventurier à Celum ne peut pas s’être propagée jusqu’ici. Impossible. J’ai littéralement couru au-devant de la rumeur. Donc comment cette femme peut-elle savoir qui je suis et que je peux me battre ?

 “C’est ma tante au deuxième degré qui m’en a parlé. Elle me tient au courant des gens intéressants et elle m’a dit que te trouver en vaudrait la peine.”

 Tous les aventuriers semblent comprendre cela, et me regardent avec curiosité. Mais je suis encore à la ramasse.

 “Qui est ta tante ? Je la connais ?”

 Ceria toussota, comme si je faisais une erreur stupide.

 “Yvlon Byres est la leader des Lances d’Argent, mais elle est également membre de la noblesse, Ryoka.”

 Je ne saisis pas et ça se voit. Ceria soupire.

 “La famille Byres ? L’aristocratie ?”

 “L’aristocratie mineure.”

 Yvlon corrige Ceria avec un sourire.

 “Nous faisons commerce d’argent et possédons plusieurs grosses mines dans la région. Et nous sommes de distants cousins des Reinhart.”

 Elle dit ça comme si ça voulait dire quelque chose. Les qui... ?

 Oh. Ah merde. Le nom de famille de Magnolia est Reinhart, c’est ça ? Ce qui veut dire…

 Cette putain de femme. Même quand je me dis que je lui ai échappé, elle arrive à trouver quelqu’un pour m’embêter.

 Pendant un instant, je fronce les sourcils et Gerial ferme la bouche et se rassied. Yvlon me dévisage, le sourire toujours plaqué sur son visage.

 “Je suis désolée si ma tante t’a embêtée, Ryoka, mais elle est plutôt opiniâtre. Et elle a dit à toute ma famille - vraiment tout le monde, de garder l’œil ouvert pour elle.”

 Gerial cligne des yeux en la dévisageant. Clairement pas le plus fûté du lot, tout comme le reste des aventuriers. Mais l’archer… Cervial, je crois - et Ceria dévisagent Yvlon avec intensité. Et Calruz aussi. J’imagine qu’il est plus intelligent qu’il n’en a l’air.

 Mais si Ceria et Cervial ne pipent mot, Calruz n’a pas leur délicatesse. Ni la leur, ni aucune, d’ailleurs. Il pose le bras sur la table et se penche en avant - un peu, parce qu’il est déjà tellement massif - pour dévisager Yvlon d’un air sévère.

 “Ses affaires la regardent. Si Magnolia Reinhart cherche Ryoka Griffin, elle devrait soit respecter sa vie privée soit venir la voir en personne.”

 Yvlon fait une moue gracieuse et hausse les épaules avec regrets.

 “Désolée, Calruz, mais personne dans ma famille ne défie Lady Magnolia. Et je ne comptais pas faire quoi que ce soit à Ryoka. Je voulais juste savoir si elle était vraiment douée au combat à mains nues.”

 “Et je suppose que toi, tu l’es ?”

 Là encore, elle est peut-être connue, mais tout le monde me regarde comme si j’étais d’une incommensurable bêtise. Yvlon sourit.

 “J’ai une certaine réputation. Les Lances d’Argent sont connues pour se battre avec n’importe quelle arme, et les poings en font partie.”

 Sostrom me donne un coup de coude à ma droite et marmonne suffisamment fort pour que je l’entende.

 “Elle a déjà battu cinq bandits à mains nues après avoir perdu son épée.”

 Wow. Woooow. Et je suis censée être impressionnée ? Battre cinq types à mains nues ne me paraît pas vraiment extraordinaire. Et ça l’est encore moins parce qu’Yvlon Byres est vêtue d’une armure de plates faite d’un métal coûteux. Si elle se battait “à mains nues” avec ces gantelets de métal sur cinq types mal armés, moi aussi j’aurais parié sur elle.

Peut-être que mon manque d’émerveillement se vit*, parce qu’Yvlon leva un sourcil parfait et les autres aventuriers parurent… mécontents. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas impressionnée par une meuf en armure qui donne une fessée à une bande d’idiots ?
 
*Ça s’est carrément vu. Je n’étais pas impressionnée.

 “J’ai entendu dire que tu avais réussi à battre un [Assassin] de bas niveau à mains nues et que tu avais également combattu un Loup Carnassier sans armes.”

Cette fois-ci, tout le monde se tait. Okay, ça suffit. Magnolia est passée du rang de personne à qui je ne veux vraiment pas parler à quelqu’un que je ne peux plus ignorer. L’assassin, c’est une chose, comme j’imagine qu’elle l’a embauché mais… comment a-t-elle su pour le loup ?

“J’aimerais beaucoup voir tes compétences par moi-même. Je sais que tu es fatiguée, mais si tu as le temps pour un match rapide je pourrais t’accorder un handicap.”

Il n’y a aucune malice dans la voix d’Yvlon. En fait, elle a été plutôt fair-play de me dire pour Magnolia et le reste. Et c’est probablement une offre équitable, comme les aventuriers gagnent des niveaux et tout et tout. Le reste des aventuriers - Gerial, Sostrom, etc. ne sont certainement pas mécontents. Seul Calruz paraît se renfrogner.

 Mais… un handicap. Un handicap pour moi de la part de cette femme qui ressemble à une top model qui aurait été renvoyée dans le temps ? Ou l’une de ces chevalières d’Hollywood ?

 Yup, ça y est. Je suis fatiguée, grincheuse, et je viens de me faire une centaine de kilomètres dans la nuit après m’être battue contre un mystérieux assassin, m’être retrouvée dans une rixe de taverne, et être parvenue à faire de la magie pour la première fois de ma vie.

 Primo. Je vais défoncer la tête d’Yvlon, deuxio, défier Calruz en combat, et tertio,  aller me coucher.
 Exactement dans cet ordre.

 La bouteille de potion à ma ceinture clapote doucement lorsque je souris de toutes mes dents à Miss Aventurière - Chevalière Parfaite.

 “Mais je serais ravie de faire un match. Dis-moi, as-tu déjà entendu parler du MMA ?”

 Elle paraît confuse.

 “MMA ?”

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #54 le: 16 mai 2020 à 19:40:49 »
Note des traducteurs: Suite à la longueur graduellement grandissante des chapitres, certain chapitre seront coupés en deux, voir en trois, dans le futur à cause de la limite du nombre de mots, désolé pour le dérangement et bonne lecture!


1.12 R
(Partie 1)
Traduit par EllieVia

Quand Garia arriva à Esthelm juste avant midi, elle vit l’agitation devant la Guilde des Aventuriers avant même d’avoir déposé sa livraison.

Du sucre. Plusieurs sacs - assez pour une commande expresse pour l’une des boulangeries de la ville. La livraison, lourde et collante, avait bousillé l’intérieur du sac de Garia. Elle allait devoir passer pas mal de temps à le laver avec de l’eau et une balle de savon.

L’idée déprimait la jeune femme, mais elle oublia tout ça dès l’instant où elle aperçut Ryoka. Comme toujours, la fille était au centre d’une attention quelconque. En ce cas précis, elle était entourée d’une foule d’aventuriers dans la cour ouverte que la Guilde des Aventuriers utilisait pour l’entraînement et les duels.

Elle n’était pas dans un duel, n’était pas armée. Pas encore. Mais Garia pouvait voir, aussi clairement que son propre niveau, que Ryoka était sur le point de se battre. La fille avait toujours cette espèce… d’expression sur le visage dans ces moments-là.

Extérieurement, on aurait pu croire qu’elle était la Ryoka normale. C’est-à-dire, avec son visage impassible qui ne laissait rien transparaître et ses yeux distants et réservés qui avait fascinés Garia le premier jour où elle avait rencontré l’autre fille.

Mais dans ces moments-là, bien que le masque ne se brise pas, Garia pouvait apercevoir une autre Ryoka derrière le masque. Et ses yeux… oui, il fallait regarder là. Derrière les yeux de Ryoka luisait faiblement une lumière féroce.

Cela fit hésiter Garia, mais elle était encore plus gentille que curieuse. Cet instinct la poussa à se frayer délicatement un passage à travers la foule d’aventuriers pour empêcher Ryoka d’entamer une bagarre avec quelqu’un de dangereux.



***


Ryoka s’étirait les jambes, touchant ses orteils, lorsqu’elle vit quelqu’un soulever un type en armure de cuir et le déposer hors de son chemin. Garia, le visage rouge sous l’effet de l’effort et de l’embarras, s’excusa et traversa la cour en direction de Ryoka.

Huh. Mais Ryoka avait suggéré à Garia de venir ici, pas vrai ? C’était juste… bizarre. Sa conversation avec Garia lui semblait avoir eu lieu longtemps auparavant. Mais elle n’avait pas dormi depuis.

Elle était fatiguée. Ce qui n’était pas bien. Ryoka devait être au top niveau de ses capacités pour la suite.

Ryoka hocha la tête tandis que Garia s’approcha plus près avec prudence. Elle aurait bien souri - ou du moins pensé à un sourire - mais elle n’en avait pas envie. Elle devait se concentrer.

“Salut.”

“Um, salut, Ryoka. Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“Rien de particulier. Tu vois cette personne ? Celle en armure d’argent ? Elle m’a défié en combat.”

Ryoka hocha la tête en direction du bout de terrain où Yvlon discutait avec Ceria, Calruz, et plusieurs membres des Cornes d’Hammerad. Garia lui jeta un coup d’œil, déglutit, puis se baissa pour chuchoter à Ryoka.

“Ryoka ? Est-ce que tu as fait quelque chose pour… hum, l’énerver ?”

Ryoka découvrit ses dents. C’était peut-être un sourire.

“Je ne crois pas. Pas encore, dans tous les cas. Elle m’a défié à un match “amical”. J’ai accepté. Pourquoi ?”

“Oh. Pour rien. C’est juste que… c’est Yvlon Byres,  la Capitaine des Lances d’Argent. Elle est connue dans le coin.”

“C’est ce qu’on m’a dit.”

“Et elle t’a défiée. En duel ?”

“Oui, enfin, une joute. C’est moi qui ai voulu la transformer en duel.”

Pourquoi ?”

Ryoka hésita. Elle dévisagea Yvlon à l’autre bout du terrain. L’autre jeune femme - elle était assez proche de l’âge de Ryoka, probablement plus âgée d’un an ou deux - souriait en parlant à une Ceria à l’air inquiet. Elle se tourna, croisa le regard de Ryoka, et hocha poliment la tête.

La fille aux pieds nus détourna le regard. Elle se mit à étirer son autre jambe et marmonna à Garia.

“Je… je veux juste lui démolir un peu la tête, pas toi ? Elle est un peu trop belle et parfaite.”

Garia attendit, mais Ryoka se contenta de se pencher de nouveau en avant pour toucher ses orteils, respirant lentement et régulièrement.

“C’est tout ?”

“Yup.”

“Ryoka, c’est… je connais Yvlon. Son groupe, les Lances d’Argent, ont aidé à chasser un groupe de bandit qui m’avait attaquée, une fois. Et j’ai entendu parler d’elle. C’est une très bonne personne ! Elle est gentille, elle donne aux pauvres, son équipe accepte les requêtes pour aider les gens même si la récompense n’est pas très élevée…”

“Je comprends. C’est une super personne. Une fille populaire. Quelqu’un que tout le monde adore.”

L’expression de Ryoka disait qu’elle ne partageait pas cette opinion. Ses yeux étaient durs lorsqu’elle balaya de nouveau Yvlon du regard.

“Tu n’aimes pas qu’elle soit comme ça ?”

“Peut-être. Peut-être pas. Elle me… elle me rappelle juste des gens que je n’aime pas. Et elle a l’air trop gentille pour une aventurière. Je n’aime pas les gens gentils.”

“Ça n’a aucun sens, Ryoka.”

“J’imagine. Dommage.”

Ryoka termina d’étirer ses mollets et se redressa en soupirant. Sa conversation avec Garia… l’empêchait de se concentrer. Elle n’avait pas vraiment de bonne explication à fournir à Garia, pas d’explication qu’elle pouvait formuler. C’était juste ce qu’elle ressentait. Plus que tout, se battre avec Yvlon faisait plaisir à Ryoka.

L’autre aventurière remarqua qu’elle la dévisagea et lui sourit de nouveau. Ryoka fronça les sourcils. Ce sourire. Ce petit sourire poli. Elle voulait l’effacer du visage d’Yvlon.

“Elle est juste beaucoup trop séduisante, c’est tout.”

Garia secoua la tête. Elle sembla débattre intérieurement puis finit par craquer.

“Vous ressemblez toutes les deux à… à des princesses !”

Ryoka cilla. Garia lui rendit son regard, embarrassée.

“Vraiment. Vous êtes toutes les deux… beaucoup plus belles que moi. Ou que Persua. Ou que n’importe qui, vraiment. Je ne comprends pas pourquoi tu veux te battre avec elle.”

“Elle veut aussi me tester. Elle bosse pour Magnolia.”

“Elles sont parentes, Ryoka.”

“Hum.”

“Tu sais qu’elle a déjà battu cinq hommes, non ? Et elle les a battus à mains nues.”

“Avec son armure, non ? Pas vraiment à mains nues.”

Garia était sur le point de s’arracher les cheveux. Elle serra sa tête entre ses mains et le regretta à l’instant où ses paumes incrustées de sucres entrèrent en contact avec sa sueur.

“Ça reste cinq personnes, Ryoka ! La plupart des aventuriers ne pourraient pas le faire même avec une arme !”

Ryoka savait que c’était vrai. Elle savait que c’était… probablement… impressionnant, mais même dans sa propre tête, elle ne voulait pas accorder trop de crédit à cette pensée. Garia était encore en train de parler. Ryoka hésita à l’ignorer mais finit par l’écouter avec réticence.

“Je sais qu’elle ne va pas te faire de mal - pas si tu ne cherches pas à lui faire de mal à elle. Mais les aventuriers Argent ne sont pas comme le type que tu as battu à la taverne, Ryoka. Si tu la forces à s’y mettre sérieusement elle va… qu’est-ce que tu fabriques ?”

“Je m’échauffe.”

La fille aux pieds nus n’avait pas terminé ses étirements de préparation au combat. Une fois l’étirement de ses jambes terminé, elle passa aux bras. Et si les aventuriers l’avaient regardée toucher ses orteils et s’étirer les jambes avec intérêt, la seconde phase de son échauffement était… différente.

Ryoka secoua les bras en un mouvement d’éventail. Elle avait l’air ridicule, elle le savait. Un peu comme un enfant qui faisait semblant d’être un poulet. Mais c’était un étirement nécessaire si elle voulait pouvoir jeter des crochets pendant le combat. Elle se mit à faire des moulinets avec les bras, dans un sens, puis dans l’autre.

Les aventuriers riaient à gorge déployée. Ryoka les ignora. Elle leva le bras et s’attrapa le coude, le poussant gentiment en arrière. Puis elle répéta l’opération avec l’autre bras.

En tout, les étirements lui prirent cinq minutes. Ryoka fit la totale, de se toucher les orteils à s’étirer les jambes en passant par agiter les hanches dans un mouvement lent de Hula Hoop.

Quand elle en eut terminé, Ryoka sentit que toutes les parties de son corps étaient prêtes. Elle avait également attiré une audience. Un groupe de vendeurs de rue hardis ainsi qu’un large groupe de piétons s’étaient joints aux aventuriers qui étaient déjà venus voir son combat avec Yvlon. Ils étaient déjà en train de prendre les paris au cœur du cercle qui s’était formé, papotant, mangeant, et riant aux excentricités de Ryoka.

Yvlon sourit quand Ryoka s’avança au centre du ring. Elle hocha la tête en direction de Ceria et s’avança de quelques pas en direction de Ryoka.

“Intéressant. Tu es plutôt souple. C’était censé t’aider à te battre ?”

“Tu ne t’étires jamais avant un combat ?”

Les autres aventuriers éclatèrent de rire ou pouffèrent. Yvlon secoua la tête et répondit sèchement.

“Pas comme ça. Je ne pense pas qu’aucun des guerriers que je connais ferait ça… surtout en public.”

“Dommage. Bah, ça me fait un avantage de plus, du coup.”

C’était extraordinaire, songea Garia en regardant Ryoka, à quel point cette fille était complètement - et tout le temps - sûre d’elle. Même face à une aventurière en armure.

“Excuse-moi. Je souhaitais simplement rassurer tes amis sur le fait que tu ressortirais indemne de ce spectacle amical. Si tu me laisses une minute, je vais retirer mon armure.”

Ce disant, Yvlon commença à retirer ses gantelets, mais Ryoka secoua la tête.

“Tu peux garder ton armure. Les gantelets, aussi.”

La foule qui avait été en train de parler et de plaisanté en attendant le début de la joute se tut en entendant les mots de Ryoka comme si quelqu’un avait jeté un sort de [Silence]. Yvlon leva les sourcils et derrière elle, Ceria se claqua le front.

“Je ne voudrais pas te faire mal.”

“Ce n’est pas moi qui vais avoir mal.”

“Ryoka, ne sois pas stupide !”

Ceria s’avança, furieuse contre la coursière aux pieds nus. Elle baissa la voix pour que tout le monde ne puisse pas l’entendre, mais ses mots furent parfaitement audibles dans le silence.

“Tu es folle ? Tu ne peux pas combattre quelqu’un en armure ! Yvlon est une Capitaine Argent. Même si elle retient ses coups, elle va te blesser. Ce n’est qu’un match amical… aucune d’entre vous n’est censée finir blessée.”

“Vraiment ? Alors battons-nous sérieusement.”

Ceria grogna et Calruz sourit pour marquer son approbation. Le Minotaure dévisageait Ryoka d’un air approbateur, appréciant ses fanfaronnades. Ce n’était pas le cas de Ceria. Elle siffla à Ryoka de manière à ce que seule la Coursière puisse l’entendre.

“Yvlon n’est pas quelqu’un à prendre à la légère, Ryoka. Elle est honorable, fière… même si elle se montre patiente. Cesse d’être aussi malpolie.”

“Je la considère sérieusement, crois-moi. Mais je veux voir ce que ça fait de se battre contre quelqu’un en armure. Et de plus… tu ne m’as jamais vue me battre, non ?”

Ceria cilla. Elle dévisagea Ryoka des pieds à la tête.

“Non... mais...”

“Fais-moi confiance.”

“Si Miss Ryoka Griffin dit qu’elle se sent confiante, je vais la croire, Ceria.”

Yvlon sourit à la Demie-Elfe, croisant le regard inquiet de Ceria. Un message informulé passa entre les deux et les oreilles pointues de Ceria s’abaissèrent légèrement. Elle recula.

À présent, Ryoka et Yvlon étaient seules au centre du ring. Ryoka rebondissait sur l’avant de ses pieds, guettant Yvlon pendant que la femme se soulageait de ses bourses et de son épée.

“J’ai bien peur que Ceria ait raison, toutefois, Ryoka. Je n’aimerais vraiment pas que tu te casses les mains sur mon armure ou que je te blesse au visage avec mes gantelets. Je suis sûre que je pourrais te proposer un match équitable même sans armure.”

“C’est bon. Tu ne portes même pas de heaume, de toute façon.”

Là encore, les mots de Ryoka agitèrent l’assemblée, et pas de manière très positive. De là où elle se trouvait, Garia pouvait voir d’autres aventuriers - surtout les femmes en armures qui étaient membres des Lances d’Argent - être agacés voire complètement énervés par les mots de Ryoka.

Mais Yvlon ne fit que sourire poliment. C’était un sourire assez similaire à celui de Lady Magnolia, en fait. Un sourire de [Lady] qui ne laissait rien transparaître.

“Très bien. J’ai entendu dire que tu pratiquais un art de combat sans armes ? Tu as dit que c’était du...MMA ? J’avoue que je n’ai eu que peu d’entraînement formel moi-même. Je suis principalement autodidacte.”

“Ouais. Je pratique les Arts martiaux mixtes. Le Muay Thai.”

“Et tu es une praticienne douée de ce… Muay Thai ?”

“De là d’où je viens, oui.”

“Intéressant. En ce cas, nous devrions peut-être commencer ? Je crois qu’il serait courtois de t’autoriser le premier coup.”

Yvlon s’avança de quelques pas, puis leva ses bras gantelés en quelque chose approchant une garde de boxe. Les murmures de la foule s’amplifièrent lorsque Ryoka se mit à tourner autour de la jeune femme, les mains levées.

Sa posture était différente de ce qu’elle aurait été dans un combat de Muay Thai. Ryoka considérait ce combat comme un combat de MMA, bien qu’elle n’y ait jamais participé en personne. Mais elle s’était entraînée au cas où ses parents l’auraient finalement autorisée à combattre sur le ring.

Sa posture et son centre de gravité étaient baissés, sa position était plus large et ses mains étaient serrées en des poings lâches. Elle déplaça plus de poids sur sa jambe avant en observant Yvlon.

À présent qu’elle était enfin face à la femme, Ryoka trouva le temps de regretter un peu de l’avoir laissée garder son armure. Combattre quelqu’un en armure à mains nues était complètement crétin. Elle le savait.

Mais une partie de Ryoka le voulait. Elle voulait du défi, elle voulait voir jusqu’où elle pourrait dépasser ses limites avec des chances aussi peu en sa faveur. Mais surtout, elle voulait gagner même avec Yvlon en armure de plates. Elle voulait vraiment gagner, en fait.

La femme tourna lentement pour suivre Ryoka tandis que la jeune femme aux pieds nus lui tournait autour. Elle attendait le premier coup de Ryoka, comme elle l’avait dit.

Eh bien, ça lui allait. Ryoka feinta avec ses mains. Celles d’Yvlon bougèrent instinctivement pour la bloquer. Ryoka mit tout son poids sur sa jambe de devant et tourna, jetant sa jambe arrière dans les airs et la ramenant vers le côté de la tête d’Yvlon dans un mouvement connu sous le nom de coup de pied circulaire.

La jambe de Ryoka bondit dans les airs et Yvlon parvint de justesse à lever les bras pour protéger sa tête. Malgré l’armure qu’elle portait, elle vacilla sous l’impact.

C’était le moment qu’avait réellement attendu Ryoka. Avant même de s’être complètement redressée, elle se décala sur le côté et lança un coup de poing à la tête d’Yvlon.

Ses mains étaient incroyablement rapides. Garia ne put même pas voir Ryoka jeter un coup de poing éclair au visage de l’aventurière.

La main droite de Ryoka vola en avant dans un coup qui aurait dû cueillir Yvlon droit sur le menton. Mais avant qu’elle ait pu l’atteindre, une main gantée d’argent se leva et saisit la main de Ryoka.

De là où elle était, Garia vit les yeux de la fille aux pieds nus s’écarquiller, puis elle tordit la tête et le corps pour éviter le poing d’Yvlon. Elle ne put pas s’échapper parfaitement, tenue comme elle l’était par l’aventurière. Le gantelet frappa Ryoka sur le côté de la mâchoire et fit couler le premier sang.

Les aventuriers dans la foule acclamèrent Yvlon qui relâcha la main de Ryoka. C’était probablement une sage décision, car le regard de la jeune fille relevait de la furie pure. Ryoka jura, la bouche ensanglantée, et cracha.

Yvlon sourit poliment à Ryoka en levant de nouveau les poings. La lumière scintilla sur le métal poli et les gouttelettes de sang sur son gantelet droit.

“Je comprends ta fierté, Ryoka Griffin, mais nous autres aventuriers avons notre propre dignité. Tu nous sous-estimes à tes risques et périls. Es-tu certaine de ne pas vouloir que je retire mon armure ?”

C’était la mauvaise chose à dire. Ceria cria quelque chose à Ryoka mais Garia vit le regard de la Coursière. Lentement, elle se redressa, essuyant le reste de sang de sa bouche coupée.

“Je vais y aller sérieusement, maintenant.”

Yvlon parut soupirer, mais en un instant sa garde était de nouveau levée et elle observait Ryoka avec méfiance. Elle ne sous-estimait pas la jeune femme,  même si elle avait déjà marqué le premier point.

Ryoka réfléchit un moment, observant Yvlon avec intensité. Puis elle avança lentement, les mains au-dessus de la tête.

Les aventuriers d’Esthelm admiraient la bravoure. La moitié d’entre eux encouragèrent Ryoka, riant et lançant des vivats en la voyant avancer sur Yvlon, tandis que l’autre moitié pariait sur si elle allait ne serait-ce que réussir à toucher le visage de la guerrière.

Yvlon plissa les yeux en voyant Ryoka s’approcher de plus en plus près. Avant qu’elle n’ait pu faire le moindre mouvement, elle s’avança et jeta un coup de poing éclair à la tête de Ryoka.

Ryoka n’esquiva pas vraiment, elle s’appuya simplement sur sa jambe avant et baissa la tête. Le poing métallique rata sa tête de quelques centimètres, et l’audience retint sa respiration. Mais les deux femmes n’en avaient pas terminé.

Lorsque Ryoka esquiva le premier coup, le deuxième poing d’Yvlon se releva pour atteindre Ryoka au menton. Mais là encore, Ryoka recula d’un pas et évita le coup de quelques centimètres. Puis elle asséna un revers au visage d’Yvlon.

Là encore, l'aventurière bloqua mais Ryoka ne cherchait pas à la frapper du pied, cette fois. Elle se précipita derrière Yvlon qui peina à suivre le mouvement avec sa lourde armure. Ryoka crocheta sa jambe par derrière et exécuta un jeté, envoyant l’aventurière en armure au tapis.

Le fracas du métal fut le seul son à troubler le silence. Yvlon bondit sur ses pieds en un instant, prête pour l’attaque, mais Ryoka se contenta d’attendre qu’elle se relève.

“Eh bien.”

Un sourire contrit ? C’est ce qui lui parut passer sur le visage d’Yvlon avant qu’elle ne passe à l’attaque. Elle se rua sur Ryoka, lançant des coups de poings rapides qui firent reculer la jeune fille.

Le combat n’était pas égal. Même Garia pouvait voir que Ryoka restait principalement sur la défensive, incapable de frapper Yvlon qui se protégeait le visage. Le combat n’était pas égal.

Mais il était silencieux. À présent, tous les aventuriers observaient Ryoka comme des faucons. Elle esquivait, laissant Yvlon l’attaquer, toujours en mouvement, tentant des frappes rapides à la tête d’Yvlon avant de s’échapper.

Ryoka rata un timing pendant l’une de ses attaques et Yvlon la roua de coups. Ryoka encaissa un coup de poing au ventre et un autre coup à l’épaule - puis donna un coup de pied à Yvlon en plein estomac suffisamment puissant pour que l’aventurière titube en arrière.

De nouveau, Ryoka se rua sur Yvlon. Elle esquiva un coup de poing, puis se retrouva de nouveau dans le dos de la femme. Elle posa une jambe derrière Yvlon, puis la jeta de nouveau à genoux d’un coup de coude. Là encore, le fracas du métal résonna seul dans le silence.

Cette fois-ci, Ryoka ne permit pas à Yvlon de se relever. Elle se précipita sur l’aventurière qui essayait de se relever. Yvlon se retourna et tenta un coup de poing, presque trop rapide pour Garia. Mais Ryoka s’y était attendue. Elle se pencha en arrière puis attrapa le bras de la femme.

Garia vit Yvlon cogner en l’air en direction de Ryoka, un mouvement trop rapide pour l’œil nu, tandis que Ryoka se tordait autour d’elle… pendant un instant, ce fut le chaos, puis Ryoka était sur Yvlon, un genou dans son dos et tordant son bras en l’air.

C’était fini. Ryoka tenait le bras aussi haut que le permettait l’armure d’Yvlon. Elle s’apprêtait à l’étrangler lorsqu’’elle vit la main d’Yvlon pousser le sol…

Ryoka fut projetée en arrière par l’explosion de force lorsqu’Yvlon se rejeta en arrière, la faisant lâcher prise. Elle se retourna et lui donna un coup de pied, et Ryoka vacilla sous la force de l’impact.


Yvlon essayait de faire tourner son bras pour calmer la douleur lorsqu’elle aperçut Ryoka rouler au sol et se relever d’un saut périlleux en un seul mouvement. Elle cilla - et se prit un poing en pleine figure pour la première fois. La main de Ryoka lui fit légèrement pencher la tête en arrière. Sonnée, elle reçut deux nouveaux coups éclairs dans la joue et dans la mâchoire.

Yvlon intercepta le troisième coup avec une poigne de fer. Ryoka se prépara pour le choc, mais nul poing de fer ne vint dans sa direction.

La Capitaine des Lances d’Argent secouait la tête, et sa bouche s’agitait. Par-dessus le grondement du sang dans ses oreilles, Ryoka comprit que les gens criaient, et l’aventurière relâcha sa main et se détendit en se massant la bouche.

Le combat était terminé.

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #55 le: 16 mai 2020 à 19:41:42 »
Attention, ceci est la deuxième partie du chapitre! Remontez au post d'au-dessus pour avoir la première partie du chapitre!


1.12 R
(Partie 2)
Traduit par EllieVia


“Qu’est-ce que c’était que ça ?

Ce fut la première question que Garia posa à Ryoka dès qu’elle en eut l’occasion. C’était principalement parce que tout le monde faisait la queue dans le réfectoire de la Guilde pour manger un morceau.

Ryoka haussa les épaules et repoussa sa nourriture d’un air dégoûté. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas faim - elle était affamée - mais elle en avait déjà assez de répondre à des questions.

Avec réticence, elle mordit dans un morceau de saucisse juteuse et répondit à la jeune femme émerveillée assise devant elle.

“C’étaient des coups. Des mouvements spéciaux pour faire tomber un adversaire. Tu n’avais jamais vu quelqu’un jeter un adversaire au sol ?”

“Bah, si, bien sûr, mais…”

Garia hésita, cherchant ses mots.

“Ça avait l’air si facile, pour toi. Yvlon était en armure et tu l’as juste jetée par terre… deux fois !”

“J’aurais préféré réussir à la maintenir au sol ensuite.”

Ryoka grogna en mastiquant sa nourriture avec détermination. Au moins, elle arrivait à la savourer. Une potion de soin avait guéri ses blessures… et celles d’Yvlon.

Garia la dévisagea avec incrédulité.

“Tu as maîtrisé une Capitaine Argent. N’importe qui en serait fier.”

Ryoka sourit.

“Ouais. Et j’ai réussi à la cogner.”

“Ces deux derniers coups étaient inutiles.”

La voix de Ceria leur fit lever les yeux. La Demie-Elfe se glissa devant la table et fronça les sourcils avant de s’adresser à Ryoka.

“Tu n’avais pas besoin de la frapper autant de fois. C’était censé être un match amical, pas un moment pour que tu essaies de lui briser la mâchoire.”

Ryoka ne semblait pas avoir le moindre remords.

“Oups.”

Ceria émit un son qui ressemblait à un soupir croisé avec un sifflement et marmotta un mot que ni Garia, ni Ryoka ne connaissait. Elles en comprirent toutefois parfaitement le sens.

S’asseyant en face de Ryoka, Ceria transperça vigoureusement sa nourriture. Jusqu’à présent, Garia et elle étaient les deux seules personnes à s’être jointes à Ryoka dans le réfectoire, malgré les nombreux aventuriers autour d’elles.

De manière prévisible, Ryoka avait choisi la table la plus éloignée de la porte, ce qui signifiait que moins de gens arriveraient à venir lui parler. Mais on aurait dit que bon nombre d’entre eux auraient voulu venir discuter, peu d’entre eux s’exécutèrent.

Ces derniers étaient les Cornes d’Hammerad et les différents capitaines Argent que Ryoka avait rencontrés. Deux d’entre eux, l’homme à l’arc long nommé Cervial, et Yvlon, prirent place à côté de Ryoka.

Ce n’était peut-être pas intentionnel, mais Cervial s’assit directement à côté de Ryoka, se plaçant entre les deux femmes. Ce n’était pas comme si les deux étaient ouvertement hostiles l’une envers l’autre - en effet, elles restaient plutôt polies.

Mais si Yvlon était réellement polie et admirait sincèrement Ryoka depuis le combat, les réponses de cette dernière étaient relativement tranchantes, et cela ne passa pas inaperçu à la table.

Yvlon mâcha poliment un morceau d’asperge bouillie ou un morceau d’un légume qui ressemblait à une asperge, et parlait à la table en général, en excluant un peu Garia et Ryoka.

“Vous voyez, ce n’est pas comme si le travail ou l’argent manquent en ce moment. Il y a toujours du boulot et on peut régulièrement défier les Ruines d’Albez pour un joli profit de manière générale. Mais ce n’est pas tenable sur le long terme.”

Cervial acquiesça. Il piqua violemment sa nourriture et grimaça.

“À notre niveau, l’aventure n’est pas aisée. On est pile au moment où on est suffisamment bons pour que les petites quêtes comme l’élimination de tribus gobelines - à moins qu’elles ne soient très grosses - ne vaillent pas vraiment qu’on y perde du temps, mais nous ne sommes pas encore assez forts pour nous attaquer aux plus gros monstres. Tôt ou tard, on a un coup de malchance et on se prend une blessure dont on n’arrive pas à se remettre - ou qui nous tue. C’est pour cela que ces ruines pourraient bien être notre chance. Si on peut y entrer et trouver des artefacts magiques ou de l’équipement qui en valent la peine, on pourrait facilement atteindre le rang Or.

“La seule question, c’est de savoir si les risques dans ce cas précis en valent la chandelle. Pour le moment, l’équipe de Cervial - les Francs Tireurs -, la mienne, et celle de Calruz sont les seules à vouloir se lancer.”

“Ça a pris du temps, mais Ceria m’a convaincu que ces ruines pourraient être pleines à craquer d’anciens artéfacts.  Elles sont assez similaires à d’anciennes cryptes, apparemment.”

Cervial vida sa chope et hocha poliment la tête à l’attention de la Demie-Elfe en face de lui.

“Dans tous les cas, on y va mais en restant prudents. Yvlon et moi n’y allons que pour le trésor.”

Ryoka s’agita. Elle regarda le comptoir à l’autre bout de la pièce où les aventuriers attendaient pour se faire servir. C’était peut-être à cause de sa taille, mais Calruz s’était retrouvé relégué à l’arrière de la file, et l’attente le rendait grincheux. Il ne cessait de jeter des regards irrités à la table, à présent pleine, où était Ryoka.

“Et Calruz alors ?”

Yvlon pouffa poliment et Cervial secoua la tête.

“Il n’y va que pour le défi. Ce crétin de Minotaure n’a cure de l’ennemi qu’il combat tant qu’il peut en retirer de l’expérience. C’est un Niveleur, à l’ancienne. Pas comme le reste d’entre nous.”

Ryoka hocha la tête. Elle pensait comprendre, ne serait-ce qu’avec le contexte. Si Yvlon et Cervial étaient deux aventuriers qui comptaient sur leur équipement magique autant que sur leurs niveaux pour devenir plus forts, Calruz était le genre de personne qui pensait que gagner des niveaux était tout ce dont il avait besoin. Elle regarda Cervial.

“Quelle est la différence de niveau entre un aventurier Argent et un Or ?”

“La différence ? Eh bien… ça peut très bien n’être qu’une poignée de niveaux selon l’équipement. Rappelle-toi que dans la plupart des cas, c’est la compagnie entière qui atteint le rang Or. J’imagine que les Argents sont pour la plupart dans la petite vingtaine tandis que les rangs Or se trouvent à partir du niveau 24.”

“Bien sûr, les talents individuels jouent un rôle assez important aussi.”

Yvlon désigna d’un hochement de tête Calruz qui attendait toujours son repas, clairement mécontent de rater la conversation et d’avoir à attendre derrière des aventuriers de moindre rang.

“Calruz n’est qu’au niveau 20, mais il reste un Minotaure. Il aurait déjà pu se trouver une place dans une équipe Or, mais il voulait être en charge.”

Ledit Minotaure finit enfin par se faire servir une double portion sur son assiette. Il se dirigea vers la table à pas lourds, et s’arrêta en s’apercevant qu’il n’y avait plus de place.

Il s’avança de deux pas en direction de Ryoka et pointa Garia du doigt. La fille se recroquevilla lorsque Calruz lui gronda :

“Toi. La Coursière. Dégage.”

“O… oh. Bien sûr.”

Garia allait se lever, mais Ryoka - et, étonnamment, Cervial - la retinrent en attrapant sa tunique.

“Attends, Calruz. Tu ne peux pas juste dire à quelqu’un de partir. Va te chercher une chaise ou assieds-toi de l’autre côté de la table.”

Déclara Cervial. Calruz fronça les sourcils.

“Ce n’est pas une guerrière. Cette place est réservée aux aventuriers, pas aux simples Coursiers.”

Ryoka haussa un sourcil. Apparemment, elle ne comptait pas. Garia gémit et trembla à côté d’elle.

“Je… je peux y aller. Pas de problème. Je ne veux pas déranger…”

“Espèce de crétin borné. Prends mon siège si tu es tellement désespéré !”

Ceria se leva, agacée. Elle attrapa son assiette et la posa sur la table derrière elle.

“Pour un Capitaine qui prêche tant l’honneur, tu n’en montres certainement pas beaucoup !”

Ce commentaire fut suivi d’un silence chez les aventuriers attablés et en particulier chez le reste des Cornes d’Hammerad, mais Calruz ne parut pas ébranlé. Il s’assit, ignorant Ceria comme s’il s’était agi d’un tabouret.

“L’honneur est pour ceux qui le méritent. Ceux qui ne risquent pas leurs vies à la bataille ne sont pas à la hauteur des vrais guerriers.”

Ryoka fronça les sourcils, mais ne fit pas de commentaire tandis que Garia retournait instantanément à son repas, évitant de regarder Calruz. Il avait beaucoup de choses qu’elle aurait voulu dire, mais enfoncer la tête du Minotaure dans son assiette était une perspective plus attrayante.

Mais comme elle avait l’impression que Garia subirait au moins une partie de l’ire du Minotaure si elle le faisait, Ryoka s’en empêcha - avec réticence. Mais l’attitude du Minotaure l’agaçait.

Mais quand même… maintenant qu’elle y réfléchissait, Ryoka ne pensait pas avoir déjà entendu Calruz adresser la parole à Garia. Il parlait et elle parlait quand ils étaient à l’auberge, mais ils ne s’étaient jamais adressé la parole.

Lorsqu’elle vit Ryoka jeter un regard en coin à Calruz et son expression s’assombrir, Yvlon donna un coup de coude à Cervial. L’homme baissa les yeux sur Ryoka et déclara d’un ton léger.

“Tes compétences au combat à mains nues sont incroyables. Je vois bien à quel point ça peut être utile pour éloigner les bandits et les Gobelins.”

“Mmh ?”

Ryoka leva les yeux, comprit que la phrase lui était adressée, et haussa les épaules.

“Ça aide.”

“Tu ne saurais pas te servir d’autres armes que tes poings, par hasard ? Un arc, par exemple ?”

De l’autre côté de la table, Gerial s’indigna.

“Attends une seconde, Cervial. Si tu t’apprêtes à recruter Ryoka, les Cornes d’Hammerad sont en droit de faire la première offre.”

Sostrom et le reste des aventuriers acquiescèrent tandis que les Francs Tireurs s’insurgeaient de leur côté du réfectoire. Cervial éclata de rire et leva les mains en signe de reddition avant de se tourner vers Ryoka.

“Je n’utilise pas d’armes. Et je ne suis pas intéressée.”

“Dommage. Mais j’espère que si tu vois une requête de notre part tu la prendras. En fait, si tu veux, on pourrait s’arranger pour que nos requêtes te soient réservées si tu es dans la même région que nous.”

Ceci retint l’attention de Ryoka. Cervial suggérait de former un contrat personnalisé avec la guilde des Coursiers. De cette manière, il pourrait lui offrir des requêtes exclusives.

“Pourquoi ? N’importe quel Coursier peur livrer des potions de soin.”

“Mais aucun n’a les tripes de le faire quand une Liche essaie de nous massacrer à coups de sorts.”

La remarque de Sostrom fut suivie de murmures approbateurs de la part des autres aventuriers. Cervial acquiesça.

“Être un aventurier réside principalement en trouver des contrats de confiance. Les bonnes Coursières comme toi par exemple - avoir quelqu’un sur qui on peut compter quand on explore des donjons est bien plus précieux qu’envoyer une requête de livraison d’urgence et espérer qu’on tombera sur un Coursier compétent.”

Il haussa les épaules.

“Non pas qu’on se mette volontairement dans les ennuis, bien sûr, mais quand on est coincé… à notre niveau, on a besoin de créer des liens et de bâtir notre groupe. Ce n’est pas à ça que les gens pensent, mais il n’y a pas vraiment d’autre moyen de survivre. Les aventuriers doivent se faire confiance ou on échouera tous ensemble.”

Quelque chose dans cette phrase titilla la mémoire de Ryoka. Elle grogna puis regarda Cervial. Les mots lui échappèrent avant qu’elle n’ait eu le temps de les retenir. La même colère et le mépris bondissant de son esprit à travers sa bouche.

“Vous ressemblez à une bande de Coursiers quand vous dites ça.”


L’humeur de la tablée de refroidit pendant un bref instant. Garia dévisagea Ryoka, les yeux écarquillés, puis essaya de reculer sur son siège. Le sourire de Cervial vacilla, mais il reprit rapidement contenance.

“Vraiment ? Ce n’est pas une très bonne chose, d’ordinaire. La Guilde des Coursiers et celle des Aventuriers ne s’entendent pas très bien. Ils pensent que nous sommes des tas de muscles écervelés et on pense qu’ils sont…”

“Des lâches.”

Gronda Calruz en engloutissant une demie-saucisse en une énorme bouchée.

“Je ne dirais pas de lâches.”

Répliqua Yvlon, mais la plupart des aventuriers avaient l’air d’accord avec Calruz. Yvlon soupira et sourit à Garia d’un air rassurant.

“Pas tous. C’est simplement que la comparaison est plutôt malvenue, Ryoka.”

“Elle me semble plutôt juste.”

Ryoka mangea délibérément son dernier morceau de saucisse et but, consciente des yeux fixés sur elle. Cervial souriait toujours, mais le sourire était fragile.

“Vraiment ? Et à quels Coursiers te faisons-nous penser ?”

“Un type appelé Fals. Il dit les mêmes choses que vous. Les Coursiers doivent se serrer les coudes pour survivre. Sacrifier le bien de l’individu pour le groupe. ‘Travailler ensemble ou mourir’’’.

Pensif, Cervial posa la tête sur sa main. Il souriait toujours, mais une étincelle de colère brillait dans ses yeux. Ryoka la reconnut comme quelque chose de similaire à la sienne. Elle se sentait… tendue. Encore plus que d’habitude.

“Je peux comprendre ça. Et je connais Fals. Ce n’est pas un lâche, même s’il incarne en effet la plupart des défauts qui me hérissent dans la Guilde des Coursiers. Mais il n’a pas tort. Le monde est dur. Et pourtant, tu sembles n’être pas d’accord ?”

Ryoka laissa la question en suspens quelques secondes. Elle vida sa chope, réhydratant l’eau qui était partie en sueur. Elle essuya sa bouche et haussa les épaules.

“Je n’ai pas l’esprit d’équipe.”

La discussion fut close. Il n’y avait vraiment pas grand-chose à répondre à ça. Garia but sa soupe d’un air nerveux et essaya de ne croiser aucun regard.

“Eh bien, dans tous les cas, si tu veux bosser un jour pour n’importe laquelle de nos équipes, nous serions ravis de conclure un accord. Avec tes compétences, nous n’aurions pas à nous inquiéter que tu te fasses poursuivre par des monstres. D’ailleurs, si tu voulais te joindre à notre expédition aux ruines vers Liscor pour livrer des provisions, on pourrait faire affaire.”

Yvlon se pencha par-dessus la table et sourit à Ryoka. Calruz secoua la tête.

“Il est plus prudent, même pour Ryoka Griffin, qu’elle fuie les monstres qu’elle rencontre. Ses poings ne suffiraient pas à survivre dans les ruines de Liscor.”

Ryoka haussa un sourcil dans sa direction.

“Tu ne penses pas que je puisse me défendre ? TU m’as vue me battre.”

Le Minotaure avait un morceau de saucisse coincé entre les dents. À l’aide d’un de ses longs ongles, il le délogea.

“C’est un simple constat. Tes poings seraient peu efficaces contre la plupart des monstres que mon équipe affronte. Inutiles, même, comme tu es femelle et donc plus faible.”


Il regarda la tablée soudain silencieuse. Calruz ne vit peut-être pas la façon dont la tension de Ceria qui s’était retournée pour le dévisager, ni même la manière dont la main d’Yvlon se crispa sur sa fourchette. Il ne put toutefois pas ignorer le regard de Ryoka, et c’était à elle qu’il s’adressait.

“N’est-ce donc pas vrai ? Les humains sont plus faibles que les Minotaures dès la naissance. Et vous les femmes êtes plus faibles que les hommes.”

“Vraiment. C’est ce que tu penses ?”

“Ryoka.”

L’avertissement provenait-il de Ceria ou d’Yvlon ? Ryoka l’ignora. Elle tendit la main et tira l’assiette de Calruz au moment où le Minotaure tentait de piquer sa fourchette dans une saucisse. Il leva les yeux sur elle.

“Ok. C’est ton tour. Donne tout ce que tu as.”

Pendant un instant, le Minotaure parut désorienté. Puis amusé.

“Toi. Toi, Ryoka Griffin, souhaites me provoquer en duel ?”

Il éclata de rire, mais pas Ryoka. Ni le reste des aventuriers. Gerial haussa la voix, s’adressant d’une voix grave et pressante à Ryoka de l’autre côté de la table.

“Ryoka. Ce n’est pas une bonne idée.”

Elle l’ignora.

“Je suis mortellement sérieuse. Viens te battre. À moins que tu n’aies peur de perdre ?”


***


“Espèce d’idiote.”

Cette fois-ci, Ceria ne se contenta pas de simples mots. Elle cogna Ryoka, fort, dans l’épaule.

“On ne défie pas à Minotaure au combat. Où as-tu donc la tête ? Est-ce que tu t’en sers, au moins ?”

Ryoka haussa les épaules en s’échauffant de nouveau dans la cour d’entrainement. Son cœur battait à mille à l’heure, mais un gouffre d’émotions sombres grondait dans sa poitrine.

“Tu as entendu ce qu’il a dit à propos des femmes.”

“En effet. Et il a raison, même s’il a exposé son argument avec la délicatesse d’un bœuf. Mais c’est Calruz. Et même quand il agit comme un crétin, il y a une grosse différence entre lui reprocher son attitude et le défier au combat. Tu sais que tu vas perdre, pas vrai ?”

“Pas forcément.”

Ceria dévisagea Ryoka, bouche-bée, tandis que la fille s’étirait au sol. Elle jeta un regard désespéré à Yvlon.

“Aide-moi à la raisonner ?”

Yvlon acquiesça.

“Ceria a raison, Ryoka. Fanfaronner est une chose, là, c’en est une autre. Me combattre alors que je porte une armure est complètement différent. Calruz est un Minotaure. Il pourrait m’arracher la tête à mains nues sans même forcer.”

“Et c’est ce qu’il se passera s’il commet une erreur.”

“J’imagine qu’il va falloir que j’esquive, alors.”

Ryoka ignora le cri de rage étouffé de Ceria. Elle observa Calruz. Le Minotaure était en train de finir son repas, une assiette à la main, en attendant qu’elle s’échauffe. Son indifférence nonchalante alluma un feu dans son ventre.

“De plus, je voulais le défier depuis le début. Pour voir jusqu’où j’irais.”

“La réponse est simple : le nez dans la poussière lorsqu’il te mettra au sol ! Ryoka ! Il doit peser au moins quatre-vingt-dix kilos de plus que toi !”

“La taille ne fait pas tout.”

“C’est plutôt diablement important dans un combat !”

Ceria avait raison, bien sûr. Ryoka regarda Calruz pour la première fois comme une menace potentielle. Quand on le regardait en tant que personne, Calruz était juste immense, parfois un peu trop pour que ce soit pratique. Mais en tant qu’ennemi ? Il était largement plus effrayant que n’importe quel humain que Ryoka avait jamais vu.

Il devait faire dans les deux mètres ? Peut-être quelques centimètres de plus, sans compter les cornes. Et son corps était tout en muscles. Pas des muscles humains, des muscles de Minotaure, c’est-à-dire qu’il ressemblait à un mur de tendons.

Le défier était la chose la plus stupide du monde. Mais Ryoka voulait vraiment, vraiment essayer. Elle voulait juste cogner le Minotaure, presque autant qu’elle voulait cogner Yvlon.

Yvlon. L’aventurière examinait Ryoka d’un air pensif. Ce qui lui donnait envie de la cogner encore une fois. Elle était tellement fatiguée et… et frustrée que cogner n’importe quoi lui paraissait être une bonne idée.

Comme Ceria, si ça pouvait faire en sorte que la Demie-Elfe la ferme.

“Les potions ne réparent pas les os brisés ! Tu le sais. Et si tu le mets en colère…”

“Écoute, je vais le faire. Tu veux me laisser me concentrer ou partir et la boucler ?”

Un silence. Ryoka leva les yeux et vit que Ceria la regardait d’un air blessé et plein de reproches. Le cœur de la fille aux pieds nus saigna, mais elle écarta la douleur et la culpabilité de son esprit. Elle devait se concentrer.

Ryoka était en colère. Elle sentait cette colère bouillonner dans ses tripes, une boule de furie en ébullition. D’où venait-elle ?

Des Hautes Passes, voilà tout. D’avoir failli mourir, impuissante, malgré ses années de pratique des arts martiaux. De Teriarch et de sa magie toute puissante et son arrogance. De la Guilde des Coursiers et des gens stupides. D’avoir à être confrontée tous les jours au système ridicule de niveaux de ce monde, sans oublier d’avoir à rencontrer une chevalière parfaite et un Minotaure misogyne. Tout cela bouillait en Ryoka et elle ne pouvait pas l’arrêter. Elle voulait cogner quelque chose, et Calruz était une grosse cible.

Yvlon soupira.

“Si tu veux vraiment le faire… donne tout dès le premier coup.”

Ceria prit la parole, amère.

“Il va prendre tous les coups juste pour montrer qu’il le peut. C’est un truc de Minotaure… une marque d’irrespect. Et… une manière de faire la cour.”

“Génial.”

Ryoka observa Calruz. Le Minotaure avait fini de manger. Il jeta nonchalamment l’assiette par-dessus son épaule. Ignorant le fracas lorsque la terre cuite se brisa, il s’avança au centre du ring et croisa les bras, attendant qu’elle ait terminé.

La fille finit par se redresser. Elle brûlait d’un désir de se battre, en tremblait presque. Ryoka était incapable de rester immobile et rebondissait sur place, remplie à ras bord d’énergie nerveuse.

Ceria dévisagea la fille lorsqu’elle passa devant elle. Ryoka s’arrêta.

“Qu’y a-t-il ?”

“Tu… tu souris.”

Vraiment ? Ryoka était incapable de savoir. Elle savait simplement qu’elle était prête, plus prête qu’elle ne l’avait jamais été, à faire mal à quelqu’un d’autre. Elle tremblait de désir de donner des coups. Elle s’avança vers Calruz, et le Minotaure baissa les yeux sur elle d’un air impassible.

“Tu t’apprêtes à commettre une folie, Ryoka Griffin. Certaines choses ne peuvent pas être surpassées.”

Il savait vraiment,  vraiment comment l’énerver. Ryoka serra les dents et lui sourit.

“Oh, vraiment ? On verra ce que tu diras dans quelques minutes.”

“Comme tu veux.”

Calruz leva d’un geste négligent une main massive et lui fit signe d’avancer d’un doigt. Les autres aventuriers murmurèrent et encouragèrent Ryoka à le frapper de toute sa puissance. Le Minotaure ne prit même pas la peine de lever l’autre main.

Il allait essayer de la bloquer d’une main ? Mais sa fourrure et ses muscles allaient probablement pouvoir encaisser n’importe quel coup que porterait Ryoka. Elle le savait. Alors Ryoka posa un pied déterminé devant Calruz et se tordit.

L’un des principes clefs de la plupart des coups puissant était la torsion. Ryoka mit tout son poids sur sa jambe avant, se tordit, et cogna le Minotaure de l’arrière du talon avec toute l’accélération qu’elle avait emmagasinée.

Le coup de pied circulaire arrière. Ryoka visa haut. Sa jambe n’atteignit toutefois le Minotaure qu’au niveau de l’estomac, et non pas à la poitrine. Elle sentit l’impact et entendit le Minotaure souffler tout l’air qu’il avait dans ses poumons. Elle avait mis tout son poids derrière cette attaque.

C’était le genre de coup qu’on utilisait pour mettre les autres gens K.O et qu’on utilisait très peu, comme il était difficile d’atteindre l’adversaire de la sorte. Mais Calruz était arrogant. Il avait baissé sa garde et Ryoka avait mis toutes ses forces dans le coup.

L’expression du Minotaure changea. Il essayait de toute évidence de ne pas montrer sa douleur, mais sa main se leva automatiquement pour protéger son ventre et il se plia très légèrement en deux. Ryoka n’attendit pas. Dès que son pied atterrit, elle s’en servit d’ancrage pour lancer son autre jambe en l’air en un coup de pied circulaire.

Sa jambe s’écrasa sur le visage de Calruz. Son nez ne se brisa pas, mais c’était probablement parce que les Minotaures n’avaient pas le joli petit bout de chair et de cartilage des humains.

Cette fois-ci, il mugit, mais Ryoka n’en avait pas terminé. Elle atterrit et se rua sur le Minotaure, faisant pleuvoir sur lui une pluie de coups de poings puissants.

Il tenta de l’atteindre d’une main. Ryoka esquiva en passant dessous et lui assena deux atémis dans l’estomac. Calruz laissa s’échapper une exclamation lorsqu’elle le frappa au même endroit où elle l’avait atteint avec le pied et la poussa d’un bras.

Ryoka fut projetée sur le côté, mais elle se réceptionna, bondit, et donna un coup de pied au Minotaure en pleine poitrine. Il tituba en arrière, l’air outragé. Elle frappa de nouveau son torse.

À présent, il commençait vraiment à s’énerver. Calruz lança un poing dans sa direction, bien plus vif qu’elle ne l’en aurait cru capable, mais Ryoka lui fit la même chose qu’à Yvlon. Sa tête et son corps étaient toujours en mouvement et elle plongea et recula en zigzagant, laissant le Minotaure tenter de porter un coup le plus loin possible.

Balayage. Ryoka martela les jambes de Calruz à coups de pieds puissants, grimaçant intérieurement sous l’impact. Le Minotaure avait des jambes semblables à des pattes de chèvres avec des sabots fendus, et elle avait l’impression de cogner une batte de baseball.

Il faillit lui assener un uppercut. Ryoka sourit, tourna, et lui assena à son tour un nouveau coup de pied en plein dans l’estomac. Elle leva les mains, le cogna deux fois à l’estomac…

Puis il la cogna.


***


Ryoka se redressa en sursaut et sentit de multiples paires de mains la forcer à se rallonger. Quelqu’un était au-dessus d’elle. Quelqu’un de léger ?

Une paire d’oreilles pointues et des cheveux noisette. Ceria couvrait Ryoka d’un air protecteur en criant quelque chose. Quelque chose ?

Un rugissement de furie semblable au tonnerre fit s’asseoir Ryoka. Elle leva les yeux et vit que dix hommes empêchaient Calruz de se ruer sur elle. Les yeux du Minotaures étaient littéralement rouges de colère et un filet de sang s’échappait de ses deux narines.

Que s’était-il passé ? Ryoka tenta de bouger, sentit l’agonie dans sa poitrine et comprit qu’elle avait pris un coup. Un coup.

Elle ne pouvait pas respirer. Merde, elle pouvait à peine bouger. Calruz hurlait quelque chose, ses oreilles tintaient, et Ceria lui disait de rester couchée. Mais le sang de Ryoka était toujours en feu. Elle voulait toujours se battre.

Elle se leva.

“Attends !”

Ceria fis se rasseoir Ryoka au sol, mais la fille la repoussa et se mit sur ses pieds. Elle leva les poings, mais à présent Garia, Yvlon et Ceria étaient toutes les trois en train de la retenir.

À quelques mètres de là, Gerial jurait et tirait sur Calruz de toutes ses forces tandis que le Minotaure rugissait son défi à Ryoka.

“Calme-toi, Calruz ! Reste ici, par les malédictions des dieux !”

Ceria parlait désespérément à Ryoka, tandis que la fille essayait de se jeter sur le Minotaure.

“Tu as démontré ta théorie, Ryoka. Personne ne te sous-estime à présent. Arrête, maintenant, avant que quelqu’un ne soit sérieusement blessé.”

Son cerveau n’était plus synchronisé avec sa bouche. Ryoka essaya tout de même de parler quelques fois.

“Non. Reprenons.”

“Est-ce que tu es folle ?”

“Je n’ai pas fini. Laissez Calruz. Je vais m’en occuper.”

Les hommes retenant le Minotaure regardèrent Ryoka, bouche-bée, puis redoublèrent d’efforts pour retenir le Minotaure enragé.

“Assez !”

Un autre homme s’avança et se plaça entre Ryoka et Calruz. Il avait un énorme hache sur le dos et il était presque aussi musclé que le Minotaure, bien qu’il ne fût pas aussi grand. Il fusilla Ryoka du regard.

“Gerial, gère de ton capitaine. Et toi, ma fille, n’insiste pas !”

Gregor, l’un des Capitaines Argent, fronça les sourcils et les hommes finirent par réussir à faire reculer Calruz. Le Minotaure soufflait encore lourdement, mais ses yeux n’étaient plus rouges de rage.

“Ce spectacle était ridicule. Qu’est-ce que vous faites, tous les deux ? La Guilde des Aventuriers n’est pas l’endroit pour les duels, et encore moins les folies à mains nues.”

Il pointa Ryoka du doigt.

“Tu es une tête brûlée, et défier un Minotaure ne fait que prouver ton idiotie. Tu as beau savoir te battre à mains nues, cela ne te sera d’aucun secours contre les monstres. Tu as vu ceux des Hautes Passes. Les épées et même les haches de guerre sont sans effet sur leur cuir.”

Ryoka le fusilla du regard. Ses mots étaient justes, et ils la blessaient.

“J’ai survécu.”

“Ça a dû être un miracle, alors. Avec ton attitude, je suis surpris que tu ne te sois pas encore tuée. Tu es soit suicidaire, soit idiote. Même les aventuriers ne font pas des folies comme ça.”

“Je n’ai pas besoin de hache pour faire mon boulot. Et je n’ai pas besoin que tu me dises ce que je dois faire. N’insiste pas. Je veux me faire Calruz sans que vous vous mettiez en travers de mon chemin.”  

Gregor ouvrit et ferma la bouche, en proie à une furie muette.

“Espèce d’aveugle… d’arrogante … si Ceria ne s’était pas interposée, il t’aurait fait éclater la tête comme un fruit mûr. Tu ne peux pas te mesurer à lui. Lâche l’affaire."

Ryoka dévisagea Calruz. Il se retenait - avec difficulté - mais elle savait que si les autres hommes arrêtaient de le retenir il se ruerait sur elle. Et elle avait envie de faire pareil. Son sang bouillait .

“Je peux encore me battre.”

“Même si tu étais niveau 20 il pourrait quand même t’écraser comme un insecte ! Et tu n’es pas une guerrière. Je ne t’ai pas vue utiliser la moindre compétence de combat…”

“Je n’ai pas besoin de Compétences pour me battre.”

“Mais tu n’as même pas de niveaux.”

Tout le monde arrêta de parler. Gregor hésita, le visage rouge, prêt à hurler, et dévisagea la personne qui avait parlé. Yvlon sourit à Ryoka et hocha la tête poliment.

“Je ne comprends pas. Et pour dire la vérité, je n’ai pas cru ma tante lorsqu’elle me l’a dit. Mais c’est vrai , n’est-pas ? Je ne pouvais pas le croire jusqu’à maintenant, mais ça doit être vrai. Tu n’as ni niveaux, ni classe, n’est-ce pas ?”

Ryoka la dévisagea, sans mots. La colère monta dans son ventre. Comment osait-elle ? Comment avait-elle su ?

“Pas un.”

Cervial prit la parole de derrière Ryoka. Il l’examinait. Lorsqu’elle se retourna pour le fusiller du regard il se tapota un œil.

“[Évaluation]. C’est une Compétence qu’acquièrent parfois les [Tireurs d’élite]. Je ne peux voir ni ton Niveau ni ta Classe.”

Même Calruz restait bouche-bée devant cette révélation. Les aventuriers échangèrent des regards, et Ryoka les entendit murmurer.

“Pas de niveaux ?”

“Pourquoi ?”

“Est-ce que c’est une sorte de semi-humaine… non, un monstre ?”

“Pourquoi est-ce qu’elle ne prend pas de niveaux ? Est-ce qu’elle est folle ?”

“Maudite ?”

Ryoka serra les dents.

“Je n’ai pas besoin de niveaux pour me battre.”

Gregor secoua la tête, incrédule.

“Tu es quoi alors, une idiote ? Comment comptes-tu survivre une seule seconde contre un monstre si tu n’as pas de niveaux ?”

La furie qui bouillonnait à l’intérieur de Ryoka prit le contrôle de sa langue.

“Les niveaux ne sont pas le sujet. Votre petit système stupide ne m’intéresse pas. Je ne crois pas en la nécessité des niveaux ou des classes. C’est stupide et ça fait de vous des lâches. Rang Argent ? Rang Or ? Vous utilisez ces mots simplement parce que vous n’avez pas les tripes de vous battre.

Les mots lui échappèrent sans que Ryoka ne puisse les retenir. Elle pointa Gregor du doigt et le visage de l’homme devint rouge. Mais le reste des aventuriers l’écoutait et Ryoka n’arrivait pas à s’arrêter.

“J’ai survécu aux Hautes Passes sans un seul niveau. Je l’ai fait, parce que je n’avais pas peur et que je n’avais pas besoin qu’une demi-douzaine de gens en armure me tiennent la main. Et si vous autres aviez des tripes, vous ne resteriez pas assis là à geindre en disant que des ruines inexplorées sont trop dangereuses.”

“Tu crois réellement que tu peux nous surpasser sans avoir besoin de niveaux, pas vrai ?”

Yvlon dévisagea Ryoka d’un air dur, son sourire habituel ayant déserté pour la première fois son visage. Même Garia dévisageait Ryoka comme si elle la voyait pour la première fois.

Ryoka ne répondit pas. Elle se contenta d’essuyer le sang qui coulait de sa bouche. Mais c’était une réponse en soi.

“Quelle arrogance.”

La réplique avait jailli de la foule. Ryoka se retourna, et cette fois-ci le sang dans ses veines rugissait. Toute retenue s’était envolée.

"Vraiment ? De l’arrogance ? Je ne vois que des gens trop peureux pour faire quoi que ce soit avant d’avoir gagné des niveaux. Des gens qui doivent se cacher dans un groupe pour ne pas montrer à quel point ils sont pathétiques.”

Un murmure de colère noire traversa la foule. Ryoka leva les poings.

“Je vais vous affronter un par un ou tous à la fois. Allez. Venez vous battre.”

“Assez !”

Cette fois-ci, ce fut au tour de Ceria de pousser Ryoka. La Demie-Elfe était en colère.

“Tu dis n’importe quoi. Mais je ne vais pas te laisser rester ici et te faire blesser. Arrête ça ou je devrai utiliser la magie…”

C’était juste un impulsion. Mais une fois qu’elle l’avait amorcée, Ryoka ne put l’arrêter. Sa main surgit et frôla le menton de Ceria. La Demie-Elfe cilla, tituba, puis s’assit.

Ryoka dévisagea la Demie-Elfe, sa rage éclipsée par un regret soudain. Elle n’avait pas voulu faire ça. Elle avait simplement voulu que la mage la ferme pendant un instant. Mais comme avant, comme tant de fois auparavant, son corps avait bougé avant son cerveau.

Un mugissement de colère surgit de Calruz. Soudain, il envoya valser le reste des aventuriers qui tentèrent désespérément de le ralentir. IL s’approcha de Ryoka, et elle se raidit.

Mais il ne la frappa pas. Au lieu de cela, Calruz prit délicatement Ceria dans ses bras. Il baissa les yeux sur elle, fumant pratiquement de rage.

“Tu as piétiné l’honneur de Ceria. Pour cette raison seule, je devrais de défier à un duel armé.”

“Je te prends quand tu veux.”

Quelque chose cédait en Ryoka. Elle était pleine de rage et au-delà de tout instinct de préservation. Calruz sembla vibrer sous le défi, mais d’un incroyable effort, il se détourna.

“Tu ne vaux pas la peine que je perde mon temps.”

La colère de Ryoka s’embrasa. Elle s’adressa au dos du Minotaure, entendant chaque mot se détacher de ses lèvres tandis qu’une part d’elle-même lui hurlait de se taire.

“Je ne pensais pas que tu étais un lâche, Calruz.”

Gerial plongea. Pas sur Ryoka, mais lui et le reste des Cornes d’Hammerad saisirent le Minotaure. La tête de Calruz se tourna et ses yeux s’assombrirent de sang et de rage. Mais il ne bougea pas, le corps inanimé de Ceria entre ses mains. Sa voix trembla d’une furie contenue.

“Je me suis trompé sur ton compte. Tu n’es pas une guerrière. Tu veux juste quelque chose à cogner.”

Il commença à s’éloigner. Ryoka hurla pour le retenir.

“Calruz ! Viens te battre ! Reviens ici, espèce de lâche ! Tu as peur ?”

Le dos du Minotaure se raidit, mais il continua d’avancer. Gregor dévisageait Ryoka, furieux, la main se crispant sur le manche de sa hache.

“Assez ! Je ne vais pas rester ici à écouter ça. Si tu veux te battre, essaie de mesurer tes poings à ma hache, ma fille.”

“Vas-y.”

Ryoka leva les poings. Mais Yvlon s’avança.

“Assez. Contrôle-toi, Ryoka Griffin.”

Quelque chose cédait à l’intérieur de Ryoka. C’était le même sentiment, exactement le même. Une partie d’elle lui hurlait de baisser les poings, de s’excuser. De se mettre à genoux, la tête sur les mains, de se prosterner devant Ceria et Calruz. Mais comme par le passé, comme toutes ces fois où elle avait été renvoyée de l’école, elle avait dépassé les limites de sa furie.

Elle voulait juste cogner. Frapper quelque chose. Et à présent qu’elle avait vidé toute sa bile, Ryoka ne connaissait plus rien d’autre que la violence. Elle y céda.

Son poing bougea si vite qu’il disparut et se matérialisa devant le visage d’Yvlon. Mais il fut intercepté par un éclat argenté.

Ryoka sentit le coup la soulever de terre. Elle tenta d’avancer, mais son corps oublia soudain comment rester debout. Elle s’assit, bras et jambes tout simplement éteints. Le monde tourna, et Ryoka aperçut le visage d’Yvlon, plein de regrets et de frustration. Sa tête partie en arrière…


***


Et quand Ryoka se réveilla, elle était seule. Pas physiquement, mais seule tout de même.

Le crépuscule avait englouti le ciel. La cour d’entraînement des Aventuriers était vide, il ne restait plus que Ryoka et la Demie-Elfe assise par terre à côté d’elle.

Ceria leva les yeux et Ryoka se redressa en position assise. La fille aux pieds nus regarda autour d’elle, étourdie, et lorsqu’elle ouvrit la bouche Ceria lui tapota la tête de sa baguette.

“[Silence]"

Ryoka était muette. La bouche de la jeune fille s’ouvrit mais aucun son n’en sortit. Ceria la regarda, puis secoua la tête. Elle tendit la main derrière elle, attrapa le sac de Ryoka et le posa délicatement à côté de la jeune fille. Puis Ceria soupira et contempla le ciel.

“J’ai déjà été témoin de beaucoup d’arrogance pendant ma vie. La plupart du temps, chez des Humains, mais l’arrogance se retrouve chez tout le monde, y compris chez moi. Mais quelqu’un qui rejette le fonctionnement même du monde, simplement parce qu’elle ne l’aime pas… c’est du jamais vu. Cela faisait également longtemps que je n’avais pas été frappée par quelqu’un que je considère comme une amie.”

Elle leva les yeux sur Ryoka. La fille fut incapable de croiser son regard.

“Si tu souhaites continuer à te battre contre tous ceux qui te tendront la main, j’irai poser une fleur sur ta tombe. Mais avant ça, remets ta stupide tête d’humaine sur tes épaules. Tu as de la chance - beaucoup de chance que Calruz soit honorable, et que le reste des aventuriers ont écouté Yvlon et Cervial ou tu serais en ce moment même en grande souffrance.

Ryoka était silencieuse. Elle regardait le sol, rouge de honte. La mémoire lui revenait à présent.

“Je ne te comprends pas. Vraiment pas. Je croyais que tu étais quelqu’un de sensé, mais tu es une tête brûlée pire encore que Calruz. Et tu as moins de bon sens que lui.”

Ceria secoua la tête lorsque Ryoka ouvrit la bouche et essaya de répondre.

“Non. Silence. Je suis en colère contre toi. Et je vais partir jusqu’à ce que cette colère se soit dissipée. Les Cornes d’Hammerad et le reste des aventuriers font route vers Liscor. Nous y allons tous. Tes mots ont eu le mérite d’éveiller un peu de courage dans cette foule. Mais je reste furieuse. Quand nous en aurons fini avec ces ruines, nous reparlerons.”

La mage demie-elfe se leva et épousseta sa robe. Elle agita une main, et Ryoka sentit le sort se dissiper.

“J’espère que nous nous reverrons dans de nouvelles forêts, Ryoka Griffin.”

En silence, Ryoka regarda Ceria s’éloigner. Un millier de mots tourbillonnèrent dans son esprit, et elle ouvrit la bouche pour l’interpeller. Mais les portes de la Guilde des Aventuriers se refermèrent derrière Ceria sans qu’un mot ne soit parvenu à franchir ses lèvres.

La fille resta assise au centre de la cour d’entraînement et sentit la douleur de ses contusions s’éveiller. Elle était toujours exténuée, toujours blessée. Mais pour une raison qu’elle ignorait, tout cela n’était rien par rapport à l’incroyable et terrible vide qui emplissait son cœur.

Elle avait fini par le faire. Comme par le passé, l’histoire se répétait. Regardez… une fille qui détruit tout ce qu’elle touche. Qui vagabonde d’école en école, sans jamais s’intégrer, se battant avec ses amis et tous ceux qui la croisaient.

Une enfant sans rien à frapper qui décide de combattre le monde entier. Une coureuse va-nu-pieds qui parle avec ses poings. Un cœur empli de furie noire et de mots blessants qui corrompt tout sur son passage.

Une fille en colère. Un chien enragé. Une berserk. D’une compétitivité suicidaire. Une solitaire sans amis. Une âme perdue.

Ryoka Griffin.

Elle a déjà perdu des amis par le passé. Elle s’est fait des ennemis, brûlé des ponts. Où qu’elle aille, quelle que soit l’école où on la transférait, elle ne laissait derrière elle que des souvenirs amers. À chaque fois qu’elle avait perdu le contrôle elle n’avait laissé que des larmes et des regrets derrière elle. Elle avait l’habitude que les sourires s’effacent en sa présence.

Mais jamais cela ne lui avait fait aussi mal.

Ryoka se leva et sentit le silence se refermer sur elle. Le silence, et le désespoir vide qui l’accompagnait. Elle baissa les yeux au sol et vit le sang d’une personne honorable. Elle regarda derrière elle et vit que personne n’était derrière elle. Une vision familière, douloureuse.

Elle sentait à peine ses mains. Elle était exténuée, bouleversée, elle se sentait coupable et en colère. Elle ne savait pas quoi faire.

Lentement, les pieds de Ryoka se mirent en mouvement. Elle fit un pas, puis un autre. Ryoka ramassa son sac par terre et se mit à marcher.

Elle sortit de la Guilde des Aventuriers. Elle ignora les voix, les chances de se retourner. Elle vit la carriole décorée, ignora les [Servantes] et les [Assassins] qui lui coupaient la route. Elle se mit simplement à courir.

Loin, loin, toujours loin. Jusqu’à l’aurore et la fin du jour. Fuyant sans distinction la peur et les amis, son cœur lui hurlant de toujours courir, toujours fuir. Et bien que son cœur douloureux saigne, elle continue de courir.

En direction de Liscor et des Plaines Sanglantes, sans avoir prévu de plan. En direction de la mort et de l’inconnu. Courant. Courant toujours sans jamais s’arrêter. Laissant son passage des traces de pas ensanglantés faits de ses larmes contenues et de ses liens brisés.

Courant.

Fuyant loin de tout.

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #56 le: 20 mai 2020 à 15:02:28 »
1.36
Traduit par Maroti

Quand Erin se réveilla le lendemain, ses yeux étaient fatigués et elle était pleine de bleh.

Bleh était le mot pour décrire son humeur.

« Bleh. »

Tor s’arrêta et la regarda. Erin cligna des yeux en direction du squelette qui avait des flammes bleues dans ses yeux et lui fit faiblement signe de s’éloigner de sa main jusqu’à ce qu’il s’en aille.

Elle n’avait pas envie de s’occuper de ça. Et par ça elle voulait dire tout ce qu’elle avait à faire, et cela incluait exister.

Erin baissa les yeux vers le bol d’équivalent d’avoine moelleux et se demanda pourquoi les grains avaient un extérieur orange-doré. C’était peut-être la terre ?

Ils avaient le goût de bleh. Et même si Erin avait de l’argent, elle n’avait pas les moyens d’ajouter du sucre dans ses repas. Elle devait économiser pour l’avenir.

Et c’était bleh de devoir faire ça. L’idée de l’argent dont elle avait besoin, la logistique de son auberge et du travail journalier nécessaire pour l’entretenir était… Tout cela était bleh, et ça pouvait allait se faire bleh.

Au moins elle était désormais capable de faire la majorité du travail de manière automatique, ou plutôt, elle faisait faire tout le travail à Toren. Le squelette s’agitait dans l’auberge, frottant des taches récalcitrantes, apportant des seaux d’eau, et il avait même trouvé comment mettre de la nourriture sur un plateau et de les amener aux tables.

Il n’avait cependant pas la moindre idée de comment charpenter ou cuisiner. Erin avait essayé, mais le squelette n’arrivait pas à capter l’idée qu’il ne fallait pas mélanger le repas avec son bras osseux ou à quoi un lit devait ressembler.

Cela n’avait pas d’importance. Avec un peu de travail, Erin était parvenu à transformer l’étage en un endroit qui était vivable. Tous les matelas avaient horriblement pourri et avaient dût être jeté, mais certains cadres de lit avaient pût être réparés en changeant quelques lattes.

L’auberge d’Erin pouvait désormais accueillir un bon nombre de clients. Le seul problème était qu’Erin n’avait personne à accueillir dans son étage, et elle ne se comptait pas. Pour le moment Erin dormait dans un petit nid qu’elle avait fait dans un coin de sa cuisine. Elle avait des couvertures, des oreillers, et monter tout ça à l’étage allait être un calvaire.

Il y avait toujours Pisces, bien sûr, mais Erin n’avait pas besoin d’un squatter permanent dans son auberge. Surtout quand ses payements venait sous la forme d’un occasionnel cours pour Loks.

« Bleh. »

Cette fois Toren lui tendit un verre de jus. Erin s’en empara et la vida. Cela aidait, mais même un ventre plein n’arrivait pas à lui remonter le moral.

Loks. Des Gobelins et de la magie. La Magie. L’estomac d’Erin gargouilla, même si c’était probablement une réaction dût au jus de fruit et à l’avoine.

Elle passa une dizaine ou une vingtaine de minutes dans le cabinet neuf, testant l’équipement. Après cela, Erin tituba à l’extérieur en remerciant le fait qu’un équivalent au papier toilette existait dans ce monde. Mais, à son avis, cela était la preuve qu’aujourd’hui n’allait pas être sa journée.

S’il y avait un rayon d’espoir à l’horizon, c’était ce soir. Car ce soir, c’était la nuit d’échecs.

En vérité, toutes les nuits étaient généralement des nuits d’échecs. Pion avait fait venir des groupes d’Ouvriers avait une surprenante régularité, et Erin appréciait de jouer contre les Antiniums.

Ils ne gagnaient jamais, bien sûr. Et même les meilleurs joueurs, Pion et un autre Ouvrier, n’arrivait pas à effleurer la victoire du doigt. Mais Erin adorait les échecs jusqu’au plus profond de ses os, et plus encore, elle adorait voir les Ouvriers s’améliorer.

Mais c’était pour plus tard. Parce que maintenant, Erin devait se rendre en ville. Elle avait besoin d’oreiller pour ses tous nouveaux lits.

« Prends soin de l’auberge, d’accord ? »

Tor hocha la tête de manière mécanique alors qu’Erin sortit de l’auberge, sa précieuse bourse coincé au fond de l’une de ses poches. Il leva son torchon humide comme une épée et attaqua la poussière.

Si le squelette avait la moindre pensée de cette journée, c’était simplement que c’était dommage qu’il n’était pas en train de tuer quelque chose. Il comprenait vaguement qu’il n’obtiendrait pas la classe d’[Aubergiste] car, dans les faits, il n’était pas propriétaire d’une auberge, mais il avait l’impression que sa classe de [Serveur] était quelque peu inapproprié.

Au moins il était déjà Niveau 2.

***

Alors qu’Erin marcha à travers les portes de la ville, le garde Gnoll lui fit un sourire plein de dents.

« Bonne journée à toi, Erin Solstice. »

« Salut… Toi. »

Elle n’avait pas la moindre idée de son nom. Mais le Gnoll semblait amical, et en train de s’ennuyer, possiblement parce qu’Erin était la seule visiteuse.

Il n’y avait pas beaucoup de personne qui utilisait la route sud. Le nord était là ou il y avait de l’action, là où la route principale t’amenait aux cités du nord et là d’où tous les aventuriers, les marchands et l’afflux général d’humanité venait. En revanche, la plaine du côté d’Erin était aussi peuplé qu’un désert.

Et c’était quelque chose d’étrange. Erin savait qu’il y avait une route qui passait au sud de son auberge, elle l’avait vu. Mais elle semblait plus récente et moins bien entretenue comparé à la route nord. Elle serpentait autour de Liscor, plutôt que de commencer aux portes.

Pourquoi ? Et pourquoi est-ce qu’il y avait une auberge à la fois aussi proche et aussi éloigné de la ville ? Est-ce qu’il y avait eu une route à cet endroit?

« Ouaip, mais elle a été détruite il y a une dizaine d’années. Depuis ça plus personne ne vit au sud de la ville. À part toi. »

Pendant plusieurs secondes, Erin pensa que la voix venait d’une étrange partie de son esprit. Puis elle se retourna.

« Relc ! »

Le Drakéide s’appuya sur sa lance, lui souriant. Enfin, c’était un sourire dans le même genre que celui du Gnoll, il y avait beaucoup de dents.

« Yo. »

« Heu, salut. Je ne t’ai pas vu venir. Quoi de neuf ? »

« Je te cherchais. T’es libre? Vu que tu l’es plus maintenant. »

« J’allais m’acheter des oreillers… »

« Vraiment ? Tu risques d’avoir des problèmes pour ça. Tu as entendu ce qui est arrivé la nuit dernière ? »

« La nuit dernière ? »

Curieuse, Erin suivit Relc alors que la Drakéide s’avança vers la Rue du Marché. C’était déconcertant de voir à quel vitesse il avançait alors qu’il donnait l’impression de traîner du pied. C’était certainement l’œuvre d’une Compétence.

Erin s’arrêta alors qu’elle passa le coin de la Rue du Marché.

« Oh mince. »

« Ouaip. »

Relc fit paresseusement tourner sa lance alors qu’Erin observa les décombres. Car c’était tout ce que c’était.

Des décombres.

Presque la moitié de la Rue du Marché avait été détruite. Brûlée, pour être précis. Réduis en cendres. Un feu avait ravagé les étals de bois qui avaient été bien trop proche. Ils avaient été conçus pour être des constructions temporaires, facilement désassemblages pour que le prochain marchand puisse prendre la place et exposer ses produits. Mais le problème était que le bois brûlait facilement, et qu’en cas d’incendie…

Même les pierres de la rue s’étaient craquées sous la chaleur. Erin ne savait même pas que des pierres pouvaient se casser sous la chaleur, mais la rue avait été brisée de manière impressionnante.

« Normalement quelqu’un aurait donné l’alerte et nous aurions rapidement éteint le feu. Mais c’est arrivé au milieu de la nuit dernière, et le feu était déjà trop chaud quand on a réussi à avoir un des mages sur place. »

Erin leva les yeux vers Relc et ce dernier haussa les épaules.

« Un mage de bas-niveau. Et il n’y a pas grand besoin de spécialiste de magie d’eau dans le coin. Nous avons dût laisser le feu brûlé et dégagé le reste de la rue avant qu’il ne se propage. »

C’était de la destruction. Pour affamé le brasier, la Garde et les équipes misent en place pour lutter contre le feu avait détruit et nettoyé le reste des étals, éloignant le bois du brasier.

Une telle vision faisait mal au cœur d’Erin. Et elle souffrait encore plus car la rue n’était pas vide. Elle pouvait voir des Drakéides et des Gnolls, des marchands regardant leurs biens abandonnés. Cela lui faisait mal au cœur, car elle pouvait voir que certains d’entre eux pleuraient.

Ils pouvaient être écailleux ou poilus, mais leurs larmes étaient identiques.

Relc regarda la rue calcinée d’un regard noir. Il parla doucement à Erin.

« Tout le monde dit qu’un Humain l’a fait. »

« Vraiment ? »

Tout le monde disait probablement ça, ou du moins toutes les personnes à qui Relc s’adressait. Les Humains avaient probablement une opinion différente. Mais c’était probablement un humain, du moins dans la tête d’Erin. Elle ne pouvait pas voir les Drakéides être assez bêtes pour brûlé une partie de leur ville par accident, et les Gnolls étaient hautement inflammable. Et les Antiniums…

Non. Il y avait déjà des Ouvriers ramassant les décombres, nettoyant lentement et méthodiquement des parties de la rue. Ils ne pouvaient pas avoir commencé un incendie.

« Mais pourquoi un humain aurait fait ça ? »

Relc jeta un regard à Erin.

« Oh, c’était notre voleur mystère. Quelqu’un les a attraper la nuit dernière et il a commencé l’incendie pour s’échapper.

« Comment ? Avec une allumette ou… ? »

« Une quoi ? Il a utilisé de la magie de feu. Un sort. »

Oh. Bien sûr. Les yeux d’Erin s’arrêtèrent sur un vieux Drakéide essayant de trouver quelque chose qui pouvait être sauver dans les ruines de son étals. Elle parla avec distance.

« N’y a-t-il pas un moyen de remonter la piste du voleur ? Ou… Une compétence pour ça ? »

Relc secoua la tête.

« Ce voleur a de la bonne magie… Et pas que de la magie de feu. Un objet magique, peut-être. Et un [Garde] de haut niveau obtient bien des compétences pour remonter une piste, mais presque toute la Garde du coin sont d’anciens soldats. Nous avons plus de niveaux dans nos classes de combats que dans notre classe actuelle. Nous avions bien un [Garde] avec un haut niveau, mais c’était Klbkch. Et il est mort. »

Le commentaire frappa Erin comme un coup de poing dans l’estomac, et pendant un instant Relc eut une expression coupable. Mais il ne s’excusa pas.

« Nous sommes sur l’affaire. Personne n’est heureux. Normalement, nous aurions déjà attrapé le voleur, mais il y a tellement de foutus Humains dans la ville… Sans offense. »

Erin était offensée, mais elle laissa tomber. Relc n’était pas heureux. Il était en train de regarder sa ville endommagée avec des yeux plissés et elle n’avait rien à dire. Certainement pas quelque chose pour défendre le voleur. Elle décida de changer de sujet.

« Je… Ne t’ai pas vu autour de l’auberge récemment. »

Relc haussa les épaules de manière indifférente.

« Il y a trop de foutus Gobelins. Je ferai bien le ménage, mais apparemment, c’est interdit. »

Erin lança un regard en coin à Relc. Le Drakéide croisa son regard avant d’étudier de nouveau la rue.

« Ils ne sont pas tous méchants, tu sais. »

Il ricana.

« Tu penses que les petits monstres que tu nourris sont bons ? J’ai entendu dire qu’ils sont en guerre avec le reste de leur tribu… Quand ils ne sont pas en train d’effrayer des voyageurs pour voler leurs biens. »

Pendant un instant, Erin sentit une pointe de panique et de peur traversée son torse.

« Tu ne… Tu ne vas pas les chasser, n’est-ce pas ? »

« Je m’en fiche. Nous les laissons tranquille tant que ne nous recevons pas d’ordre et qu’ils ne s’approchent pas de la ville. Les Gobelins font partie de la nature, si on les extermine les plus gros monstres n’auront plus rien à manger. »

« Oh. Hum, m… »

« Ne me remercie pas. J’ai juste pas envie de faire plus que nécessaire pour mon boulot, c’est tout. »

Du silence. Erin baissa les yeux tandis que ceux de Relc se plissèrent en regardant les Ouvriers balayant lentement la rue.

« Ils s’en fiche que Klb soit mort. »

« Ouais. Ils, hum, ne semble pas porter de l’importance à la mort. Ce n’est pas leur faute. »

« Je sais. Ce sont des insectes. Mais Klbkch était spécial. »

« Il l’était. »

« Et pas parce qu’il était un garde, t’sais ? Il était différent. Il avait un nom. Je n’arrivais pas à y croire quand il s’est présenté. Et il est le seul Antinium que je connais avec un niveau supérieur à 10. Il était spécial. »

Erin était silencieuse. Elle regarda le grand Drakéide et vit son torse se soulever sous l’émotion. Les poings du Drakéide se serrèrent sur le manche de sa lance.

« Mais ils s’en fichent. Ils parlent de Klb comme s’il était simplement parti quelque part. Comme si sa mort n’était jamais arrivée. Même la Reine n’a pas fait trop de bruit. »

Erin repensa aux soldats Antiniums marchant dans la salle des gardes pour l’amener jusqu’à la Reine.

« Tu penses ? »

Relc lui jeta un regard noir.

« Tu n’es pas morte, donc je pense qu’elle l’a bien prit. Elle continuait de parler du ‘temps perdu’ et des ‘précieuses ressources dépensées’ quand elle a discuté avec la Capitaine. Mais jamais à propos de Klbkch. »

La Drakéide baissa la tête. Il poignarda le pavé avec sa lance et les pierres craquèrent et bougèrent autour de la pointe. Il s’appuya dessus, regardant sombrement le sol.

« Tout le monde s’en fiche. »

« Pas moi. »

« Je sais. Mais tu es différente. »

Ils restèrent immobiles pendant un long moment, inconfortables, seuls plutôt qu’ensemble. Le cœur d’Erin la faisait souffrir. Mais même si la chose humaine à faire serait de lui tapoter le dos ou de dire quelque chose vide de sens, elle savait qu’il ne voulait rien d’elle.

Il la détestait toujours. Ou s’il ne la détestait pas, il la blâmait.

Et elle n’avait rien à dire contre ça.

Finalement, Relc bougea son poids et tira sa lance de la rue. Il baissa les yeux vers Erin.

« Au passage, et même si je m’en fiche pas mal, mais tu devrais le savoir, y’a un nouveau Prognugator en ville. »

Le mot semblait familier. Erin fronça les sourcils.

« Un quoi ? »

« C’était ce que Klbkch était. Me demande pas ce que c’était. C’est une sorte de rôle important dans la colonie Antinium. Je crois que c’est leur version d’un garde. »

L’idée que les Antinums avaient besoin de quelqu’un pour faire la police semblait ridicule pour Erin. Elle n’arrivait pas à les imaginer en train de faire quelque chose de criminel, puis elle se rappela Klbkch guider les Ouvriers comme des moutons. Peut-être qu’un Prognugator était comme une sorte de chien de berger, sauf que c’était avec des gens.

« D’accord. Est-ce qu’il va faire partie de la Garde ? »

Etonnament, Relc fronça les sourcils.

« J’espère pas. Pas si j’ai quelque chose à dire là-dessus. Je pense que celui-là va rester dans la Colonie. »

« D’accord. Mais alors pourquoi tu m’en parles ? »

Relc hésita.

« Il a l’air… Familier. Ne panique pas, d’accord ? »

« Bien sûr. »

Le Drakéide gratta les épines sur sa tête.

« Bien. Bon, je dois retourner bosser. Oh, c’est vrai. Je suis supposé de donner un avertissement. »

« Un avertissement ? »

« Ouais. Apparemment, tu t’es battu contre des aventuriers, pas vrai ? Tu les as passé à tabac avant de volé leurs affaires ? »

Oh. Erin avait envie de s’en coller une. Bien sûr.

« Hum, oui. J’ai fait ça. Mais ils allaient attaquer… »

« Les foutus Gobelins. Qu’importe. T’en fait pas ; je ne vais pas t’arrêter. Je te donne simplement un avertissement. J’ai aussi entendu dire que tu as un squelette comme animal de compagnie. »

« Oui. Son nom est Toren. Heu… »

« J’m’en fiche. Ça semble flippant, mais si c’est le genre de truc que les Humains aiment ça me dérange pas. Tant que tu le laisse en dehors de la ville. J’avais juste besoin de te donner un avertissement. »

« De ne pas le refaire ? »

Relc semblait surpris, puis il sourit.

« Oh, non. Quand nous avons entendu parler des trois aventuriers Humains qui se sont fait botter la queue par une Aubergiste, des Ouvriers et quelques Gobelins, nous avons ri au point d’en perdre des écailles. On se fiche de ce qui arrive à ces humains. Faut juste que tu éloignes le squelette et si ce Nécromancien fou essaye de faire revenir plus de corps à la vie, arrête-le. »

« Vous n’allez rien faire ? Vraiment ? »

« Peut-être que nous avions plus de temps… Mais on ne l’a pas. La Garde est accablée en ce moment. Ces foutus aventuriers continus de disparaître dans les ruines et nous avons dût patrouiller la zone pour attraper tous les trucs qui sorte du coin en rampants. »

Relc fit une grimace avant de faire tourner sa lance.

« Des trucs ? Quel… Genre de trucs ? »

« Des trucs grouillants. Avec pleins de tentacules blancs et de chair. Dégoutante. Nous pensons qu’il y a une espèce de progéniture de monstre là-dedans, mais personne n’est descendu assez bas pour nous dire ce que s’était. Et le reste de ses couards sont en train de nettoyer les pièces une par une. »

Relc soupira, murmura quelque chose à propos des humains et des aventuriers en général, et leva les yeux au ciel.

« Je dois retourner bosser. »

« Oh, d’accord. À la revoyure. »

« Peut-être. »

Le Drakéide leva une main en guise d’au-revoir et s’éloigna. Erin le regarda partir avant de se retourner vers la rue en ruine.

Misère et dévastation. Ce n’était pas la sienne, mais elle était compatissante avec les gens qui avaient été affecté par l’incendie. Un voleur et des ruines.

Rien de cela n’était son problème. Mais ils étaient ses problèmes parce qu’elle vivait ici. Pas par choix, mais Erin avait l’impression que la ville souffrait, et elle se demandait ce qu’il fallait pour la soigner.

Tout au moins, Erin n’allait pas avoir ses oreillers aujourd’hui. Sauf si une certaine Gnolle en avait en stock.

***

« Je suis désolé Erin Solstice, mais tout est chaos, non ? J’ai été chanceuse de ne pas perdre mes biens, mais beaucoup ont tout perdu. Les oreillers doivent attendre. Reviens un autre jour, s’il te plaît. »

Krshia n’avait presque pas de temps à consacrer à Erin alors qu’elle parlait sérieusement avec un groupe de marchands Gnolls et Drakéides en colère. Les marchands de la Rue du Marché étaient rassemblés ensemble dans une sorte de conclave, et Krshia était l’un des marchands les plus influent, et vocal, de la foule.

Erin les laissa, principalement parce qu’elle recevait beaucoup de regards hostile. C’était complètement compréhensible que les commerçants soient en colère, et il y avait d’autre chose qu’elle pouvait faire. Comme aller parler à ses amis.

***

« Quoi ? »

Selys dut crier par-dessus le brouhaha de la Guilde des Aventuriers pleine à craquer. Elle et les trois autres réceptionnistes Drakéides étaient en train d’essayer de gérer de multiples aventuriers en même temps alors que la salle était pleine de disputes, de petites échauffourées, de dialogue houleux et, pas des moindres, le clank d’innombrables armes et armures se cognant l’une à l’autre.

La Drakéide secoua la tête alors qu’Erin répéta sa question.

« Je ne peux pas, Erin. Nous sommes tous en train de faire des heures supplémentaires. Tous les aventuriers arrivant… Pardon, l’Humain avec les cheveux rouges et le truc sur le visage ? »

Plusieurs aventuriers levèrent la tête, et l’aventurier moustachu s’avança, tenant un sac duquel coulait quelque chose.

« Donne ça à Warsh, s’il te plaît. Le Drakéide là-bas ? Celui avec les écailles jaunes ? Merci. »

Selys se retourna vers Erin et secoua la tête. L’autre fille hocha, essaya de ne pas toucher un aventurier bruyant recouvert de sang et de… Viscère avant de sortir du bâtiment.

Tout allait bien. Selys avait beaucoup à faire, après tout, et la Guilde des Aventuriers de Liscor n’avait pas été construite pour gérer l’énorme afflux de chasseurs de trésors. C’était dommage. Mais c’était juste…C’était juste…

***

« C’est juste que je ne sais pas ce que je devrais faire, tu vois ? »

Erin continua de se plaindre alors qu’elle bougea un cavalier sur l’échiquier pour prendre l’une des tours de Pion. L’Antinium fit un bruit de consternation mais continua de regarder l’échiquier alors qu’Erin continua de parler.

« Je comprends que Krshia et Selys soit occupées. Et Relc aussi même si nous ne parlons pratiquement pas et qu’il me déteste. Mais qu’est-ce que je devrais faire ? Je veux dire, bien sûr que je suis en train de faire tourner l’auberge, mais j’ai l’impression que je devrais faire autre chose. Quelque chose… D’autre que cuisiner, manger, et payer pour des oreillers. »

Pion bougea précautionneusement un de ses cavaliers en avant. Erin s’en empara aussitôt avec un fou, sacrifiant sa pièce. Ce n’était pas un bon échange vu que les fous avaient techniquement la même valeur stratégique que les cavaliers, mais ce coup venait d’ouvrir Pion pour une charmante attaque de la reine d’Erin sur son roi.

« Je veux dire, qu’est-ce que je devrais faire ? J’ai besoin d’argent, mais ce n’est pas comme si cette auberge était complète. Et j’ai besoin de plusieurs centaines de pièces d’or. Ça prend des années. Le seul moyen d’obtenir ce genre de somme d’un coup est devenir aventurier, mais je n’ai pas envie de poignarder des trucs ou d’avoir mes entrailles tirées par mes narines. »

Pion chercha désespérément pour une stratégie gagnante du côté envahi d’échiquier. Il en trouva une, la même stratégie qui se terminerait en échec et mat dans huit coups. Erin s’en était rendu compte, il y a trois coups de cela.

L’Antinium bougea délicatement un pion en avant et parla.

« Je ne suis pas sûr d’avoir des conseils à te donner, Erin Solstice. Je n’ai pas l’expérience de ce monde. »

« Tu connais probablement plus que moi. »

« Cela est peut-être le cas, mais mon savoir s’étend principalement à la Colonie. Je n’étais Je jusqu’à peu. Donc, ma conscience est au commencement de sa croissance. »

« Je comprends. »

Erin soupira, prit l’une des pièces de Pion et attendit qu’il prenne sa tour.

« J’aimerais juste ne pas me sentir comme ça. »

« Et comment te sens-tu ? »

Pion prit sa tour. Erin prit sa reine.

« Si inutile. »

Un léger gémissement échappa l’Ouvrier Antinium. Il étudia l’échiquier et secoua la tête.

« J’ai perdu. »

Les autres Ouvriers opinèrent de la tête en regardant l’échiquier. La paire qui était en train de jouer levèrent leur tête et regardèrent silencieusement l’échiquier de Pion avant de retourner à leur partie.

« Bonne partie. Tu veux faire un autre round ? »

Pion hocha la tête et les deux joueurs commencèrent à réarranger l’échiquier. C’était leur quatrième partie, et ils avaient joué assez longtemps pour que le soleil était déjà en train de disparaître derrière le sommet des montagnes.

C’était amusant de jouer. Mais Erin ressentait le même sentiment qu’elle essayait d’exprimer à Pion. C’était amusant de jouer, mais elle ne perdait jamais. Et donc, elle avait la nette impression qu’elle ne progressait pas en tant que joueuse, ou qu’elle progressait trop lentement.

« J’aimerais juste pouvoir faire quelque chose d’important, c’est tout. Quelque chose d’utile. »

« Erin était-elle importante dans son monde ? »

« Quoi ? Non. Pas du tout. J’étais juste une fille qui jouait aux échecs. Zut, je n’étais même pas encore à la fac. J’étais en train d’économiser pour ça. »

« Donc l’Erin actuelle est sûrement une amélioration car elle est à la fois une [Aubergiste] et une qui enseigne les échecs. Je n’arrive pas à comprendre le problème. »

« Enfin, ouais mais… »

Quelques tables plus loin, Loks ronfla bruyamment. Erin la regarda. La Gobeline était silencieusement en train de la regarder, avant de tendre le bras et de renverser le roi de l’Ouvrier d’un doigt.

« Hey ! C’est très malpoli ! »

Loks grimaça alors qu’Erin la regarda. Mais l’Ouvrier contre qui elle avait joué baissa la tête en direction d’Erin.

« Celui-ci a perdu la partie. Celui-ci s’excuse pour le temps perdu. »

« Ce n’est pas ta faute. Même si la partie est presque terminée, tu es celui qui décide ça. Renverser le roi de l’autre joueur est malpoli. Compris ? »

L’Ouvrier baissa la tête, mais Loks fronça les sourcils. Erin accentua son regard de la mort et Loks murmura quelque chose avec réluctance.

C’était pratiquement le seul problème qui arrivait quand Erin et tout le monde jouaient aux échecs. Dans la hiérarchie du talent de l’auberge, Erin était la championne incontestée. Suivi de Pion et Loks, avec Pion étant le meilleur joueur, mais de rien. En-dessous deux étaient les différents Ouvriers qui pouvait jouer des parties décentes, mais Loks n’était jamais vraiment heureuse sauf quand la petite Gobeline jouait contre Erin.

C’était un problème  d’arrogance, et Erin se rappelait comment s’était d’être impatiente à devoir jouer contre des joueurs médiocres. Mais Loks était toujours au rang de novice selon ses standards, et l’impolitesse dans les échecs était quelque chose qu’elle n’allait pas tolérer.

Cependant, Loks n’avait pas encore joué contre Erin. Erin regarda Pion avec réluctance.

« Désolé, mais est-ce que tu… ? »

L’Antinium était déjà en train de bouger de la table. Sa nature courtoise n’arrêtait jamais de surprendre Erin. Elle soupira alors que Loks sauta de sa chaise et marcha jusqu’à la table.

« D’accord, jouons. Mais si tu touches mon roi je vais te couper en rondelle, compris ? »

La Gobeline ne répondit pas. Elle était déjà en train de réarranger ses pièces.

Soupira de manière exaspérée, Erin agita sa main.

« Tor ! Je vais prendre un peu d’eau. »

Le squelette qui avait été en train de bouger autour de la pièce avec un grand bol de mouche acide se retourna et hocha la tête. Il disparut dans la cuisine et émergea avec un grand verre d’eau dans sa main osseuse.

Il y avait quelque bénéfice à avoir un squelette serveur. Celui de pouvoir dévouer l’intégralité de son temps sur ses parties n’était pas des moindres. Elle s’installa dans sa chaise alors que Loks étudia l’échiquier et attendit le premier coup.

La Gobeline jouait constamment d’étranges stratégies, et jouait contre elle était un délice. Au contraire, Pion avait mémorisé les coups fondamentaux et jouait de solides parties. Il gagnait la majorité de ses parties, mais Erin devait admettre qu’elle admirait l’audace de la Gobeline dans ses agressives tactiques.

Les doigts de Loks se fermèrent sur un pion et la Gobeline se figea. Ses oreilles pointues tressaillirent et elle regarda la porte.

Erin leva les yeux. Quelques secondes de silence passèrent avant qu’elle entende quelqu’un frapper poliment à la porte.

« Entrez ! »

La porte s’ouvrit. Erin entraperçut une familière carapace noire et quatre bras et sourit. Un autre Ouvrier avec lequel jouer. Puis ses pensées rattrapèrent ses yeux. Les Ouvriers ne pouvaient pas quitter la ville sans Pion. Ils étaient…

L’Antinium entra pleinement dans l’auberge et Erin se figea. Elle était en train de rêver. Loks l’avait poignardé dans le torse et elle était en train de mourir sur la table. Elle avait eu une crise cardiaque, ou un AVC, et c’était la dernière chose qu’elle allait voir avant de mourir. Elle devait être en train de rêver.

Car l’Antinium qui venait d’entrer dans l’auberge ne pouvait pas être qui elle pensait qu’il était.

À première vue, il ressemblait à tous les autres Antiniums. Il avait quatre bras, des antennes, de grands yeux à multiples facettes, et deux jambes curieusement segmentées et alignées d’exosquelette noir. Cela était normal.

Mais cet Antinium était différent. Il était plus fin que les Ouvriers, sa carapace était peut-être légèrement plus sombre. Mais plus que ça, il ressemblait à quelqu’un qu’Erin connaissait. Dans tous les petits détails, dans toutes les parties de son corps, de la manière dont il se tenait jusqu’au deux épées et deux dagues à sa taille, il ressemblait à…

« Klbkch ? »

L’Antinium tourna sa tête et Erin sentit son cœur s’arrêter pendant un moment. Il inclina sa tête et s’approcha.

« Bonsoir. Suis-je en train de parler à l’[Aubergiste] connue sous le nom d’Erin Solstice ? »

Sa voix était identique à celle de Klbkch. Erin lutta pour exprimer ses mots avec une langue qui avait arrêté de marcher.

« Oui… Oui je… Es-tu… ? »

L’Antinium hocha la tête.

« Permettez-moi de me présenter. Je ne suis pas Klbkch. Mon nom est Ksmvr des Antiniums de Liscor. Je sers ma Reine en tant que Prognugator. Je suis ici pour m’occuper d’une affaire concernant la Colonie. »

Il n’était pas Klbkch. Mais il l’était. Erin était à court de mots. Elle était en train d’essayer de trouver une réponse tout en luttant pour ne pas pleurer alors qu’elle digérait ses mots.

Ksmvr s’arrêta, avant de hocher la tête.

« Je comprends que ma ressemblance avec mon prédécesseur cause problème. Je m’excuse pour cette confusion. »

« Oh, no.. »

Erin voulait dire que ‘ce n’était rien’, mais cela serait un mensonge. Elle s’assit de manière droite, rigide dans son siège alors que Loks fixa Ksmvr du regard. Tous les autres Ouvriers étaient figés dans leurs sièges. Mais Pion…

Ksmvr regarda autour de la pièce. Son regard silencieux et pointilleux examina chaque Ouvriers alors que les autres Antiniums regardèrent le sol. Puis il remarqua Pion. L’Ouvrier hésita avant de commencer à sortir de son siège.

Aussitôt, l’air trembla alors que les épées de Ksmvr sortirent de leurs fourreaux. L’Antinium se mit en garde avec ses quatre bras et pointa l’une de ses dagues vers Pion.

« Reste immobile, Ouvrier. »

Erin ouvrit la bouche. Pion commença à trembler alors que les autres Ouvriers s’éloignèrent. Ksmvr s’avança l’épée au clair.

« Attends. Qu’est-ce que tu es en train de faire ? »

La tête de Ksmvr bougea d’une fraction dans sa direction alors qu’il parla, mais ses épées ne bougèrent pas d’un millimètre.

« Je suis venu établir l’état de l’Ouvrier qui se réfère à lui-même sous le nom de ‘Pion’. J’amènerai cet Ouvrier avec moi dans la ville. Je m’excuse pour cette inconvenance. »

Il se tint au-dessus de Pion et leva une épée juste sous le bout du menton de l’autre Antinium.

« Debout. Ne fais pas le moindre mouvement brusque. Tu seras questionné. »

Pion suivit faiblement les instructions. Erin regarda la scène, horrifiée, Cela semblait comme…

« Attends, je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que tu l’emmènes ? Est-ce qu’il a fait quelque chose de mal ? »

Ksmvr s’arrêta. Il semblait réticent à donner des explications.

« … Il est notoire que les Antiniums qui se réfèrent en tant qu’individus ou qui ont des noms sont sujets à des crises de violences imprévisibles. Je ne peux en dire plus, mais mon rôle est de juger ces individus égarés et de les détruire si nécessaire. »

La manière décontractée avec laquelle il prononça ses mots glaça le sang d’Erin. Et maintenant qu’elle y repensait, elle vit Pion trembler alors que Ksmvr tenait son épée sous son menton.

« Attends une seconde. Attends une seconde. Je connais Pion. Il n’a rien fait de mal, et j’ai joué aux échecs avec lui tous les jours depuis quelques semaines. Pourquoi est-ce que tu l’emmènes maintenant ? »

Ksmvr s’arrêta de nouveau avant de répondre.

« La Colonie de Liscor se trouvait en… Désarroi. Ma nomination à cette position a été une nécessité. Tout rentrera dans l’ordre sous peu. Jusqu’à là, je remplirai mon devoir. »

Il regarda Pion.

« Nous allons retourner dans l’enceinte de la Colonie. Toutes actions rencontrera une punition adéquate. Est-ce que cela est clair ? »

Pion hocha la tête. Il bougea lentement avec l’épée de Ksmvr dans le dos. Le Prognugator l’aurait fait par la porte si Erin ne s’était pas mise en travers du chemin.

« Attends. »

« Décalez-vous, Erin Solstice, s’il vous plaît. »

« Tu ne m’as rien expliqué. Pion n’a rien fait. Il a un nom, mais je suis celle qui lui ait donné. Qu’est-ce que tu veux dire par le détruire ? Et… Pourquoi est-ce que tu ressembles à Klbkch ? C’est quoi un Prognugator ? »

« Je suis ici pour m’occuper des affaires de la Colonie. Je ne peux pas répondre à vos questions. Décalez-vous, s’il vous plaît. »

« Non. »

Pion parla. Sa voix était tremblante à cause du stress alors qu’il s’adressa à Erin.

« S’il te plaît, Mademoiselle Solstice. C’est une affaire concernant les Antiniums. Je savais que cela viendrait. N’interfère pas… »

Ksmvr bougea. Son épée flasha et Pion hurla, tenant une antenne coupée.

« L’Ouvrier gardera le silence. »

Tremblant, Pion tint son moignon sanglant et se tût. Ksmvr le poussa en avant avec ses épées, le bout de la lame s’enfonça dans l’exosquelette de l’Ouvrier, mais cette fois Erin était juste devant lui.

« Ça suffit. Pion est min invité. Je ne te laisserai pas le prendre. »

Ksmvr regarda Erin sans expression.

« Interférer avec mes devoirs est un crime. »

« Tu l’as tranché pour avoir parlé. Tu ne t’approcheras pas de lui tant que tu ne m’auras pas tout expliqué. No, encore mieux, je veux venir avec lui. »

« Ceci est inacceptable. Décalez-vous. »

« Non. »

« Je ne le demanderai pas une seconde fois. Soyez prevén… »

« J’ai dit non. Tu ne m’as pas entendu ? »

« Je vous ait entendu. Fort bien. »

Erin ne vit pas la main de l’Antinium bouger. Mais elle sentit quelque chose de solide la frapper suffisamment fort pour qu’elle voie des étoiles et qu’elle sente le gout du sang dans sa bouche. Erin tituba, avant d’entendre un claquement furieux.

Toren fonça sur Ksmvr, désarmé à part pour une cuillère qu’il avait pris depuis une table. Ksmvr tourna calmement sa tête et ses deux bras bougèrent.

Le pommeau de son épée et dague s’écrasèrent contre le squelette avec assez de force pour arrêter la création mort-vivante. Les bras de Ksmvr devinrent flous une nouvelle fois et Tor était soudainement décapité.

Avec une jambe, l’Antinium donna un coup de pied qui envoya voler le squelette à l’autre bout de la pièce, dispersant les os de Toren. Il se retourna calmement vers Pion.

« Bouge. Marche lentement et sans dévier. »

« A-attends. »

Erin pouvait voir des étoiles danser dans son champ de vision. Et sa mâchoire était déjà en train d’enfler, mais elle tituba quand même vers Ksmvr. Elle s’arrêta alors que deux dagues pointèrent dans sa direction.

« Votre interférence a été notée. Vos complaintes seront entendues par ma Reine une fois ses affaires terminées. Regrettablement, elle est indisposée en ce moment mais tu pourras demander une audience avec elle à une autre date. »

« Je ne te… Laisserai pas prendre Pion. Tu n’as pas à faire ça. »

Ksmvr s’arrêta, avant de secouer la tête. Il parla sans hésitation.

« Ma position est temporaire. Mais la moindre possibilité qu’un Ouvrier devienne une Aberration doit être géré avec efficacité. Interférez, et je serais obligé de vous considérer comme un ennemi. »

Il ouvrit la porte. Pion quitta faiblement l’auberge. Ksmvr s’arrêta, une main sur la porte. Il hocha la tête en direction d’Erin alors que la fille la regarda, horrifiée.

« Passez une bonne soirée. Mes excuses pour l’interruption. »

La porte se ferma doucement derrière lui.

***

Erin regarda la porte pendant une longue minute, le cerveau en feu, avant de bouger. Elle s’arrêta uniquement pour s’assurer que Toren était en train de se réassembler. Loks était en train de squatter à côté du squelette, lui offrant ses os et le regardant se reformer pièce par pièce avec intérêt.

Elle n’avait pas le temps d’attendre le squelette. Erin courus dans la cuisine et ressortit avec une poêle à frire, la plus grosse qu’elle avait. Elle ouvrit la porte, manquant de la sortir de ses gonds, et fit deux pas à l’extérieur avant que les autres Ouvriers ne l’attrapent.

« Laissez… Moi partir ! »

« L’Aubergiste Solstice ne doit pas intervenir. L’Aubergiste Solstice ne doit pas. »

« Lâche-moi ! Je dois sauver Pion ! Lâche-moi ! »

Erin lutta, mais les trois Ouvriers avaient une poigne d’acier et les autres l’encerclaient. Ils parlaient, un groupe s’exprimant d’une seule voix.

« Le Prognugator ne doit pas être perturbé. Le Prognugator tuera tous ceux qui interviendront. L’Aubergiste Solstice ne doit pas mourir. L’Aubergiste Solstice ne doit pas mourir. »

Erin lutta. Les Ouvriers ne voulaient pas lui faire du mal. Elle arriva finalement à se défaire de leurs poignes. Elle s’échappa de la foule et courut en descendant l’auberge en direction de Liscor.

Elle fit plusieurs kilomètres avant que les Ouvriers ne l’arrêtent. Ils n’étaient pas rapides, mais ils ne se fatiguaient pas. Ils la tinrent.

« L’Aubergiste Solstice ne doit pas. »

« Pourquoi ? »

Elle cria sur l’Ouvrier qui l’avait attrapé. Il fit un pas en arrière, mais elle n’arrivait plus à s’en soucier.

« Qu’est-ce que type est en train de faire ? Pourquoi est-ce qu’il est exactement comme Klbkch ! »

L’Ouvrier hésita, avant de secouer la tête.

« Il est interdit de parler des affaires de la Colonie aux étrangers. Celui-ci ne peut pas parler.

Erin craqua. Elle prit une grande inspiration, et cria au visage de l’Ouvrier.

« Je suis votre professeur d’échecs ! Je suis l’Aubergiste Solstice, et je t’ordonne de me le dire ! »

Il hésita. Erin l’attrapa par son exosquelette froid et lisse.

«Dis-moi !

L’Ouvrier hésita. Il regarda les autres Ouvriers l’entourant et les vit agréer d’un mouvement presque uniforme. Il regarda de nouveau Erin avec hésitation.

« Celui-ci… Ceux-là croient que l’individu connu sous le nom de Pion sera interrogé. »

« Interrogé ? Pourquoi ? »

« Pour déterminer si l’individu connu sous le nom de Pion est une Aberration. »

« Et s’il en est une ? »

« Il sera exécuté. »

Le sang d’Erin se figea. Elle lutta, mais les Ouvriers continuèrent de la tenir.

« C’est dingue ! Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait de mal ? »

« Ceux qui sont des Aberration tue. Ils sont des individus et rejettent la Colonie. Ils détruisent. »

« Mais Pion n’est pas violent ! »

Erin s’arrêta et regarda l’Ouvrier.

« Il ne l’est pas. Tu le sais. Je le sais. Il n’a rien fait. Il n’est pas une Aberration, pas vrai ? »

L’Ouvrier hésita de nouveau et regarda ses camarades.

« Cela est peut-être le cas. »

« C’est le cas ! »

« Aucun Ouvrier qui est devenu un individu n’est pas devenu une Aberration. »

« Aucun ? »

Erin regarda l’Ouvrier. Lui et les autres secouèrent la tête.

« Mais Pion est différent. Il l’est. Donc… Ce type, Ksmvr, va le laisser partir, pas vrai ? »

Ils hésitèrent.

« Pas vrai ? »

« Si l’individu connu sous le nom de Pion n’est pas une Aberration il aura peut-être le droit d’être libre dans la Colonie. »

Erin n’était pas doué pour lire le visage de l’Ouvrier. Mais même elle pouvait deviner que les Ouvriers pensaient que cela avait peu de chance de se passer comme ça. Elle les regarda.

« Je vais l’arrêter. »

« C’est trop tard. La Colonie sera fermée alors que l’individu portant le nom de Pion sera questionné. L’Aubergiste Solstice sera incapable de rentrer. »

« Je dois le faire. »

« C’est impossible. L’Aubergiste Solstice doit revenir dans son auberge. »

« Je dois y aller. Je dois le faire. »

« Cela est impossible. »

« Je dois y aller. »

« Cela est impossible. »

« Je… »

***

Les Ouvriers finirent par partir, laissant Erin derrière eux. Elle resta debout, tenant sa poêle à frire au milieu des plaines et regarda les Ouvriers marcher lentement à travers les plaines sombres en direction de Liscor.

Elle voulait courir derrière eux. Mais ils l’avaient, finalement, convaincu que même si elle les suivait il n’y avait rien qu’elle puisse faire. Ils allaient entrer dans la Colonie, mais apparemment cette dernière serait scellée pour les terrifiants soldats Antiniums. Et Ksmvr serait profond dans la Colonie, interrogeant Pion pour des signes d’Aberration, qu’importe ce que cela voulait dire.

Erin ne l’atteindrait jamais. Donc elle resta en arrière, avec la sensation d’avoir trahi Pion. Mais elle n’arriverait jamais à l’atteindre. Tout ce qu’Erin pouvait faire était prier.

Erin marcha lentement vers son auberge. Son esprit était un tourbillon de confusion, de peur et de panique. Mais ses pensées s’évaporèrent de son esprit quand elle entendit les cris.

Ils venaient de son auberge. Erin leva les yeux vers le sommet de la colline, et vit un groupe de sombres silhouettes se tenir en dehors de l’auberge. Ils étaient en train de crier quelque chose.

« Des Gobelins ! »

« Il y en a plus là-bas ! Tuez-les ! »

« Attention ! L’un d’entre eux sait faire de la magie ! »

« Enlevez-moi ça ! Il y a un squelette aussi ! Lancez-moi mon épée ! »

Erin courus. Elle chargea en remontant la colline aussi rapidement que possible. Son auberge était allumée depuis l’intérieur, les lampes que Tor avait allumées étant les seules lumières à l’exception des étoiles. Avec cette faible lumière provenant des fenêtres elle pouvait voir sept, peut-être plus, personnes frapper en direction de Loks et de son groupe de Gobelin.

Ils avaient été pris par surprise, mais les aventuriers étaient déjà en train de s’emparer de leurs armes. L’un d’entre eux, un énorme minotaure, s’empara d’une massive hache de guerre et donna un coup en poussant un cri furieux. Loks esquiva l’énorme lame alors que cette dernière s’enfonça dans le sol meuble et poussa un cri d’alarme. Elle donna un coup de son épée courte, mais un mage en robe pointa la Gobeline et cette dernière dût se jeter au sol pour ne pas être dévoré par les flammes provenant du bâton du mage.

« Hey ! »

Erin ne s’occupa pas des mots. Alors que les aventuriers chargèrent, elle leva sa poêle à frire et la jeta aussi fort que possible sur le Minotaure. La poêle vola droit vers la tête du massif homme-taureau grâce à la Compétence [Lancer Infaillible] d’Erin.

Le Minotaure cligna des yeux en voyant la poêle voler vers lui. Il leva la main, attrapa la poêle par le manche en plein vol et l’arrêta.

Erin se figea. Les Gobelins lancèrent un regard vers le Minotaure tenant la poêle et prirent la fuite. L’un des aventuriers leva un arc, mais Erin couru vers lui et lui donne un coup de pied dans l’estomac. Il s’écroula, plié en deux.

Soudainement, Erin était seule et entourée d’aventuriers. Ils la regardèrent, confus. L’un d’entre eux, une fille aux oreilles pointues, leva la main et empêcha les autres aventuriers d’attaquer. Le Minotaure regarda Erin, curieux.

Il avait arrêté la poêle à frire de la justice avec une main. Erin avala sa salive et pensa rapidement. Ses attaques avaient échouées, même si Loks et ses amis étaient en sécurité. Donc cela ne laissait que la parole.

« Hey ! Qu’est-ce que vous croyez faire ? »

Les aventuriers la regardèrent de manière incrédule.

« Qu’est-ce que tu crois faire ? »

« Cet endroit est à moi ! Qu’est-ce que vous avez à attaquer mes clients ? »

« Clients ? »

Un gars avec une longue moustache regarda Erin d’un air hébété. Il regarda en direction des Gobelins en fuite.

« Ce sont des Gobelins ! Et il y a un squelette là-dedans ! »

Il pointa en direction de Toren, qui gisait désassemblé à l’intérieur de l’auberge d’Erin.

« Ce sont mes clients. Et c’est mon squelette que vous venez de tabasser ! C’est mon auberge, et personne ne tues des Gobelins dans le coin ! Vous n’avez pas lu le signe ? Est-ce que quelqu’un lit ce foutu signe ? »

Les aventuriers, ou plutôt, la compagnie d’aventuriers Argents connue sous le nom des Cornes d’Hammerad se regardèrent avec confusion. Le ciel nocturne faisait qu’il était presque impossible de voir quelque chose. Gerial regarda Erin, avant de regarder autour de lui.

« Il y a un signe ? »

***

Erin s’assit dans son auberge, regarda le groupe d’homme, de femme, ainsi qu’une Elfe et un Minotaure assit de manière embarrassé en face d’elle. Les regards des aventuriers alternaient entre elle et Toren, tandis que le squelette marchait à travers l’auberge, nettoyant les assiettes des Ouvriers et les pièces d’échecs.

Ils ne s’apprêtaient pas à dire quelque chose, donc Erin lança la conversation.

« Donc, pour faire court. Vous êtes une compagnie d’aventurier, et vous passiez dans le coin par pur hasard. »

« C’est cela. Nous savions qu’il y avait une auberge dans le coin, et nous nous demandions si vous étiez toujours ouvert. »

Ces paroles venaient de l’Elfe, qui était assise la plus proche d’Erin. Elle était assez belle pour être une distraction, avec des traits qui étaient totalement différents à tout ce qu’Erin avait vu dans son monde. Elle sourit de manière polie à Erin et la fille dut lutter pour ne pas rester bouche bée.

Erin regarda le Minotaure à la place. Il était aussi quelque chose qu’elle n’avait jamais vu, mais elle n’était pas aussi distraite par lui. Plutôt, sa tête de bœuf et ses muscles ondulants lui donnait l’impression qu’elle parlait à une vache qui avait décidé de faire de la musculation et de marcher sur deux pattes.

Ce qui, quand on y réfléchissait bien, résumait plutôt bien les Minotaures.

« Donc vous êtes tous venu ici, avez vu l’auberge pleine de Gobelins, et avait décidé de tous les tuer, c’est ça ? »

Les aventuriers bougèrent sur leurs sièges. L’un d’entre eux haussa les épaules.

« Eh bien… Oui. »

« Pourquoi ? »

Les aventuriers échangèrent des regards. L’un d’entre eux, un homme en armure avec une gracieuse moustache, secoua la tête.

« Ce sont des Gobelins. Ce sont des monstres. Nous sommes des aventuriers. Je suis désolé, Mademoiselle, mais nous ne faisons que notre travail. »

Erin le savait, mais cela ne voulait pas dire qu’elle l’appréciait. Mais ils n’avaient pas tué de Gobelins et elle les avait déjà fait s’expliquer trois fois. Et ils étaient en train de la regarder, donc elle décida de changer de sujet.

« D’accord. Donc vous êtes des aventuriers venant du nord. Vous avez dit que vous aviez un nom… ? »

« Les Cornes d’Hammerad. »

Cela provenait du Minotaure. Il était toujours en train de regarder Erin curieusement, mais sans menace de lui arracher la tête, ce qui était avait assumé être un comportement de Minotaure.

« Et comment avez-vous su que l’auberge était là ? »

L’homme à la moustache racla sa gorge de manière gênée.

« Nous nous sommes, ah, déjà rendus ici. »

« Je ne me souviens pas de ça. »

« Je crois que vous étiez dehors à ce moment. »

Ceria sourit en direction d’Erin avant d’hocher la tête en direction du squelette.

« Mais je peux prouver que nous ne faisions rien de mal. Nous étions ici pour rencontrer un certain nécromancien. C’est une supposition, mais je pari que vous le connaissez. »

Erin regarda Tor, et le squelette lui rendit son regard de manière curieuse. Il était toujours en train de porter son épée à sa taille osseuse, et le squelette était en train de surveiller les Cornes d’Hammerad comme s’il les considérait toujours comme des menaces.

« Je le connais peut-être. Ce, heu, nécromancien. Tu peux me le décrire ? »

« Il est plutôt agaçant. »

« D’accord, c’est Pisces. Bon, vous le connaissez. Et vous êtes là. Et je suppose que vous n’avez pas vu le signe qui dit de ne pas tuer les Gobelins. Des erreurs ont été faites. »

Erin soupira en essayant de se relaxer. Elle regarda de nouveau le groupe d’aventurier.

« Donc, qu’est-ce que les Cornes d’Hammerad me veulent ? »

L’œil du Minotaure tressaillit, mais l’Elfe parla de nouveau. Elle était peut-être leur chef, ou peut-être que c’était monsieur-moustache.

« Nous cherchons un endroit ou passer la nuit. »

Erin les regarda sans expression. Elle pointa la fenêtre du doigt.

« La ville c’est par là. »

« Certes, mais chaque taverne, auberges, et maisons sont pleines à craquer d’aventuriers. Il n’y a pas d’endroit où dormir, même pas une cabane, donc nous sommes venu ici. »

Erin les regarda sans comprendre.

« Pourquoi ? »

« C’est… Une auberge, correcte ? N’avez-vous pas de chambre à louer ? »

« Quoi ? Oh. Oh. Ouaip, j’ai des chambres. Des tonnes. Toutes vides. »

Silence. Les Cornes d’Hammerad échangèrent un regard. Ceria toussa poliment et sourit à Erin.

« Pouvons-nous rester ici, si possible ? Je promets que nous ne causerons pas de problème, et nous avons de quoi payer. »

Cela sonnait creux après l’accident qui avait eu lieu plus tôt. Erin y repensa, se mordant la lèvre.

« Je n’aime pas les gens qui attaque les Gobelins. Ce sont mes invités et vous les avez chassés. »

Ce commentaire sembla sérieusement agacé le Minotaure. Il se pencha en avant, soufflant de l’air par ses naseaux, mais monsieur-moustache lui repoussa dans sa chaise. Le Minotaure s’adressa brusquement à Erin.

« Ces créatures sont des salauds. Ils devraient être exterminés. »

Erin fronça brusquement les sourcils. Les autre Cornes grognèrent alors l’Elfe donna un coup de talon en arrière, frappant le minotaure dans le tibia. La seule chose qui arriva fut qu’elle grimaça.

Monsieur-moustache lissa sa moustache et semblait inquiet. Il parla à Erin, essayant de sourire de manière charmante.

« Je vous assure, Mademoiselle, hum, Erin. Que tout cela est une erreur. Nous n’aurions jamais attaqué si nous avions vu le signe. »

« Hum. »

Erin regarda les aventuriers. Elle n’était pas heureuse, et ce n’était pas du tout à cause du fait qu’il était sur son chemin alors qu’elle pensait toujours à Pion. Elle prit rapidement sa décision.

« Écoutez, vous n’avez pas tué de Gobelins. Donc je peux oublier cette histoire. Mais si vous restez ici, vous obéissez à mes règles ou vous dormez dehors. Compris ? »

Tous les membres des Cornes d’Hammerad hochèrent la tête d’un même mouvement, à l’exception du Minotaure. Erin lui jeta un regard noir.

« T’en pense quoi le Tête de Boeuf? »

Ses sourcils tressaillirent et le reste de l’auberge grimaça. Le Minotaure fusilla Erin du regard, mais elle ne détourna pas les yeux.

« Tout le monde semble être d’accord, mais est-ce que tu vas obéir à mes règles ou est-ce que je vais devoir te jeter dehors à coup de pied ? »

L’idée de jeter le Minotaure dehors à coup de pied était ridicule, mais Erin était trop en colère pour s’en soucier. Le Minotaure continua de la fixer du regard, laissa échapper de l’air par ses naseaux de manière exaspéré, et repoussa l’Elfe alors que cette dernière lui donna silencieusement des coups de pieds sous la table.

« Je promets sur mon honneur. Je n’attaquerai pas les invités de ton auberge à moins d’être provoqué. »

Cela semblait être ce qu’elle allait avoir de mieux. Erin hocha la tête.

« Alors d’accord. Dans ce cas j’ai quelques chambres à l’étage. Assez pour vous tous, mais je n’ai pas d’oreillers. »

Les Cornes d’Hammerad sourirent de soulagement. L’elfe s’adressa à Erin.

« Il n’y a pas de problème. Nous pouvons nous débrouiller. »

Erin hocha la tête et se releva. Son esprit était vide. Qu’est-ce qu’elle était supposée faire dans ce genre de situation ? Des clients. Elle avait des clients. Elle choisit une direction et fit marcher sa bouche en autopilote.

« Vos chambres sont à l’étage. Allez-y et prenez celle qui vous plaît. Nous allons peut-être avoir besoin de deux lits pour la tête de boeuf, mais ça devrait aller. »

Elle pointa la cuisine du doigt.

« Le petit-déjeuner est le matin. Il n’y a pas d’alcool, mais j’ai ce qu’il faut au niveau de la nourriture. Il y a un cabinet dehors, soyez juste prudent pour ne pas tomber sur un monstre. Si vous voyez un gros rocher qui bouge, fermez la porte et restez silencieux. N’allez pas dans la cuisine si vous voulez quelque chose à manger, il y a plein de jarres d’acide qui traînent. Ne buvez rien de vert en général. Interdiction de tuer des Gobelins, le squelette travaille pour moi, et si vous voyez un homme-fourmi avec deux épées et deux dagues, frappez le et assurez-vous qu’il ne s’en aille pas. Compris ? »

Les Cornes d’Hammerad hésitèrent, avant de hocher la tête. Erin attendit, avant de hausser les épaules.

« C’est tout. Je peux vous cuisiner un truc si vous voulez quelque chose. »

Elle alla dans la cuisine en tapant du pied. Perplexes, les aventuriers la regardèrent partir. Pendant quelques secondes ils l’entendirent parler au squelette, puis elle rentra de nouveau dans la salle commune. Elle pointa les aventuriers du doigt.

« Une dernière chose. Est-ce que l’un d’entre vous joue aux échecs ? »

Une nouvelle fois, les aventuriers échangèrent des regards confus. Finalement, l’homme moustachu regarda Erin et leva un sourcil.

« Qu’est-ce que sont ses ‘échecs’ ? »

Erin soupira.
« Modifié: 23 mai 2020 à 14:41:49 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #57 le: 23 mai 2020 à 14:51:20 »
1.37
Traduit par EllieVia

Erin rêva d’épées en train de ferrailler, de boulets de canons explosant à côté d’elle, et de sang. Des rivières de sang.
 
Klbkch se dressa devant Erin et lui demanda si elle était prête. Elle le regarda se vider de son sang dans ses bras. Ses mandibules s’ouvrirent et il lui déclara d’une voix rauque au creux de l’oreille :
 
“J’obéis à ma Reine.”
 
Elle secoua la tête. L’Erin de son rêve pointa du doigt pour montrer à Klbkch une pièce d’échec gigantesque dressée au sommet d’une colline.
 
“Le Roi. Tout tourne autour du Roi. Le roi est intelligent. Il…”
 
Elle ne tenait plus Klbkch dans ses bras. Au lieu de cela, Erin s’assit et regarda un corps tomber par terre et l’huile brûler autour d’elle. Le visage d’un Gobelin mort plongea les yeux dans les siens et elle se réveilla, en sueur, pour découvrir Toren planté dans un coin de sa chambre.
 
C’était mieux. Définitivement mieux que de voir le mort. Erin lui envoya tout de même un oreiller dessus. Il l’atteint en pleine tête… pas très fort, mais le bruit suffit à surprendre quelqu’un.
 
“Whu ?”
 
La voix provenait de l’autre côté du mur de la cuisine. Erin fut immédiatement prise de panique. Elle chercha des yeux sa poêle à frire puis se souvint.
 
Elle avait des invités.
 
Le regard encore trouble, Erin rejeta ses draps dans un coin de la cuisine et sortit. C’était encore l’aube, mais, étonnamment, quelqu’un était levé.
 
Ceria cilla plusieurs fois devant Erin puis hocha la tête. La Demie-Elfe semblait être une lève-tôt, mais même elle était encore à moitié endormie.
 
“Whu ?”
 
Elle répéta le mot. Erin tituba.
 
“Hrgh.”
 
“Mm.”
 
Une fois la conversation terminée, Erin revint d’un pas mal assuré dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Toren resta à côté d’elle, lui tendant la poêle, les spatules, et différents aliments tandis qu’elle les pointait du doigt en grognant. Le petit déjeuner allait être composé d’œufs brouillés, de pain grillé, d’une sorte de lard issu d’un quelconque animal, et de tranches de fromage.
 
Sa capacité à faire un petit déjeuner digne de ce nom était alarmante, mais Erin n’y pensait pas en ce moment. Ses mains bougeaient automatiquement et elle repensait à son rêve.
 
Il avait voulu dire quelque chose. Et pour une raison qui lui échappait, bien que le rêve d’Erin ait été un rêve de mort et de bataille, il lui avait fait penser aux échecs. Elle pensait toujours aux échecs, même quand elle dormait.
 
Toujours plongée dans les derniers fragments de son rêve, Erin marmotta les mots.
 
“Le roi… le roi est intelligent. Il utilise quelque chose. Sa tête ?”
 
Erin se gratta la sienne, se demandant d’où lui était venue cette phrase. Bon, cela lui venait évidemment des échecs. Mais l’avait-elle entendue quelque part ? Il lui semblait que c’était important.
 
Le bacon était cuit et grésillait dans la poêle. Erin sortit les morceaux de viande grillée de la poêle, grimaçant lorsqu’une goutte d’huile atterrit sur son bras.
 
“Ow. Ow. Ow !
 
Trop d’huile. Erin avait oublié. Elle devenait vraiment chaude quand on la chauffait…
 
L’odeur de la chair brûlée. Erin s’immobilisa et regarda autour d’elle. Un Chef Gobelin mort était étendu au sol.
 
La tranche de lard glissa de ses pinces. Toren plongea, attrapa adroitement le morceau de viande et le reposa délicatement dans l’assiette. Erin cilla, et revint à l’instant présent.
 
“Oh… merci.”
 
Elle porta une main à sa tête et termina rapidement de frire et d’empiler le reste de la viande. Elle en avait fait beaucoup. Suffisamment pour nourrir une petite armée, et c’était exactement à cela qu’elle associait les dix aventuriers et le Minotaure.
 
Mais comme ils n’étaient pas encore levés, quand Erin eût terminé de brouiller les œufs, elle ne prépara qu’une assiette pour Ceria. Elle empila négligemment le lard, les œufs, et le pain, faisant fi de l’esthétique du repas et se focalisant plutôt sur le concept inhérent à la nourriture : la manger.
 
Pourquoi repensait-elle au Chef Gobelin ? Pourquoi avait-elle fait ce rêve ? Parfois, oui, Erin se réveillait en hurlant, la peau recouverte de sueur, pleurant au milieu de la nuit. Mais jamais encore ses rêves ne l’avaient poursuivie ainsi après son réveil.
 
C’était un signe. Un signe qu’Erin devait trouver un autre endroit pour dormir, peut-être.
 
Son estomac gargouilla. Un autre signe, qui indiquait qu’elle avait faim. Erin baissa les yeux sur le petit-déjeuner, qui s’approchait le plus possible d’un petit déjeuner à l’américaine, et sourit. Ceria allait probablement adorer, surtout avec du jus bleu. Trop tard, Erin se souvint que c’était une Elfe qui l’attendait dans l’autre pièce.
 
“Oh non.”
 
Erin regarda son petit-déjeuner aux œufs brouillés et au lard. Elle ne pouvait pas sortir avec ça. Désespérément, elle fouilla ses placards, à la recherche de quelque chose qui ressemblât de près ou de loin à des aliments végétariens. C’était tellement difficile de conserver les légumes dans son auberge, sans frigo !
 
Elle trouva une tête de salade et quelques tomates. Fiévreusement, Erin mit quelques œufs de plus à frire et les posa sur du pain grillé. Il faudrait que ça convienne. Elle espérait que Ceria mangeait des œufs. Les Elfes étaient-ils végétariens ou véganes ?
 
***

Ceria regardait la table, les yeux dans le vague, luttant contre le sommeil. Elle n’était pas du matin. Les gens s’attendaient toujours à ce que les Demis-Elfes se lèvent à l’aurore et gambadent dans les fleurs et la rosée, ou d’autres bêtises du genre. Mais Ceria avait vécu trop longtemps parmi les Humains et d’autres espèces pour aimer se lever tôt, et elle n’aimait pas gambader.
 
Une odeur alléchante sortait de la cuisine, accompagnée de bruits de casseroles et de portes de placards qui claquaient. Ceria essayait d’en faire abstraction. Elle se concentrait sur un sort.
 
“[Illumination]. Non. Je ne m’y prends peut-être pas correctement ?”
 
 
Elle aurait dû déjà maîtriser ce sort, mais il lui donnait du fil à retordre. [Illumination] était une version avancée du sort de Lumière que Ryoka avait appris, et ne dépassait pas l’échelon 2 de magie. Mais à la vérité, sa complexité le rapprochait plus de l’échelon 3. Normalement, Ceria n’aurait pas pris la peine de l’apprendre, mais le sort permettait d’illuminer une zone de plus de cent mètres autour du mage qui le lançait en produisant des orbes de lumières. Il était parfait pour les donjons.
 
“Et évidemment, c’est à la mage de Wistram de s’en charger. Est-ce que le sort est complexe ? Oui ! Oh, eh bien laissez la Demie-Elfe s’en occuper ! Inutile de déranger les autres mages. Ceria s’en charge !”
 
Grogna Ceria en refermant le grimoire devant elle d’un coup sec. Elle avait faim, et elle n’arrivait vraiment plus se concentrer avec l’odeur du petit-déjeuner.


À ce moment précis, quelqu’un sortit de la cuisine en tenant deux énormes assiettées de nourriture. Le visage de Ceria s’illumina…
 
Et elle faillit faire exploser la tête du squelette lorsqu’elle l’aperçut. La créature morte-vivante s’immobilisa et observa la baguette de Ceria. La mage se reprit. Il avait levé un bras pour lui jeter une assiette à la tête.
 
“Tor ! Arrête ça !”
 
Quelqu’un donna une taloche au squelette à l’arrière du crâne, le faisant tituber et manquant de lui faire lâcher son fardeau. Ceria vit l’étrange aubergiste fusiller le squelette du regard et pointer du doigt la table où elle était assise.
 
Ceria baissa vivement la baguette dont l’extrémité s’était illuminée lorsque Erin s’approcha.
 
“Ooooh, est-ce que c’est une baguette ?”
 
La Demie-Elfe cilla. Elle hésita, puis tendit la baguette à Erin.
 
“Oui. Tu veux voir ?”
 
Erin observa, excitée, le long morceau de bois lisse. Il ne paraissait pas gravé comme les baguettes qu’elle avait pu voir dans certains films. Au lieu de cela, on aurait dit qu’il avait été arraché à un arbre et qu’on s’était contenté de l’élaguer. Le bois était d’un blanc pâle teinté d’un soupçon de vert. Pour résumer, la baguette était plutôt ordinaire, si on omettait les fumées d’un bleu pâle qui s’échappaient de l’extrémité.
 
“C’est tellement stylé !”
 
Ceria était légèrement surprise par l’enthousiasme d’Erin. Elle tendit la baguette à Erin, à la grande surprise de cette dernière.
 
Erin hésita, ses mains clairement tentées de tenir la baguette. Elle jeta un regard en coin à Ceria.
 
“Ça ne te dérange vraiment pas si je la touche ?”
 
Ceria ne put retenir un sourire.
 
“Elle n’est pas si fragile que ça. Vas-y.”
 
Avec révérence, Erin fit courir ses doigts le long de la baguette. Le contact n’était pas différent de celui d’un bout de bois, ce qui était légèrement décevant. Le bois était lisse et poli mais il n’avait pas l’air d’avoir quoi que ce soit de spécial. Ses doigts effleurèrent l’extrémité de la baguette.
 
Ah ! C’est froid !”
 
Ceria arracha la baguette des mains d’Erin et examina ses mains. Les doigts qui avaient effleuré le bout de la baguette étaient blancs et du givre en avait recouvert les extrémités. La Demie-Elfe jeta la baguette sur la table et attrapa la main d’Erin.
 
“Est-ce que ça va ?”
 
Derrière Erin, les yeux luisants de Toren s’illuminèrent d’un air menaçant. Le squelette s’avança et se prit un coup de coude dans les côtes de la part d’Erin. Elle le fusilla du regard jusqu’à ce qu’il recule, puis se focalisa de nouveau sur Ceria. Le contact de la peau de la Demie-Elfe sur la sienne était léger et éthéré, comme l’apparence de l’Elfe. Prudemment, elle retira sa main.
 
“Je vais bien. Va-t’en, Tor ! Va nous chercher quelque chose à boire.”
 
“Je suis vraiment désolée. Je ne m’attendais pas à ce que tu touches le bout de la baguette. Tu n’en avais jamais vue une avant ?”
 
Erin souffla sur ses doigts et les frotta énergiquement pour les réchauffer. Ils la démangeaient horriblement, mais mis à part la première morsure de froid extrême ils lui semblaient en bon état.
 
“Non… désolée. Je ne savais pas qu’on n’était pas censé le toucher.”
 
“C’était ma faute. J’oublie tout ce que les non-mages ne savent pas.”
 
Ceria avait l’air confuse. Elle tendit la baguette et tapota le doigt près de l’extrémité.
 
“Toute la magie de la baguette est canalisée à travers l’extrémité. C’est pour cela qu’il luit ou réagit selon le sort qui y est contenu. C’est aussi la raison pour laquelle il ne faut jamais casser une baguette au risque de déclencher le sort.”
 
Elle ramassa sa baguette et la rangea dans sa manche. Erin aperçut qu’un brassard entourait le bras de Ceria de manière à ce qu’elle puisse tenir la baguette le long de son bras. Elle frissonna.
 
“Ça ne risque pas de te geler le bras ?”
 
“Oh, non. Je peux désactiver la magie. Je l’avais simplement activée parce que… Enfin… ton squelette m’a surprise.”
 
Erin se tourna et fusilla Toren du regard alors qu’il émergeait de la cuisine avec un pichet dans une main et des verres dans l’autre.
 
“Désolée pour ça. Il n’arrête pas de faire ça alors que je ne cesse de lui dire d’arrêter.”
 
En silence, Ceria regarda le squelette poser deux verres devant Erin et elle et les remplir jusqu'à ras bord.
 
 
Toren ! Comment est-ce qu’on va pouvoir boire comme ça ? Ne remplis pas les verres jusqu’en haut, il faut laisser  un peu de place !”
 
Le squelette avait l’air confus. Erin le fusilla du regard puis se tourna vers Ceria. La Demie-Elfe parvint à prendre une gorgée du liquide sucré et pulpeux sans en renverser. Elle leva les sourcils.
 
“C’est très bon !”
 
“Je sais, pas vrai ? Ça vient d’un fruit que j’ai trouvé dans le coin. Bref, voilà le petit-déjeuner !”
 
Ce disant, Erin poussa une assiette devant Ceria. La Demie-Elfe baissa les yeux et se retrouva face à des œufs brouillés, du pain grillé et du fromage à tartiner sur le côté… et pour une raison inconnue, un énorme bol de ce qui ressemblait fort à de la laitue et des tomates. Et pas de lard.
 
Elle jeta un regard en coin à l’assiette d’Erin et vit qu’elle avait une assiette pleine d’œufs et de lard. L’estomac de Ceria gargouilla et elle se demanda comment elle allait pouvoir corriger cette erreur.
 
“Eh bien. Tout ceci m’a l’air… charmant. Merci d’avoir préparé le petit-déjeuner si tôt, Miss Solstice. Et j’ai un peu de retard, mais bonjour.”
 
“Oh. Merci !”
 
Erin réfléchit puis claqua des doigts.
 
“Oh, attends. Je connais celle-là !”
 
Médusée, Ceria dévisagea la fille qui se grattait la tête. Elle marmotta derrière ses dents puis regarda Ceria.
 
“Hum… Elen síla lúmenn’ omentielvo ? C’est bien ça ?”
 
La Demie-Elfe se figea, la bouche ouverte, une cuillerée d’œufs lévitant juste au-dessus de son assiette. Erin cligna des yeux d’un air innocent.
 
“Que… c’était quoi, ça ?”
 
Erin rougit.
 
“J’essayais de dire bonjour dans ta langue. Ou peut-être juste salut. Est-ce que c’était ça… ?”
 
“Ma langue ?”
 
“L’elfe, c’est bien ça ?”
 
Le morceau d’œuf retomba de la cuillère de Ceria. Erin était de plus en plus embarrassé par son regard donc elle essaya d’expliquer.
 
“Je suis allée à un tournoi d’échecs sur le thème du Seigneur des Anneaux parce que j’avais entendu dire qu’un champion national y jouait. Les gens ne voulaient pas jouer contre moi à moins que je ne sache au moins dire “bonjour”.”
 
Ceria ne comprit exactement rien de tout ce qu’Erin venait de dire. Elle avait la tête qui tournait et posa sa cuillère, calmement.
 
“Erin, je ne suis pas sûre de ce que tu es en train de croire mais… je ne suis pas une Elfe.”
 
Cette fois-ci, ce fut au tour d’Erin de la dévisager.
 
“Tu n’es pas une Elfe. Oh bon sang. J’ai juste cru que…”
 
Ceria porta la main aux extrémités pointues de ses oreilles qu’Erin regardait.
 
“Je ne suis pas une Elfe. Je suis une Demie-Elfe. Et de toute manière…. tu ne risques pas de croiser une Elfe.”
 
“Vraiment ? Pourquoi ?”
 
Erin était pleine d’une curiosité aux yeux ronds. Devant la confusion évidente d’Erin et par égard pour ses amis encore endormis à l’étage, Ceria fit de son mieux pour garder une voix égale et ne pas crier.
 
“Personne n’a vu d’Elfe depuis des milliers d’années. Ils sont tous morts il y a longtemps.”
 
“Oh.”
 
Ceria observa Erin se rasseoir au fond de sa chaise, la déception couvrant son visage. La conversation s’éteint le temps que les deux jeunes femmes essayent de digérer tout ce qui avait été dit. Ceria était… stupéfiée par l’ignorance d’Erin, mais la nature de leur conversation étrange lui était familière. Elle avait déjà dû faire ce genre d’explications, mais quand… ?
 
“Eh bien, euh, je suis vraiment désolée pour le quiproquo. Je me suis simplement dit que tu étais incroyablement belle et… hum…. les Demis-Elfes sont-ils comme les Elfes ? Ou… ou est-ce qu’il y a d’autres trucs que je devrais savoir ?”
 
Gênée, Erin pointa du doigt l’assiette de Ceria.
 
“Je ne sais pas ce que vous… je veux dire, ce que tu peux manger. Si tu veux quelque chose en particulier je peux te l’amener. On a de la salade. Hum… il y a des espèces de tomates que j’ai achetées au marché, des carottes… beaucoup de soupe. Et, euh, j’ai aussi du pain et du fromage si tu veux en manger.
 
Ceria haussa les sourcils, amusée.
 
“Je peux manger de la viande, tu sais.”
 
Là encore, l’Humaine hésita et sembla se débattre intérieurement avec quelque chose. Puis, silencieusement, elle échangea son assiette avec celle de Ceria. La mage s’illumina lorsque l’arôme de la viande grillée atteint ses narines.
 
“Du coup, tu manges de la viande ?”
 
Ceria acquiesça, heureuse.
 
“Je ne sais pas trop ce que tu as entendu dire, mais mon peuple n’a pas de problème avec la viande. J’aime beaucoup le porc, par exemple, surtout quand il est bien cuisiné.”
 
Erin dévisagea Ceria, les yeux ronds.
 
“Vraiment ? C’est tellement bizarre !”


***


Quand le reste des Cornes d’Hammerad se réveilla enfin, ce fut à cause de l’odeur de la nourriture. Les aventuriers étant habitués à se réveiller rapidement pour éviter de mourir, ils faisaient souvent la grasse matinée quand ils en avaient l’occasion. Mais ils aimaient également beaucoup manger, et c’est pour cette raison que lorsque les odeurs s’échappant de la cuisine atteignirent l’étage, leurs estomacs les tirèrent du lit.
 
Gerial entra en titubant dans la salle commune de l’auberge et son visage s’illumina à l’instant où il vit ce que Ceria était en train de manger. Il s’assit à une table, se demandant s’il devait appeler une serveuse, lorsqu’il vit le squelette sortir de la cuisine.
 
Ceria bloqua le poignet du vice-capitaine des Cornes d’Hammerad lorsqu’il plongea pour prendre sa dague.
 
“On se calme. Ne le menace pas et il ne t’attaquera pas.”
 
Gerial s’immobilisa puis hocha la tête. Il laissa son cœur ralentir après le coup d’adrénaline qu’il venait de recevoir puis, méfiant,  laissa le squelette poser devant lui une énorme assiettée de nourriture. Le squelette posa un verre, pointa du doigt le pichet de liquide bleu sur la table de Ceria, et retourna en cuisine. Penaud, Gerial croisa le regard de Ceria.
 
“Heureusement que tu m’as retenu. J’avais oublié…”
 
“Ne t’inquiète pas pour ça. J’ai fait la même erreur un peu plus tôt.”
 
“Bonjour !”
 
Gerial leva les yeux et sourit à Erin lorsqu’elle s’approcha de lui, des couverts à la main. Le serveur squelette les avait oubliés et Erin remplit également le verre de Gerial de l’étrange liquide bleu après lui avoir donné le choix entre ça ou de l’eau.
 
“Merci pour le repas, Miss… ah…”
 
Ceria lui souffla le nom.
 
“Solstice.”
 
“Oh, appelez-moi Erin. Bref, dans tous les cas, j’ai encore à manger donc criez si vous en voulez plus.”
 
“Vous êtes bien aimable. Et tout cela m’a l’air délicieux.”
 
Erin sourit et s’éloigna, discutant déjà avec Sostrom et l’autre mage des Cornes d’Hammerad qui était descendue en même temps que lui. Gerial regarda son assiette d’un air réjoui en voyant l’huile luisant sur ses épaisses tranches de lard et les montagnes d’œufs brouillés et de morceaux de pain empilés à côté.
 
Il prit une première bouchée et sourit à Ceria.
 
“C’est excellent.”
 
Elle s’était déjà remise à manger.
 
“Pas vrai ? Essaye le truc bleu.”
 
Prudemment, car il était habitué à l’humour de Ceria, Gerial s’exécuta. Ses yeux s’écarquillèrent.
 
“C’est sucré !”
 
Ceria et les autres Cornes d’Hammerad sourirent devant la réaction de Gerial. Il avait déjà vidé son verre lorsque Erin revint avec le pichet.
 
“Le service est bien, la nourriture est bonne et personne ne nous regarde de travers. On a eu de la chance de venir ici !”
 
“C’est bien qu’on n’ait pas eu à la partager avec les Gobelins.”
 
Ceria acquiesça et Gerial essuya du gras sur son menton avec sa serviette.
 
“Mais tout de même…”
 
Gerial tordit le cou et ne vit que le squelette en train de proposer de remplir leurs verres à des aventuriers réticents à accepter l’offre. Rassuré, il reprit la conversation avec Ceria. Aucun des deux aventuriers ne remarqua la fréquence avec laquelle Toren passait à côté de leur table malgré leurs verres remplis.
 
“Quelles étrange aubergiste.”
 
“C’est certain qu’elle est bizarre. Des Gobelins et un squelette. Mais Pisces est probablement à blâmer pour le squelette. Mais tout de même… des Gobelins.”
 
“Tu as vu ce que portait l’un d’eux à la ceinture ? Une… fiole de quelque chose ?”
 
Ceria sourit d’un air sombre.
 
“Mon [Instinct de Survie] s’est déclenché lorsqu’il l’a sortie. Devine ce qu’il y avait de dans ? De l’acide. Je suis allée voir dans la cuisine. Elle a des fioles de mouches acides…. une créature locale. On dirait qu’elle les a récoltées pour faire à manger.”
 
Gerial s’immobilisa en mâchant son pain, son appétit soudain volatilisé. Ceria secoua la tête.
 
“Oh, ne fait pas ton délicat. Les Drakéides en mangent, et les Antiniums aussi. Non pas qu’on ait vu beaucoup d’hommes-fourmis dans le coin mais je vois l’intérêt.”
 
“Mais des insectes…”
 
Gerial regarda son assiette, mal à l’aise, imaginant la manière dont un insecte aurait pu se faufiler dans un plat cuisiné. Ceria lui lança un regard noir.
 
“Tu crois vraiment qu’elle en a gardé en vie ? Ils étaient tous morts. Sérieusement, vous autres humains…”
 
Elle laissa sa phrase en suspens et secoua la tête.
 
“Mais bon, je comprends. Les insectes ne sont pas mes plats préférés non plus.”
 
C’est cette phrase qui faillit faire s’étouffer Gerial. Mais Ceria poursuivit, réfléchissant à voix haute.
 
“Je ne suis pas sûre de savoir si elle est simplement distraite ou si elle ne réalise pas à quel point armer des Gobelins peut être dangereux. L’acide en question fait fondre la peau en quelques secondes. Mais en plus ce ça, c’est bizarre qu’elle vive si loin de la ville.”
 
“Pas si loin que ça. Ça ne nous a pas pris plus d’une heure alors qu’on s’est perdus.”
 
“C’est vrai. Mais les monstres n’ont cure de la distance. Et ce squelette n’a pas l’air si puissant que ça.”
 
Gerial acquiesça. Le squelette ne tirait aucune de ses sonnettes d’alarmes internes lorsqu’il y réfléchissait comme à une ennemi. Il était dangereux, aucun doute… mais ce n’était pas une Liche ou une entité de mort-vivant encore plus puissante.
 
“Peut-être que c’est la seule protection qu’elle ait pu se permettre.”
 
“En ce cas, elle est soit téméraire, soit folle. Ou… pauvre. Pour tout dire, elle me rappelle Ryoka.”
 
Gerial dévisagea Erin avec incrédulité alors qu’elle se mettait à haranguer Toren.
 
“Et pourquoi donc, exactement ?”
 
Ceria haussa les épaules, incapable d’expliquer.
 
“Elles ne se ressemblent pas en termes de personnalité, mais c’est… juste une intuition.”
 
“Bah. Tant que les monstres ne sont pas un problème ici. Et c’est une bonne auberge.”
 
“Oui. Si on veut rester, il va falloir qu’on prévienne les autres. S’ils viennent et commencent à causer des problèmes… “
 
“Compris. Je le dirai aux autres quand je les verrai. Tu travailles toujours sur le sort… ?”
 
Ceria grimaça.
 
“Oui, j’y bosse. Il est complexe. Donne-moi deux jours et ce sera bon. On a probablement suffisamment de temps pour ça, non ?”
 
“Probablement. Calruz et le reste vont se voir pour en discuter ce soir, mais il va falloir interviewer d’autres aventuriers et voir ce qui a déjà été trouvé. À mon avis, tu as au moins quatre jours pour te préparer.”
 
“D’accord, en ce cas…”
 
Tous les aventuriers levèrent les yeux au son de pas excessivement lourds et massifs descendant les escaliers. Calruz cligna des yeux, et fronça les sourcils à l’attention du squelette lorsqu’il entra dans la salle commune.
 
“Salut, toi !”
 
Erin était déjà en train de poser un énorme tas de nourriture à la table à côté de Ceria et Gerial. Calruz grogna d’appréciation et s’assit.
 
Son repas était composé principalement d’œufs et de pain… et d’un bol de salade et de tomates pour une raison inconnue. Gerial fronça les sourcils en voyant qu’il n’y avait absolument pas de viande dans l’assiette et Ceria se frappa légèrement le front.
 
“Salut Mr Tête de Bœuf !”
 
De l’autre côté de la pièce, Gerial vit Sostrom s’étouffer sur sa boisson lorsque Erin s’adressa à Calruz. Le Minotaure fronça les sourcils et l’humaine lui sourit. Même assis, le Minotaure était presque à sa hauteur.
 
“Je n’étais pas certaine que tu manges de la viande. J’ai aussi du lard. Qui vient d’un porc… je crois, donc il n’y a pas de bœuf.”
 
“Je peux manger du bœuf.”
 
Grogna Calruz en réponse. Elle sourit, soulagée, et agita la main en direction de Toren. Le squelette s’approcha avec une énorme assiettée de lard grésillant. Le Minotaure l’accepta des mains d’Erin et grogna de satisfaction. Puis il l’examina de plus près.
 
“Un détail, Aubergiste. Mon nom est Calruz et je mène les Cornes d’Hammerad. N’importe quel titre me convient mais… je préférerais que tu ne m’appelles pas “Tête de Bœuf”.”
 
Erin se frappa la main sur le front.
 
“Oh non. Est-ce que c’est raciste ? Je suis désolée ! Je ne voulais pas t’appeler par le nom de ton peuple. Je dois dire quoi à la place ?”
 
La paupière gauche de Calruz tressaillit involontairement. Il prit une grande inspiration puis exhala lentement. Ceria et Gerial retinrent leur respiration.
 
“Nous ne sommes pas des bœufs. Ni du bétail.”
 
“Qu’est-ce que vous êtes, du coup ?”
 
Cette fois-ci, Calruz dévisagea longuement Erin pour voir si elle plaisantait. Mais elle paraissait parfaitement sincère.
 
“Un Minotaure.”
 
Wow. Je pensais que c’était peut-être le cas, mais tu ne ressembles pas du tout aux dessins.”
 
“Tu pensais que je ressemblerais à quoi, alors ?”
 
Erin agita vaguement les mains dans sa direction.
 
“Oh, je ne sais pas. Moins… poilu. Un peu comme un humain avec une tête de Minotaure. Et tes cornes sont vraiment cools.”
 
Elle pointa du doigt les longues cornes de Calruz et Gerial crut que le Minotaure allait exploser. Mais l’émerveillement d’Erin parut l’adoucir.
 
“Je ne sais pas de quels Minotaures tu as entendu parler. Mais j’accepte tes excuses.”
 
Il se mit à manger, de manière considérablement plus rapide que Gerial et Ceria mais en utilisant ses couverts et sans en mettre de partout. Erin hésita, clairement en train de penser à une autre question. Avec réticence, Calruz leva les yeux.
 
“Quoi ?
 
“Hum. Est-ce que tu aimes les labyrinthes ?”
 
***

Erin apprit beaucoup de choses sur les Minotaures ce jour-là. Ils étaient plutôt polis, de bons mangeurs, pouvaient vraiment manger du bœuf s’ils le voulaient - mais n’aimaient pas trop répondre à beaucoup de questions.
 
Elle regarda les Cornes d’Hammerad quitter l’auberge et se diriger vers la ville et regarda tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux. De l’argent, bien sûr - ils avaient payé en avance, et une belle somme avec ça, et ce n’était que pour la première nuitée. Et ils allaient revenir pour le dîner, mais c’était la dernière chose qu’ils avaient laissée qui la dérangeait.
 
De la vaisselle. Beaucoup, beaucoup de vaisselle.
 
Erin regarda les couverts et la porcelaine empilés et pointa Toren du doigt.
 
“Lave ça.”
 
Le squelette acquiesça - d’un air presque grincheux, nota Erin. Il souleva le seau d’eau et le versa dans une marmite pour chauffer l’eau sur le feu tandis qu’Erin ouvrait ses placards, appréhendant avec anxiété ce qu’elle allait y trouver.
 
Deux minutes plus tard, Erin sortit en trombes de l’auberge.
 
“Je n’ai plus de nourriture !”
 
Elle s’arrêta, courut à l’intérieur pour attraper sa bourse puis ressortit de nouveau en courant. Tor se précipita derrière elle.
 
“Reste ici ! Fais la vaisselle !”
 
Il stoppa net, les mâchoires s’entrechoquant, et Erin dévala la colline.
 
***

“Okay, mets-moi dixsaucisses et j’aurai besoin d’un sac de sel, aussi. Oh, et d’un peu d’huile de cuisson.”
 
Krshia acquiesça et cria quelque chose dans sa langue grondante à un autre Gnoll de l’autre côté de la rue. Les deux commerçants disparurent et se mirent à sortir les différents aliments qu’Erin avait demandé.
 
Erin s’était rendu compte qu’il était plus simple de s’adresser à Krshia pour faire ses courses. La Gnolle pouvait lui indiquer les bons commerçants et Erin savait ainsi qu’elle ne se faisait jamais arnaquer.
 
“Je te mets quelque chose d’autre avec ceci, Erin Solstice ?”
 
“Hum…”
 
Erin regarda autour d’elle. La Rue du Marché était encore à moitié détruite, mais les affaires avaient repris dans la partie qui n’avait pas été brûlée comme d’habitude. Et en effet, une grande partie de la rue brulée avait déjà été rénovée par des Ouvriers travailleurs. Les commerçants avaient déjà remis leurs étals en place, et si on faisait abstraction de la suie noire qui recouvrait certains bâtiments et une partie du sol, tout semblait relativement normal.
 
Les seules différences étaient la présence du Garde qui descendait la rue toutes les trois minutes et les regards noirs qu’adressaient les passants à n’importe quel humain qui pointait le bout de son nez. Erin en recevait une bonne partie, mais on aurait dit que les commerçants la connaissaient, et eux au moins ne marmottaient pas des insultes sur son passage. Ou du moins, nulle insulte qu’elle puisse entendre.
 
“Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu me recommanderais, Krshia ?”
 
La Gnolle mit les mains sur les hanches et réfléchit.
 
“Hum. Ce sont des aventuriers qui restent à ton auberge, oui ? En ce cas achète de la bière, ou quelque chose à boire, oui ?”
 
“De la bière ? Oh, bien sûr ! Parfait ! Mets-en moi, euh, un fût.”
 
Krshia sourit mais secoua la tête.
 
“Il faudra se contenter d’un tonnelet pour le moment. Transporter un fût est difficile, oui ? Et mon Coursier est… surmené. Il ne pourra pas t’amener tes marchandises avant demain, même sans avoir à traîner un fût, oui ?”
 
“Quoi ? Demain ?”
 
Le visage d’Erin se décomposa. Elle s’était habituée au Gnoll silencieux et peu aimable qui amenait un chariot à son auberge à chaque fois qu’il lui fallait une livraison. Certes, il ne “courait” pas, mais Krshia lui avait dit que les Coursiers de Rues utilisaient souvent des chariots pour porter les livraisons lourdes, au contraire des Coursiers de Ville. Elle n’avait aucune idée de ce que cela voulait dire.
 
“Tu ne pourrais pas t’arranger pour me l’amener plus tôt ? Je n’ai plus de nourriture à l’auberge !”
 
Krshia secoua de nouveau la tête et Erin dut reculer pour éviter une touffe de poils bruns volante.
 
“Mes excuses. Mais il y a beaucoup de travail en ce moment, oui ? Donc beaucoup de clients, ce qui est bien. Mais pas pour toi, oui ? Je peux te prêter un chariot, mais c’est tout.”
 
Inconsolable, Erin regarda la petite montagne de produits qu’elle avait achetés. Krshia l’avait marquée et mise de côté pour que le Coursier la récupère. C’était… eh bien, c’était beaucoup. Elle avait fait tous ces achats en se disant qu’elle n’aurait pas à les porter. Mais comme il fallait qu’elle le fasse, Erin regrettait soudain d’avoir commandé autant de choses.
 
Elle se demanda brièvement si elle pourrait se contenter d’en emmener un peu. Mais les aventuriers mangeaient tellement et c’étaient ses premiers véritables clients. Elle ne voulait pas les décevoir, mais le soleil était déjà haut dans le ciel et elle allait bientôt devoir faire le repas de midi.
 
Il n’y avait rien à faire. Amener Toren en ville causerait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Si elle voulait ramener tout ça, elle allait devoir faire plusieurs voyages avec son chariot et s’arrêter entre-temps pour nourrir ses invités. Erin soupira.
 
Mais son visage s’illumina soudain. Elle remarqua un groupe de gens qui fendaient la foule. Des gens qui sortaient de l’ordinaire selon elle, par rapport aux gens habituels qui composaient la foule de Liscor. Elle repéra une femme en armure d’argent, un type gigantesque avec un hache et plusieurs autres humains marchant aux côtés d’un grand Minotaure qu’elle reconnaissait.
 
Erin leva la main et l’agita.
 
“Hey ! Hey ! Capitaine des Cornes !”


***

“Quelqu’un peut me rappeler pourquoi on fait ça ? “
 
Se plaignit Gerald, Capitaine de la compagnie Argent connue sous le nom de la Fierté de Kyrial, en atteignant enfin le sommet de la petite colline où se dressait L4AUberge Vagabonde. Il portait son armure, évidemment, et sa hache de guerre iconique, mais l’homme musclé portait un autre fardeau.
 
Un sac d’oignons et cinq miches de pain frais, pour être précis. Et une expression agacée, mais ça ne pesait rien.
 
“Nous sommes ici parce que nous voulons utiliser cette auberge pour faire nos plans, et parce que l’aubergiste a besoin de provisions. Et parce qu’aider est poli.”
 
Yvlon sourit à Gerald et fit un clin d’œil silencieux à Erin en portant deux jambons.
 
“Exactement. Et ce n’est pas si lourd que ça.”
 
Ce dernier commentaire venait d’un Gerial pantelant. Il avait porté un sac de farine tout seul et regrettait son geste, surtout avec le poids de son armure.
 
Calruz grogna, irrité. Il lâcha d’un air déterminé les sacs de farine qu’il avait porté dans les bras de Toren lorsque le squelette sortit de l’auberge. Le squelette tituba sous le poids et porta son fardeau dans la cuisine.
 
“Ce n’était pas un travail de guerrier.”
 
“Non, mais c’était nécessaire, et j’apprécie beaucoup le geste.”
 
Erin sourit à Calruz en portant un sac plus petit dans la cuisine. Elle sortit la tête par l’entrebâillement de la porte.
 
“De plus, si vous ne m’aviez pas aidée, je n’aurais pas pu préparer le déjeuner ! Comme ça, tu pourras manger et de plaindre en même temps, M. Grincheux !”
 
Ceria sourit et posa les chapelets de saucisses sur la table.
 
“Touché. Elle t’a eu, là, Calruz.”
 
Yvlon et le reste des capitaines aventuriers lâchèrent leurs fardeaux sur les tables et examinèrent l’auberge. Cervial siffla d’un air appréciateur.
 
“Et vous avez eu toute cette auberge pour vous tous seuls ? On avait à peine la place de tenir debout dans notre auberge et on dormait à trois par chambre. Ça vous embête si on partage ?”
 
Gerial éclata de rire en se massant l’épaule.
 
“Parles-en à l’aubergiste, mais on occupe déjà la moitié du deuxième étage.”
 
“Et on ne cèdera pas nos chambres !”
 
Ajouta Ceria. La Demie-Elfe soupira en s’asseyant sur une chaise et accepta un verre d’eau de la part du squelette. Elle s’était habituée à la créature morte-vivante, mais les yeux des autres capitaines suivirent Toren alors qu’il rentrait dans la cuisine.
 
“Tu nous avais prévenus mais je n’avais pas cru que…”
 
“Ce n’est pas si extraordinaire. D’autres nations utilisent les morts-vivants, même si je n’avais jamais entendu parler d’un squelette serveur.”
 
Yvlon rejeta sa chevelure en arrière et sourit pour remercier Erin qui lui tendait un verre. Elle regarda le reste des capitaines qui se faisaient aussi servir des rafraîchissements et des promesses de repas pour les récompenser de leur travail.
 
“Eh bien, on est arrivés plus tôt que je ne le pensais, mais est-ce qu’on commence à planifier ?”
 
***

Le temps ne semblait pas être du côté d’Erin. Enfin, il passait, mais beaucoup trop vite à son goût.
 
On aurait dit qu’elle avait à peine eu le temps de se réveiller, faire le petit-déjeuner, et acheter un peu de nourriture avant midi. Et ensuite elle avait préparé le déjeuner, nettoyé, et soudain il était déjà l’heure du dîner.
 
Mais c’était le principe de s’occuper d’une foule de gens : ça prenait du temps, et Erin devait constamment préparer de la nourriture en prévision du moment où ils allaient la manger. Donc la nuit eut beau tomber rapidement, elle était très, très consciente du fait qu’elle avait dû travailler toute la journée pour y arriver.
 
Erin s’arrêta pour essuyer une pellicule de sueur de son front et grimaça en se rendant compte qu’elle venait de s’étaler de la sauce tomate dessus. Oh, soit. Ce n’était pas comme si son visage avait été immaculé avant ça. Et elle était trop occupée pour aller se laver.


Elle jeta un regard au ciel noir nuageux et se demanda s’il était temps de fermer les fenêtres de la cuisine. Elle avait ouvert les volets ici pour rafraîchir la cuisine, autrement affreusement chaude, mais on aurait dit qu’il allait pleuvoir et elle n’avait vraiment pas besoin d’ajouter à ses tâches un sol mouillé.
 
Les nuits se rafraîchissaient. Déjà, Erin s’était mise à fermer toutes les fenêtres dans la soirée, et ce soir il faisait particulièrement frais. De sombres nuages orageux avaient englouti le soleil plusieurs heures plus tôt et promettaient de larguer leur chargement à un moment dans la soirée.


“L’hiver vient.”
 
Toren s’immobilisa et tourna la tête dans sa direction. Il n’avait probablement pas entendu ce qu’Erin avait dit. Elle agita la main et il sortit de la cuisine.
 
Elle avait fini son assiette de spaghettis. Enfin… ses assiettes. Erin en souleva une dans chaque main avec précaution - elle pouvait en prendre plus, mais la porcelaine était lourde et elle n’était pas si pressée que ça - et entra dans la salle commune.
 
Une vague de bruit l’accueillit. Les aventuriers étaient assis dans la pièce, bavardant, riant, se disputant. La vision était si étrange dans son auberge qu’Erin dut marquer une pause. Mais elle travaillait et les assiettes étaient lourdes, donc elle se reprit et se dirigea vers les deux tables qui avaient été regroupées au centre de la pièce.
 
“Comment ça, il faut attendre?”
 
Calruz assena un poing sur la table, manquant de faire sursauter Erin. Il hurlait sur un groupe d’hommes et une femme - tous des aventuriers, apparemment. Ils étaient arrivés à l’auberge vers midi avec quelques amis et étaient restés après le repas pour discuter.
 
Enfin, surtout se disputer. Ceria et Gerial étaient assis à côté de Calruz, grimaçant lorsque le Minotaure exprimait son mécontentement. Chaque autre capitaine avait également son vice-capitaine avec lui.
 
“Nous ne sommes pas prêts à entrer là-dedans, Calruz. On a besoin de matériel, de provisions. On pensait pouvoir refaire nos stocks ici, mais tout est hors de prix et les commerces sont mal approvisionnés. De plus, il faut qu’on envoie des équipes de reconnaissance là-dedans. Et il y a d’autres aventuriers dont il faut que nous considérions la candidature…”
 
“On sait ce qu’il y a là-dedans. Et les Ruines ne sont qu’à une heure de marche de la ville ! On n’a pas besoin de provisions ni d’éclaireurs !”
 
“On a convenu qu’on se joindrait à vous, Calruz, mais ça ne veut pas dire qu’on se met tous sous ton commandement. Nous sommes tous égaux ici, et on ira là-dedans comme il se doit ou on n’ira pas du tout.”
 
C’était Lir qui avait parlé, le seule mage à la table si on ne comptait pas Ceria. Il sourit et remercia Erin lorsqu’elle posa son assiette devant lui. Puis il tourna de nouveau son attention sur Calruz.
 
“Il y a quelques rangs Argent dans la ville. Certains sont bons, je les connais. Ça ne ferait pas de mal de se joindre à eux, et comme l’a dit Cervial, on a besoin de temps. Un jour ou deux de délai ne nous en fera pas perdre. Moi, je suis surtout inquiet pour nos formations. Ceria a dit qu’elle pouvait apprendre le sort d’[Illumination] à temps, mais même si on a ça, comment est-ce qu’on compte s’y prendre pour la véritable phase d'exploration ? Je ne suis pas partant pour diviser notre avant-garde…”
 
Gerial s’agita. Il avait cessé de mâcher ses tranches de jambon pour regarder Lir d’un œil noir.
 
“Tu ne peux pas vouloir garder toutes nos forces en un seul bloc. Le temps que ça prendrait…”
 
Erin n’écouta plus. Elle était occupée, et les aventuriers se disputaient depuis le début de la journée. C’était mieux ça que, disons, une rixe de taverne, mais elle avait du boulot.
 
Elle tourbillonna dans l’auberge, prenant les commandes, remplissant les chopes, et, de manière générale, souhaitant être moins occupée. La porte s’ouvrit et Erin se tourna pour sourire et expliquer au nouveau venu que les squelettes et les Gobelins en général étaient gentils.
 
Elle n’eut pas besoin d’expliquer, parce que Pisces se tenait dans l’encadrement de la porte, clignant des yeux de surprise devant la foule massée dans l’auberge. Il s’arrêta, regardant autour de lui comme s’il pensait qu’il s’était trompé d’endroit. Erin lui fit un signe de la main.
 
“Va t’asseoir là-bas !”
 
Elle pointa du doigt une table isolée. Pisces hésita; examinant toujours les aventuriers, mais il finit par aller s’asseoir. Il marqua une pause en voyant la table où les capitaines aventuriers étaient assis.  Ils levèrent les yeux, et Ceria ouvrit la bouche.
 
“Pisces.”
 
Le [Nécromancien] hocha la tête.
 
“Ceria.”
 
“Arrête de déranger mes clients !”
 
Erin donna un coup de pied dans le dos du mage, à la grande joie de certains aventuriers. Pisces la fusilla du regard, et son indignation s’intensifia lorsque Toren s’approcha pour lui tendre un menu.
 
“Je me dois de protester ! Ma création n’est pas conçue pour les tâches subalternes. De plus, je suis un [Mage] accrédité et je mérite d’être traité…”
 
“À manger !”
 
Erin lâcha l’assiette devant Pisces et partit. Elle avait tant à faire ! Si c’était à ça que ressemblait la vie d’aubergiste, elle allait sérieusement avoir besoin d’un autre squelette. Ou de deux. Toren se précipitait de partout, servant les aventuriers vigilant avec une précision mécanique.
 
C’était pour cela qu’une auberge devait avoir des gens pour s’occuper de la cuisine et du bar. Maintenant qu’elle y pensait, un barman n’aurait pas été de trop, tout comme un autre tonnelet de bière. Erin n’en avait plus depuis longtemps et les aventuriers avaient été déçus de découvrir qu’elle n’en avait plus. Elle aurait probablement pu se faire une fortune rien qu’avec ça.
 
La porte s’ouvrit. Erin se tourna, prête à sourire, puis sourit pour de vrai.
 
“Olesm ?”
 
Le Drakéide bleu entra d’un pas incertain dans l’auberge, regardant autour de lui avec des yeux ronds. Il la repéra et se précipita vers Erin, sans se préoccuper des aventuriers qui s’étaient tus à son arrivée.
 
“Erin ! J’y suis arrivé ! J’y suis arrivé !”
 
“À quoi ?”
 
“Je l’ai enfin résolu !”
 
Le Drakéide fit une danse de joie autour d’Erin, en agitant le bout de parchemin. Elle cilla, confuse.
 
“Ça m’a pris des jours… non, presque une semaine ! Au final, j’ai dû rester enfermé, mais j’y suis arrivé ! Et j’ai gagné des niveaux ! Deux !”
 
“Quoi, deux ? Comment ça ?”
 
Elle l’obligea, non sans difficultés, à arrêter de s’agiter pour qu’il lui montre. Erin vit un morceau de papier quasiment recouvert d’encre et la notation pour quatre coups d’échecs. La solution d’un puzzle d’échecs. Son puzzle.
 
“Oh, tu y es arrivé ! Félicitations !”
 
Elle sourit à Olesm et il répondit par un sourire plein de dents. Il délirait de joie, mais ses yeux étaient également légèrement dans le vague, ce qui indiquait que le délire ne s’appliquait pas qu’aux échecs.
 
Les lézards n’avaient pas de blanc dans les yeux. Comme les Gnolls, leurs yeux étaient unis, et munis d’une pupille sombre de serpent au centre. Les yeux d’Olesm étaient d’une merveilleuse teinte de bleu avec un extraordinaire motif ressemblant à des gouttes de pluies en train de tomber.
 
Ils étaient aussi infectés de sang et plein de folie. Erin remarqua qu’Olesm avait l’air émacié, et plus maigre que la dernière fois qu’elle l’avait vu. Il avait également une odeur de saleté et… était-ce de la peau morte sur le côté de son cou ? Non… des écailles mortes. Elles s’écaillaient, et plus Erin les regardait, plus cela ressemblait à une horrible mycose.
 
Elle essayait vraiment de ne pas y prêter attention, vraiment. Mais c’était extrêmement difficile d’en faire abstraction.
 
Olesm remarqua ce qu’Erin regardait et rougit. Il couvrit immédiatement la zone de la main.
 
“Hum… je suis tellement désolé. Je ne me suis pas lavé depuis un bout de temps. J’étais juste tellement heureux d’y être arrivé que je me suis précipité ici. Mais j’y suis enfin arrivé ! C’était le plus grand défi que j’aie jamais eu, et les récompenses étaient… extraordinaires !
 
Il sourit, proche de l’extase. Erin ne put s’empêcher de sourire avec lui en l’amenant à une table vide et en faisant signe à Toren de lui amener à boire.
 
“Ça t’a pris une semaine, huh ?”
 
“Je pense un tout petit peu moins.”
 
Olesm accepta la chope avec reconnaissance puis dévisagea avec horreur la créature qui la lui avait apportée. Pendant ce temps, Erin essayait de se souvenir. Elle lui avait donné un problème d’échecs ? Oh ! Oh oui, c’était celui qu’elle avait envoyé au mystérieux amateur d’échecs. Olesm avait dit qu’il allait en faire une copie.
 
Et cela ne lui avait pris qu’une semaine ? Erin était… impressionnée.
 
Elle était impressionnée. Elle avait mis presque une semaine à résoudre le problème aussi. Certes, elle avait dû chercher pendant ses pauses entre les cours. Et elle avait été au collège. Mais quand même.
 
La différence, c’était qu’Olesm n’avait jamais appris les stratégies de base qu’Erin avait utilisées pour bâtir sa connaissance des échecs. C’était en partie la raison pour laquelle elle pouvait encore rouler sur lui et sur n’importe qui d’autre, même si Olesm était probablement le meilleur. Et ça expliquait pourquoi il n’était pas passé depuis longtemps. Elle l’avait oublié, pour tout dire…
 
“Erin ! Erin!”
 
Olesm tirait la main d’Erin. Elle s’ébroua et vit que les écailles bleues du Drakéide avaient pâli.
 
“Qu’est-ce qu’il y a ?”
 
“Il y a un… un squelette !”
 
IL pointa d’une griffe et sa serre trembla en voyant Toren apporter une autre assiette de nourriture à Calruz. Erin regarda le squelette d’un air désabusé.
 
“Ouais. C’est Toren.”
 
“Toren ? C’est… que fait un squelette ici ? Est-ce que ce [Nécromancien] l’a invoqué ?”
 
Erin réalisa qu’Olesm n’avait encore jamais vu Toren. Elle essaya d’expliquer. Olesm essaya d’écouter. La salle commune était plutôt bruyante.
 
“Quoi ? Et tu l’as accepté ? Mais les morts-vivants…. ils sont tellement dangereux ! De plus, un squelette ne vaut pas tous les repas que Pisces a mangés !”
 
Les yeux d’Erin se plissèrent et elle fusilla Pisces, qui était à l’autre bout de la pièce, du regard. Il essayait déjà d'éviter le regard de Ceria, la Demie-Elfe le dévisageant de temps en temps, mais il se recroquevilla aussi sous le regard d’Erin, bien qu’il n’eût pas pu savoir ce dont Olesm et elle parlaient.
 
“Oh vraiment ?”
 
Olesm acquiesça. Il se mit à dévorer la nourriture que Toren lui avait apporté, clairement affamé.
 
“Leurs sorts d’entrave ne durent pas si longtemps que ça. Le squelette moyen s’effondre en une journée ou deux après son animation, et même si le nécromancien utilise une entrave infinie, le sortilège s’éteint dès qu’ils accumulent trop de dégâts. Et ils sont étonnamment fragiles !”
 
“Eh bien, celui-ci ne s’est pas effondré et il a déjà été mis en pièces une fois.”
 
Olesm fronça les sourcils.
 
“Vraiment ?  C’est inhabituel. La plupart des mages ne perdent pas autant de mana sur un simple squelette.”
 
“Je pense que celui-ci est différent. Il est assez intelligent pour prendre les commandes et servir à boire, par exemple.”
 
 
Le Drakéide suivit des yeux le circuit de Toren dans la salle et hocha lentement la tête.
 
“C’est vrai. Et c’est bizarre, ça aussi. Il est très intelligent… est-ce qu’il peut jouer aux échecs, par hasard ?”
 
“Quoi ?”
 
Erin sourit et Olesm éclata de rire.
 
“Tu ne penses donc qu’à ça ? On dirait moi quand j’étais petite !”
 
Le Drakéide rougit et baissa la tête. Puis il hésita et regarda autour de lui.
 
“Je ne pensais pas que tu serais aussi débordée… j’espérais faire une partie, mais je ne voudrais pas t’empêcher de travailler. Où est la petite Gobeline ou l’Ouvrier, Pion ?”
 
Le sourire d’Erin s’effaça. Elle avait presque oublié les événement de la veille.
 
“Je n’ai pas vu Loks ou ses amis aujourd’hui. Ils doivent être en train de faire des trucs de Gobelins. Mais… les Ouvriers ne viendront probablement pas avant un petit moment. Il y a eu un… incident avec Pion.”
 
Olesm parut inquiet.
 
“Que s’est-il passé ?”
 
Quelqu’un appelait Erin. Elle regarda autour d’elle, distraite, et fit la moue.
 
“Je te dirai plus tard ! Attends que les choses se calment un peu et on fera une partie, d’accord ?”
 
Avec réticence, Olesm acquiesça. Toutefois, son visage s’illumina lorsque Erin lui apporta à manger, et il attaqua son assiette. Erin alla voir l’aventurier qui lui faisait signe, et sa quête sans fin pour la satisfaction du client continua.
 
***


Plus tard. Plus tard dans la nuit. Erin était épuisée jusqu’à l’os, mais elle souriait toujours et, étonnamment, elle s’amusait bien. Les aventuriers n’étaient pas des imbéciles et ils aimaient bien sa cuisine. Et ils avaient de l’argent ! Ce n’était pas mal de travailler pour une fois, et Erin se demanda combien d’argent lui aurait rapporté la soirée.
 
Pas une mauvaise pioche. Mais elle était fatiguée. Elle s’arrêta, s’essuya le front et accepta un verre des mains de Toren.
 
“Hey, bon travail. Tu ne t’en sors pas si mal.”
 
Le squelette s’immobilisa et hocha la tête. Elle cligna des yeux, perplexe, en le voyant ressortir de la cuisine.
 
“Ces squelettes. Ils pensent qu’ils sont aussi bons que des vrais gens.”
 
Elle rit, et ressortit. Les commandes s’étaient enfin arrêtées, et il lui suffisait à présent de remplir les verres et faire la monstrueuse vaisselle entassée à la cuisine. Toren pourrait s’en occuper. Erin allait simplement remplir un seau d’eau au torrent et la faire bouillir avant d’aller s’asseoir faire une partie d’échecs avec Olesm, et peut-être Pisces.
 
Elle avait un seau à la main et se dirigeait vers la porte lorsque cette dernière s’ouvrit. Deux Ouvriers entrèrent. Erin leva une main pour les saluer…
 
Et la moitié des aventuriers de la pièce empoignèrent leurs armes.
 
“Whoa ! Hey ! Baissez vos épées !”
 
Hurla Erin lorsque les aventuriers se mirent à repousser leurs chaises en arrière, faisant tressaillir les Ouvriers. Elle se mit entre les aventuriers et la porte.
 
“Ce sont mes invités ! Mes invités ”
 
“Des Antiniums !”
 
“Les Insectes !”

Certains aventuriers étaient en train de crier, mais les capitaines furent les premiers à se remettre de leur surprise. Gerald attrapa l’épaule d’un aventurier qui était en train de se lever et le fit se rasseoir.
 
“Pas de bagarre !”
 
C’était Cervial. Il haussa la voix et cria sur les aventuriers.
 
“Ils font partie de Liscor ! Si vous les blessez, c’est la cité qui se retournera contre vous ! Ils ne sont pas ici pour se battre ! Ce sont des Ouvriers.”
 
Erin ignora les cris et laissa les Capitaines restaurer l’ordre dans l’auberge. Elle regarda les Ouvriers, confuse.
 
“Pourquoi êtes-vous ici ? Je croyais que vous ne pouviez pas sortir de la ville.”
 
Pas sans Pion. Mais l’esprit d’Erin rattrapa ce qu’elle venait de dire.
 
“Pion ?”
 
“Oui, Aubergiste Solstice. Mais il y a un problème…”
 
L’Ouvrier ouvrit la porte. Erin vit deux autres Ouvriers en train d’aider l’un des leurs à entrer. Il leur ressemblait, ils étaient tous identiques, mais il était pourtant différent.
 
Pion.
 
Il allait bien. Il était vivant. Erin sourit lorsqu’il entra en titubant dans l’auberge. Mais alors son sourire se figea.
 
Les aventuriers, qui avaient été en train de protester contre la présente des Ouvriers, jetèrent un regard à Pion et se turent. Plusieurs armes furent ressorties des fourreaux. Dans le silence de mort, quelqu’un jura bruyamment.
 
Les deux Ouvriers durent aider Pion à entrer dans l’auberge. Il vacilla. Une traînée de sang vert le suivait. Les yeux d’Erin furent happés par la couleur. Tellement verte. Tellement vibrante.  Une couleur qu’elle avait déjà vue sur ses propres mains.
 
L’Antinium du nom de Pion leva les yeux sur Erin. Elle lui rendit son regard. Ses pensées s’étaient… arrêtées. Elle le dévisagea.
 
C’était toujours Pion. Mais il lui manquait une antenne, celle que Ksmvr avait coupée. Et il lui manquait aussi des bras. Trois. Et une partie d’une jambe.
 
La porte se referma et une pluie froide se mit à tomber.
« Modifié: 31 mai 2020 à 19:50:34 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #58 le: 27 mai 2020 à 14:12:52 »
1.38
Traduit par Maroti

« Je suis un individu. Je suis un Antinium. »

Ce fut la première chose qu’Erin entendit Pion murmurer. Il s’était assis et avait arrêté de saigner sur le plancher alors qu’elle enroulant un bandage autour de ses moignons.

Les potions de soins que les aventuriers avaient utilisés avait arrêté le saignement, mais il n’y avait aucun moyen de restaurer des membres coupés. Et ses plaies ouvertes étaient toujours exposés à l’air libre. L’Antinium n’avait pas de peau, que de l’exosquelette, et cela faisait que les moignons soignés étaient toujours vulnérables.

Il murmura alors qu’Erin s’assit pret de lui. La demi-elfe nommé Ceria et les autres aventuriers s’était regroupé autour d’elle ou la regardait depuis leurs tables en tant que spectateurs silencieux. Mais toute l’attention d’Erin était concentrée sur l’Antinium devant elle.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Il trembla.

« Des questions m’ont été posées. J’ai été testé. J’ai réussi. »

Erin regarda son cœur brisé. Trois bras avaient été coupés. Et une partie de son pied… Sa carapace était craquées à plusieurs endroits, et coupé à d’autres.

De la torture.

« Est-ce qu’il va revenir pour toi ? Ksmvr ? »

Le nom figea Pion comme un… Un cafard se faisant prendre dans la lumière. Il commença à trembler de manière incontrôlable alors que les deux Ouvriers durent le tenir pour qu’Erin puisse terminer le pansement.

« Il… Le Prognugator m’a laissé partir. Il m’a laissé partir. Je suis un individu. Pas une Aberration. Il m’a laissé partir. »

Pion répéta les mots à plusieurs reprises, se balançant en avant et en arrière. Erin le regarda. Elle ne savait pas quoi faire.

« Erin… »

Elle regarda autour d’elle. Ceria était en train de regarder l’Antinium.

« Qui est-ce ? »

« Pion. C’est Pion. Il est un Ouvrier. »

« Non. »

Les quatre Ouvriers prononcèrent le nom d’une même voix. Erin les regarda. Ils parlèrent à l’unisson.

« L’individu connu sous le nom de Pion n’est plus un Ouvrier. »

« Alors qu’est-ce qu’il est ? »

« Un Individu. Un Antinium. Pas une Aberration. »

Ceria regarda Erin.

« Cela doit avoir quelque chose en lien avec les Antiniums en ville, pas vrai ? Est-ce qu’ils se sont… Battus ? J’ai entendu parler des Prognugators. Si ce Ksmvr en a après ton ami… »
« Non. Non ! »

Pion agita son bras valide. Les Ouvriers durent le maintenir de nouveau.

« Je ne suis pas une Aberration. Je ne le suis pas. Je suis… »

Il était incohérent, au du moins Erin n’avait jamais vu un Antinium plus incohérent. Elle le regarda, alors qu’il continuait de trembler. Et s’il le pouvait, Erin était certaine qu’il serait en train de pleurer. Mais trembler était la seule chose qu’il pouvait faire.

C’était étrange. Erin pensa qu’elle devait être pleine de… Quelque chose en cet instant. De la rage, peut-être, ou de chagrin. Mais à la place, il n’y avait rien. À l’exception de quelques pensées.

Pion était toujours en train de babiller. Il continuait de répéter son innocence alors que les autres aventuriers le regardaient, impuissant. Certains semblaient dégoûtés, d’autres étaient véritablement compatissants. Et certains étaient simplement silencieux, car ce n’était pas le moment pour s’exprimer.

Erin n’avait pas de temps à perdre avec eux. À la place, elle marcha lentement jusqu’à une table. Olesm était paralysé dans son siège. Il leva de grands yeux ébahis vers elle. Mais elle ne s’adressa pas à lui. À la place, elle s’empara de ce qui se trouvait devant le Drakéide.

Un échiquier.

Ceria cligna des yeux alors qu’Erin le ramena à la table. Mais les yeux de Pions étaient fixés sur la planche de bois alors qu’Erin la déposa en face de lui. Pion leva les yeux et croisa son regard, et elle sentit le vide en elle s’approfondir.

Lentement, les deux Ouvriers dressèrent Pion et il bougea pour pouvoir atteindre l’échiquier avec son bras restant. L’ancien Ouvrier hésita avant de bouger.

Il trembla comme une feuille en pleine tempête. Pion tâtonna vers les pièces d’échecs avec son dernier bras, essayant maladroitement d’organiser les pièces et les faisant tomber, tremblant.

Erin regarda l’Antinium et ne ressentit pas la moindre trace de furie en elle. Pas de furie noire, pas de rage brûlant avec le pouvoir d’un millier de soleils. Rien.

Ses mains étaient calmes alors qu’elle prit les pièces de Pion et les installa sur l’échiquier. Elle arrangea ses pièces et les siennes avec précautions. Il avait les blancs, elle avait les noirs. Il fit maladroitement avancer un pion et elle répondit.

Gambit Dame. Défense Hollandaise. Erin écrasa Pion en quelques coups. Sans aucune pitié. Sans culpabilité ou hésitation.

L’Antinium vacilla. Elle le sentit et le vit hésiter, et vit les autres Ouvriers autour de lui le regarder. Mais elle prépara de nouveaul’échiquier et commença de un autre partie.

Ouverture du Pion Roi. Défense Française. Erin joua l’inverse que ce qu’à quoi Pion s’attendait, restant sur la défense et capturant ses pièces lentement. Elle gagna de nouveau, de manière écrasante.

Rien. Pas de sensation. Erin joua dans un vide de calme, jouant de son mieux contre un Pion brisé qui pouvait à peine bouger ses pièces. Elle reprépara l’échiquier et ils jouèrent de nouveau.

Encore, et encore. Un silence de glace, un silence de forêt. Le silence des jours sans fin des déserts ouverts ou le vent dévorait tout et où le sable était la seule chose qui changeait. Le silence de l’océan béant lors d’un jour ensoleillé, vaste et bruyant, engouffrant toutes choses et transformant le monde en un paysage turquoise.

Le silence de l’éternité, retransmit dans le doux claquement des pièces d’échecs sur un échiquier.

De nouveau, Pion joua et Erin gagna. Elle fit tourner l’échiquier et fit le premier coup. Elle gagna de nouveau.

Il était seul. Seul, et à peine la moitié de la joueuse qu’elle était. Mais quelque chose qui avait été coupé revenait avec chaque partie. Lentement, l’Antinium arrêta de trembler.

Il joua. Il perdit. Et Erin ne ressentit rien. Mais chaque partie était une petite tranche d’éternité coupé et partagé entre les deux, un moment de guérison, un moment de concentration et de silence. Un moment immortel.

Et quand cela se termina, les parties se terminèrent quand le soleil se coucha et que la nuit tomba avant de redevenir le jour de nouveau. Elle laissa l’Antinium pousser son roi avec douceur. L’Antinium avait arrêté de trembler, et il était assis au milieu d’un cercle silencieux d’Ouvriers, de Gobelins, et même de quelques aventuriers qui regardaient toujours les parties. Un unique squelette errait autour d’eux avec un plateau de nourriture en main, regardant avec de yeux qui voyait pour toujours dans la mort et à jamais piégé dans une partie d’échecs.

Mais Erin ne ressentait toujours rien. Il n’y avait pas  de lueur de douleur, de colère ou de tristesse. Les émotions étaient trop grandes pour elle. Mais qu’importe ce qui était en elle, cela la poussa en avant. Erin le sentit bouger en elle, comme le changement d’une marée. Un sentiment vaste et profond.

Elle parla alors que Pion baissa la tête, engourdie par le sommeil.

« Ksmvr. »

Le mot tira l’Antinium de son engourdissement en tremblant. Mais il était désormais assez fort pour entendre le nom, assez fort pour écouter et ne pas pleurer. Erin croisa les yeux de Pion et vit une personne lui rendre son regard à travers des yeux d’insectes à plusieurs facettes.

Elle ne fit pas de promesses, elle ne prononça pas de mensonge. Erin se pencha et serra l’insecte Ouvrier, sa carapace glacial au contact, l’enlaçant avec douceur. Elle se leva et prononça trois mots.

« Je suis désolé. »

La porte se ferma doucement derrière Erin. Et pendant un instant tous les aventuriers observèrent, toujours prit dans un fragment d’éternité. Puis le silence fut brisé par un choc et des insultes alors que la moitié des aventuriers de l’auberge foncèrent pour la rattraper.

***

« Erin ! »

Ceria fut la première hors de l’auberge. Elle n’était pas une guerrière, mais son héritage lui donnait grâce et vitesse, et elle n’était pas ralenti par de l’armure.

La Demi-Elfe couru dans la nuit pluvieuse et réalisa que l’autre fille avait déjà disparu. La porte s’ouvrit alors qu’Yvlon et Cervial s’arrêtèrent juste derrière elle.

« Où est-elle passé ? »

« Vers la ville, sans doute. Mais elle doit êtrerapide. Je n’arrive même pas à la voir d’ici. »

« Alors partons derrière elle ! Si elle essaye de se battre avec… »

« Les humains »

Ceria cracha le mot, plutôt comme un juron face à la situation qu’une attaque contre Erin. Elle regarda Yvlon.

« Je peux y aller mais cette Antinium à besoin d’être surveillé. Et je n’ai pas de Compétences de mouvement. Est-ce que tu… ? »

« Bien sûr. Tu retiens Calruz. »

« D’accord. Et si elle arrive en premier, n’affronte pas celui qui s’appelle Ksmvr. L’attaquer reviens au même qu’attaquer la colonie. »

Cervial hocha la tête. Il regarda autour de lui, sa vision nocturne bien plus efficace que celle de Ceria.

« Allons-y. Je n’arrive pas à la voir. La fille doit avoir une Compétence pour courir. »

Sans un mot, les deux capitaines partirent vers la ville, devenant rapidement des taches floues au loin. Ceria les regarda partir et se retourna. Elle vit les autres aventuriers se tenir dehors, en proie à l’indécision.

« Si vous voulez partir, partez. Mais uniquement pour ramener l’aubergiste. Se battre là-bas serait une erreur. Mais cela serait mieux si moins de gens se retrouvent dans les ténèbres. Nous ne savons pas quel genre de monstre vit dans les environs. »

À ces mots, la plupart des aventuriers retournèrent dans l’auberge. Ou du moins, essayèrent de rentrer dans l’auberge. Ils durent reculer alors qu’une grande forme les bouscula pour se frayer un chemin.

Calruz émergea de l’auberge, le visage noir et colérique. Aucun humain ne voulait se mettre en travers de son chemin, mais Ceria se planta sur le passage du Minotaure.

« Où est-ce que tu penses aller ? »

« Après l’aubergiste. Où d’autre ? »

« Yvlon et Cervial sont déjà à sa recherche. Dans tous les cas, tu n’es pas capable de la rattraper. »

Calruz grogna.

« Qui dit que je vais la rattraper ? L’enfant a besoin d’une seconde personne pour un vrai duel à mort. »

« Tu ne partira pas. Si nous causons une perturbation… »

« L’honneur est en jeu. Tu ne m’arrêteras pas. »

Ceria sentit une massive main la pousser sur le côté. Elle pensa à plusieurs sorts qu’elle pouvait utiliser et abandonna l’idée en voyant l’expression du visage de Calruz. Elle regarda, impuissante, le Minotaure s’éloigner en direction de la ville.

« Les deux autres seront peut-être capables de l’arrêter. S’ils trouvent l’aubergiste à temps. »

Gerial s’exprima bruyamment derrière Ceria. Elle dut hausser la voix pour se faire entendre par-dessus la pluie battante. Elle était déjà trempée, mais au moins ses robes enchantées ne se gorgeaient pas d’eau.

« J’espère juste qu’elle ne va pas véritablement essayer de combattre cette Antinium… Ou qu’importe qui il est. Elle n’est pas une guerrière. »

« Non. »

Les deux membres principaux des Cornes d’Hammerad échangèrent un regard. Ils le ressentirent tous les deux. Ce soupçon de déjà-vu

« Si tu veux y’aller… »

« Non. Calruz ne t’écouteras pas plus que moi. Et s’il commence vraiment un combat, c’est mieux qu’il soit le seul à se battre. Surtout que… »

« Surtout que ? »

Gerial regarda à travers la pluie, les poings serrés.

« Si je me rends là-bas je ne sais pas si je serais capable de m’arrêter. »

Ceria suivit son regard. La nuit était sombre et orageuse. Elle parla avec distance.

« Ce n’est pas ce qui m’inquiète. »

« Quoi ? »

« C’est la nuit. Et… Le timing de cette histoire. »

Ceria s’arrêta. Gerial la regarda. Ils se faisaient confiance, et les aventuriers avaient appris à suivre leurs instincts. Ceria trouva ce que son instinct lui disait et parla de nouveau.

« Ça ressemble à un piège. »

***

Ksmvr se tenait au sommet d’une colline. Il n’était pas dans l’enceinte des frontières de Liscor. C’était important qu’il ne le soit pas.

Les frontières. Les lois. Ksmvr les comprenait. Elles étaient importantes. Les lois et l’ordre était les fondations de la Colonie, et s’était en les suivant que tout pouvait être compris.

Des pactes avaient été faits. Les soldats de la Colonie n’était pas permis sur la surface à l’exception des urgences, ou de guerre. Et même si la définition d’urgence pouvait être utilisé dans bien des occasions, emporter des soldats au-dessus du sol amènerait quand même son lot de questions. Et la Reine ne devait pas être distraite.

Mais il n’y avait pas de pacte de la sorte en dehors du territoire de la ville. Par conséquent, quatre Soldats Antiniums se tenaient silencieusement aux côtés de Ksmvr, des géants silencieux attendant un ordre. Ils étaient l’élite, peut-être pas aussi puissants que lui de manière individuel, mais proche. Ensemble, ils étaient plus que suffisant pour maîtriser une [Aubergiste].

Cela était peut-être trop pour un seul humain, mais l’Antinium ne voulait rien laisser au hasard. Et Erin Solstice avait établi sa valeur. Initialement, Ksmvr n’avait su que ce que sa Reine lui avait dit, et il avait pensé qu’elle était insignifiante. Sans valeur.

Mais, et voilà ce qui était difficile, Erin Solstice était importante. Elle avait de la valeur. Elle était peut-être unique. Sa Reine s’était trompé quand elle avait jugé la valeur d’Erin et cela dérangeait grandement Ksmvr.

Mais son devoir en tant que Prognugator était de protéger et servir la Colonie. Et c’était ce que Ksmvr s’apprêtait à faire. Il attendait Erin Solstice avec la certitude qu’elle allait venir.

Ses actions étaient consignées dans un dossier. Plus encore, le processus de pensée des humains était bien connu de Ksmvr. Elle viendrait, furieuse et pleine de vengeance pour se faire prendre et l’individu connu sous le nom de Pion serait récupérer sans la moindre difficulté. Des obstacles mineurs comme les Gobelins, les aventuriers et le squelette n’étaient pas des menaces.

Ksmvr modifia sa position sur le sommet de la colline qui lui offrait une vue de la zone entourant la ville. Il ne s’ennuyait pas. Il était incapable de s’ennuyer. Mais le temps qu’il avait passé à atteindre le dérangeait.

Les Soldats derrière Ksmvr ne bougeaient pas. Ils attendaient, alerte et prêt à réagir contre n’importe quelle menace. Ils étaient aussi incapables de s’ennuyer.

Mais Relc s’ennuyait franchement. Le Drakéide bailla et les cinq Antiniums se tournèrent vers lui. Les épées et dagues de Ksmvr sortirent de leurs fourreaux et les Soldats levèrent immédiatement leurs mains aussi épaisses que des gourdins.

« Du calme. »

Relc s’assit dans l’herbe, apparaissant hors du paysage sombre comme par magie. Ce n’était pas de la magie, bien sûr, mais la boue et les écailles noires du Drakéide l’avait rendu pratiquement invisible dans l’herbe.

Ksmvr leva une main et donna un ordre mental aux Soldats, mais ni lui ni les soldats se relaxèrent. Il garda ses épées pointées vers le sol.

« Garde Vétéran Relc. Avez-vous affaire avec moi à cette heure ? Si cela est le cas, je sollicite que cela attende demain. »

Relc se gratta l’arrière de la tête. Il regarda Ksmvr et détourna le regard.

« Quoi ? Oh, non, non. J’ai rien à faire avec toi »

Ksmvr attendit, mais Relc n’ajouta rien. Un questionnement plus en profondeur était nécessaire.

« Puis-je m’enquérir sur la raison de votre présence ici ? »

« Vas-y, enquiert-toi autant que tu veux. »

Plus de silence. Ksmvr était conscient que Relc était délibérément obstiner et conflictuel. Une troublante complication.

« Pourquoi avez-vous suivi mon groupe ? »

Relc leva ce qui aurait dû être un sourcil.

« Je n’ai pas… »

« Ne mentez pas, s’il vous plaît. Il n’y a pas d’autre raison pour laquelle vous serez dehors et ici à cette heure de la nuit. En outre, vous n’êtes actuellement pas en poste. Pourquoi êtes-vous ici ? »

Les Soldats Antiniums bougèrent légèrement. Relc les regarda sans être impressionné. Il tira sa langue à la manière des serpents et hocha les épaules.

« Je suis juste en train de me balader. Et j’ai, heu, fait une sieste. Dans la pluie. Ce qui m’arrive assez souvent. »

Parler avec les gens, ou plutôt, interagir avec ceux qui n’étaient pas de la Colonie était difficile. Et Ksmvr n’était pas habitué aux conversations avec les étrangers en premier lieu. Cependant, il persista, garda un œil sur le paysage sombre pendant tout ce temps.

« Alors allez-vous retourner en ville ? »

« Peut-être. Quand le temps sera venu. Je suis juste en train de m’amuser. »

« Je vois. Et vous allez rester ici tant que nous restons ici ? »

« Oh, non. Je vais bientôt partir. Dès qu’une certaine idiote d’humaine rentre dans son auberge saine et sauve. »

Ksmvr interpréta cette information et les Soldats l’entourant levèrent leurs mains. Relc les salua d’un mouvement de sa queue.

« Arrête ça. Je ne suis pas là pour me battre. Et tu n’es pas ici pour te battre non plus, vu que je gagnerai. »

C’était une déclaration qui n’était pas dépourvu de sens, du moins, les chances de victoires de Relc étaient plus élevées que celle de Ksmvr. Et cela compliquait profondément les choses. Par conséquent, Ksmvr essaya un plus haut degré de diplomatie qu’auparavant.

« Votre présence n’est pas nécessaire. Si Erin Solstice coopère, elle ne sera pas blessée. »

« Ouais, mais je ne pense pas qu’elle va coopérer. Pas vrai ? Et franchement, même si tu comptes la nourrir avec une cuillère en or, je ne pense pas que tu devrais la prendre. »

« Erin Solstice n’est pas une citoyenne de Liscor. Vos devoirs ne s’étendent pas… »

« Tu peux pas te la fermer ? »

Relc se prononça de manière aimable, mais avec un tranchant qui fit décida à Ksmvr que le silence était la plus appropriée des réponses. Le Drakéide secoua la tête.

« Tu sonnes tout comme Klb quand… Enfin, quand je l’ai rencontré pour la première fois. Je n’aime pas ça. Donc tu la fermes vu qu’il faut que je te l’épele. Voilà ce qui va se passer, Erin Solstice va courir jusqu’à la ville, probablement avec sa stupide poêle à frire et elle ne va pas te trouver toi et tes grands amis Antiniums. Elle va donc rentrer dans son auberge saine et sauve. »

« Vous la protégez. »

« Je suppose. »

« Pourquoi ? »

Relc s’arrêta.

« Je l’aime bien. Enfin, je l’aimais bien. Maintenant je pense qu’elle est une foutue idiote d’humaine comme les autres. Mais au moins elle fait de bonnes pâtes. Et… Disons que c’est une faveur. Klbkch est mort en la protégeant. Je me suis dit que ça serait dommage si tous ses efforts étaient gâchés. »

Il y avait une incohérence dans ce que Relc venait de dire et Ksmvr se jeta dessus, confiant dans son succès.

« Klbkch était un membre de la Colonie. En obstruant mon travail, vous obstruez la Colonie. »

Étrangement, Relc ne répondit pas avec cette inconsistance logique comme Ksmvr l’avait prévit. Il haussa simplement les épaules.

« Ouaip. Mais toi, je t’aime pas. »

Parler avec les non-Antiniums était tellement… Tellement frustrant. Ksmvr sentit une émotion inconnue en lui. Troublant. Mais il persista.

« Je suis Prognugator des Antiniums Libres de Liscor. Mon autorité… »

« Ta gueule. »

Nouvelle tactique.

« J’ai quatre Soldats avec moi. »

Relc bailla. Il regarda les Antiniums silencieux, dont les mains étaient littéralement des armes. Leurs carapaces étaient aussi résistante qu’une armure de plaque non enchantée, et ils possédaient de nombreuses habilités inhérentes aux Antiniums que les autres espèces ne possédaient pas. Quand bien même, Relc ne semblait pas intimider.

« J’ai entendu dire qu’un soldat qui vient de finir sa croissance est équivalent à un [Guerrier] de Niveau 15 pour la plupart des espèces. Intéressant. Mais si vous pensez vraiment pouvoir me foutre la frousse, j’arracherai volontiers leurs têtes pour toi. Les Antiniums n’ont jamais attaqué Liscor dans la seconde guerre, donc vous n’avez pas la moindre idée à quel point je suis puissant. »

Ksmvr fit une pause et pencha sa tête alors qu’il accéda aux informations nécessaires.

« Relc Grasstongue, ancien sergent du 1er régiment des Ailes de l’armée de Liscor. Actuellement Niveau 33 dans la classe de [Maître des Lances], et Niveau 12 dans la classe de [Garde]. Des niveaux négligeables dans la classe d’[Archer] et aussi dans la classe de [Charpentier]. Possède principalement des compétences de combats ainsi que la rare compétence de [Triple Estoque].

« … Foutus insectes. Est-ce que Klbkch t’as dit tout ça ? »

Du dialogue. Enfin. Ksmvr n’avait pas de muscle facial, ou du visage, pour sourire, mais une partie de lui se sentait soulagé. Il essaya de continuer la conversation.

« Klbkch avait estimé que, si nécessaire, il serait capable de vous retenir pendant cinq minutes et d’infliger de sévères blessures avant de mourir. Si l’ordre était donné de vous éliminer, il prédisait qu’une attaque surprise avait une chance non-négligeable de vous tuer. »

Le regard que lui lança Relc n’indiqua pas une réaction positive à la conversation.

« Je ne t’aime vraiment pas, tu sais. »

« Vos sentiments n’ont que peu d’importance pour moi. Ma position est temporaire. »

« Tant mieux pour toi, je suppose. Au fait, pourquoi est-ce que tu parles autant ? »

« Je suis en train d’essayer de construire le même niveau de camaraderie partagé entre vous et l’ancien Prognugator Klbkch. »

Une nouvelle pause, et cette fois l’expression de Relc s’assombrit.

« Enfin. Je… Non. Je vais me tenir là-bas et atteindre qu’Erin passe. »

Il commence à s’éloigner. Ksmvr l’appela.

« Seize autres Soldats sont actuellement en train de converger vers cet emplacement. Vous ne serez pas capable de tous les arrêter. »

Relc s’arrêta. Ksmvr ne pouvait pas le voir, mais le Drakéide donna l’impression qu’il était en train de sourire.

« C’est drôle, d’une certaine manière. Je suppose que tous les Antiniums ne sont pas pareils, hein ? »

« Qu’est-ce qui vous amène à une telle conclusion ? »

« Tu n’as pas [Instinct de Survie]. Tu as intérêt à prier pour l’obtenir bientôt, ça ou une autre compétence du genre. »

Relc hocha la tête vers une colline lointaine. Ksmvr suivit son regard et ordonna mentalement aux Soldats quittant la Colonie de tenir leur position. Peut-être que s’il avait été humain il n’aurait jamais aperçu la silencieuse silhouette accroupi et souriant aux deux guerriers. Mais il était un Antinium et il reconnut aussitôt Scruta.

Le Drakéide s’assit sur la colline mine de rien, ignorant l’Antinium qui continuait de l’observer. Il hocha la tête en direction de la lointaine silhouette de Scruta.

« Alors elle est capable de te manger toi et tes gentils petits soldats comme petit-déj. Avec moi ? Elle s’étoufferait probablement. »

Ksmvr était capable de libre pensée, une preuve de sa position et de son importance dans la Colonie. Il était un leader, fait pour diriger des soldats et s’occuper des situations inattendues quand elles apparaissaient. Qu’importe le fait qu’il soit devenu Prognugator avant que son entraînement soit terminé… Sa Reine avec confiance en lui. Mais… Mais…

Mais qu’importe la manière dont il réfléchissait, il n’arrivait pas à se décider sur la marche à suivre. Erin Solstice était importante. Mais avec la présence de Scruta l’Omnisciente et de Relc, le coût nécessaire pour capturer Erin Solstice était soudainement devenu trop élevé.

Mais elle était importante. Mais c’était trop coûteux. Mais elle était importante. Mais c’était trop coûteux. Qu’est-ce qu’il devait faire ? Sa Reine lui avait donné l’ordre de ne pas la déranger. Mais il connaissait l’importante des individus. La totalité de son devoir… La totalité des Antiniums de Liscor tournait autour de l’importance des individus. Mais c’était trop dangereux.

Qu’est-ce qu’il devait faire ? Pour la première fois de sa courte vie, Ksmvr n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire.

***

C’était une silencieuse… Enfin, impasse n’était pas le bon terme. Depuis leurs positions profondément enfouie dans une épaisse bande d’herbe les autres observateurs pouvaient voir que les Antiniums étaient en mauvaise posture. Alors qu’ils observaient, le leader des Antiniums se décida. Il adressa quelques mots à Relc et les Antiniums l’entourant commencèrent à marcher en direction de la ville.

C’était une bonne chose.

« Voilà. Cela est une bonne chose que nous ne soyons pas intervenus, n’est-ce pas ? »

Krshia commenta discrètement la scène, mais même malgré la pluie battante les autres Gnolls allongés dans l’herbe l’entendirent sans le moindre problème. Tkrn et six autres Gnolls relâchèrent l’emprise qu’ils avaient sur leurs arcs. Tkrn hocha la tête alors que l’Antinium descendit rapidement la colline, flanqué de ses Soldats.

« Il serait peut-être préférable d’abattre l’insecte avant qu’il ne retourne dans la ville, pas vrai ? Cela ne serait pas difficile, surtout s’il compte faire du mal à Erin Solstice. »

« Imbécile. »

Tkrn vit à peine la patte qui lui donna une tape à l’arrière de la tête. Krshia le regarda à travers les longs brins d’herbe.

« Il n’était pas en train d’essayer de la tuer. Utilise ton cerveau, imbécile que tu es. »

Les autres Gnolls ricanèrent alors que les oreilles de Tkrn s’écrasèrent contre sa tête, embarrassé. En tant que plus jeunes des Gnoll, et le plus inexpériencé d’entre eux, c’était encore plus humiliant de faire une erreur devant leur leader.

« Mais il avait des Soldats »

Krshia soupira.

« Oui, pour la capturer. Mais il attendait qu’Erin Solstice arrive, n’est-ce pas ? Cela était suspicieux. Qui attend pour un challenge ? Seuls les Humains dans la fleur de l’âge et les Drakéides font cela, n’est-ce pas ? Nous nous battons sans avoir besoin de grands espaces ouverts et de gens pour regarder. Mais les Antiniums… Ils sont encore plus différents que nous. »

Elle pointa Ksmvr et les Antiniums d’un mouvement de la tête alors que ces derniers marchèrent à travers la prairie. Les Antiniums étaient alertes, analysant constamment le paysage. Mais malgré l’impressionnante vision nocturne des Antiniums, ils n’étaient pas des chasseurs des plaines. Krshia et les autres Gnolls étaient parfaitement caché derrière leur couverture.

« S’il, Ksm, voulait qu’Erin Solstice soit morte, alors elle le serait déjà. Il la poignarderait avant qu’elle le voit, n’est-ce pas ? Mais il la voulait ici, et il avait de nombreux soldats avec lui. »

Elle secoua la tête.

« Quelqu’un d’autre voulait Erin Solstice. Et en excluant ce déraisonnable Drakéide, trois côtés différents sont venus pour elle cette nuit. »

« Il semblerait que tu es raison. Cette Erin Solstice, elle est importante. »

Un autre Gnoll fit ce commentaire et les autres hochèrent la tête. S’ils avaient doutés Krshia auparavant, et s’ils étaient assez sages pour ne jamais le dire à voix haute devant elle, cela venait de changer cette nuit. Elle les regarda.

« Je l’ai dit, n’est-ce pas ? C’est malheureux que cela se sache. Nous devons nous dépêcher. »

Les autres Gnolls hochèrent la tête. L’un d’entre eux parla.

« Les autres guerriers arrivent bientôt. Dans la semaine. »

Tkrn remua. Il regarda la colline sur laquelle la silhouette silencieuse de Scruta était toujours agenouillée, et en plein combat du regard avec Relc.

« Alors devons-nous partir ? Ou est-ce que Scruta va faire quelque chose ? »

Les autres Gnolls murmurèrent. Ils connaissaient leurs chances de succès face à un Aventurier Légendaire. Krshia secoua la tête.

« Je ne le pense pas. Elle est ingénieuse, et elle attend. Je ne pense pas qu’elle serait intervenu à moins que tous les autres aient échoué, nous inclus. »

« Mais elle est toujours là. »

« Oui. »

Krshia fronça les sourcils vers Scruta. C’était impossible, ils étaient parfaitement cachés, mais l’œil de la Scruteur se détourna de Relc pour se tourner vers eux durant une fraction de seconde. Krshia murmura quelque chose et les autres Gnolls grognèrent.

« Elle aime regarder. »

« Eh bien, elle ne peut rien nous faire même s’il elle sait que nous sommes là. »

Cette fois Tkrn reçu plusieurs tapes désaprobatrices à l’arrière de la tête. Krshia s’ébroua et envoya plusieurs gouttelettes d’eau vu qu’ils avaient été repérés.

« Peut-être pas. Mais c’est une mauvaise chose de se faire repérer. Nous devons être certains qu’elle ne fait rien. Juste au cas où. »

Les Gnolls s’installèrent dans l’herbe, se relaxant. Relc ne les avait toujours pas remarqué, mais le Drakéide ne comptait que son sa Compétence. Et le problème avec [Instinct de Survie] était qu’il ne le prévenait que des menaces potentielles.

Cependant, ils ne voulaient pas lui faire du mal. Ils étaient du même côté, au moins lors de cette nuit. Donc les Gnolls attendirent. La Scruteur resta assise avec patience, et le Drakéide arracha des touffes d’herbes. La nuit était silencieuse.

Ils attendirent.

Et attendirent.

Et…

Depuis sa position dans l’herbe, les Gnolls virent Relc bouger et se gratter les écailles, irrité. Il regarda autour de lui et posa la question qui était dans l’esprit de tous.

« Où est-ce qu’elle est ? »

***

« Nous ne l’avons pas trouvé. »

Ceria regarda Yvlon et Cervial avec incrédulité alors que les deux aventuriers venaient de revenir, haletants. Ils avaient fait l’aller-retour vers Liscor en moins de trente minutes.

« Quoi ? »

« Nous sommes allés jusqu’aux portes, mais le garde a dit que personne n’est passé par là. »

Les deux aventuriers haussèrent les épaules, impuissants. Ceria se mordit la lèvre.

« Peut-être qu’elle s’est perdue ? »

« J’en doute. »

« Alors un monstre… »

« Nous aurions remarqué quelque chose comme ça. »

« Alors ou est-ce qu’elle est ? »

« Je ne sais pas. Est-ce que vous avez repéré Calruz à tout hasard? »

Cervial fit un sourire de travers.

« Ouais. Il a essayé d’entrer dans la ville, mais le garde lui a dit que les portes étaient fermées. Il est en train de faire demi-tour, probablement en tapant du pied. »

Bon, c’était un problème de résolu. Mais le plus gros problème était toujours présent. Où était Erin Solstice ? Ceria regarda autour d’elle, mais la nuit était encore pluvieuse et il était impossible de percer ce voile de ténèbres.

« Nous allons devoir attendre. Rentre, le squelette est fou de colère, mais il reste immobile pour une raison ou une autre. Je pense que nous devons faire pareil. »

Yvlon and Cervial entrèrent de nouveau dans l’auberge. Ceria regarda une dernière fois autour d’elle. C’était tellement étrange. Elle avait assumé…

Quelque chose tomba depuis le toit de l’auberge et atterrit juste à côté de Ceria. La demi-elfe poussa un cri de surprise, attrapa sa baguette, et s’arrêta.

Erin se releva, grimaçant à cause de sa mauvaise chute. Elle essuya la boue de son haut et s’arrêta en voyant Ceria.

« Oh. Salut. »

Ceria mit la main sur son cœur, elle avait eut l’impression qu’il s’était arrêté.

« Qu’est-ce que tu… Où étais-tu ? »

Erin cligna des yeux dans sa direction avant de pointer en haut.

« J’étais sur le toit. »

Ceria leva les yeux. Le toit.

« … Pourquoi ? »

Erin haussa les épaules avant d’essuyer son visage, ce qui ne changea pas grand-chose dans la pluie.

« J’étais en train de pleurer. Qu’est-ce que tu pensais que j’étais en train de faire ? »

Ses yeux étaient rouges. Ceria pouvait parfaitement le voir. Elle répondit, se sentant soudainement bête.

« Nous… Nous avons cru que tu allais chercher Ksmvr. »

« Pourquoi je ferais quelque chose comme ça ? »

Ceria dû s’arrêter de nouveau pour chercher ses mots.

« En fait, après ce qu’il a fait à ton ami… Je dirais que tout le monde dans l’auberge t’aurai suivi. Surtout Calruz. »

« Vraiment. Vraiment ? »

Erin renifla de nouveau et essuya son nez.

« C’est gentil de votre part. Je suppose. Vous auriez pu le tenir en place tandis que je lui ouvre le crâne avec ma poêle à frire, pas vrai ? »

« Nous n’aurions pas fait ça. Calruz… Pensait que tu allais le provoquer en duel. »

« Et le tuer ? »

Erin regarda Ceria. C’était un étrange regard. Accusateur. Blessé. Ceria remua, soudainement inconfortable.

« Mais ce qu’il a fait… »

« C’était mal. »

Erin prononça ses mots sans changer d’intonation.

« Pion était innocent. Il ne méritait pas quelque chose comme ça. Et quand j’ai vu ce que bâtard à fait… »

« Oui. Donc nous avons pensé que… »

Ceria s’arrêta faiblement. Erin était toujours en train de la regarder. Comme si c’était la chose la plus évidente du monde, elle secoua la tête.

« Il a fait souffrir Pion. Mais est-ce que cela veut dire que je devrais sortir et le battre à mort ? Comment ? Il est un guerrier et je suis… Je suis une aubergiste. Et je n’assassine pas les gens. Je tue des monstres et j’ai tué pour me défendre. Mais je n’assassine pas les gens. Jamais. »

C’était trop difficile de supporter le regard de la jeune femme. Ceria détourna les yeux. C’était comme si elle parlait à quelque chose d’étrange. Quelque chose…

Elle n’avait pas de mot pour ‘extra-terrestre’ dans sa langue. Les mots s’en rapprochant le plus étaient 'étranger, bizarre, anormal'. Erin était en train de la regarder avec un soupçon d’accusation dans les yeux. Et c’était difficile à supporter. Il y avait quelque chose d’innocent dans son regard, quelque chose que Ceria avait perdu il y a bien longtemps quand elle avait regardé pour la première fois dans les yeux d’un homme mort.

« Je suis désolé. J’ai simplement assumé… »

Erin haussa les épaules. Elle s’arrêta, et regarda le sombre paysage autour d’elle. Ceria vit ses lèvres bouger.

« Est-ce que je peux te dire quelque chose ? Quelque chose d’un peu insultant. »

« Bien sûr. »

Erin regarda le sol et l’herbe humide. Sa respiration apparaissait dans l’air froid.

« Vous avez un monde sacrement merdique. Absolument terrible. »

« Vraiment… ? »

« Je ne l’aime pas. C’est tellement magnifique de temps en temps, tellement beau et plein de magie. Puis quelque chose comme ça arrive. Tout le temps. Enfin. Presque tout le temps. Je déteste ça. »

Ceria n’avait rien à dire devant ça.

« Pendant un instant j’ai vraiment voulu tuer Ksmvr. Mais je serais morte si j’essayais quelque chose comme ça, pas vrai ? Il est rapide. Fort. Un guerrier. Peut-être que je pourrais le tuer. Et c’est quoi la suite ? »

« Il serait mort. »

« Tout comme Pion. Probablement. Cette Reine aurait envoyé ses soldats pour lui arracher sa tête et la mienne. »

« Je comprends, tu as pris la bonne décision. »

Erin frissonna.

« Vraiment ? J’ai l’impression que la seule chose que je peux faire dans ce genre de situation c’est accepter ce qui vient de se passer et continuer d’avancer. »

Elle frissonna. Ceria savait à quel point il faisait froid. Les enchantements dans sa robe la réchauffait même dans la pluie glaciale mais l’humaine s’était juste assise sur le toit pendant… Pratiquement une heure, au moins.

« Tu devrais rentrer. Je suis certaine que Pion veut te voir. »

Elle attrapa le bras d’Erin. la peau de la jeune fille était glaciale. Elle murmura quelque chose.

« … Pas. »

« Quoi ? »

« Je sais pas. Je ne sais pas quoi faire pour l’arrêter. Mais je sais quoi faire. »

Elle dépassa Ceria et entra dans l’auberge. La demi-elfe la suivit, observatrice. Il y avait quelque chose dans les yeux de l’humaine.

Pion tenta de se redresser sur son siège quand il la vit. Son visage exprimait une profonde anxiété, même si Erin était la seule à pouvoir le voir. Elle lui sourit et éternua.

Les autres aventuriers regardèrent Erin et elle les ignora. Ils n’étaient pas importants. À la place, elle s’assit alors que Toren fonça vers elle avec une serviette. Elle essuya l’eau glaciale qui l’avait trempée et se sentit un peu plus vivante quand il lui donna une chope d’eau bouillante.

Olesm avait été en train de jouer avec Pion. Mais le Drakéide se leva aussitôt de son siège, et Erin secoua la tête.

« Vas-y, continue de jouer. »

Le Drakéide cligna des yeux, avant de se rasseoir avec maladresse alors qu’Erin s’assit à côté de Pion. L’Antinium la regarda, et elle lui fit un nouveau sourire. La pièce était extrêmement silencieuse. Après quelques instants, Olesm toussa et bougea timidement une pièce en avant.

Pion joua. Les deux jouèrent. Erin regarda les Ouvriers et leur sortit un échiquier. C’était étrange. Les Ouvriers s’assirent et commencèrent à jouer. Les aventuriers s’assirent maladroitement, et après quelque temps Erin demanda à Toren de sortir quelques restes.

Et tout était silencieux. Donc quand la sensation ne pouvait plus être retenu, elle ouvrit sa bouche.

Et commença à chanter.

Cela prit Pion par surprise, il se figea en tenant un cavalier dans sa main et regarda Erin. Comme le reste de l’auberge. Mais la gêne, la peur qu’elle aurait put ressentir n’était rien. Donc Erin chanta.

Elle n’avait jamais été une bonne chanteuse. Ou plutôt, elle n’était pas aussi douée pour chanter que pour jouer aux échecs. Mais quand elle avait été enfant, avant qu’elle arrête d’aller à l’église, elle avait fait partie de la chorale. Elle avait chanté dans la chorale de l’école et, juste une fois, le professeur l’avait encouragé à suivre des études de chants.

Mais elle ne l’avait pas fait. Erin avait joué aux échecs et avait oublié comment bien respirer, elle avait arrêté de chanter chaque semaine. Mais la musique était restée là, et elle n’avait jamais réellement oublié.

« I don’t know why you hurt inside or what was said to make you cry… »

Elle ne savait pas pourquoi elle avait commencée avec une chanson de Lady Gaga. Mais elle avait toujours aimé celle-là car elle l’aidait à se sentir mieux. Et Greatest était probablement sa meilleure chanson.

Erin n’avait pas de piano. Pas de synthétiseur pour sa voix, pas de chorale pour l’accompagner, elle n’avait même pas de microphone. Mais elle n’avait pas besoin de telles choses.

Sa voix emplie la pièce, et son audience avait l’impression qu’il pouvait entendre quelque chose d’autre alors qu’une seule personne était en train de chanter. La même chanson qu’Erin avait entendue la première fois qu’elle s’était assise dans sa chambre pour jouer aux échecs.

Est-ce qu’une personne chantait ? Ou peut-être est-ce deux ? Ils entendaient une autre voix. D’étranges tambours, le son d’un piano, une voix chantait avec des sons électroniques d’une manière qu’il n’avait jamais pu imaginer.

Ceria écouta, et entendit une autre voix, et un type de musique qu’elle n’avait jamais entendu auparavant. Elle ferma les yeux, et pensa à une fille qui connaissait des couleurs que Ceria n’avait jamais vue de sa vie.

Olesm était en train de jouer. Pion continua de bouger des pièces, mais cela était un arrière-plan de la musique. Erin termina sa chanson et le silence s’abattit de nouveau. C’était trop oppressant, donc elle choisit une nouvelle chanson.

« Somewhere over the rainbow way up high… »

Elle avait toujours préféré la version d'Israel Kamakawiwoʻole’ plutôt que la version de Judy Garland. Mais elle aimait les deux de tout son cœur.

La chanson était plus légère, plus joyeuse d’une manière, mais elle était triste d’une autre manière. Quelqu’un était en train de pleurer. Erin continua de pleurer, conjurant une pièce de quelque chose que les gens dans son auberge n’avait jamais entendu. Une pièce de musique immortelle.

Un autre instant immortel.

Et bien sûr, elle continua de changer. Erin commença à chanter Hallelujah et sourit en se rappelant regarder Shrek pour la première fois. La musique continua de s’écouler alors que Pion joua une partie d’échecs, s’arrêtant pour la regarder.

Les autres aventuriers étaient silencieux. Ceria écouta sans un mot. Elle était demi-elfe. La moitié d’elle avait grandi en connaissant une partie d’infini… Mais son autre partie était émerveillée.

Mais les humains écoutèrent quelque chose qui ne faisait pas partie de leur monde. Ils écoutèrent alors qu’Erin chanta jusqu’à leurs cœurs.

« I have died everyday, waiting for you. Darling, don’t be afraid, I have loved you for a thousand years… »

Gerial pleura dans sa moustache. Les aventuriers s’assirent en silence. Yvlon ferma les yeux et Cervial continua se frotter les siens.

Un moment d’éternité. Une chanson. Un fragment du passé. Un souvenir.

L’immortalité prenant vie avec chaque couplet.

***

Elle leur apprit une chanson. Here I Am Lord, une chanson de l’église. Cela avait son importance. Et quand elle chanta, Pion leva les yeux.

Erin commença à chanter.

«I, the Lord of Sea and Sky. I have heard my people cry. All who dwell in dark and sin, my hand will save.»

*Moi, Seigneur de la Mer et des Cieux. J'ai entendu mon peuple pleurer. Tous ceux qui demeurent dans le noir et le pêché, de ma main seront sauvé.

Erin chanta avec Ceria, deux douces voix s’unissant alors que la demi-elfe se joignit à Erin.

« Here I am, Lord. Is it I, Lord? I have heard You calling in the night. »

*Me voilà, Seigneur. Est-ce moi, Seigneur ? Je t’ai entendu appeler cette nuit.

Et d’autres se joignirent à eux. Homme et femme, chantant une chanson pour un dieu que ce monde n’avait jamais connu. À la fin du troisième verset tous les humains étaient en train de chanter. Calruz était appuyé contre l’encadrement de la porte, fronçant les sourcils, les yeux fermés et écoutant silencieusement. Pion écouta alors qu’Erin chanta, appuyé contre lui, le réchauffant.

« I will hold Your people in my heart.»

*Je garderai Ton people dans mon cœur.

Il frissonna à cet instant. Et quand elle le regarda, il ne pleurait pas. Les Antiniums ne pleuraient pas. Mais elle vit les larmes coulées dans son âme.

Et la nuit se changea en jour alors qu’Erin continua de chanter. De petites chansons, de grandioses chansons. Et la magie était avec elle, disparaissait avec chaque note. Jusqu’à ce qu’elle termine par simplement chanter et que l’instant ne soit plus immortel. Mais c’était suffisant. Quand elle ferma les yeux, l’auberge était silencieuse.

Et même si l’Antinium en était incapable, elle sourit. Pour lui. Pour eux deux.

Erin ferma les yeux et dormit.

[Aubergiste Niveau 15 !]

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #59 le: 30 mai 2020 à 15:43:09 »
1.39
Traduit par EllieVia

Ceria se réveilla en premier. C’était un acte inconscient de son corps et son esprit ne voulait pas y être mêlé. Aux premiers rayons de l’aurore, elle ouvrit les yeux et s’assit sur son lit.
 
Il était trop tôt. Et Ceria avait beau se lever tôt, elle n’était pas du matin.
 
Mais certaines choses étaient trop difficiles à oublier. Cela faisait des années - des décennies, mêmes - que Ceria n’avait pas eu à se réveiller si tôt. Elle était en sécurité dans cette auberge, entourée de ses amis et de ses compagnons. En sécurité.
 
Et pourtant il lui était impossible d’oublier certaines choses.
 
Se frottant le visage entre ses mains, Ceria décida qu’elle était réveillée. Se remémorer le passé ne ferait que raviver ses cauchemars, et elle n’était pas prête à se réveiller en hurlant dans l’auberge.
 
C’est pour cette raison que malgré le fait qu’il soit encore beaucoup trop tôt et qu’elle manquait encore de sommeil, Ceria descendit les escaliers. Elle cligna des yeux en arrivant en bas.
 
“‘Zar.”
 
Elle avait voulu dire “bizarre” mais sa bouche ne fonctionnait pas. Ce n’était pas le désordre ambiant de la salle commune qui était bizarre, mais plutôt le fait qu’au contraire tout était rangé.
 
La nuit dernière. Ceria se frotta de nouveau les yeux et se rappela. La musique. Une nuit qui avait duré une éternité. Des musiques et… quelque chose d’autre. Des instruments qu’elle n’avait jamais entendus, et des paroles poétiques.
 
On aurait dit un rêve. Mais il avait été trop réel, ce qui renforçait sa dimension onirique. Elle se rappela avoir réussi à atteindre son lit en titubant tandis que le reste des aventuriers repartaient, flottant toujours dans ce moment magique.
 
Oui... ils étaient partis, mais les aventuriers semaient toujours le désordre où qu’ils aillent. La plupart du temps sous forme de cadavres de monstres et de sang, mais dans ce cas précis sous la forme de vaisselle sale, de poussière, de taches de nourriture et de boissons et de pièces étalées sur les tables.
 
Rien de tout cela n’était présent en ce moment. La pièce était propre. Pour tout dire, dans la lumière matinale, le bois bien astiqué lui paraissait presque étinceler.
 
Elle en était presque offensée. Mais la faim l’empêchait de trop y réfléchir. Elle s’avança en titubant vers la cuisine….
 
Et se figea devant le squelette qui lui bloquait la route.
 
“Stérée hirsute.”
 
Cela faisait deux fois à présent qu’elle manquait avoir une crise cardiaque. Elle recula d’un pas mal assuré et pointa un doigt tremblant sur le squelette.
 
“Ne… ne fais pas ça !”
 
Le squelette demeura silencieux. Ceria cilla, incapable de réfléchir correctement. Il avait un nom, non ? Erin l’appelait…
 
“Toren, c’est bien ça ?
 
Le squelette ne répondit pas. Mais bon, c’était probablement lui qui avait nettoyé la salle commune. La dernière fois que Ceria l’avait vue, Erin Solstice était endormie à côté de l’Antinium nommé Pion.
 
Qui n’était pas là non plus.
 
Ce fut ce détail qui déclencha une sonnette d’alarme dans la tête de Ceria, mais elle en fut distraite par des besoins pressants et le mort-vivant qui lui faisait face.
 
“Est-ce que ta maîtresse est levée ? J’aimerais petit-déjeuner, mais je peux m’en occuper seule.”
 
Ceria s’avança pour passer devant le squelette mais son bras surgit pour lui bloquer le passage. Elle s’arrêta et le fusilla du regard.
 
“Qu’est-ce que tu…”
 
Il posa un doigt sur ses dents jaunies au moment où Ceria aperçut Erin emmitouflée dans une couverture dans un coin de la cuisine. Elle cilla.
 
“Elle dort ici ?”
 
Le squelette ne répondit pas, mais il parut irrité de constater que Ceria continuait à faire du bruit. La Demie-Elfe secoua la tête. Il était trop tôt pour tout ça.
 
“J’ai faim.”
 
Pas de réponse. Le squelette la dévisagea.
 
“J’ai besoin de nourriture.”
 
Là encore, les flammes froides et sans pitié la dévisagèrent pour seule réponse. Ceria tenta d’écarter le squelette de son chemin mais il attrapa sa main d’un air d’avertissement .Elle le dévisagea. Il avait l’air… enfin, c’était une création de Pisces. Elle retira prudemment sa main.
 
“Très bien. On ne la réveille pas. Mais est-ce que tu pourrais me trouver quelque chose à manger ? Ou… cuisiner quelque chose ?
 
Le squelette parut réfléchir à la requête. Au bout d’un moment, il acquiesça avec réticence et entra dans la cuisine. Contrairement aux nombreux squelettes que Ceria avait vus ou tués, celui-ci se mouvait avec une sorte de grâce. Il était la version améliorée d’une créature morte-vivante mineure, et il n’y avait qu’un mage assez stupide pour créer une chose pareille.
 
Pisces. Ceria plissa les yeux en examinant le squelette qui trottinait dans la cuisine. Il avait de toute évidence amélioré son artisanat depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. D’une part, ce squelette était relativement intelligent. Mais cela ne signifiait pas que ce soit nécessairement un bon signe. Cela signifiait simplement qu’il approchait de son but. S’il créait un jouir un mort-vivant capable de gagner des niveaux…
 
Elle cligna des yeux lorsque Toren réapparut devant elle. Il tenait quelque chose.
 
“Est-ce que c’est… une miche de pain ?”
 
C’en était une. Une miche entière, dépourvue des imperfections qu’auraient constituées des tranches ou des condiments. Toren la lui fourra dans les mains.
 
Ceria la prit et le dévisagea.
 
“Je suis censée manger ça ?  J’aurai besoin d’autre chose, tu sais.”
 
Le squelette ne pouvait soupirer. Mais Ceria eut la nette impression qu’il l’aurait fait s’il le pouvait. Il la dévisagea, puis retourna silencieusement dans la cuisine.
 
Médusée, Ceria s’assit à une table et regarda fixement sa miche de pain. Au bout d’un moment, elle prit le couteau à sa ceinture.
 
Elle venait juste de réussir à se couper quelques tranches lorsque le squelette réapparut. Il posa un bol devant Ceria. Elle regarda fixement le bol. Il contenait des œufs.
 
Tor lâcha les œufs devant Ceria juste à côté de la miche de pain. Puis il ajouta un sac de sucre. Il repartit et amena un verre et une cruche d’’eau puis il retourna dans la cuisine.
 
Ceria regarda fixement la nourriture étalée devant elle sur la table. Elle examina les œufs, le pain, le sucre, et l’eau. Elle rattrapa un œuf avant qu’il ne roule de la table et l’étudia.
 
Puis elle haussa les épaules.
 
***


Lorsque Gerial arriva en bas des escaliers en baillant et en se frottant les yeux, il trouva Ceria en train de plonger des tranches de pains dans un bol de jaunes d’œufs. Un sandwich constitué d’une tranche de pain recouverte de sucre puis pliée en deux lui fit également entièrement passer l’envie de petit déjeuner.
 
La demie-elfe leva les yeux en mâchonnant son morceau de pain recouvert de jaune. Elle lisait son grimoire.
 
“Oh. Hey. L’aubergiste dort encore donc il n’y a pas de petit déjeuner. Mais le squelette m’a apporté à manger. Tu en veux ?”
 
Gerial dévisagea l’œuf cru qui coulait de la tranche de pain. Il frissonna.
 
“C’est répugnant.”
 
Ceria leva les yeux au ciel.
 
“Vous autres Humains. Vous mangez tout le temps des œufs. Quelle différence entre les faire cuire ou les ramasser dans un nid ?”’
 
“Une très grosse différence, merci bien.”
 
Gerial s’assit à table et essaya d’ignorer Ceria en train d’engloutir son repas. Il regarda son verre.
 
“Est-ce que c’est du sucre ?”
 
“L’eau et le sucre vont bien ensemble quand on en met assez. Tu en veux ?”
 
Il hésita.
 
“Je pense que je préférerais manger quelque chose de normal, merci. Où est l’aubergiste ?”
 
“Elle dort toujours, je pense. Elle est là-dedans.”
 
Ceria fit un signe de tête en direction de la cuisine.
 
“Ce satané squelette monte la garde, par contre, donc n’essaies pas d’entrer. C’est tout ce qu’il m’a donné à manger.”
 
“Je vois.”
 
“Yup. Donc c’est la seule nourriture que tu auras avant un bon moment. Tu en veux ?”
 
“Ça ira.”
 
Les deux aventuriers restèrent assis en silence pendant un moment. Ce n’était pas la première fois qu’ils faisaient ça. Gerial était une personne matinale, et il trouvait souvent Ceria qui s’était réveillée avant lui. Son estomac gargouilla et il tenta de l’ignorer.
 
Au bout d’un moment, le silence devint trop inconfortable. Gerial ne put s’empêcher de reprendre la parole. Il se frotta la moustache et se racla la gorge, mal à l’aise. Ceria leva les yeux et haussa un sourcil.
 
“Du coup. À propos d’hier soir.”
 
“C’était quelque chose, pas vrai ?”
 
“Quelque chose ? C’était…”
 
Gerial était incapable de trouver les mots pour décrire la soirée. Il n’était pas mage, et ses souvenirs de la nuit dernière lui semblaient magiques.
 
“Qu’est-ce que c’était ? Un sortilège ?”
 
“Une Compétence, je pense. Que je ne connais pas. Ça doit en être une rare.3
 
“Mais ce n’était pas que ça. Ces chansons…”
 
“Magnifiques.”
 
Ceria sourit et Gerial acquiesça avec ferveur.  Mais elle ne paraissait pas aussi émerveillé que lui à ce souvenir. Elle fronça légèrement les sourcils.
 
“C’était incroyable. Mais bizarre, aussi.”
 
“Bizarre ?”
 
“Je n’ai jamais entendu les chansons qu’elle a chantées. Aucune. Et la musique qui l’accompagnait…. tu avais déjà entendu ça ?”
 
“Pas même en rêve.”
 
Mais Gerial avait rêvé de ces musiques cette nuit. Il sentit ses yeux le picoter légèrement au souvenir et il détourna la tête pour les essuyer. Ceria secoua la tête.
 
“Elles étaient bouleversantes, mais ce n’est pas ce qui me chiffonne, Gerial. C’est un autre mystère. D’où venait la musique ? Comment cette fille…”
 
Elle leva les yeux et cessa soudain de parler. Là encore, Gerial y était habitué, donc lorsqu’Erin sortit en titubant de la cuisine, il était déjà en train de se retourner pour la saluer.
 
“Bonjour, Mademoiselle Erin.”
 
Elle s’arrêta et le dévisagea. Elle portait encore les vêtements tâchés de nourriture de la veille. Elle avait également l’air misérable.
 
“B’jour.”
 
Ceria adressa un signe de tête à Erin. La fille secoua la tête.
 
“Est-ce que tout va bien ?”
 
Elle secoua de nouveau la tête. Erin s’immobilisa, fit la moue et finit par ouvrir la bouche avec réticence.
 
“J’ai mal à la gorge. Et je suis enrhumée.”
 
“Oh.”
 
“Je vois. Mes condoléances.”
 
Erin avança d’un pas mal assuré vers sa table et s’avachit devant. Gerial vit le squelette sortir de la cuisine pour se mettre derrière elle. Erin ne parut pas le remarquer - ou y prêter attention.
 
Ceria posa son livre et poussa sur le côté son bol de jaunes d’œufs pour jeter un regard en coin à Erin .Elle secoua la tête.
 
“Ça doit être parce que tu as passé la nuit sous la pluie.”
 
“Je zay.”
 
La demie-elfe était déjà en train de se concentrer sur Erin, ses doigts brillant d’une pâle lumière verte.
 
“Je peux faire quelque chose pour ta gorge, mais les potions de soin ne soignent pas les rhumes.”
 
“Vraiment ? Tu peux…”
 
Erin glapit lorsque Ceria tâta sa gorge. Instantanément, le squelette derrière elle leva un poing menaçant mais Erin se rassit sur sa chaise.
 
“Ow, c’était…. hey ! Ma gorge va mieux !”
 
Elle avait encore le nez bouché, par contre. En silence, Gerial lui offrit son mouchoir. Erin se moucha et lui jeta un regard plein de gratitude.
 
“Désolée.”
 
“Je t’en prie.”
 
Erin renifla et lui rendit le mouchoir.
 
“Je déteste les rhumes.”
 
Elle regarda Gerial et Ceria d’un air implorant.
 
“Un petit tour de magie ?”
 
Ceria secoua la tête.
 
“Je suis désolée, mais je ne peux pas soigner ça facilement. Je ne connais que quelques sorts de guérison de base et les rhumes sont compliqués. Il n’y a que la [Reconstitution] qui les soigne, à ce que je sais.”
 
“Quoi ? Mais c’est un rhume.”
 
Gémit Erin. La demie-elfe soupira, mais ne perdit pas patience.
 
“C’est un rhume. La maladie la plus commune. Les gens le soignent magiquement depuis tellement longtemps que la magie n’agit plus.”
 
Gerial parut surpris.
 
“Ça arrive, ça ? Je croyais… enfin, c’est juste une maladie, non ?”
 
Erin grogna.
 
“Des super virus résistants à la magie. C’est bien ma veine.”
 
Encore des mots que les aventuriers ne saisirent pas complètement, mais ils comprirent tous deux leur signification. Ceria haussa les épaules d’un air de regrets. Puis elle regarda Gerial avec un petit sourire.
 
“On dirait que le petit-déjeuner est annulé, Gerial. À moins que tu ne veuilles risquer de tomber malade avant les Ruines.”
 
Il soupira.
 
“J’imagine qu’il n’y a rien à y faire.”
 
“Je peux faire à manger.”
 
Erin essaya de s’asseoir, mais Ceria secoua gentiment la tête.
 
“Il vaut mieux que tu dormes, c’est la seule chose qui te remettra d’aplomb. Et tousser dans tes plats ne fera de bien à personne.”
 
Elle avait raison, et Erin s’avachit de nouveau sur sa chaise.
 
“Désolée.”
 
“Ne t’inquiète pas.”
 
Gerial s’était déjà levé et était en train de s’étirer. il avait faim, mais ce ne serait pas la première fois qu’il manquait ou retardait un petit déjeuner. Il hocha la tête.
 
“ON va aller en ville. Je pense que Calruz est déjà parti, mais les autres dorment encore. Ne t’inquiète pas pour les repas - ils n’auront qu’à aller en ville.”
 
Ceria parut surprise. Elle leva les yeux en direction de l’étage.
 
“Calruz est parti ? Je ne l’ai pas entendu s’agiter.”
 
“Je ne crois pas qu’il ait dormi. Il est parti avec l’insecte…. je veux dire, celui qui s’appelle Pion.”
 
Erin se redressa sur sa chaise, soudain parfaitement réveillée. Elle regarda autour d’elle dans la salle vide.
 
Pion ?”
 
***

Pion des Antiniums n’avait pas dormi depuis la nuit. Il n’avait pas raté beaucoup de sommeil, cependant. Erin Solstice avait chanté jusque tard le matin et ce n’était donc qu’une ou deux heures plus tard qu’il était allé s’asseoir devant l’Auberge Vagabonde, pensif.
 
Il souffrait. Il pouvait encore sentir les appendices manquants, ou plutôt, les endroits où ils auraient dû être. C’était… horrible. Horrible, d’une manière qu’il ne pouvait décrire, de ne pas pouvoir bouger normalement. Mais il n’y pouvait rien, et au moins, la douleur avait disparu.
Une petite grâce. Mais le souvenir de la manière dont il avait perdu ses membres le hantait encore. Et pourtant, le souvenir de la nuit dernière était également avec lui. Il entendait toujours la musique; sentait toujours son âme voguer, souffrir, se réjouir au son de la musique d’Erin.
 
La douleur et l’émerveillement. Les émotions se battaient en lui, chacune cherchant à établir sa domination, mais la douleur n’était rien par rapport à l’émerveillement qui l’emplissait encore.
 
C’était pour cela qu’il restait assis là, et qu’il réfléchissait. Il réfléchissait à beaucoup de choses, de son rôle au sein de la Colonie, avant et après ses changements. Il réfléchissait à ses souffrances, et à ce qu’il se passait en ce moment. Il réfléchissait à beaucoup de choses et il ne trouvait pas de réponse. Mais lorsqu’il pensa à Erin Solstice, il ressentit autre chose.
 
Et il n’avait pas de mots pour cette émotion. Et c’était troublant. Dans le bon sens du terme, et dans le mauvais sens, aussi, mais assez pour que lorsque le Minotaure s’avança d’un pas lourd vers lui, Pion soit heureux de l’interruption.
 
“Toi, là.”
 
Pion inclina la tête d’un air respectueux. Il ne savait pas s’il le devait, mais il savait que c’était son rôle en tant qu’Ouvrier. Mais il n’en était plus un, à présent. Devait-il être respectueux ? Cela lui paraissait approprié.
 
“Aventurier-Capitaine Calruz. Comment puis-je vous aider ?”


Le grand Minotaure fronça les sourcils en dévisagea Pion. Ses yeux étaient cernés et il avait l’air épuisé. Et en colère. Il était allé marcher dehors, apparemment, mais il venait de s’arrêter et dévisageait Pion.
 
“Réponds à ma question, insecte. Pourquoi ne t’es-tu pas battu ?”
 
Pion dévisagea Calruz.
 
“Je vous demande pardon ?”
 
Le Minotaure fusilla Pion du regard. Il enfonça un doigt dans la poitrine de Pion.
 
“Toi.  Pourquoi ne t’es-tu pas battu ? Quand tu te faisais torturer par ta propre espèce…. pourquoi n’as-tu pas résisté ? Est-ce que tous les membres de ta race sont des lâches ou n’as-tu simplement aucune fierté ?”
 
La question surprit tellement Pion qu’il lui fallut réfléchir longuement avant de répondre.
 
“Je n’avais pas le droit de résister. Celui qui m’a emmené…. c’était un Prognugator.  Il juge les Antiniums. Il peut user de nos vies comme bon lui semble.”
 
Calruz regarda Pion d’un air incrédule.
 
“Et donc. Tu vas laisser la mort et le déshonneur s’abattre sur toi pour une simple histoire de rang ?”
 
“Les Antiniums n’ont pas d’honneur. Et je suis… j’étais un Ouvrier. Ma vie appartient à la Colonie. Et si la Colonie désire ma mort, alors je mourrai.”
 
Pendant un long moment, Calruz dévisagea Pion. Pion soutint son regard, se demandant si le Minotaure allait le frapper. C’était déjà arrivé à plusieurs Ouvriers par le passé. Mais le Minotaure se contenta d’un reniflement bruyant de dédain et s’éloigna.
 
“Je n’en attendais pas moins d’un esclave.”
 
Il se dirigea d’un pas déterminé vers la porte et l’ouvrit à la volée. Erin s’écrasa sur son torse et le Minotaure cilla.
 
Pion !
 
Elle repéra l’Antinium et se figea. Pion se leva et hocha la tête.
 
“Erin. Est-ce que quelque chose ne va pas ?”
 
Erin s’affaissa et des couleurs revinrent sur ses joues pâles.
 
“Tu m’as fait peur ! J’ai cru que tu étais retourné en ville !”
 
“J’allais le faire. Je ne voudrais pas te déranger…”
 
“Non !”
 
Pion fut surpris par la véhémence d’Erin. Elle le saisit.
 
“Tu ne peux pas y retourner ! Pas vers ce… ce type démoniaque !”
 
“Ksmvr ?”
 
“Oui !”
 
Erin acquiesça. Elle pointa l’auberge du doigt.
 
“Ce type… je vais le… enfin, j’aimerais… le plus important, c’est que tu restes ici. Pas dans cette stupide Colonie. Je vais te faire un lit et tu pourras rester aussi longtemps que tu le souhaites. Gratuitement.”
 
Pion regarda l’auberge, puis les deux aventuriers qui avaient suivi Erin dehors. Il secoua la tête.
 
“Ton offre est incroyablement généreuse. Mais j'appartiens à ma Colonie.”
 
“Quoi ?”
 
Ses mots parurent stupéfier les autres. Mais Pion y était habitué. Il tenta d'expliquer.
 
“On m’attend. Je dois accomplir mes devoirs.”
 
“Mais Ksmvr…”
 
Le nom fit frissonner Pion, mais légèrement.
 
“Il ne me fera pas de mal.”
 
“Foutaises.”
 
Pion croisa le regard d’Erin, calmement. Il se souvint de quand elle l’avait enlacé. Se souvint de son étrange chaleur. La musique était toujours en lui.
 
“Il ne me fera pas de mal, Erin. Il a déterminé que j’étais un individu. Il ne me torturera plus. Et je serai protégé, là-bas. À présent qu’il est établi que je suis un Individu et donc… important.”
 
“Important ?”
 
Cela parut surprendre Erin. Et sa surprise surprit Pion. Comment ne pouvait-elle pas réaliser ? Mais il avait appris à quel point les autres savaient peu de choses des Antiniums. Mais elle comprenait sûrement cela…
 
“Je ne fais pas confiance à ce type, Ksmvr. Il est dangereux.”
 
“Il ne faisait qu’accomplir son devoir. Mais dès que la Reine sera notifiée de tout cela, je suis certain qu’elle me convoquera.”
 
Cela ne parut pas rassurer du tout Erin. Elle dévisagea Pion, anxieuse, paraissant incapable de comprendre l’incroyable honneur que cela serait.
 
“La Reine ? Et où était-elle quand il était en train de te charcuter ?”
 
“Elle est occupée en ce moment. C’est le Processus des Anastases.”
 
“Le quoi de quoi ?”
 
Pion haussa les épaules. C’était un geste bien pratique qu’il avait appris. Il remarqua que l’a demie-elfe le dévisageait avec intensité de derrière Erin tandis que l’humain et le Minotaure discutaient.
 
“Je ne sais pas. J’ai juste entendu les mots au détour d’une conversation. Mais c’est un rituel important qui ne peut pas être interrompu. Je… sens cela.”
 
Erin le dévisagea. Elle ne comprenait pas, et Pion fut inquiet soudain qu’elle allait essayer de le garder ici. Ceci mènerait à des conflits, et il ne pouvait pas se permettre qu’elle soit blessée. Mais la demie-elfe lui adressa la parole.
 
“Toi, euh, Pion. Peux-tu répondre à ma question ? Que veulent les Antiniums ?”
 
“Prospérer.”
 
C’était une réponse automatique, et pas celle qu’elle espérait. Ceria secoua la tête.
 
“J’ai entendu cette réponse de la part de tous les Antiniums. Je veux dire…. que veulent-ils ici ? Les Antiniums n’ont jamais établi de Colonie si proche des membres d’une autre espèce, encore moins au sein de leur ville. Pourquoi ce Ksmvr t’a-t-il emmené et… questionné ?”
 
Encore des questions difficiles. Pion essaya de répondre du mieux qu’il le pouvait.
 
“Nous sommes arrivés ici il y a dix ans. Pour faire… faire quelque chose. Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi. Mais cela fut Décidé. Les Reines envoyèrent une unique Colonie à la ville. Payèrent en or pour un endroit avec ceux qui n’étaient pas de la Colonie. Pour faire quelque chose. Une nouvelle sorte d’Antiniums.”
 
“Et ce processus des… est-ce que ça a un rapport avec ça ?”
 
“Non. Oui. C’est important. Je ne peux pas vous dire ce que c’est. On ne me l’a pas dit. Je ne peux que sentir que cela requière toute l’attention de ma Reine.”
 
“Mais quand elle en aura terminé, elle voudra te voir, c’est bien ça ?”
 
“Oui.”
 
“Et tu es important.”
 
“Oui.”
 
Des réponses plus faciles. Pion vit une lueur de compréhension dans les yeux de la Demie-Elfe. Mais Erin ne comprenait toujours pas. Pion comprit cela, aussi. Mais la Demie-Elfe, si. Elle tira sur le bras d’Erin.
 
“Je crois que j’ai compris, Erin. Pion doit retourner dans sa Colonie. Tu ne peux pas ôter un Antinium de sa Colonie. Si tu fais ça…. ils feront tout pour le récupérer. Ou s’ils ne peuvent pas le récupérer, l’Antinium meurt.”
 
“Vraiment ?”
 
Simplement en temps de guerre. Pion savait avec une certitude absolue que jamais sa Reine n’ordonnerait son exécution. Il était trop important. Mais le mensonge…
 
“Ceci est correct. Je serais compromis ou te mettrais en danger en restant ici.”
 
Mentir à Erin lui fit mal. Mais c’était vrai, en partie. Une fois que sa Reine apprendrait sa nature elle ferait tout pour le récupérer. Et si Ksmvr essayait de le récupérer en amenant des soldats….
 
L’idée était trop pour lui. Donc Pion mentit. Il mentit pour protéger celle nommée Erin Solstice, l’aubergiste qui jouait aux échecs et chantait. Celle qui lui avait donné son individualité et plus de choses encore. Celle qui était importante. Celle que les autres Ouvriers…
 
Admiraient. C’était peut-être le mot pour cela. Mais Pion songea que ce n’était pas le bon mot. Ce qu’Erin était pour les Ouvriers était différent. Elle avait apporté quelque choses dans leurs vies stagnantes, leur avait appris ce que cela avait été de vivre dans l’ennui et la monotonie. Elle avait sorti l’un d’entre eux du lot, et ce que les Ouvriers ressentaient pour elle n’était donc pas de l’admiration. C’était autre chose. Un autre mot.
 
Mais Pion n’avait aucune idée de ce que ce mot pouvait être.


***


Pion partit. Ceria et Gerial partirent avec lui, et Calruz partit de son pas lourd lorsqu’il apprit qu’Erin était malade. Ils la laissèrent seule.
 
Elle se sentait mal. Elle était bouleversée que Pion parte. Émotive. Elle jeta un verre d’eau à Toren.
 
Elle détestait être malade. Et elle était tellement fatiguée… elle n’avait dormi que, quoi, quelques heures ? Donc Erin posa sa tête sur son oreiller dans la cuisine. Juste pour une petite sieste. C’était juste un peu trop pour elle.
 
Elle s’endormit instantanément. Tout bien considéré, c’était mieux pour elle. Erin était fatiguée, aussi bien émotionnellement que physiquement, et rien ne pouvait la réveiller. Même pas Selys lorsqu’elle vit Toren.
 
***

Pisces entendit le hurlement et se demanda s’il fallait fuir. Mais il y avait de grandes chances qu’il reste des aventuriers dans l’auberge, et par conséquent que le cri ne signifiait pas que quoi que ce soit de vraiment dangereux soit apparu.
 
Mais il jeta tout de même son sort d’[Invisibilité] avant d’entrer. C’était un sort vraiment merveilleux. Une magie d’échelon 4 comme celle-ci lui procurait plus de sécurité qu’une armure, et lui procurait beaucoup d’opportunités, aussi. Cela valait bien l’année entière d’études que cela lui avait pris pour l’apprendre.
 
Il tendit toutefois la tête à l’intérieur de l’auberge avec précautions. La sécurité était essentielle. Il courrait au moindre signe de danger….
 
Malédiction. Erin Solstice avait peut-être des ennuis. Après la nuit dernière, il ne pouvait tout simplement pas l’abandonner. Non pas parce qu’il avait entendu ce qu’avaient dit ces Gnolls arrogants. Ils avaient beau être furtifs, ils comptaient trop sur leurs nez. Pisces sentait exactement comme la nature parce qu’il ne s’embêtait jamais à se laver. Encore un avantage.
 
Et la musique. Il ne pouvait oublier la musique. Un [Instant Immortel], en effet. Tout ce que cela voulait dire, c’était que… que…
 
Qu’il était en train de faire quelque chose de stupide, que Pisces regrettait. Il prépara plusieurs sorts en regardant dans l’auberge. Si c’était un monstre, il attaquerait et battrait immédiatement en retraite. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Plus qu’il ne devrait faire, d’ailleurs.
 
Il n’y avait pas de monstre dans l’auberge. Pas si on ne comptait pas le squelette et Pisces n’avait pas peur de sa propre création. La Drakéide tétanisée ne semblait toutefois pas partager son opinion.
 
Pisces se détendit et laissa le sort d’invisibilité se relâcher. Son cœur battait beaucoup, beaucoup trop vite. Malédictions. Il reconnut la Drakéide. C’était la réceptionniste de la Guilde des Aventuriers, celle qui parlait souvent avec Erin .Selys Shivertail.
 
Elle était encore en train de gémir et d’essayer de se protéger de Toren alors que le squelette se contentait de la regarder. Pisces secoua la tête. Les non-mages. Ils étaient tellement…
 
Il chercha Erin Solstice du regard. Elle n’était nulle part en vue, ce qui ne l’arrangeait pas.  Il avait voulu trouver quelque chose à manger....
 
Pisces avait l’habitude d’entrer se servir dans la cuisine de l’Auberge Vagabonde. Il l’avait déjà fait plusieurs fois, et cela fut un choc pour lui lorsque Toren tendit un bras osseux pour lui barrer la route. Il glapit et recula.
 
“Qu’est-ce que tu fais ?”
 
Sa création étudia Pisces. Toren ne répondit pas - non pas que Pisces lui eût donné la capacité de parler. Le mage hésita, puis fit un geste de la main.
 
“Ôte-toi de mon chemin. Je requière un sustentation.”
 
Une étincelle d’hésitation… puis le squelette secoua la tête. Pisces fronça les sourcils.
 
“Je suis ton créateur. Ôte-toi de mon chemin.”


Une nouvelle fois, le squelette secoua la tête. Pisces fronça les sourcils d’un air sombre. Mais évidemment, il s’était attendu à des complications lorsqu’il avait créé ce squelette. Il ne s’était simplement pas attendu à ce que l’entrelac de sortilèges interfère avec l’obéissance du squelette…
 
“Décale-toi.”
 
Le squelette claqua les mâchoires à l’attention de Pisces et leva un doigt pour lui indiquer de ne pas faire de bruit. Il cilla.
 
“Qu’est-ce que tu…. Moi, Pisces, t’ordonne de te décaler et de me laisser passer.”


Nouveau signe de dénégation. Pisces serra les dents. Il allait essayer quelque chose de plus drastique lorsque que quelque chose le cogna l’arrière du crâne. Il tituba et regarda autour de lui.
 
“Toi !”
 
Quelque chose l’attaquait. Pisces glapit lorsque Selys lui fonça dessus, en le frappant des poings.
 
“Tu es celui qui a fabriqué cette… cette chose, pas vrai ? Espèce de misérable, malfaisant petit…!”
 
Selys émit un son étouffé lorsque Toren lui attrapa la main. Elle faillit crier, mais une autre main osseuse lui couvrir la bouche. Pisces se figea. Sa création allait-elle… ?
 
Toren tint Selys dans une étreinte de mort. Lentement, très lentement, il ôta sa main de sa bouche et la leva en direction de ses dents. Il leva un doigt et lui fit signe de se taire.
 
Selys frissonna en acquiesçant. Toren relâcha doucement sa main. Puis le squelette pointa du doigt l’intérieur de la cuisine.
 
Pisces et Selys regardèrent tous deux à l’intérieur de la cuisine et virent Erin roulée en boule, toujours endormie pour une raison inconnue. Ils échangèrent un regard.
 
Toren retourna devant l’entrée de la cuisine et resta là, en sentinelle. Il dévisagea d’un air déterminé le mage et la Drakéide. Lentement, le squelette tendit la main vers l’épée attachée à sa taille osseuse. Il la sortit d’un centimètre de son fourreau. Ils reculèrent.


***


“Qu’est-ce que c’était que ça ?”
 
“C’était ma création. Un squelette. Il ne fait que monter la garde pour sa maîtresse, Erin Solstice.”
 
“Tu as créé cette chose ?”


Selys dévisagea Pisces, horrifiée. Il leva son nez en l’air.
 
“Bien sûr. C’est un garde du corps pour Erin et un serviteur compétent.”
 
“C’est un monstre mort-vivant. Et toi… je croyais que tu n’étais qu’un [Illusionniste] qui effrayait les pauvres gens. Mais tu es le [Nécromancien] dont parlait Relc, pas vrai ? Eh bien, laisse Erin tranquille ! Elle n’a pas besoin que tu viennes l’embêter !”
 
“Je suis un client favori de son auberge. J’ai parfaitement le droit d’être ici.”
 
“Tu avais encore une récompense sur ta tête il y a une semaine ! Restes loin d’elle ou je… je…”
 
Il ricana d’un air méprisant.
 
“Que vas-tu faire ? Me frapper ? Je suis un mage.”
 
“Et je suis une réceptionniste à la Guilde des Aventuriers .Je mettrai une récompense de vingt pièces d’or sur ta tête si tu décides de ne serait-ce qu’éveiller un mort-vivant à moins de trente kilomètres de la ville.”
 
“Tu… tu n’as pas l’autorité pour faire ça.”
 
“Donne-moi une seule bonne raison. Et dégage de mon chemin !”
 
“Je fais aller en ville. Erin étant… indisposée, j’irai chercher de quoi me sustenter là-bas.”
 
“Alors marche derrière moi ! Je ne veux pas être près de toi !”
 
“J’ai le droit de marcher où je veux. Si cela t’embête tant que cela, tu peux attendre.”
 
“Espèce d’abruti à tête molle…”
 
Loks observa avec curiosité le mage et la Drakéide qui passèrent devant elle en se disputant. Ils ne la remarquèrent même pas - non pas qu’elle soit vraiment visible dans les hautes herbes dans tous les cas. Sa peau verte la camouflait bien et si elle fermait les yeux, elle pouvait pratiquement disparaître parfois.
 
Les autres Gobelins la rendaient un peu plus repérable, bien sûr, mais à sa grande surprise, Pisces et Selys avaient également réussi à les rater. Et c’était dur de rater une trentaine de Gobelins.
 
Cela n’avait pas vraiment d’importance dans tous les cas, Loks secoua la tête et se dirigea vers l’auberge. Elle cria sur les Gobelins qui la suivaient et ils se dispersèrent dans l’herbe tandis que cinq d’entre eux attendirent avec elle devant l’auberge. En tant qu’escorte, ils étaient importants, mais l’auberge était une zone paisible. De plus, ses éclaireurs avaient déjà déterminé que l’auberge était vide si on exceptait la présence du squelette et d’Erin Solstice.
 
C’est pour cette raison que lorsque Loks entra dans l’auberge, seul Toren la vit. Libérée à présent des regards de ceux qui la suivaient, Loks prit un instant pour grimacer et tâter son flanc qui était à l’agonie. Elle marmonna pour elle-même en tâtant l’énorme bleu, mais c’est avec détermination qu’elle décida que cela ne valait pas la peine de gâcher une potion de soin dessus.
 
Le squelette ne prêta guère attention à la Gobeline, sauf pour évaluer le danger qu’elle représentait. Il remarqua qu’elle fronçait les sourcils en cherchant Erin Solstice et soupira intérieurement.
 
***

Heureusement, Loks comprit qu’Erin dormait et qu’il ne fallait pas la déranger, battant à plates coutures tous les clients de l’auberge aujourd’hui. La petite Gobeline n’était pas contente, mais Toren n’eut pas besoin de la dissuader d’entrer dans la cuisine.
 
Au lieu de cela, la Gobeline sauta sur une chaise et attrapa un échiquier. Elle marmotta tandis que Toren attendait patiemment devant la cuisine. Il regarda d’un air impassible la Gobeline qui l’ignorait.
 
Peut-être que quelqu’un qui n’était pas un squelette mort-vivant aurait réagi un peu plus devant l’apparence de Loks. Ils se seraient demandé d’où venaient les plaies sur le côté de son visage, pourquoi elle grimaçait en bougeant, ou peut-être d’où venait la potion rose-orangée à sa ceinture. C’était l’un des objets précieux qu’un observateur aiguisé aurait pur rapprocher du pillage de voyageurs.
 
Mais Toren ne s’intéressait à rien de tout cela. Au lieu de cela, le squelette était troublé par ses propres pensées. Il montait la garde pour sa maîtresse et c’était très bien. Mais il avait manqué à son devoir quelques jours plus tôt. Il avait perdu face à l’Antinium, et c’était problématique. Mal. Il sentait que cela n’aurait pas dû se passer ainsi.
 
Mais il n’était encore qu’un [Guerrier Squelette] de Niveau 3. Il n’avait pas de moyen de gagner des niveaux sauf dans sa classe de [Serveuse], et Tor sentait que cela ne l’aiderait pas particulièrement.
 
Loks continua de marmotter en se mettant à jouer une partie d’échecs. Sans adversaires, elle était obligée de jouer les deux côtés et cela ne lui plaisait pas. Elle rouspétait dans sa langue.
 
Là encore, ses mots n’auraient rien signifié pour la plupart des gens. Le langage des Gobelins était râpeux, gargouillant, et ressemblait vaguement au bruit de cailloux jetés dans un mixeur. En gros, incompréhensible pour n’importe qui qui n’était pas Gobelin.
 
Mais les morts parlent une langue universelle, et Toren la comprenait parfaitement. Il écouta, au début surtout parce qu’il n’avait pas le choix, mais ensuite avec une fascination grandissante. Il était fasciné par les commentaires de Loks sur la classe de [Stratégiste] et les échecs et il regarda l’échiquier.
 
La Gobeline joua une longue partie toute seule, puis une deuxième. Elle gagna et perdit la troisième partie, leva les yeux et faillit tomber de son siège.
 
Toren était debout, silencieux, derrière elle, et regardait l’échiquier. Loks commença à sortir son épée courte de son fourreau, mais le squelette n’essaya pas de l’attaquer. Il baissa les yeux sur l’échiquier puis s’assit, lentement, devant Loks.
 
Avec une précision mécanique, il se mit à bouger des pièces d’échecs pour les mettre dans leur position initiale. Devant les yeux éberlués de Loks, Toren choisit un pion et l’avança sur le plateau.
Elle dévisagea le squelette mort-vivant. Ses yeux d’un feu bleu fixés sur elle. Lentement, Loks se rassit sur sa chaise et examina le plateau. Elle dévisagea le squelette. Puis elle haussa les épaules.
 
Et se mit à jouer.
 
***

Ceria et Gerial marchaient dans les rues de Liscor, en bavardant et en riant. Ils descendaient une rue remplie de restaurants et de pubs. Ils étaient observés.
 
Les yeux de Scruta balayèrent la rue et elle sourit en avançant. Relc se dirigeait droit sur le leader des Cornes d’Hammerad, plusieurs rues plus loin. La [Princesse] était accroupie à une autre table, sous une cape de sort d’[Invisibilité], mais elle n’interférerait pas.
 
L’homme était un aventurier dans la moyenne. Un [Guerrier] niveau 17 - sans grand-chose qui le distingue du reste. Mais la demie-Elfe attirait au moins autant l’attention que le Minotaure. Elle ne pouvait qu’être Ceria Springwalker, membre des Cornes d’Hammerad.
 
C’était précisément eux que Scruta cherchait.
« Modifié: 31 mai 2020 à 19:44:35 par Maroti »

 


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