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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Joseph et Jean.

Auteur Sujet: Joseph et Jean.  (Lu 1322 fois)

Hors ligne VictorTréval

  • Tabellion
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Joseph et Jean.
« le: 01 avril 2013 à 15:28:19 »
Voilà un premier jet.



D’un côté les blancs, bien rangés, c’était à eux de commencer. De l’autre les noirs prêt à contre-attaquer. Aux commandes un homme âgé, courbé, Joseph. Le travail l’a rongé, ses os craquants au moindre mouvement. Il fait peine à voir, mais ne vous y tromper pas, c’est le meilleur. Il joue les blancs. Face à lui, un homme plus jeune, les cheveux courts, une grosse barbe brune dans laquelle ses doigts se perdent fréquemment quand il réfléchit. Un homme immense, le poids qui va avec. Ils se toisent. Ils tentent de se cerner, mais dans ce jeu tout est possible, la tactique l’emporte sur la psychologie. Bien heureusement. Un premier coup, classique, sans risque. Le plateau n’est plus symétrique ; le pion blanc est avancé. Pas de réflexion possible, le coup est rendu par Jean, le géant.

Dans le parc le soleil brûle à cette heure de la journée. De sa position la plus élevé, le soleil va bientôt basculer de l’autre côté de la terre. C’est à cet endroit, que tous les jours depuis 3 ans, la partie commence. Elle peut durer toute l’après-midi ou au contraire que quelques heure, parfois même elle dure plusieurs jours. Mais dans tous les cas, il y en a une. Rarement Jean et Joseph se parlent. Pendant la partie ce n’est pas le moment. Mais Jean sait beaucoup de chose sur la vie de son adversaire. Il sait notamment que son fils devrait avoir le même âge que lui, si un bombardement à Lorient, durant la seconde Guerre Mondiale ne l’avait pas emporté.

Les quelques premiers coups d’une partie sont comme un ballet, les pièces dansent vite sur le plateau. Mais leur geste est sûr, souple et dansant. On pourrait penser à une vraie chorégraphie. La même qui revient jours après jours, parties après parties. C’est plus tard que les coups ne se prennent plus à la légère. Alors la sagesse de l’un et l’esprit de l’autre s’affrontent. Comme l’Est et l’Ouest, les lignes bougent peu, mais quand elles s’y mettent cela donne du fil à retordre à l’adversaire.
Soudain, un fou tombe, Joseph prend ici une légère avance. Vous n’imaginez pas la panique dans l’esprit de Jean. Le moment est grave, il ne faut pas perdre ses moyens en attaquant bêtement. Il faut tout de même réagir. Jean doit attaquer, répliquer. Maintenant.

 Il se souvient alors. C’était une partie de tarot, un dimanche après-midi. Comme d’habitude dans le jardin, avec une tasse de thé, toute la famille jouait au tarot. Ce jour-là, la mère de Jean l’avait traité de « sans-couille », sa propre mère ! Tout cela car il avait peur de gagner. Quelle provocation de la part d’une mère. Elle avait vraiment un caractère bien trempé. Son manque de confiance en soi, il le trainait depuis trop longtemps.

Il brille alors sur le coup suivant ; quoi que Joseph veuille faire, son cavalier est perdu. Un joueur expérimenté comme lui le sait pertinemment. Comment ces duels avaient commencés ? Ils s’en souviennent très bien tous les deux. A quatorze heures comme tous les jours, ils s’étaient retrouvés dans la cour. Joseph jouait toujours seul aux échecs. Mais ce jour-là Jean était arrivé.

-Peux jouer avec vous ?

Pas de réponse, puis un « hmm », cela voulait dire oui. Et cela dure encore. Le premier jour, ils n’avaient rien échangé. Puis ils s’étaient vus en dehors de leurs parties d’échecs, et avaient commencé à parler au fil des semaines qui passaient. Joseph, vieux bougre, est rustre en apparence. Rien d’étonnant à cela étant donné son physique rabougrie, ses doigts goures et ses rides creusés ; on peut dire de lui qu’il a fait la guerre des tranchés. Son corps a subi les malheurs dont son esprit fut protégé. Mais il  fini par s’ouvrir, et mis appart l’histoire de la mort de son fils il a beaucoup confié à son camarade de jeu. Jean, lui, est bien plus introverti. Il a la trentaine, mais on lui donne vingt ans de plus. Sa vie avait été dure. Il porte la barbe mieux que personne. Son nez est parfait, ses yeux clairs. L’hiver il met un bonnet sur ses longs cheveux hirsutes et sales. Malgré le manque de nourriture, qui n’a de nourriture que le nom, il ne perd pas de poids. Un Cro-Magnon.

La partie semble un peu bloquée, chacun a barricadé son camp. Les blancs sont tout de même légèrement en meilleure position. Rien n’est joué à ce moment-là de la partie. Quelques coups neutres sont joués, un pion avancé, un roque. A cette époque-ci, dans la banlieue de Nancy, le soleil ne tarde pas à passer de l’autre côté du grand mur qui borde cette cour. Jean donne tout, un mouvement de cavalier dangereux, risqué, osé ! Une erreur ? Surement face à Joseph. Le coup est rendu, alors là, dilemme. Joseph, pour la première fois de la journée sourit. La partie devient pesante. Pesante, mais ainsi très intéressante. Les esprits sont titillés. Jean ressent une pression physique, il est tiraillé par la prétention soudaine de son adversaire. La partie va se jouer sur les prochains coups. Chacun ne le sait que trop. La tension est visible entre les deux joueurs. On veut gagner des deux côtés. Ces deux personnages sont de réels compétiteurs. Jean jette un œil à l’horloge sur le mur gris. Trop tard, plus le temps de réfléchir. Il avance sa reine.

Joseph, immédiatement, encore souriant, avance sa tour jusqu’au côté du roi. Se lève, foule la cour rapidement, passe devant un gardien. Bientôt il sera dans sa cellule. Jean sait ce que cela veut dire, il range méticuleusement chaque pièce dans la petite boîte en bois, pli le plateau en carton. Puis un murmure.

-Pas grave.

Il gagnera demain.      

 


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