Allez, je fais ma bonne action de la nuit, et je vous parle d'un livre vraiment chouette pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à l'évolution de l'édition au cours du XXème et à l'édition indépendante. Autant le dire tout de suite : c'est un livre engagé, à gauche et pour l'édition indépendante, qui se conclut sur un appel à la lutte contre la domination du marché.
En résumé : André Schiffrin est le fils de Jacques Schiffrin, fondateur de la Pléiade qui, obligé de s'exiler aux Etats-Unis lors de la seconde guerre mondiale, a participé là-bas à la création de Pantheon Books, une maison de haut niveau littéraire et culturel. Ce que raconte André Schiffrin, c'est l'histoire de cette maison, ses rachats successifs, comment elle s'est peu à peu faite démantelée par les grands groupes qui l'accusaient de ne s'adresser qu'à une élite et de ne pas faire suffisamment de profits. Comment, enfin, André Schiffrin a été obligé de quitter Pantheon et est parvenu à fonder une autre maison à but non lucratif qui tente de vivoter aux milieux des géants de l'entertainement.
A travers son histoire, André Schiffrin donne un aperçu de ce qu'à été l'évolution de l'édition en Amérique (et, dans une moindre mesure, en Europe) au cours de ces dernières décennies : d'une édition artisanale avec souvent la même idée selon laquelle "n'importe qui est capable de lire ce qu'il y a de mieux et doit pouvoir le trouver dans tous les drugstores" à un industrie concernée uniquement par le profit, misant des sommes folles sur quelques best sellers au dépend du reste de la production éditoriale.
Mon avis :C'est un livre assez court, et que j'ai trouvé vraiment intéressant et facile à lire. Pour ma part, même si ce sont des thèmes que nous avions déjà étudiés en cours cette année, ce livre m'a déterminée un peu plus dans mon envie de défendre une édition indépendante de qualité, j'ai kiffé. Seul reproche : ça commence à dater un peu et ça s'en ressent lorsqu'il parle des nouvelles technologies (mais pas tant pour le reste).
En conclusion, un livre vraiment à lire si vous vous posez des questions sur le rôle d'un éditeur et sur l'avenir de l'édition indépendante.
La suite, le Contrôle de la parole (éditions de la Fabrique) paraît aussi très intéressante, plus récente, et plus centrée sur l'édition française. Je pense que je ne vais pas tarder à me l'offrir.
Allez, c'est cadeau, un
p'tit extrait :"Lors d'une réunion décisive, il nous fut donné de voir quel abîme nous séparait. Vitale passait en revue les livres que nous allions publier, liste dont j'étais particulièrement fier. "Qui est ce Claude Simon ?" demanda-t-il avec mépris, n'en ayant visiblement jamais entendu parler, "et ce Carlo Ginzburg ?". Je remarquai que ses yeux se portaient d'abord sur la partie droite de la feuille, celle de la colonne de chiffres, et qu'ensuite seulement il regardait les titres des livre. C'était comme si nous dirigions une usine de chaussures et fabriquions systématiquement des chaussures trop petites pour la majorité des clients. Quel était l'intérêt de publier des livres à si petit tirage ? N'avions-nous pas honte ? Comment pouvais-je me regarder le matin dans la glace sachant que j'allais publier des titres aussi lamentablement déficitaires ? "
