Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

29 mars 2024 à 10:21:06
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Vendredi Noir

Auteur Sujet: Vendredi Noir  (Lu 897 fois)

Hors ligne SpartaGama

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Vendredi Noir
« le: 10 mars 2019 à 23:28:45 »
Bonjour à tous,

Je poste ici ce qui se voudrait être le début d'un projet de manuscrit. Le premier chapite. Etant nouveau sur le forum et n'ayant jamais eu de retour sur mes écrits, j'attends vos remarques pour m'aider à me situer ...

Un grand merci à ceux qui prendront le temps de lire ces quelques 3 300 mots et m'apporteront leur éclairage précieux !


Vendredi Noir

Une bouteille d’eau, un Lexomil, petit déjeuner habituel en ce vendredi matin. Rien ne change, même pas la bouteille d’eau, ça doit faire un mois que je me sers de cette bouteille Vittel. J’aime bien l’eau du robinet, surtout en cette période de janvier, elle est bien fraîche. La fraicheur, c’est tout ce que je recherche ce matin. Il est quand même 13 heures mais je viens de me réveiller, on est donc bien le matin d’un point de vue physiologique. Je sais, je me lève à une heure pas possible un vendredi, il n’est pas férié en plus, il n’y a que le 1er qui l’est en janvier. Le problème c’est que le jeudi soir est le nouveau samedi soir. Du coup, j’ai bu, j’ai beaucoup trop bu. J’ai tellement ingurgité de bière que ma mémoire me joue des tours. Si seulement j’avais le temps d’essayer de recoller les morceaux de cette soirée mais on est vendredi, il est déjà 13 heures.
 
Plus le choix, il faut que je sorte de mon état léthargique. Le litre d’eau est déjà fini, l’orchestre continue de jouer dans ma tête. Je ne peux plus repousser indéfiniment l’inévitable, il faut que je me saisisse de mon iPhone, que je me reconnecte au monde extérieur. Putain, plus de batterie. J’ai dû m’en rendre compte hier soir en rentrant, pourquoi je ne l’ai pas mis à recharger ? On s’en fou, de toute façon je n’en ai aucune idée, je ne sais même pas comment je suis rentré.

Je peux le faire, le chargeur est de l’autre côté du lit, après tout je n’ai qu’à me retourner. Mais ma tête me fait tellement mal, je suis sûr que si je me retourne elle va exploser. Et puis merde, plus de temps à perdre, je tente. Tout en faisant bien attention de ne pas lever la tête de l’oreiller, j’entame une rotation. A cet instant je suis plus proche de l’animal marin, du genre baleine échouée sur la plage que de l’être humain. Plus jamais, je ne boirais plus jamais.

J’envie Thomas Pesquet et son aventure spatiale. Le sentiment d’apesanteur doit être agréable. Aussi, je dois bien avouer qu’à cet instant une chose m’intrigue. Ça doit être génial de se masturber dans l’espace. Pas besoin de préparer soigneusement son Sopalin pour éviter que notre nombril ne devienne le cratère d’un lac de sperme. Non, dans l’espace la semence est libre, il doit suffire de la saisir en vol. Quelle doit être la satisfaction de capturer cette jouissance flottante tout en ayant le bas ventre parfaitement propre et sec. Je divague, l’alcool fait encore effet. Enfin, tout ça pour dire que contrairement à lui, je ressens chaque gramme constituant mon corps, l’impression d’être aimanté au lit. J’ai réussi la manœuvre tant bien que mal, voilà que la pomme apparait sur l’écran, le monde extérieur n’a jamais été aussi proche.

Les notifications ne se font pas prier, le son du téléphone raisonne dans ma tête comme pour rappeler les excès de la veille. Fait chier, 7 appels en absence et 12 messages. Evidemment, on est vendredi, j’ai manqué l’appel au boulot. Tous ces appels et messages sont l’œuvre de collègues, ont avait rendez-vous à 08h00 ce matin pour partir en mission. Ils sont partis sans moi.

Le sentiment de culpabilité commence à m’effleurer l’esprit. Après tout, on est une équipe, chaque membre est important pour mener à bien ces fameuses missions. C’est en tout cas ce qu’on nous rabâche à longueur de temps en formation : « ici nous sommes une famille ». Que faut-il comprendre ? Que nous avons le privilège d’être dans la seule et unique entreprise prônant l’esprit de famille ? Je serais curieux d’assister aux formations de la concurrence, ils doivent sûrement affirmer que « là-bas c’est une famille ». De toute façon, aujourd’hui j’ai fait le choix d’enterrer toute ma famille et ne comptez pas sur moi pour rédiger un éloge funèbre.
Il peut être utile de préciser que je suis auditeur financier dans un grand groupe international. Le genre de groupe qui parle à n’importe quelle personne dans le monde du chiffre. Alors on se sent important, on a l’impression d’être quelqu’un. Il suffit d’analyser le champ lexical du métier. On parle d’aller en mission, de semaines d’intervention, de certifier les comptes, d’émettre des rapports, de procédures d’alerte … Tout ce travail se fait sous la responsabilité d’un Commissaire aux Comptes. Il n’en faut pas beaucoup plus pour penser qu’on est utile. D’ailleurs certains collègues développent une sorte de schizophrénie, ils sont persuadés de travailler pour la DGSE.  Comme si au détour d’un compte de résultat ils allaient lever le voile sur une affaire d’Etat.

Finalement, je dois regarder la vérité droit dans les yeux, l’affronter, ne pas baisser la tête. Me sentir fautif pour ce manquement devrait être l’attendu. Pourtant, je ne me suis jamais senti aussi libre, une lucidité embuée de vapeurs d’alcool vient me saisir au fond du lit. Je dois appuyer sur le bouton pause. Je suis le personnage d’un jeu qui n’a que trop duré. Le rôle ne me convient plus. La difficulté c’est que la critique n’arrête pas de me nommer aux César. J’exagère bien sûr, je ne suis pas le Roi de la comptabilité, l’économie continuerait sûrement de fonctionner sans moi. J’insiste sur le sûrement car on n’en a pas l’absolue certitude non plus. J’ai commencé à travailler en 2012. Coïncidence ou pas, c’est à cette date que les économistes s’accordent à dire que la crise économique mondiale de 2008 a pris fin. Donc soyez indulgents, accordez-moi le bénéfice du doute. Si seulement j’avais fait davantage de navets je parviendrai sans doute plus facilement à retirer costume et maquillage. Mais n’en déplaise à Dalida, je ne veux pas mourir sur scène, en faisant de la comptabilité jusqu’au bout.
 
Il s’agit là d’une question de santé mentale. Ce boulot est en train de me bouffer à en perdre l’appétit. Mon régime alimentaire s’en est retrouvé simplifié au fil des années : junkfood, bières et Lexomil. Le tout saupoudré d’une bonne dose de nicotine. D’ailleurs, est-ce que quelqu’un a déjà essayé de fumer en dormant ? Ca m’intéresse. On perd un temps fou à dormir sans pouvoir s’adonner à nos addictions favorites. Ce qui nous apparait comme vitale en période d’éveil perd incontestablement de sa superbe dans les bras de Morphée. C’est sans doute mieux ainsi, ça me fait sourire pour la cigarette, ça me soulage pour les angoisses. Dommage qu’il n’existe pas de diplôme pour les angoisses, ça pourrait garnir mon curriculum vitæ. Peut-être devrais-je l’insérer dans mes centres d’intérêt ? Je suis capable d’en parler des heures, un spécialiste de la souffrance. Le scénario est souvent le même : dès le réveil, un inconnu m’attaque par surprise. Il commence par me serrer la gorge pour ensuite s’en prendre à mon estomac à coup de poings. Je suis dans les cordes, mon jeu de jambes ne me permet jamais de lui échapper, de l’esquiver. Il frappe, il cogne jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à la perte de conscience. D’un coup, il disparait. Hagard, je ne vois qu’une seule issue : la boite de Lexomil. Je me saisis d’un comprimé quadrisécable et d’une bouteille d’eau. J’hésite, pas pour l’eau, croyez-en mon expérience, pour que ça agisse rapidement laissez fondre sous la langue. Non, si j’hésite c’est sur la dose que je vais m’administrer ce matin. Un quart ? La moitié ? Le comprimé entier ? Partons sur la totalité, histoire que cet inconnu ne tente pas de réapparaitre dans la journée. Il s’agit d’attendre maintenant, attendre que la nuit tombe pour pouvoir dormir et ne plus penser. Voilà mon quotidien d’auditeur financier, entrecoupé d’une bonne dizaine d’heures de travail.

Sauf qu’aujourd’hui, vous le savez, je n’irai pas au boulot. Il est 13h40 ce vendredi, je m’appelle Paul, j’ai 27 ans et il est temps de vivre.

Après une douche salvatrice, je décide de prévenir mes collègues. J’adore l’idée de trouver de la satisfaction dans une douche bien chaude. Comme quoi, on peut encore avoir des sensations avec six milligrammes d’anxiolytique dans le sang. Je vais contacter William, bien plus qu’un collègue, c’est devenu un ami au fil de nos missions classées Secret Défense. Il est vrai que quelques bières ont également permis de resserrer les liens. Justement, il me connait parfaitement William, en témoigne son message à 08h22 : « toi tu t’en es encore mis une bonne hier soir mon salop. On part sans toi, décuve bien ». Dans le mille, il est bon, ce n’est pas mon supérieur pour rien.
Je l’appelle, une sonnerie, deux sonneries et directement le répondeur. Merde, voilà qu’il se met à filtrer mes appels. Je ne viens pas une fois sans prévenir et Monsieur ne me répond plus. Je pensais qu’on était ami William.

Je vais essayer d’appeler mon médecin, j’aurais peut-être plus de succès. Il faut que je donne un peu plus de corps à cette absence. Transformer cette beuverie en arrêt maladie. Après quelques sonneries avec pour fond sonore les Quatre Saisons de Vivaldi ça décroche enfin. Une guerre de tranchées commence avec la secrétaire médicale qui m’annonce que « tout est complet aujourd’hui Monsieur, je ne peux rien faire pour vous ». Il faut croire qu’elle a du pouvoir dans ce cabinet médical. Son arme à l’oreille elle continue de m’envoyer des salves du genre : « il fallait appeler plus tôt, je ne suis pas magicienne, je ne fais pas apparaitre de rendez-vous sur demande ». Sa voix est douce, elle atténuerait presque son agressivité foudroyante. Si elle pense que je vais agiter le drapeau blanc, elle se fourre le doigt dans l’œil. Je parviens enfin à en placer une, je lui demande de me passer Martin en disant que c’est urgent. Martin c’est le prénom de mon médecin traitant, je joue la carte de la proximité pour la décontenancer. Elle cherche ses mots, bafouille, puis finit par me demander de patienter. Au bout d’une trentaine de secondes, le général du cabinet fait capituler le dragon. Penaude, elle murmure : « je vous le passe … ».

Trêve de plaisanteries, c’est le moment de se livrer. Après avoir décliné mon identité je suis rapidement coupé : « Ah … bonjour Paul, comment allez-vous ? ». Le ton est amical et sincère. Comment peut-il bosser avec une secrétaire aussi inhumaine. Ça ne va pas fort Docteur, je le supplie de m’accorder un rendez-vous de toute urgence. Je lui parle de crises d’angoisse, il me répond : « que dites-vous de ce soir 20h00 ? ».  Putain c’était sûr, pile au moment de l’apéro. Tant pis je prends, j’en décapsulerais une avant. Je valide donc sa proposition avant de m’empresser de raccrocher. Il doit sûrement être en train d’ausculter une vieille venue passer un peu de bon temps. La même qui viendra nous emmerder au niveau des caisses bondées du Carrefour City à 18h30. Les vieux adorent sortir aux mêmes horaires que les valides et payer leurs courses au centime près. Maudit soit celui qui a inventé les pièces rouges, Bernadette Chirac l’avait compris avant tout le monde.

Plus de vingt-quatre heures que je n’ai rien avalé de solide. Mon estomac, enfin débarrassé du sac d’angoisses matinales, m’appelle. Le moment que William a lui aussi choisi. J’espère que ces deux-là ne sont réellement connectés. J’apprécie William, le problème n’est pas là, mais il m’arrive d’avoir faim trois fois par jour et même le week-end. Il pourrait finir par devenir envahissant. Dès ses premiers mots il s’excuse d’avoir rejeté mon précédent appel. Me voilà rassuré, notre amitié professionnelle est intacte. S’il n’a pas pu répondre c’est que le grand boss est en mission avec eux aujourd’hui. Entendez par grand boss l’associé du cabinet, Dieu vêtu d’un costume cravate en somme. Il fait parfois des apparitions sur le terrain, on ne sait jamais trop quand. L’atmosphère est différente en sa présence, chacun se fait tout petit en tentant de se dissimuler. On prie pour que la foudre ne s’abatte pas sur nous. D’où mon conseil aux nouvelles recrues : éviter de se retrouver sous un arbre lorsqu’il est dans les parages. Du coup, on s’accorde tous les deux sur le fait que j’ai plutôt mal choisi mon jour pour faire l’école buissonnière. Je lui demande de prévenir Dieu que je suis malade, chose qu’il a déjà faite. Selon William on ne peut pas dire que la nouvelle l’a enchantée. Mais je l’emmerde. Ce qui a le don de faire rire mon camarade. Après avoir convenu de se rejoindre au bar vers 21h00, je lui souhaite bon courage pour la suite de sa mission divine.
 
Il est 14h30, j’ai quelques heures à tuer avant mon rendez-vous médical. Mon estomac a peur que je l’oubli, il s’exprime de plus en plus fort. Les gargouillements font remonter à la surface mes années de collégiens. Sur les coups de 11h00, peu importe la matière, j’étais pris de sévères crises de gargouillis. Crises audibles de toute la classe, y compris des professeurs. Ont-ils envisagés de convoquer mes parents pour s’assurer que je mangeais à ma faim ? J’en reste persuadé. Je ne comprenais pas ce qu’il se produisait, je me sentais trahi par mon propre corps. Plus j’ordonnais à mon ventre de se calmer, plus le bruit devenait gênant. Dans ces moments-là, tous les élèves me dévisageaient. Les enfants sont innocents, leurs regards sont culpabilisants. J’avais chaud, mon cœur s’emballait, je ne savais plus ou me mettre. Quel malaise, si seulement Harry Potter avait pu me prêter sa cape d’invisibilité. Mon souhait de disparaitre doit dater de cette époque.

J’enfile ma doudoune noire en quatrième vitesse, je crève la dalle. Le McDonald’s le plus proche se trouve à quinze minutes à pied. Quel meilleur remède qu’un shoot de gras après une bonne cuite ? J’arrive à l’entrée du bâtiment après avoir dévalé les trois étages la séparant de mon deux pièces. Je m’arrange toujours pour que ce moment soit le plus court possible, pour éviter de croiser un voisin. Les voisins c’est pratique pour partager les charges communes, sinon ils n’ont aucun intérêt. Les premiers pas à l’extérieur me régénèrent, le froid pénètre mes poumons, le mélange avec la fumée de cigarette n’est pas désagréable. De petits craquellements se forment sous mes pieds, le bruit est assourdissant. Quelques flocons épars viennent épaissir l’étendue désertique blanche déjà bien présente. Le temps d’une nuit le monde semble avoir totalement changé. Le ciel est bas, impossible de distinguer l’horizon. Ma vie est pour la première fois en symbiose avec les éléments. Quelques âmes déambulent, les traces qu’elles laissent sur la neige fraiche me suggèrent que ce n’est pas la foule. Tant mieux, je ne supporte plus les zombies errant sans but. Particulièrement les samedi après-midi. Ils m’encombrent. Pourtant, j’habite à Metz, ville d’environ 125 000 habitants. Le tumulte parisien m’aurait déjà assassiné.
 
Les chaussettes trempées, j’arrive enfin à destination. Les bornes automatiques sont à l’image de la ville, dépeuplées. J’ai beau ne pas me souvenir de la soirée de la veille, je crois pouvoir affirmer que nous n’étions pas plus d’une quarantaine aux Berthoms. Impossible que tout Metz lutte contre une gueule de bois. Deux explications me viennent soudainement : soit les gens sont scotchés devant BFM TV pour en savoir plus sur un épisode neigeux en janvier, soit ils ont fait l’erreur d’aller travailler. Tout en plaçant tous mes espoirs sur la première option je me précipite vers une borne pour passer commande. Si je continue de rêvasser je vais finir par perdre un orteil. Magnifique invention la borne automatique, il faut la généraliser partout de toute urgence. Réduire au maximum les interactions avec d’autres êtres humains est l’objectif de chacune de mes journées. Ici on commande, on prend un petit chevalet avec un numéro qu’on a au préalable lié à notre commande et on attend patiemment qu’un employé vienne nous servir à table. Une fois le serveur arrivé, un simple « Bonjour … merci bien » suffit. Mon anxiété s’en retrouve à peine mise à l’épreuve.
 
J’engloutis mon menu les écouteurs vissés aux oreilles. Le fastfood est vide mais j’ai tout de même besoin de me couper de tout ce qui m’entoure. Je me préserve de l’agressivité ambiante en écoutant le dernier album de Booba. Entre deux bouchées j’admire le Paradis blanc qui se dresse de l’autre côté de la vitre. Puis soudain, je remarque une femme derrière le comptoir. Elle doit faire au moins 120 kilos, elle est énorme. Je suis sidéré par le manque de professionnalisme du Directeur de ce restaurant. Certes elle a l’air d’être une boule d’énergie, le sourire ne quittant pas son visage bouffi, le bonheur répugnant d’un enfant à Disney mais tout de même, quelle publicité de mauvais goût. Il ne viendrait pas à l’idée d’un horloger d’embaucher Philippe Croizon pour faire la campagne de ses montres. La fin du repas a du mal à passer, je me force tant bien que mal.

La grosse me fout mal à l’aise, je quitte les lieux avec détermination, hors de question de croiser son regard porcin. Après une palpation rapide de mes poches, je m’aperçois que je suis à cours de cigarettes. Heureusement pour mon cancer, l’arabe est sur mon chemin. L’arabe c’est le mec qui tient la caverne d’Ali Baba ouverte sept jours sur sept de 07h00 à minuit. Autant vous dire que le type ne chôme pas. Son commerce est difficile à définir, les cigarettes y côtoient les courgettes sous l’étroite surveillance du dernier Jacquie & Michel Mag. A peine le seuil de la porte franchi que le son du carillon Feng Shui retentit dans tout le magasin. Imad m’a raconté une fois que l’accessoire vient directement de Chine et qu’il détient des pouvoirs surnaturels. Du genre faire circuler une énergie positive et apaiser les gens. C’est une crème Imad mais je dois bien avouer que ces tubes de merde qui s’entrechoquent ça me crispe plus qu’autre chose. Au moins cet après-midi le magasin est vide, le risque d’être pris d’une crise de panique en faisant la queue est écarté. L’endroit est exigu et peu éclairé, la grisaille du jour n’arrange rien. J’attrape deux Maximator bien tièdes dans ce qui fait office de frigo avant de demander à Imad un paquet de Lucky en vingt-cinq. On a pris l’habitude de discuter de tout et de rien avec le patron. Souvent je débarque sonné après trois heures d’happy hours. Il me parle aussi bien des difficultés d’avoir son commerce que de son amour démesuré pour Le Pen ou Netanyahou. Je me contente de le relancer, j’aime assez l’écouter, il a un avis sur tout. Je l’écoute d’autant plus qu’Imad fait partie de ceux que l’on n’entend plus. Terré dix-sept heures par jour au fond de son échoppe, il pourrait disparaitre que tout le monde s’en branlerait. Surtout l’Etat. Malheureusement, aujourd’hui je n’ai pas envie de m’éterniser, on règlera le conflit israélo-palestinien une autre fois. J’ai la tête ailleurs, je dois trouver une solution pour m’absenter de cette vie.

Une sieste et deux bières plus tard je décolle, cap sur le médecin. La nuit est tombée, le parterre illuné scintille. La ville semble être sortie de sa courte hibernation. Je peux percevoir des rires, des conversations passionnées qui s’échappent des terrasses des bars. Les gens parlent fort en tirant frénétiquement sur leurs clopes. L’alcool commence à désinhiber, la température glaciale a disparue. Ils ne la subissent plus tout du moins. A n’en pas douter, la soirée va faire des dégâts. Le week-end débute, j’assiste à la naissance de nouveaux êtres. Pendant deux jours, personne ne va devoir gober les boules de son patron dans l’espoir d’une future augmentation. Pour la plupart le chemin a dû être long depuis lundi matin. Je marche à quelques mètres d’eux mais le parfum de liberté qui émane de leurs pores embaume mon esprit. Ils suintent l’abandon. Alors laissez-vous aller, profitez, le lundi est plus proche du vendredi que l’inverse. Ne m’attendez pas, j’arrive.

J’atterris dans une salle d’attente surpeuplée. Il n’y a que les barreaux qui nous séparent de Fresnes.

Hors ligne Nerf-pique

  • Plumelette
  • Messages: 11
Re : Vendredi Noir
« Réponse #1 le: 11 mars 2019 à 11:03:55 »
Bonjour SpartaGama !

Me voilà arrivé au bout de tes 3300 mots!

Au niveau de la forme, je ne retrouve pas grand chose à redire. Quelques tournures me semblent un peu trop "parlées" éventuellement :

Citer
il n’est pas férié en plus

Citer
Quelques flocons épars viennent épaissir l’étendue désertique blanche déjà bien présente.

Ces mots en gras faussent, pour moi, le juste milieu que tu cherches à trouver entre le raisonnement de Paul et le récit. Ils familiarisent un peu trop tes phrases!

Mais, mis à part ça, j'ai suivi tout le déroulé sans difficulté.
(Je connaissais pas non plus le terme "illuné", je trouve qu'il détonne un peu dans le vocabulaire employé!)


Au niveau du fond, je suis plus partagé.

Cela relève de mes goûts personnels mais le voyage dans la tête de ton perso est, comme tu le souhaites (j'imagine), poisseux. On colle dans sa transpiration de la veille, sa vie sans relief partagée entre le travail et l'apéro. Par ailleurs, t'as certaines réflexions originales et croustillantes (alors, Thomas Pesquet, qu'est ce que ça fait ? ;) ) mais d'autres font un peu retomber le soufflet (je pense aux retraités dans les supermarchés, j'ai teeellement entendu ça). Je veux dire, ce gars là fait vraiment le mec moyen.

J'ai peur donc qu'au niveau de l'intrigue, ça plaise de partager la vie de Paul-moyen pour quelques milliers de mots, mais que ses pensées lancinantes finissent pas lasser le lecteur. Je ne sais pas du tout où tu veux en venir après un tel début, tu maintiens un rythme lent mais sûr sans fournir de repères qui donneraient au lecteur la réelle envie de s'attacher à ce gars.
Il est évident que je peux me tromper sur mes hypothèses, sur un si petit chapitre, et que je ne m'exprime ici que comme un lecteur parmi tant d'autres!

Pour finir, voici une phrase qui m'a relancé dans ton récit:

Citer
Après une douche salvatrice, je décide de prévenir mes collègues.

Après de longues phrases descriptives relatives à ses réflexions, bim, une phrase courte, une action. Ça m'a fait du bien! Et surtout, il y a une idée positive là dedans qui vient rompre avec son morne réveil.

Bref. Je serais là si jamais tu décides de poster la suite, histoire de voir à quel point je me trompe :)
« Modifié: 11 mars 2019 à 11:06:09 par Nerf-pique »

Hors ligne SpartaGama

  • Plumelette
  • Messages: 6
Re : Vendredi Noir
« Réponse #2 le: 11 mars 2019 à 11:44:33 »
Bonjour Nerf-pique,

Merci beaucoup pour ta réponse ! D'une grande aide pour ma réflexion. Je vais renter de revenir sur quelques points :

Citer
Ces mots en gras faussent, pour moi, le juste milieu que tu cherches à trouver entre le raisonnement de Paul et le récit. Ils familiarisent un peu trop tes phrases!

Citer
(Je connaissais pas non plus le terme "illuné", je trouve qu'il détonne un peu dans le vocabulaire employé!)

Même si pour moi il y a une volonté d'utiliser une un style d'écriture parlé, je te rejoins sur la première citation. J'en use peut-être trop, ce qui peut s'avérer contre productif. D'autant plus lorsque l'on met en face a deuxième citation. Ce devient un peu paradoxal de sortir le terme "illuné" !

Sur le fond :

Citer
mais d'autres font un peu retomber le soufflet (je pense aux retraités dans les supermarchés, j'ai teeellement entendu ça). Je veux dire, ce gars là fait vraiment le mec moyen.

C'est encore une fois une volonté de ma part de faire partager les réflexions d'un mec "moyen". Désabusé, dépressif, qui observe le monde qui l'entoure avec dégout/mépris. Cependant, je te rejoins une nouvelle fois sur les retraités : on l'entend partout et j'ai cédé à la facilité. Je vais retravailler la dessus. Je cherche toujours des réflexions originales pour donner un peu de sourire au lecteur ce n'en est pas une pour le coup !

Citer
J'ai peur donc qu'au niveau de l'intrigue, ça plaise de partager la vie de Paul-moyen pour quelques milliers de mots, mais que ses pensées lancinantes finissent pas lasser le lecteur. Je ne sais pas du tout où tu veux en venir après un tel début, tu maintiens un rythme lent mais sûr sans fournir de repères qui donneraient au lecteur la réelle envie de s'attacher à ce gars.

Je vois ou tu veux en venir. Peut-être devrais-je inclure davantage d'actions pour accrocher un peu plus le lecteur. Ou en tout cas des pistes sur la suite des évènements. J'ai en tête beaucoup "d'idées positives" comme tu dis pour la suite. Mais je voulais vraiment appuyer sur la noirceur de sa situation de départ : un mec moyen sans espoir quant à l'avenir ! Les lendemains devraient être plus joyeux pour Paul ... Dans un premier temps ! :)

Encore un grand merci pour ton retour !

Hors ligne txuku

  • Palimpseste Astral
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    • BEOCIEN
Re : Vendredi Noir
« Réponse #3 le: 11 mars 2019 à 20:28:39 »
Bonsoir

Teste parcouru sans souffler - cela glisse tout seul avec quelques sourires en passant !

C est tres vivant malgres la cuite.



Une coquille en passant :

Citer
Ce qui nous apparait comme vitale
vital ?
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

Hors ligne SpartaGama

  • Plumelette
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Re : Vendredi Noir
« Réponse #4 le: 12 mars 2019 à 18:27:49 »
Salut Txuku,

Merci beaucoup !

La coquille a bien été modifiée  ; :)

 


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