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29 mars 2024 à 07:35:52
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Sans les mots... [défi juin 2019]

Auteur Sujet: Sans les mots... [défi juin 2019]  (Lu 2550 fois)

Hors ligne gage

  • Calame Supersonique
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Sans les mots... [défi juin 2019]
« le: 26 juin 2019 à 22:22:34 »


Qu'est-ce qu'il doit faire, du coup, retourner Chez Rudy pour secouer le flipper ? Aller draguer au bord du canal ? Rentrer se mater des vidéos dans sa chambre ? Faire deux-trois longueurs à la piscine ?
Qu'est-ce qu'il faut faire, en fait ?
De quoi remplir cette journée trop chaude, cette journée sans fin ?
Jonathan a déjà fait cinq fois le tour du centre ville, et rencontré personne.
Trop chaud. « Trop chaud et tous barrés ailleurs, putain de mois d'août. »
Le canal est en plein soleil, la piscine d'été est surpeuplée, la chambre est une étuve et chez Rudy c'est concours de belote, c'est vrai... pas moyen d'aller jouer, finalement.

Rue Diderot, ça pue la merde de chien surchauffée, « Ça va faire quinze fois que je la remonte... C'est pas vrai, je vais pas passer ma journée à ça...
Je veux pas entrer chez Lidl pour être au frais.
Je veux pas entrer au musée pour être au calme, y a que des vieux là-dedans.
Je veux pas aller au square, je pourrai pas fumer, à cause des mioches. Enfin, à cause de leurs mères. »

Sur les remparts, c'est plein de touristes, et vraiment caniculaire ; Jonathan descend le chemin de ronde et s'adosse au frais de la muraille, allume une des cigarettes qu'il s'est roulées au réveil, et laisse errer son regard autour de lui.
« Mais quelle ville de merde... Si j'avais un scooter je serais allé au lac. Y a toujours deux ou trois filles qui veulent rigoler. Eh puis montrer ses pecs sur un pédalo, c'est la classe  ».
Il continue à dévisager la rue en tirant sur sa clope.
« J'me fais chier, y a pas d'autre mot... Je vais me coucher ce soir, j'aurai rien glandé de la journée, vive l'été, merde ! Un vrai trou, il a eu raison de se barrer Christopher. Regarde tous ces magasins fermés... et tous ces vieux partout. C'est pas une ville, c'est un Ehpad ! »

Une fois son mégot écrasé sous ses Nike, Jonathan longe les fortifications, pour profiter de l'ombre jusqu'au carrefour, où il bifurque à droite.
« Y a pas, faut que je passe à l'appart chercher ma casquette, je vais cramer sinon... »
Mais il n'a pas envie non plus. Le centre-ville fait glisser sous ses pieds ses trottoirs de goudron ramolli, ses passages protégés blancs-sales, ses pavés disjoints, il s'imagine vu du dessus comme un rat dans un labyrinthe.
« Oui, c'est exactement ça : le putain de rat du film de l'autre soir... » Et le revoilà dans la rue Diderot, même odeur, même cagnard.
Même ennui.
La sueur lui coule le long du dos, il lève un instant les bras en se tenant la nuque, pour qu'un courant-d'air illusoire rafraîchisse ses aisselles que son maillot jaune des Lakers expose. Comme le soleil se déplace, l'ombre se réduit le long des murs, alors il choisit de prendre par les ruelles étroites, sur sa gauche. Ensoleillées aussi, mais sensiblement plus fraîches. En s'engageant dans la rue des Hallebardiers, il manque de marcher sur une paire de lunettes de soleil perdues là, près d'un soupirail qui lui souffle une haleine de cave humide quand il se penche pour les ramasser.
« Ouah la classe, on dirait les lunettes à Kaaris ! Et elles sont nickel ! Attends la tête que ça va me faire, trop la classe ! »
Il avise un peu plus loin une vitrine qui pourrait lui servir de miroir, et presse le pas tout en  admirant sa trouvaille.
« Merde, encore un magasin fermé... C'est crade, mais ça devrait le faire. »


Jonathan pose les lunettes sur son nez et recule un peu, pour mieux juger de l'effet obtenu. Mais alors que ses yeux devraient accommoder pour voir son image au-delà de la vitrine, son regard s'arrête d'abord à la surface poussiéreuse que le soleil ennoblit.

« Ouahh c'est...c'est.. C'est comme du gel. Non, c'est pas ça. Comme quand il fait froid, comment on dit ?... C'est beau comme en hiver, comme un pare-brise qu'il faut gratter. Un peu comme quand tu te gaufres à la patinoire et que tu vois de près ces brillements de cristaux et de rayures très fines. C'est que de la poussière, mais avec le soleil pile vertical qui frôle la vitre...

Mais c'est aussi... comme ces miroirs tout pourris du brocanteur de la rue Basse ; tu te vois pas trop dedans, mais du coup ça ressemble plus à un souvenir de toi que ton vrai portrait.

Et aussi comme les vitres du cabinet médical, qui sont en verre de papier calque et qui ne sont jamais vraiment de la même couleur dans la journée. »

Jonathan se déplace le long de la vitrine, et plaque ses mains contre le verre sale.
« Mes mains sont deux étoiles de mer, noires et luisantes, qui glissent et dessinent leurs propres vagues. »
Pris d'une sorte de haut-le-cœur, il a un léger recul, et perçoit enfin son reflet, cette silhouette longue et fine, avec le soleil qui pose de l'or sur le haut de son front, sur ses pommettes, ses épaules noires.
« Je suis... quoi ? Beau ? Non ! Fier ? Non, c'est pas ça ! Bordel, j'ai pas les mots ! Je suis comme une statuette d'Artisans du Monde ?
Nonnn !
Je suis... noble. Ça doit être ça, noble comme un guerrier africain, habillé en jaune et rouge, même si c'est des fringues de sport. »
Il a du mal à détacher son regard de cette allégorie figée dans l'épaisseur du verre, peut-être parce qu'il n'arrive pas à énoncer ce qu'elle lui montre. Les battements de son cœur s'accélèrent. Il s'arrache à sa contemplation et remonte machinalement la rue, désorienté. Il traverse, jette un coup d’œil sur sa droite. La façade de la cathédrale apparaît.

« Bordel, pourquoi ? Pourquoi une falaise grise avec un grand ciel bleu derrière ? Pourquoi plein de trucs qui n'ont rien à voir ? Putain, putain de putain, j'ai pas les mots. J'AI PAS LES MOTS !  Pourquoi c'est comme si c'était beau, et que c'était triste à la fois ? Pourquoi je crois voir des souvenirs, des rochers ou comme le front de quelqu'un que je kiffe ?...  Non ! C'est pas vraiment ça... Bordel, j'ai pas les mots... »
Jonathan commence à courir. Autour de lui la rue n'est plus la même, ni les odeurs ni les couleurs. Les rayons de soleil qui miroitent sur les chiens assis des toits du presbytère, le ballet des moucherons sous les tilleuls du square, la petite jupe rose d'une fillette penchée à la fontaine, l'exhalaison des seringats à travers un portail, tout l'agrippe, l'enfièvre, le blesse, fait poindre un désarroi diffus, qui augmente à chacun de ses pas, qui le rattrape dans sa course et le submerge.

« Je...
C'est...
Non... non !

J'ai pas les mots, j'ai pas les mots, j'ai pas les mots... »

Puis il interrompt sa fuite, puis il ralentit son pas, puis il s'arrête, puis il s'assied sur un muret.
Adossé à une grille qui verdit son dos, assommé, il ne sent pas la sueur couler sur ses tempes, dans son cou. Il se prend la tête à deux mains et se rend compte qu'il porte toujours les lunettes, et qu'il ne sait même pas si elles lui vont. Il les retire machinalement, et a l'impression brutale que son cœur s'effondre dans sa poitrine. Il ne reste plus que la chaleur, il ne reste plus que la solitude, et une sorte de vide incommensurable.
Alors Jonathan commence à pleurer, soulevé par des sanglots qui l'étouffent. Il ne comprend plus rien. Les pleurs durent un moment, puis l'idée lui vient subrepticement que peut-être, c'est juste la chaleur, juste le soleil qui sont responsables de son état. Qu'il a fait une sorte de malaise ; une insolation. Oui, sans doute une insolation. Un coup de chaud.
Une dernière larme tombe de son nez et s'écrase sur le verre gauche de ses lunettes. Il l'essuie avec le bord de son maillot, et pour juger du résultat, il les lève devant ses yeux.
Il est pris d'un frisson : selon qu'il regarde le front clair de la maison qui lui fait face à travers les verres ou à côté, ça n'a rien à voir.
Sans les verres, c'est un bête mur avec des fenêtres, des fenêtres avec des rideaux.
À travers les verres, eh bien c'est pareil, mais ça n'a rien à voir. Les idées se télescopent, les correspondances, les associations. Tout est tellement plus riche, riche d'émotions, de sens, de messages qui lui semblent venir aussi bien de ce qu'il voit que de son propre songe intérieur.
« Non, je peux pas, je peux pas... J'ai pas les mots, c'est beaucoup trop pour moi. » Des larmes lui montent encore, alors il se lève, pose les lunettes sur le muret, et s'éloigne en remontant la rue.
Il fait chaud, il n'y a rien à voir, rien à faire. Il agite un peu le bas de son maillot pour se faire de l'air.




§§§



Il a dévalé la rue. Étonné par l'ampleur de sa crainte qu'elles n'y soient plus. Elles étaient là, patientes, sur une parcelle de mousse poussiéreuse. Il a d'abord le réflexe de les mettre, mais les accroche finalement par une branche, à son encolure.
« Bon, d'abord, mec, faut que tu trouves les mots, OK ? Alors direction la médiathèque ; si t'as du bol, c'est climatisé. Pis peut-être qu'il y a des minettes en stage... qui sait ? »











 

« Modifié: 06 août 2019 à 18:51:08 par gage »
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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #1 le: 27 juin 2019 à 15:30:54 »
Yoooo !




Citer
De quoi remplir cette journée trop chaude, cette journée sans fin ?
cette phrase me parait un peu maladroitement amenée (enfin, pas assez connectée avec la phrase précédente)


Citer
Sur les remparts, c'est plein de touristes, et vraiment caniculaire
le et après le virgule dissone


Citer
roulées au réveil, et laisse errer son regard autour de lui.
pareil


Citer
ses passages protégés blancs-sales
tiens c'est passage piéton par chez moi  ^^

Citer
« Ouah la classe, on dirait les lunettes à Kaaris ! Et elles sont nickel ! Attends la tête que ça va me faire, trop la classe ! »
:D

Citer
Pourquoi c'est comme si c'était beau, et que c'était triste à la fois ?
je vois l'effet recherché, mais trop bancal la formulation


Citer
Alors Jonathan commence à pleurer, soulevé par des sanglots qui l'étouffent.
c'est beau putain, ce passage


Citer
Étonné par l'ampleur de sa crainte qu'elles n'y soient plus.
un peu lourd comme phrase, doit y avoir plus efficace





Au global c'était chouette !! J'aime beaucoup le traitement de cette vision de poète très, trop prenante, bouleversante au point d'être un fardeau, qui pousse à une curiosité et un besoin de réussir à l'appréhender humainement, les descriptions avec les lunettes du coup correspondent assez bien à ce quelque chose trop dur à saisir (ni trop ni pas assez, du coup)
Le desoeuvrement du début me semble 'logique" de la façon où c'est présenté, mais peut-être qu'il me manque un petit hm, qu'est-ce qu'il attend à tourner comme ça en fait, même en ayant envie de rien, y'a bien quelque chose qui doit le pousser à faire ça ? Croiser quelqu'un, qu'il se passe quelque chose, je sais pas ? Parce qu'il faut être motivé pour le faire malgré la chaleur (bien ressentie d'ailleurs, bon pas dur je baigne dedans en lisant hahaha)



Bref, merci pour ce texte !
Le style c'est comme le dribble. Quand je regarde Léo Messi, j'apprends à écrire.
- Alain Damasio

Léilwën

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #2 le: 28 juin 2019 à 00:06:25 »
Hoy Mystère ! o/

Citer
Qu'est-ce qu'il doit faire, du coup, retourner Chez Rudy pour secouer le flipper ?
=> pour moi, il faudrait mettre un "?" à la place de la virgule après "coup"
Citer
De quoi remplir cette journée trop chaude, cette journée sans fin ?
=> j'ai dû relire pour comprendre que c'était la suite de l'interrogation. Peut-être la remettre au dessus avec les autres questions ?
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

Citer
« Trop chaud et tous barrés ailleurs, putain de mois d'août. »
=> :D
Citer
montrer ses pecs sur un pédalo, c'est la classe
=> :D
Citer
Le centre-ville fait glisser sous ses pieds ses trottoirs de goudron ramolli, ses passages protégés blancs-sales, ses pavés disjoints,
=> :coeur: :coeur:
Citer
Et le revoilà dans la rue Diderot, même odeur, même cagnard.
Même ennui.
=> le pauvre :D
Citer
Comme le soleil se déplace, l'ombre se réduit le long des murs, alors il choisit de prendre par les ruelles étroites, sur sa gauche.
=> j'ai été perturbée parce que grammaticalement, "il" se rapporte à "soleil" ; peut-être renommer Jonathan, ou le jeune homme, ou autre ? (Si je peux me permettre une suggestion :-[)
Citer
près d'un soupirail qui lui souffle une haleine de cave humide quand il se penche pour les ramasser.
=> :D
Citer
Kaaris
=> j'ai dû me documenter :D
Citer
la surface poussiéreuse que le soleil ennoblit
=> c'est joli ! :)
Citer
tu te vois pas trop dedans, mais du coup ça ressemble plus à un souvenir de toi que ton vrai portrait.
=> :D
Citer
comme le front de quelqu'un que je kiffe ?
=> j'ai pas compris '-'
Citer
Puis il interrompt sa fuite, puis il ralentit son pas, puis il s'arrête, puis il s'assied sur un muret.
=> j'aime bien :)
Citer
Un coup de chaud.
=> j'ai attrapé un coup d'soleil, un coup d'amour, un coup d'je t'aime :D
Citer
À travers les verres, eh bien c'est pareil, mais ça n'a rien à voir.
=> :)
Citer
Pis peut-être qu'il y a des minettes en stage... qui sait ? »
=> quel poète... ::)

Au total, j'ai bien aimé. J'ai eu l'impression que ça faisait un peu cliché du "jeune analphabète", et puis en fait j'aimais bien la réflexion un peu philosophique derrière du "la poésie est-ce nommer l'innommable" ?
Et puis les réactions du protagoniste m'ont fait sourire :)

Merci ! :oxo:

Hors ligne gage

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #3 le: 30 juin 2019 à 15:01:40 »
Salut le copain, salut la copine !!


Alors, pour les corrections de texte, je verrai quand j'aurai la main, parce que ça me paraît hautement acrobatique de le faire en transitant par l'équipe Mystère.

@Ben : pour moi, le désœuvrement, c'est exactement ça, n'avoir pas le moindre but ou projet. On sent quand même que notre Jonathan espère tomber sur une connaissance, alors il tourne en boucle. Il sait ce qu'il ne veut pas ou ne peut pas faire, mais pas du tout ce qu'il pourrait faire à la place. Il est bloqué.
Merci pour ton commentaire, en tout cas !

@Lélie : j'avais sérieusement peur qu'on me reproche de caricaturer une certaine jeunesse. Tu le qualifies d'analphabète, moi je parle juste d'un jeune qui manque de vocabulaire, parce que rien dans sa vie ne permet de l'acquérir. Honnêtement, je pense d'ailleurs que plus d'un bachelier ou même universitaire se heurterait au même problème de carence en vocabulaire. Il faut lire pour l'enrichir, il n'y a pas d'alternative.
Merci d'être venue ici !

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Hors ligne Opercule

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #4 le: 03 juillet 2019 à 16:40:41 »
C'est le troisième défi que je lis, et je trouve de nouveau un personnage grognon et/ou vulgaire qui tout à coup voit le monde avec sensibilité de correspondances et un attendrissement sophistiqué. Mais pour celui-ci le revirement est aussi artificiel que maladroit.
Chaque fois où le personnage parle c'est comme si tu étais un genre de bourgeois ventriloque qui essaye de faire parler son pantin comme un wesh.

Autant j'apprécie les descriptions d'une ville anesthésiée par la chaleur, flânée par les lointains touristes, vieux et enfants, autant le rendu du Jonathan m'exaspère dans ce que tu lui fais dire ou faire, avant et après la transformation ; même après la "révélation" il décide d'aller à une médiathèque "pour aller voir les minettes." C'est ridicule.

L'idée elle-même du texte est classiste, fausse et dangereuse. Tu perpétues l'idée que pour être poète il faut avoir tous les mots d'un thésaurus français-poésie, sans réaliser que les liens qu'on fait entre les choses sont basées sur le socle culturel et les idées préconçues de la personne. Dans ce sens, tu as toujours sinon le mot au moins l'idée qui va avec le mot, et ça ne fait aucun sens de devenir fou parce que, d'une certaine manière, tu sais toujours quoi exprimer. La poésie sera formulée dans son propre langage, ses propres bornes culturelles que tu te plais à moquer, et ce sera très bien comme ça.

On va finir avec une très-pertinente phrase de Paul Valéry : Entre deux mots, il faut choisir le moindre.

Hors ligne gage

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #5 le: 04 juillet 2019 à 16:58:07 »
Je crois que j'ai horreur des gens péremptoires...

Salut Opercule !

Citer
je trouve de nouveau un personnage grognon
Vu que le postulat du départ évoquait le désœuvrement,  jusque-là, rien d'étonnant.

Citer
le personnage parle c'est comme si tu étais un genre de bourgeois ventriloque qui essaye de faire parler son pantin comme un wesh.
Ce qui est intéressant, c'est ce que tu projettes toi-même sur le personnage. Pour moi, parler comme un wesh, c'est bien autre chose que dire « putain », « bordel », « minettes » . Le seul mot (le seul) qui collerait à ça, c'est « kiffe » et encore, si ça se trouve c'est déjà démodé. Du coup je me demande si le bourgeois, ce n'est pas toi, qui interprètes à ta manière des choses que je n'ai pas dites.

Citer
le rendu du Jonathan m'exaspère dans ce que tu lui fais dire ou faire, avant et après la transformation
Moi j’aimerais connaître ton âge et le milieu où tu gravites. Des Jonathan, j'en fréquente, figure-toi. Et depuis longtemps. Et je t'assure que le désœuvrement, l'ennui est leur quotidien. Je ne suis pas du tout dans la caricature. Le mien se retrouve tout seul, et c'est une catastrophe pour lui.

Citer
L'idée elle-même du texte est classiste, fausse et dangereuse
C'est toi qui l'interprètes comme ça, et c'est non seulement dommage, mais blessant.

Citer
Tu perpétues l'idée que pour être poète il faut avoir tous les mots d'un thésaurus français-poésie
Hmmm, comme c'est mal me connaître que de dire ça. Le premier mot qui manque à Jonathan, c'est le mot « givre ». Il s'agit d'un mot courant, simple, mais qu'il n'emploie jamais, parce que c'est surtout un citadin. Tu parles d'un thésaurus...

Citer
ses propres bornes culturelles que tu te plais à moquer
Une fois de plus, c'est toi qui interprètes. D'abord il n'y a pas le moindre atome de moquerie dans mon texte. Ensuite TU parles de sa culture, alors que sa carence est juste dans le vocabulaire. Il n'arrive tout simplement pas à exprimer ce qu'il voudrait parce qu'il lui manque des mots.

Je suis désolé que ton interprétation soit tellement biaisée, que ce que tu lis est outrageusement faussé.
Mon dernier étonnement sera sans doute que tu ne me fasses pas le procès d'avoir choisi un personnage noir. Je t'imagine déjà dans des effets de manches dénonçant une ostracisation etc...

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #6 le: 05 juillet 2019 à 00:38:00 »
Hey Mystère. Je suis vraiment content que tu viennes défendre ton texte (qui ne peut pas se défendre seul) devant ma critique un peu (trop?) acerbe.
Mes excuses pour toute phrase qui t'aurait blessé.e ; je suis conscient qu'un texte c'est un bébé et l'attaquer peut être vécu personnellement.

Tout d'abord commençons par rappeler qu'on travaille sur un rendu, un ressenti, c'est-dire que j'ai lu de ce que tu as écris. Je suis totalement conscient que tu sûrement avais autre chose en tête que ce que tu as écris, tout autant que ce que j'ai lu est peut-être un peu différent de ce que j'ai compris.

Oui, ce que j'en ai retenu c'est cet d'attendrissement paternaliste devant un genre de barbare sans mots parce qu'il n'est pas introduit à "notre" langage qu'est la poésie. Quelles que soient tes intentions, tu ne peux pas me retirer ça.
Maintenant, au vu de ta réaction c'est certainement pas ton but. Je te propose de trouver comment gérer ma perception vers un concept qui soit ta vision.

L'argument principal que je voudrais donner est que l'idée de base -- ne pas avoir le mot (pour givre notamment) -- est pour moi la marque de cet hermétisme. Le reste est une circonstance aggravante, je dirais -- parce qu'il y a la rupture sociale et culturelle que tu exploites.

Il parle très bien avant, il fait des métaphores, tout va bien. C'est le fait d'avoir des yeux de poète qui le met en défaut de mots. D'ailleurs ton exemple est à charge : s'il ne trouve pas le mot givre c'est qu'il ne le connaît pas ? Donc non seulement il n'est pas cultivé en mots raffinés, mais aussi en mots normaux ?
Le personnage peut du reste parfaitement faire la métaphore sans le mot. S'il ne sait pas que le concept a un mot, la périphrase est totalement acceptable. S'il connaît l'existence du mot précis, c'est qu'il l'a déjà rencontré.  Le fait de ne pas trouver le mot sous-entend qu'il sait que ce mot existe.
Or, si tu sais qu'il existe, soit tu l'énonces soit tu admets platement que tu ne l'as pas sur le moment (je survivrais si j'oubliais en me regardant dans le miroir que j'ai l'air majestueux, pour dire noble ou même classe à la place !).
L'avoir au bout de la langue est vraiment le poil à gratter. Dans ce cas l'idée est défendable. Mais alors il a beaucoup trop de choses au bout de la langue :(

Enfin parlant de [q]ses bornes culturelles[/q], ce n'est pas dans le sens "limitations dans la culture classique" mais plutôt "références dans sa culture propre",  musiciens, films, jeux vidéos, sur lesquelles tu aurais pu capitaliser, comme tu as fait référence à Kaaris (comme tu t'es arrêté là je n'y ai vu qu'une caricature). Évidemment cet angle serait très intéressant, pourvu que tu puisses fournir ces images dont nous ne sommes pas habitués. Et ça, je voudrais, en toute franchise, célébrer. Évidemment ça ne rentre pas du tout dans l'idée de base, qui est celle de la limitation et du manque.

Hors ligne Loïc

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #7 le: 06 juillet 2019 à 15:06:37 »
Yop yop

Citer
Qu'est-ce qu'il doit faire, du coup, retourner Chez Rudy pour secouer le flipper ? Aller draguer au bord du canal ? Rentrer se mater des vidéos dans sa chambre ? Faire deux-trois longueurs à la piscine ?
Qu'est-ce qu'il faut faire, en fait ?
De quoi remplir cette journée trop chaude, cette journée sans fin ?

Je trouve un peu rude et peut-être un peu trop, cette entrée en matière toute questionnante.

Citer
C'est pas vrai, je vais pas passer ma journée à ça...

Les points de suspension me paraissent pas nécessaire.
Le "c'est pas vrai" me parait manquer de naturel.

Citer
« Merde, encore un magasin fermé... C'est crade, mais ça devrait le faire. »

Idem, en parlant tout seule, ça me parait bizarre de dire ça.

J'ai trouvé que passer par les monologues rendait très artificiel ; qu'ils sont là pour expliquer ce que tu n'arrives pas ou ne veut pas dire par la narration ; mais du coup ça rend pas du tout bien à mon sens parce c'est pas crédible du tout comme monologue, trop artificiel entre de la narration et, donc, du dialogue.

Sur le reste j'ai trouvé quelques maladresses, et la chute manque peut-être un peu de punch à mon gout, mais sinon c'était une lecture pas désagréable.

A+
"We think you're dumb and we hate you too"
Alestorm

"Les Grandes Histoires sont celles que l'on a déjà entendues et que l'on n'aspire qu'à réentendre.
Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s'installer à son aise."
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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #8 le: 08 juillet 2019 à 11:25:49 »
(Note de l'équipe Mystère : la 1ère réponse est à Opercule)

Salut !

J'espère que ce que j'entrevois de toi entre tes lignes est juste le fruit de ta maladresse à t'exprimer...

Citer
un genre de barbare sans mots
Par exemple là, c'est toi qui assimile à barbare un individu qui manquerait de vocabulaire. Ça n'engage que toi, et par pitié ne m'assimile pas, moi, à ce jugement que je rejette. Quant à « paternaliste » : je préfère mille fois être qualifié de « bienveillant ».


Citer
il y a la rupture sociale et culturelle que tu exploites
Là tu m'énerves profondément, et là encore tu m'inquiètes sur ce que tu projettes sur mon texte. Qui parle de rupture sociale, de rupture culturelle ? Tu es le seul, et là encore ça te regarde, à assimiler un manque de vocabulaire à une carence culturelle ou sociale. Jonathan a sa culture, qui t'est peut-être étrange, ou étrangère, mais elle existe. Elle est faite de ce que ses parents lui racontent sur son histoire familiale, les voisins, les amis. Son grand-père malien ou kényan, va savoir... Ainsi que de ses goûts pour les voitures de sport qui tapissent sa chambre, ses héros des Lakers, et les rappeurs français d'origine africaine. Mais elle existe, et ne peut être négligée.
Quand à son niveau social, tu le déduis de quoi ? De son accoutrement ? De ce manque de vocabulaire ? Tu es bien naïf de croire qu'il suffit d'être issu d'un certain milieu social pour avoir un vocabulaire riche, étendu et recherché.

Citer
avant, il fait des métaphores, tout va bien
Là j'ai peur que tu aies confondu le narrateur omniscient et le personnage.

Citer
il n'est pas cultivé en mots raffinés, mais aussi en mots normaux ?
vaste débat que de décider si il y a des mots normaux. Pour ma part le mot givre est pour moi plutôt raffiné.

Citer
S'il ne sait pas que le concept a un mot, la périphrase est totalement acceptable.
Ça reste et restera ton point de vue à toi.
Par exemple, tu peux peindre des tableaux splendides avec sur ta palette juste un peu de vert et un peu de blanc. Mais si dans ta visions intérieure tu perçois des oliviers torturés à la Van Gogh, un village écrasé de soleil à la Cézanne ou un coucher de soleil à la Turner, tu trouveras forcément que ta palette est bien pauvre pour les exprimer, et tu t'empresseras d'aller la compléter chez le marchand de couleurs.
Jonathan ne fait rien d'autre.

Citer
Le fait de ne pas trouver le mot sous-entend qu'il sait que ce mot existe.
Or, si tu sais qu'il existe, soit tu l'énonces soit tu admets platement que tu ne l'as pas sur le moment (je survivrais si j'oubliais en me regardant dans le miroir que j'ai l'air majestueux, pour dire noble ou même classe à la place !)
À mon tour de te trouver ridicule et de mauvaise fois. Nous nageons quotidiennement, même contre notre gré, dans un bain de mots. Que ce soit par le biais de ses rappeurs, des pubs sur la radio, des messages que les rues nous infligent à présent.  Que ce soit dans les commentaires sportifs, les infos, les enseignants, Jonathan a entendu un certains nombre de mots dans sa jeune vie. Combien sont ancrés ? Combien ne sont passés qu'une fois ?

Pourquoi veux-tu voir dans ma modeste parabole autre chose que ce quelle est :
l'histoire d'un garçon qui se trouve ne pas avoir assez de vocabulaire pour exprimer ce qui le traverse ?

Ça nous est arrivé à tous ici.




Salut Loïc !

Au total, je préfère me focaliser sur les cinq derniers mots de ton commentaire , sinon je pleure.

Merci d'être passé. Le texte semble ne pas avoir vraiment fonctionné avec toi. C'est dommage. Les monologues semblent artificiels, j'en suis conscient. Je les conçois un peu comme des monologues intérieurs, de toute façon. Dans la vraie vie on en a constamment, mais il ne sont pas formalisés. Ce sont plutôt des enchaînements d'idées et d'images.
Pas facile d'essayer de représenter ce qui se passe dans la tête des gens, mais là j'en avais besoin.

À une prochaine fois, et merci encore.
« Modifié: 08 juillet 2019 à 11:29:19 par Mystère »
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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #9 le: 12 juillet 2019 à 11:23:28 »
Yop !

Citer
Eh puis montrer ses pecs sur un pédalo, c'est la classe  ».
Y a vraiment des gens qui se disent ça en toutes lettres dans leur for intérieur ? ‘-‘ Peut-être

Citer
Il continue à dévisager la rue en tirant sur sa clope.
J’aime bien

Citer
« Oui, c'est exactement ça : le putain de rat du film de l'autre soir... » Et le revoilà dans la rue Diderot, même odeur, même cagnard.
Même ennui.
Ça aussi

Citer
Mais c'est aussi... comme ces miroirs tout pourris du brocanteur de la rue Basse ; tu te vois pas trop dedans, mais du coup ça ressemble plus à un souvenir de toi que ton vrai portrait.
<3

Citer
« Mes mains sont deux étoiles de mer, noires et luisantes, qui glissent et dessinent leurs propres vagues. »
J’ai un peu du mal avec la façon de parler du personnage… un coup il se dit qu’il va aller montrer ses pecs sur un pédalo, un coup il voit des étoiles de mer dans ses mains… c’est joli hein mais perso j’ai l’impression que les lunettes lui font l’effet d’un lavage de cerveau ^^

Citer
Je suis... noble. Ça doit être ça, noble comme un guerrier africain, habillé en jaune et rouge, même si c'est des fringues de sport. »
J’aurais bien aimé savoir s’il y a quelque chose de vrai là dedans

Citer
Il les retire machinalement, et a l'impression brutale que son cœur s'effondre dans sa poitrine. Il ne reste plus que la chaleur, il ne reste plus que la solitude, et une sorte de vide incommensurable.
C’est très chouette comme rendu

Citer
Tellement plus riche, riche d'émotions, de sens, de messages qui lui semblent venir aussi bien de ce qu'il voit que de son propre songe intérieur.
« s » à riche, puisque ça va avec idées, associations, de la phrase précédente ?

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« Bon, d'abord, mec, faut que tu trouves les mots, OK ? Alors direction la médiathèque ; si t'as du bol, c'est climatisé. Pis peut-être qu'il y a des minettes en stage... qui sait ? »
Y a vraiment un truc qui me chiffonne, comme si ça manquait de naturel

En vrai je pense honnêtement que je manque de vécu pour juger vraiment ce texte
Il aurait fallu que je parle personnellement avec Jonathan avant de voir le texte que tu aurais pu écrire à son sujet
Là je me sens un peu pris au dépourvu, avec une impression de "meeeeeh hummmmmm...." inexplicable

Ceci dit j'ai apprécié la précision dans les descriptions et l'atmosphère générale, bien rendues ^^

Hors ligne Rémi

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #10 le: 24 juillet 2019 à 14:24:28 »
Salut gage,
Ce n'est pas le texte de ton cru que je préfère, mais j'ai quand même pris du plaisir à la lecture.
L'idée des lunettes qui offrent un regard poétique est bien sympa, le fait qu'il retourne les chercher anxieusement à la fin est très chouette.
Les pensées retranscrites dans la narration, c'est un procédé qui a ses limites, tu t'en sors pas trop mal, je trouve.
Pas facile non plus de ne pas tomber dans la caricature au niveau de la thématique de "Sans les mots", et là aussi, tu t'en tires plutôt bien.

Pas mon "gage" préféré, mais une lecture attendrissante quand même.

A+
RdL
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

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Re : Sans les mots... [défi juin 2019]
« Réponse #11 le: 06 août 2019 à 18:28:33 »
Charmante Miro !

Si tu as l'impression qu'il aurait fallu que tu rencontres Jonathan pour mieux le comprendre, c'est sans doute que j'ai échoué à le décrire et à décrire son ressenti.  :(
Je retiens donc surtout les compliments qui émaillent ton commentaire, venant de toi ils me sont d'autant plus précieux.
Merci pour ce gentil passage !

Cher RDL !

Indéfectible commentateur, merci une fois de plus de ton passage.

CARAMBA !!! Encore échoué à te transporter... J'espère y parvenir un jour, quand ma muse aura décidé de surgir à nouveau des lointains où elle a vraisemblablement couru se mettre au repos. Dieu sait quand je retrouverai une vraie inspiration.

Merci en attendant pour tes gentils commentaires et ta fidélité stoïque.

À bientôt !
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Amenaient un à un les morceaux de moi-même". Apollinaire

 


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