Bonjour, je suis l’inconscient.
Je vais essayer de me présenter sachant que je n’ai pas conscience de moi-même, que je ne sais pas trop de quoi je retourne, ni de quelle substance je suis constitué.
Pourtant, je me sens bourré d’énergie, débordant de pulsions qui vont se fixer là où elles peuvent, généralement sur des fantasmes, parfois, aussi, sur des fantômes.
Depuis qu’on m’a identifié, on ne cesse de me pointer du doigt. On m’accuse d’avoir mon mot à dire sous la forme d’un lapsus forcément révélateur. On me reproche de manquer certains actes qu’il aurait fallu réussir. On me soupçonne d’être un agent déclencheur de symptômes encombrants. Du coup, j’ai souvent l’impression qu’on ne m’apprécie pas à ma juste valeur.
Cela dit, je le reconnais, je suis chiant parce que je me répète. Ce n’est pas de ma faute, je viens du fond des âges. Alors, je radote les mêmes scénarios mythiques. Je rejoue sans me lasser les mêmes mises en scène. Je plante les mêmes personnages, déguisés, je change le décor et, ni vu, ni connu, j’embrouille tout le monde. Plus personne ne sait qui est qui. Plus personne ne sait qui parle à travers qui. Mais chacun ressent une impression de déjà vu, de déjà vécu.
Je dois quand même me justifier, prouver que mon immatérialité n’est pas de l’inexistence, démontrer que je ne passe pas mon temps à m’allonger sur les divans mais que je travaille sans relâche. Car il faut me voir stocker, classer, condenser, perlaborer, projeter ou introjecter, c’est selon, et, surtout, refouler nuit et jour ce qui fâche et fait mal. Je suis aussi très créatif, je fais tout avec rien, et techniquement très organisé pour tisser des trames, fabriquer des songes, ficeler des coïncidences, débloquer de la pulsion de vie et engranger de la pulsion de mort. Qui dit mieux ?
Je ne sais pas si je pose problème mais la plupart du temps on m’ignore. Je ne me sens pas vraiment mal aimé mais je m’interroge. Je fais peut-être peur. Il est vrai que je ne suis pas présentable. Ni même représentable. On ne peut pas me schématiser. On ne peut pas me contenir, me contrôler, me retenir. Alors je me demande si, finalement, on ne souhaiterait pas me jeter aux oubliettes pour ne plus jamais entendre parler de moi.
Il faut cependant se méfier car je suis coriace. Je trouverai toujours la brèche où m’engouffrer, la résistance à faire sauter, la pièce manquante à déplacer.
Je suis tellement coriace que je serai toujours là quand, passant de vie à trépas, vous sombrerez dans l’inconscience.
Nul ne sait où je commence et nul ne sait quand je finis.
Alors, parfois, une question me taraude : et si j’étais immortel ?