Qui sera plus malin que la salle de bain ?
La salle de bain se croit la plus maligne de toutes les pièces de la maison. Elle joue avec ses miroirs pour affiner la profondeur de sa réflexion mais simule la platitude, voire la bêtise, pour mieux tromper son monde. Elle agite des frivolités, des parfums, des nuages de poudre, affiche des faïences étincelantes, des douches à l’italienne, des doubles vasques et des baignoires à remous. Elle a des rires de princesse écervelée dans le ruissellement de ses eaux et feint de rester de marbre ou, de glace, en toutes circonstances. Elle se targue d’être l’isoloir où l’on se prépare à être socialement correct, le lieu où l’on se farde afin « d’avoir l’air » propre, jeune et motivé pour aller de l’avant.
Elle se croit vraiment la plus maligne. Et d’autant plus maligne qu’elle n’est pas bien vieille mais s’est empressé d’oublier qu’il n’y a pas si longtemps encore, elle était une salle d’eau ou un cabinet de toilette. Elle ne se souvient pas, non plus, du bidet, cet objet vulgaire qui sent la cocotte et les maisons de passe et préfère surfer sur l’air du temps en faisant semblant d’avoir toujours été telle qu’on la voit aujourd’hui. Elle est dans l’apparence, lisse, proprette et ne tolère ni le poil égaré sur son carrelage, ni le cheveu friselisant sur les rebords du lavabo.
La salle de bain n’a peut être pas tout à fait tort de se croire la plus maligne. Elle nous fait prendre notre image pour la réalité et miser sur le manque là où il aurait fallu passer. Elle nous endort dans ses vapeurs, nous fait mousser, nous embaume. Elle pourrait même nous induire à penser qu’une fois rasé, poncé, lavé de l’extérieur, on peut être aimé pour ce qu’on n’est pas. Néanmoins, les choses ne sont pas si simples, car elle est autant dans la séduction que dans le rejet. De même, elle maquille et démaquille. Et dit aussi bien la nudité joyeuse de l’enfance barbotant dans la baignoire au milieu des jouets en plastique que la vérité cruelle de la vieillesse au sortir de la douche médicalement adaptée.
Il nous faut donc, peut être, l’envisager avec davantage de malice, la salle de bain. Par exemple, en ne se laissant pas duper par ses reflets trompeurs et par ses flacons d’élixirs promoteurs d’éternelle jeunesse. Mieux vaut chercher à décrypter les signes mystérieux tracés par la buée sur la surface des miroirs. Mieux vaut, aussi, ouvrir la fenêtre pour faciliter l’envol des bulles de savon qui crèvent d’envie de prendre l’air. Mieux vaut, enfin, résister à la torpeur humide qui suinte des murs pour nous engourdir l’esprit au pied levé.
Qui sera plus malin que la salle de bain ?