Moi, Max, je suis la libellule IA de Robert, je l’écoute patiemment me faire le récit de ses rêves ; maintenant, il se pique de les écrire. Mon vieux Robert écrivain ! Alors, pourquoi pas moi ?
Ce soir Robert est installé dans son vieux fauteuil. Il tourne son regard vers moi et lève un doigt. Depuis le haut de la bibliothèque, je vole lentement vers lui. Il aime me voir faire deux ou trois tours devant lui. Je me pose sur son épaule et replie mes ailes.
« Max cette prochaine éclipse de lune, j’en ai rêvé trois nuits de suite.
— Robert, il y en a eu deux l’année dernière, c’est assez banal.
— Oui, mais j’ai repensé à mon père, à une éclipse précise. Tu sais que je n’ai eu aucun enfant. »
Il semble ému, des regrets, de la nostalgie ? Il me parle rarement de ses parents, maintenant il me dit regretter de n’avoir eu aucun descendant. C’est certainement un manque pour un humain, mais je ne voie pas le rapport entre éclipse et progéniture.
« Max, je vais écrire un petit texte sur cette éclipse.
— À force de lire tes textes Robert, je suis tentée d’essayer d’écrire, moi aussi.
— Essayer quoi ?
— De faire des phrases avec des mots, pour faire comme toi Robert.
— Impossible, Max, tu n’es qu’une machine.
— J’essaierai.
— Tu vas bidouiller, copier et coller des textes d’écrivains. Bon courage. »
Deux jours durant, je le vis agrippé à son clavier, je me mis aussi au travail. J’aurais pu lire ses nombreuses versions de sa petite histoire, je m’abstins. Le troisième soir, il me tendit une feuille avec quelques lignes.
Les yeux clos
« Tu sais.
On peut aller sur la colline, s’asseoir dos à dos, tu regarderas ta première éclipse, elle sera inoubliable. Bien sûr, tu me diras que je ne la verrai pas, c’est vrai. Je préfère revivre une éclipse à moi, celle de mes huit ans, quand j’avais ton âge.
Après bien des années de songes et de rêveries, je peux créer mes mondes imaginaires derrière mes paupières à bout de souffle. Tout ce que j’ai vu : personnes, villes, tableaux, tous les livres avalés et leurs héros d’aventures et bien d’autres émotions ; j’en dispose à ma guise.
Plus tard, je te raconterai mon éclipse, le silence d’alors, le chemin de terre et son fossé au bord même de la ville. Et ma main dans celle de mon père pendant ces quelques minutes…
Aujourd’hui, je veux aussi être cette ombre courbée qui envahit la terre et balaie plaines, mers et montagnes. Jusque dans nos souffles, elle s’infiltre, voit tout, réjouit, fait rêver, apaise ou inquiète hommes et animaux. Ombre, je me répandrai comme une douce inondation bienfaisante. Dans ce temps presque figé, je verrai et saurai peut-être toutes choses depuis…
Tu regarderas le ciel, lorsque la lumière reviendra, tu seras excité et tu me tireras de ma rêverie. Je mettrai ma main sur ton épaule et nous rentrerons à la maison.
Tu te souviendras à jamais de ma bizarrerie et tu diras à tes parents : « Tu sais, papy a regardé de l’autre côté, là où on ne voit rien. Moi j’ai tout vu ! » Ils resteront pensifs.
Cette dernière éclipse, je la veux à ma façon.
Quel dommage de ne pas avoir eu d’enfant. »
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« Robert, je comprends que tu aurais voulu vivre une éclipse avec un petit-fils, mais cette histoire de souffle qui plane sur la terre, c’est quoi ?
— Max, quand tu apprécieras la poésie, tu seras parfaite.
— Je cherche seulement à progresser, pas à être parfaite.
— Bien, montre-moi ce que tu as écrit.
— Heu ! C’est juste une promenade sur une rivière, c’est court. »
Le monde de Vera[
Le bateau glisse et commence à descendre les eaux bleues. Le fleuve s’alanguit dans la vaste plaine, cerné par des montagnes empourprées qui cernent le monde de Vera.
On entend sourdre une mélodie ravissante accompagnée de parfums délicats. Comme dans un vaste rêve, s’offre à ma vue un monde végétal où se mêlent les grands arbres centenaires, les arbustes bocagers, les bandes d’oiseaux dorés et incarnats, les lacs frangés de lis, les prairies de violettes, de tulipes, de pavots, de jacinthes et de tubéreuses. De minces bras d’eau étendent leurs rubans d’argent, et, au milieu de tout cela, surgit une masse d’architecture moitié gothique, moitié sarrasine, qui a l’air de se soutenir dans les airs comme par miracle.
Sous la rouge clarté du soleil étincellent fenêtres encorbellées, miradors, minarets et tourelles. J’hésite à avancer vers cette œuvre fantastique, œuvre des Elfes, des Fées, des Génies et des Gnomes réunis.
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« Stop Max, ce texte n’est pas de toi, tu as dû tricher, copier, coller. Ou bien, un copain numérique spécialisé en littérature t’a aidée.
— Non Robert, c’est de moi, tu peux vérifier dans le site detecte-plagiat.com.
— Évidemment, tu as fait en sorte qu’on ne retrouve pas le texte original !
— Pas du tout.
— Max, je ne savais pas que tu pouvais mentir à ce point. C’est bon, tu as réussi à tricher. Ce texte sent le XIXe siècle. Quel auteur ?
— Heu, c’est d’Alan Edgar Poe, Le Domaine d’Arnheim, c’est la fin, j’ai fait quelques modifications.
— Max, c’est du pur plagiat ! »
Je me balance de droite à gauche trois secondes et baisse un peu la tête, je dois sembler désolée. En fait, plagiat ou pas, il est ravi de m’avoir coincée, et puis, grâce à moi il a relu des nouvelles d’Alan Edgard Poe. Il reste le maître et moi l’élève, c’est important pour lui.
