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Auteur Sujet: Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !  (Lu 3087 fois)

Hors ligne Loup-Taciturne

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Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« le: 04 novembre 2019 à 20:09:47 »


"Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !"

Bonjour à toutes et à tous,

L'idée est ici de parler du voyage (sous n'importe quelle forme ou dimension) et de l'art (au sens très large qui englobe toute production matérielle et immatérielle, fictive ou documentaire (si la distinction a un sens), scientifiques, populaire ou que sais-je). L'art du voyage, le voyage dans l'art, l'art dans le voyage.

Je propose de partager des réflexions à partir de matériaux, ou simplement de proposer ces matériaux bruts. Parfois, la rencontre avec une œuvre nous conduit au silence. Pourquoi redire ce qui a été bien dit ? Parfois au bavardage. Comment (com)prendre ce qui a été dit ?

Enfin, pour le moment je partage deux points de vue qui ont contribué grandement à me former une approche critique du voyage (et du mythe qui l'accompagne et qui prospère encore aujourd'hui en tant que marqueur de prestige social et capital culturel). Ils me sont venus sous les plumes de Baudelaire ("Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !") et de Lévi-Strauss ("Je hais les voyages et les explorateurs").

Je vous invite à les suivre et les faire suivre de vos trouvailles concordantes ou discordantes.

Citation de: Claude Lévi-strauss, Tristes tropiques.
Cette scorie de la mémoire : « A 5 h 30 du matin, nous entrions en rade de Recife tandis que piaillaient les mouettes et qu'une flottille de marchands de fruits exotiques se pressait le long de la coque », un si pauvres souvenir mérite-t-il que je lève la plume pour le fixer ?
Pourtant, ce genre de récit rencontre une ferveur qui reste pour moi inexplicable. L'Amazonie, le Tibet et l'Afrique envahissent les boutiques sous forme de livres de voyages, compte rendus d'expédition et albums de photographiez où le souci de l'effet domine trop pour que le lecteur puisse apprécier la valeur du témoignage qu'on apporte. Loin que son esprit critique s'éveille, il demande toujours d'avantage de cette pâture, il en engloutit des quantités prodigieuses. C'est un métier, maintenant, que d'être explorateur, métier qui consiste, non pas, comme on pourrait le croire, à découvrir au terme d'années studieuses des faits restés inconnus, mais à parcourir un nombre élevé de kilomètres et à rassembler des projections fixes ou animées, de préférence en couleur, grâce à quoi on remplira une salle, plusieurs jours de suite, d'une foule d'auditeurs auxquels des platitudes et des banalités sembleront miraculeusement transmutées en révélations pour la seule raison qu'au lieu de les démarquer sur place, leur auteur les aura sanctifiées par un parcours de vingt mille kilomètres.
Qu'entendons-nous dans ces conférences et que lisons-nous dans ces livres ? Le détail des caisses emportées, les méfaits du petit chien du bord, et, mêlées aux anecdotes, des bribes d'information délavées, traînant depuis demi-siècle dans tous les manuels, et qu'une dose d’imprudence peu commune, mais en juste rapport avec la naïveté et l’ignorance des consommateurs, ne craint pas de présenter comme un témoignage, que dis-je, une découverte originale. Sans doute il y a des exceptions, et chaque époque a connu des voyageurs honnêtes, parmi ceux qui se partagent aujourd'hui les faveurs du public, j'en citerais  volontiers un ou deux. Mon but n'est pas de dénoncer les mystifications ou de décerner des diplômes, mais plutôt de comprendre un phénomène moral et social, très particulier en France et d'apparition récente, même chez nous.
(…)
Vis à vis des résultats qu'on voudrait appeler rationnels de ces aventures, la société affiche une indifférence totale. Il ne s'agit ni de découverte scientifique, ni d'enrichissement poétique et littéraire, les témoignages étant le plus souvent d'une pauvreté choquante. C'est le fait de la tentative qui compte et non pas son objet. Comme dans notre exemple indigène, le jeune homme qui, pendant quelques semaines ou quelques mois, s'est isolé du groupe pour s'exposer (tantôt avec conviction et sincérité, tantôt avec prudence et roublardise, mais les sociétés indigènes connaissent aussi ces nuances) à une situation excessive, revient nanti d'un pouvoir, lequel s'exprime chez nous par les articles de presse, les gros tirages et les conférences à bureau fermé, mais dont le caractère magique est attesté par le processus d'automystification du groupe par lui-même qui explique le phénomène dans tous les cas. Car ces primitifs à qui il suffit de rendre visite pour en revenir sanctifié, ces cimes glacées, ces grottes et ces forêts profondes, temples de hautes et profitables révélations, ce sont, à des titres divers, les ennemis d'une société qui se joue à elle-même la comédie de les anoblir au moment ou elle achève de les supprimer, mais qui n'éprouvait pour eux qu'effroi et dégoût quand ils étaient des adversaires véritables. Pauvre gibier pris au piège de la civilisation mécanique, sauvages de la forêt amazonienne, tendres et impuissantes victimes, je peux me résigner à comprendre le destin qui vous anéantit, mais non point être dupe de cette sorcellerie plus chétive encore que la vôtre, qui brandit devant un public avide des albums en kodachrome remplaçant vos masques détruits. Croit-il par leur intermédiaire réussir à s'approprier vos charmes ? Non satisfait encore ni même conscient de vous abolir, il lui faut rassasier fiévreusement de vos ombres le cannibalisme nostalgique d'une histoire à laquelle vous avez déjà succombé.
Prédécesseur blanchi de ces coureurs de brousse, demeuré-je donc le seul à n'avoir rien retenu dans mes mains, que des cendres ? Mon unique voix témoignera-t-elle pour l'échec de l'évasion ? Comme l'Indien du mythe, je suis allé aussi loin que la terre le permet, et quand je suis arrivé au bout du monde, j'ai interrogé les êtres et les choses pour retrouver sa déception : «  Il resta là tout en larmes ; priant et gémissant. Et cependant, il n'entendit aucun bruit mystérieux, pas d'avantage ne fut-il endormi pour être transporté dans son sommeil au temple des animaux magiques. Il ne pouvait pas subsister pour lui le moindre doute : aucun pouvoir, de personne, ne lui était échu... »



Citation de: Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal.
CXXVI

LE VOYAGE
à Maxime du Camp

I

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !

II

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où !
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! »
Une voix de la hune, ardente et folle, crie :
« Amour… gloire… bonheur ! » Enfer ! c’est un écueil !

Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.

Ô le pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ;
Son œil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.

Dites, qu’avez-vous vu ?

IV

« Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages,
Et toujours le désir nous rendait soucieux !

— La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? — Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !

Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »

V

Et puis, et puis encore ?

VI

« Ô cerveaux enfantins !

Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché :

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
« Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! »

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense !
— Tel est du globe entier l’éternel bulletin. »

VII

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme ; il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : « Par ici ! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin ? »

À l’accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
« Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! »
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !


"Faut-il partir ? rester ?"


L'étreinte du serpent, Ciro Guerra, 2015.
« Modifié: 04 novembre 2019 à 20:35:31 par Loup-Taciturne »
« Suis-je moi ?
Suis-je là-bas, suis-je là ?
Dans tout "toi", il y a moi
Je suis toi. Point d'exil
Si je suis toi. Point d'exil
Si tu es mon moi. Et point
Si la mer et le désert sont
La chanson du voyageur au voyageur
Je ne reviendrai pas comme je suis parti
Ne reviendrai pas, même furtivement »

Hors ligne Meilhac

  • Comète Versifiante
  • Messages: 4 047
Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #1 le: 05 novembre 2019 à 18:57:22 »
merci Loup-Taciturne pour ce fil
sujet intérssant, important, existentiel, artistique (et aussi, social, économique, écologique, esthétique, artistique, etc.).


bon, avant tout : le tourisme c'est de la merde


mais heureusement y a le voyage, thème + large, + intéressant


mais quand même : le fait qu'en 2019, la croissance mondiale du secteur touristique (6%) est à peu près deux fois plus grande que la croissance mondiale tout court (3%), c'est intéressant, ça fait réfléchir


quant à moi j'adore le dépaysement


et parlons littérature : baudelaire et lévi-strauss, c'est hyper intéressant et stimulant

le faux départ de des esseintes (à rebours) c'est hyper profond en fait (quand il fait ses malles, poireaute dans un bistrot, rentre chez lui)


dépaysement forever


on pourrait aussi "convoquer" dans la discussion des gens comme bouvier (je trouve ça chouette), tesson (je trouve ça mauvais), segalen (pas si mal, mine de rien), loti (j'aime bien), etc.


merci Loup taciturne ! sujet immémorial, intempestif, et ultra moderne !!  :)

Hors ligne Loup-Taciturne

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  • serviteur de Saturne
Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #2 le: 06 novembre 2019 à 14:21:56 »
Avec plaisir,

(parenthèse)
Tous les "voyageurs" diront que le tourisme est une plaie. Mais la distinction entre touriste et voyageur n'est peut-être pas si mince. Quelle différence entre le tourisme et le voyage ? Un backpack sur le dos fait-il de nous un voyageur plutôt qu'un touriste ?

N'y a-t-il pas dans le tourisme organisé, "all inclusive", une sorte de sincérité : on vient consommer et prendre du soleil dans des infrastructures prévues à cet effet. Sans fantasme pour un exotisme vierge, une altérité radicale pure ?

N'y a-t-il pas une certaine hypocrisie dans le voyage(eur), comme le dit Lévi-Strauss, à rechercher la pureté, l'authenticité, en dénigrant le tourisme qui polluerait ce fantasme, cependant tout en y participant ? 

Le voyage éclair en deux semaines qui consiste à faire le tour du plus grand nombre de monuments "authentiques", "culturels" et populaires, devant des paysages et des populations exotiques, et à se photographier devant. photographies que l'on rapportera comme des trophées, c'est du tourisme ou du voyage ? Sans parler du volontourisme pseudo-humanitaire.

Le mythe du voyage n'appelle-t-il pas au voyage touristique de masse, dans des endroits toujours plus reculés et en besoin de protection, plutôt qu'au voyage "responsable" et éthique, au voyage comme une rencontre ?

Les pays qui accueillent des étrangers pour des séjours de courte durée, les voient-ils la plupart du temps comme des touristes ou des voyageurs ?
Le tourisme est une forme de voyage. Comment voyager autrement que comme un "touriste", du moins l'image négative que l'on en a ? Sachant que pour l'économie d'un pays, il vaut souvent mieux recevoir un "touriste" qu'un "voyageur".

Le touriste finalement, ce n'est pas un peu toujours l'autre ?
-------

« Suis-je moi ?
Suis-je là-bas, suis-je là ?
Dans tout "toi", il y a moi
Je suis toi. Point d'exil
Si je suis toi. Point d'exil
Si tu es mon moi. Et point
Si la mer et le désert sont
La chanson du voyageur au voyageur
Je ne reviendrai pas comme je suis parti
Ne reviendrai pas, même furtivement »

Verasoie

  • Invité
Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #3 le: 06 novembre 2019 à 16:18:21 »
On peut voyager sans se déplacer. C'est ça la différence entre le tourisme et le voyage.

(Selon moi.)

Citer
Le tourisme est une forme de voyage.

Mais je reste d'accord avec ça. Le tourisme suppose un voyage, le voyage ne suppose pas forcément du tourisme ^ ^

Je pense que parler de "voyage responsable et éthique" c'est bien plus complexe que ça n'en a l'air, et ça englobe tellement de paramètres... (mode de déplacement, mode de consommation sur place, communication avec les gens sur place et les autres voyageurs...). J'pense que même les plus engagés à voyager de façon éthique se heurtent tôt ou tard aux limites de leur choix et au mur de leurs conséquences. (Ce qui n'empêche pas d'essayer de faire de son mieux !).

Dernièrement, le voyage physique m'inspire plutôt ça (après avoir fait le tour du monde, tout ce qu'on veut c'est être à la maison x)), et le voyage qui me tente a plus vraiment de notion géographique. On est encore dans le thème ? : P

Hors ligne Erwan

  • Grand Encrier Cosmique
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Re : Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #4 le: 06 novembre 2019 à 16:42:47 »
On peut voyager sans se déplacer. C'est ça la différence entre le tourisme et le voyage.
[...]

Je suis d'accord avec ça !

[...]
Le mythe du voyage n'appelle-t-il pas au voyage touristique de masse, dans des endroits toujours plus reculés et en besoin de protection, plutôt qu'au voyage "responsable" et éthique, au voyage comme une rencontre ?
[...]

Peut-être qu'il faut effectivment parler de snobisme dans ce rejet du tourisme et cet amour du "vrai voyageur". Le voyage étant alors une dénomination "distinguée" du tourisme. Le tourisme c'est pour le beauf, moi je voyage... Un peu comme il y en a qui conduisent, d'autres qui pilotent. Après, s'il existe une vrai définition du voyage "authentique", elle variera sûrement avec le temps et les cultures. Prendre l'avion polluant pour 12 heures d'affilé est peut-être passé de mode, aujourd'hui. Le snobisme, c'est d'être éco-responsable maintenant, soit. Je suis dubitatif devant ces érotisations de certains concepts, le "vrai" voyage versus le "faux". La seule bonne manière de voyager, c'est peut-être celle qui ne nuit à personne (ou plutôt le moins possible) et qui fait plaisir à celui qui le vit. Être différent n'est pas forcément être moins bien, etc.

Concernant le voyage comme une rencontre, ça peut-être avec soi-même. Certains paysages et certains lieux se goûtent mieux dans le silence et la solitude, je trouve.
« Modifié: 06 novembre 2019 à 16:50:40 par Erwan »

Hors ligne Meilhac

  • Comète Versifiante
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Re : Re : Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #5 le: 06 novembre 2019 à 17:09:41 »

Peut-être qu'il faut effectivment parler de snobisme dans ce rejet du tourisme et cet amour du "vrai voyageur". Le voyage étant alors une dénomination "distinguée" du tourisme. Le tourisme c'est pour le beauf, moi je voyage... Un peu comme il y en a qui conduisent, d'autres qui pilotent. Après, s'il existe une vrai définition du voyage "authentique", elle variera sûrement avec le temps et les cultures. Prendre l'avion polluant pour 12 heures d'affilé est peut-être passé de mode, aujourd'hui. Le snobisme, c'est d'être éco-responsable maintenant, soit. Je suis dubitatif devant ces érotisations de certains concepts, le "vrai" voyage versus le "faux". La seule bonne manière de voyager, c'est peut-être celle qui ne nuit à personne (ou plutôt le moins possible) et qui fait plaisir à celui qui le vit.

yep y a des enjeux de distinction sociale c'est sûr dans tout ça

érotisme/pornographie
etc

perso je suis contre et le tourisme, et le voyage.

je suis contre. je trouve ça triste.

je suis pour la rencontre (avec un pygmée, avec mon boulanger, avec un hinuit, avec la caissière de franprix), et pour le dépaysement (changement de continent, changement de saison, changement de pied pour sortir de mon lit, changement de métier).

Hors ligne Loup-Taciturne

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  • serviteur de Saturne
Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #6 le: 06 novembre 2019 à 20:22:30 »
Citer
le voyage qui me tente a plus vraiment de notion géographique. On est encore dans le thème ?
Parfaitement, l'art est truffé de voyages "non géographiques". Et il y a un art de voyager qui n'est pas géographique. C'est pourquoi j'ai parlé de voyage au sens très large en ouvrant ce fil. Voyage initiatique, voyage mental, voyage dans la lune, voyage sur la toile, voyage extatique, voyage sncf, voyage voyage, transe etc.
Citer
Je suis dubitatif devant ces érotisations de certains concepts, le "vrai" voyage versus le "faux".
Oui, d'ailleurs je complète :
exotisme/érotisme/pornographie/tourisme sexuel
Citer
y a des enjeux de distinction sociale c'est sûr dans tout ça
en effet, ici, et là bas des enjeux néocoloniaux
Citer
Citation de: Verasoie le Aujourd'hui à 16:18:21
    On peut voyager sans se déplacer. C'est ça la différence entre le tourisme et le voyage.
    [...]
On peut aussi faire du "tourisme" sans se déplacer. C'est un peu ce que dis Levi-Strauss quand il parle de la "littérature" de voyage et le business qui va avec il me semble. Aujourd'hui il y a les blogs de voyage qui font baver les touristes fascinés, les réseaux sociaux ou chaque touriste met en scène son meilleur profil de voyageur etc.

Et il y a les "influenceurs" qui se font inviter dans les meilleurs hôtels par des industries touristiques en plein essor et en besoin de pub. Ils filment leurs "aventures" pour des personnes qui les vivront par procuration, en véritables touristes du net.
Le tourisme semble être perçu et vécu comme une forme de voyage superficielle, peu engageante. Aux deux sens du terme. Il n'en demeure pas moins qu'en temps que forme de voyage il doit en posséder des attraits et des attributs.


------
Alors qu'est ce que le voyage ? Un parcours, une (des) rencontre(e) et une initiation à la fois. Le tout appréhender sur plan de l'expérience, d'aller vers un extérieur ou un intérieur qui n'est pas l'expérience commune ? Le voyage est-il une entreprise de connaissance ? Peut-on affirmer avoir voyagé sans n'avoir rien parcouru, rencontré, appris ? Je serais assez tenté de partir sur cette base pour définir le voyage.

"Action", "se déplacer", "se transporter", "lieu autre", "parcours", "étranger" sont les termes qui reviennent dans les définitions communes. Et ces termes peuvent êtres compris dans leur sens figuré.

Il m'apparait alors que le voyage est intimement lié à la rencontre de l'altérité. Sous quelque forme qu'elle soit. Voyager ne serait-ce pas aller à la rencontre de ce qui n'est pas soi, de ce qui n'est pas connu ou vécu communément par soi ? Quand bien même cela serait une part de soi-même qu'on ne connait pas encore, dont on n'a pas fait connaissance ?

Peut être que percevoir la différence entre exotisme et altérité, de même que la différence entre authenticité et identité, pourrait nous aider à saisir une clef du voyage.

A mon sens la recherche de l'exotisme et de authenticité est égocentrée et ethnocentrée car elle procède par attente, préjugé et fantasme. L'Autre (quelque soit sa forme, culturelle, humaine, paysagère) doit correspondre à l'idée que je m'en fais et en confirmer le stéréotype. Si par malheur son image est "brouillée", "corrompue"ou "impure", c'est la déception, j'imagine que je n'ai pas à faire à la "vraie" forme. Pour moi la recherche d'exotisme et d'authenticité conduit à l'échec de la rencontre et donc de la connaissance de l'Autre. L'Autre est fabriqué, objectivé par le regard du touriste/voyageur, il ne vaut plus pour ce qu'il est mais pour le fantasme qu'il suscite et représente. Fantasme que le "voyage" est censé réaliser, rassasier. Mais faut-il dans ce cas parler de voyage ?

Au contraire, la recherche de l'altérité suppose de reconnaitre à l'Autre une identité propre, non fantasmée et non stéréotypée qu'on ignore jusque là. Elle suppose de n'avoir aucune attente, ou du moins d'être capable de s'en défaire pour accueillir la différence comme elle se manifeste chez l'Autre. Si l'exotisme et l'authenticité figent l'Autre à travers un regard médusé, l'identité reconnue comme telle est approchée de manière plurielle et mouvante. Comme dans l'eau, le regard peut s'y surprendre, s'y reconnaitre, mais aussi s'y plonger, s'y réfléchir sans jamais s'y trouver à l'identique, sans pouvoir s'en saisir. Insaisissable mouvement de l'eau, innombrables reflets, insondables profondeurs. Il y a là dans cette perception de l'Autre une possibilité de ne pas passer à côté de la rencontre et d'ébaucher un chemin vers sa connaissance. Est-ce cela voyager ?

Peut-être que le voyage touristique a plutôt tendance à produire la première catégorie de rapport à l'Autre, alors que le voyage devrait conduire à la seconde.
Peut-être que voyager, que l'on soit dans une démarche de touriste, de lecteur, de voyageur au long court, d'usager de la sncf, d'introspection ou que sais-je, c'est franchir le pas d'oublier, d'abandonner une part de soi (s'oublier, s'abandonner à) pour accueillir l'altérité. En cela on pourrait définir le voyage comme un processus, une démarche (aux deux sens), une posture face à l'altérité, plutôt que comme une expérience factuelle et objective de déplacement ici où là, dans ceci ou hors cela.

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Je ne sais pas si ces propos préliminaires aideront à cadrer le sujet et inspireront à convoquer des œuvres et exposer des matériaux. A nous faire voyager... Je l'espère.

« Modifié: 06 novembre 2019 à 20:37:22 par Loup-Taciturne »
« Suis-je moi ?
Suis-je là-bas, suis-je là ?
Dans tout "toi", il y a moi
Je suis toi. Point d'exil
Si je suis toi. Point d'exil
Si tu es mon moi. Et point
Si la mer et le désert sont
La chanson du voyageur au voyageur
Je ne reviendrai pas comme je suis parti
Ne reviendrai pas, même furtivement »

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Re : Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
« Réponse #7 le: 08 novembre 2019 à 20:49:17 »
"Ch'plane très bien tout seul" - F'murr

Je pensais à mes voyages limbiques avant de me heurter au propos effectivement sédentaire que constitue le présent débat, et comment chacun y a ajouté sa touche : je crois ne pas aimer le tourisme quand on piétine mon territoire, mais apprécie fouler le premier les terres qui me sont inconnues.... il y a transition géolocalisée et transition géolocalisée, mais je ne m'ôte de la tête que l'idée d'inventer un mot qui signifie 'voyage' dans le sens que je lui octroie, c'est juste un truc de gens coincés dans leur maison. Un truc de fourmi. Un truc de chien de La Fontaine. Et comme, à l'inverse de la critique facile, je ne choisis pas d'être loup ou chien, je me trouve enchaîné à aimer oui, partir en vacances pour fuir l'immobilisme institué que constitue mon quotidien. J'aime les voyages flash entre quelques pas de promenade et le dépaysement que j'y trouve. J'ai vécu de très bonnes expériences un sac au dos et avec des moyens relatifs à la vie nomade...
Mais.
La notion d'habitat est concomitante à celle du voyage, non ?
Je veux dire : ne rêve-t-on pas de voyages uniquement parce que nous habitons ?

Si on se marchait pas dessus on s'enfermerait pas dans la sédentarité pour ensuite rêver de se barrer.
Le problème de l'ours dans la grotte...
(EDIT : ...et de la pluie dehors de la grotte)
« Modifié: 08 novembre 2019 à 20:51:01 par Dot Quote »
"i don't care if your world is ending today
because i wasn't invited to it anyway
you said i tasted famous, so i drew you a heart
but now i'm not an artist i'm a fucking work of art"

(s)AINT - marilyn manson

 


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