Des vestiges de silence ont été découverts dans les Cévennes, annonce Pujadas au Journal de 20h.
Il s’agirait d’un silence ancestral voire du silence originel d’avant le Big Bang. Les datations sont en cours au CNRS.
Il n’en fallait pas plus pour réveiller l’Indiana Jones qui dort en moi.
On y va! Sitôt dit, sitôt fait.
Shetland, gabardine, borsalino, tout est prêt sur la moto. (une Gnome et Rhône du Front Populaire qui malgré les rouillures de l’âge sait toujours lire une carte Michelin).
Et nous voilà on the road dans l’ivresse du vent et du bitume.
pot pot pot ..pot…potpot… chantonnent les pistons dans un panache d’étincelles et de fumée.
La route crayonne parmi les genets. Les villages nous regardent les yeux ronds. Le ciel arpente l’espace à grandes enjambées. Les vaches ruminent le lait qu’elles vont faire. Les rivières courent à saute-galets…
Le soir enfin, Les Mandajors. Terminus. Ouf !
Mais en guise de silence c’est un véritable boucan qui m’accueille: plain-chant, vocalises, cris de guerre, cigales, merles, martinets, éclats de rire, cliquetis des fourchettes, sonates de Chopin, braiements d’ânes …
Bref, un vrai chaudron de bruits.
J’installe mon camp de base un peu plus loin au fond du parc sous le tilleul Louis XIV (qui me servira à la fois de pare-étoile et de tisanière).
Mais à peine installé… bzzzbzzzbzzzbzzzbzzz… un bourdonnement continu quasi monastérien emplit mon espace
…bzzzbzzzzzzbzzzbzzz… une myriade d’abeilles en train de piller l’or du tilleul et le silence du monde !
Décidément, pas de chance. Patience et ténacité, c’est la devise du chercheur de silence
Il fallut attendre la nuit pour trouver les premières traces de silence. Des traces seulement au début, puis peu à peu, le silence envahit l’obscurité jusque dans ces moindres replis.
Les vers luisants allument leurs braseros. Les chauves-souris griffonnent leurs arabesques….
Les étoiles vont se baigner nues dans la fontaine. La chouette Minerve les regarde de ses yeux d’or.
Enfin du silence. Du vrai !
Je retrousse mes manches et me mets au travail…
mais… lirilorilirilorilirilori…
une flûte d’eau coule dans le bassin en dérangeant l’ordonnance cosmique.
Je me lève et j’efface.
Le silence revient, limpide, cristal pur.
sauf… frout.frout.frout frout…
Sauf ce petit froissement de feuilles contre mon oreille. J’allume la lampe. Un hérisson me regarde de ses deux perles d’obsidienne, étonné de me voir là.
Ses yeux m’interrogent, chasseur mental ? Non, je réponds.
Tranquillisé il repart, armure préhistorique sur le dos, pour son tour du monde de vers-luisants.
Je me remets au travail et finis par découvrir un filon de silence si pur que même le bruit de la pioche pour prélever des échantillons ne s’entend pas.
Je remplis ma besace de ce trésor quand soudain…
BRRRRAOOOOUUMMMMMM !!!!!!!!
Le Grand Vaisselier se casse la gueule. La Cristallerie en mille morceaux. La montagne vacille. Les arbres se recroquevillent. La chouette Minerve rentre sa tête sous ses ailes…
Bon, encore une scène de ménage là-haut au Mont Sinaï !
Puis, plus rien.
Puis Copernic remet la pendule en marche, tic tac à nouveau. La terre se remet à tourner. Le silence reprend sa baguette… et moi mon travail. Mais bientôt…
tip…. tip... tip.top… .tip…top. .top… tip..tip…
C’est ce moment que choisissent des atomes d’eau pour pianoter sur les feuilles du tilleul,
du bout des doigts, con amore, prélude pour clavier de soie
puis più animato, scherzo pour une pluie d’été…
puis accelerando
puis subito vivace…
Vite à l’abri. Je m’engouffre par l’ouverture. Ouf !
L’orage passe. Il pose ses cuivres et ses tambours et s’en va ailleurs. La pluie cesse. Le silence revient lavé de ses impuretés.
Un silence qui remplit chacune de mes cellules à ras bord. Je m’endors.
Le matin arrive l’œil vif. Il essuie les dernières flaques d’obscurité, remet en marche le 33 tours puis, comme un oiseau curieux, passe le nez par l’ouverture de mon abri.
C’est alors que du fond de l’abri trois ombres se lèvent.
Trois ombres sans cou. Sans chair. Mais avec des dents. Et des os ficelés de fils d’araignées.
Trois ombres me regardent d’un air grave.
Silence Sépulcral !
*Au XVIIème les huguenots réfugiés dans les Cévennes gardaient leurs morts dans des cabanes mortuaires sur la propriété.