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Auteur Sujet: Moi, Charlotte Simmons (Tom Wolfe)  (Lu 1555 fois)

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Moi, Charlotte Simmons (Tom Wolfe)
« le: 04 octobre 2018 à 10:28:21 »
Critique aisée n° 135
Moi, Charlotte Simmons
Tom Wolfe – 2004
Pocket – 1008 pages

Je ne vais pas vous raconter la fin de « Moi, Charlotte Simmons« , l’avant dernier livre de Tom Wolfe. Je ne vais pas vous la raconter parce que je n’ai pas pu y arriver, à la fin. Le bouquin compte 1008 pages dans l’édition Pocket que j’ai trainée avec moi pendant un mois.
1008 pages, c’est dans la norme pour Wolfe, et d’habitude ça ne me gêne pas. Au contraire, quand un bouquin est bon, quand on est pris ou charmé, ou amusé par le récit, quand on s’aperçoit qu’on en n’est qu’à la page 536, on peut se dire : « Chouette, encore 472 pages ! » (Je sais, j’ai déjà écrit un truc comme ça, rappelez-vous, c’était à propos de la Recherche du Temps Perdu.) Bien qu’il l’admire (je le sais, il l’a écrit , et qu’il aime Flaubert aussi), avec Wolfe on est loin, très loin de Proust (et de Flaubert). Enfin, pas si loin que ça : la précision de la description des scènes d’action chez lui vaut bien celle de la peinture des paysages et des émotions chez Proust. Passons, vous n’êtes pas venus pour lire une fois de plus mes dithyrambes sur le petit Marcel.
Mais cette fois, quand je suis arrivé à la page 536, au lieu de me dire Chouette etc..! (voir plus haut), je me suis dit « basta cosi ! » (j’ai vécu un temps en Italie),  » αυτό αρκεί !  » (et aussi un peu en Grèce) et j’ai posé le livre. Déjà, depuis deux ou trois cents pages, je sentais la lassitude monter (un peu de nausée aussi) mais, pour pouvoir écrire une critique honnête, je me faisais une obligation d’aller jusqu’au bout. Mais bon ! Basta cosi ! Aυτό αρκεί ! Il y a des moments, surtout par forte chaleur (j’écris ces lignes le 26 juillet), où il faut savoir renoncer. J’ai su.
Si vous êtes arrivé à ce stade de ma 135ème Critique aisée (ce qui m’étonnerait quand même un peu), vous éprouvez maintenant un certain malaise, mêlé de surprise et d’un peu d’agacement : « qu’est-ce que c’est que ces circonvolutions », vous dites-vous, « qu’est-ce que c’est que ces préliminaires alambiqués, farcis d’incises, de parenthèses et d’italiques ? Qu’il en vienne au fait, sacré bonsoir ! Ce suspense est intolérable ! Qu’il nous le dise clairement qu’il ne l’a pas aimé, ce livre, et pourquoi ? »
Eh bien, clairement, non, je ne l’ai pas aimé ce livre ! Pourtant, j’ai du mal à le dire. J’avais, vous le savez, porté aux nues à peu près tout ce que j’avais lu de Wolfe (Le bûcher des vanités, Bloody Miami, Embuscade à Fort Bragg) avant de me taper la moitié de Charlotte. J’ai un avis (non encore formulé, mais ça va venir) très favorable sous quelques légères réserves sur son deuxième roman Un homme, un vrai. Alors, vous comprendrez que je prenne des précautions avant de déclarer que Moi,Charlotte… c’est plutôt pénible à lire.
Toutes ces précautions ayant été prises, allons-y :
Au sein de la très chic et très chère université Dupont, le roman tourne autour des évolutions de quelques personnages : Charlotte, étudiante brillante, plouque et totalement coincée ; Jojo, colosse basketteur mais pas totalement idiot ; Hoyt, beau, WASP et riche ; Adam, cultivé, boursier et puceau, plus quelques autres super mâles basketteurs, costauds, noirs et blancs, un coach craint, des pétasses riches, et toute cette sorte de choses… tous personnages archétypaux, sans subtilité, sans complexité, et n’était le respect que je porte à un écrivain renommé et néanmoins récemment décédé, je dirais caricaturaux.
Pour achever le coté cliché des situations, à l’exception de Sainte Charlotte Nitouche, toutes ces belles personnes utilisent pour s’exprimer moins de trois cents mots dont une bonne moitié relève de l’argot le plus cru possible. A l’aide de ce vocabulaire, les mêmes, tous sexes confondus (c’est le cas de le dire), éructent en permanence et de la façon la plus ouverte leurs irrépressibles besoins de se saouler, de forniquer et de déféquer ( mes lecteurs traduiront eux-mêmes s’ils le souhaitent ces verbes en un esperanto estudiantin plus actuel).
Avec la précision coutumière de l’auteur, l’Université Dupont est décrite comme un énorme foutoir, installé dans de somptueux bâtiments victoriens, empoissés par les restes de pizza, écornés par les jeux iconoclastes de leurs occupants, et empuantis par des lacs de bière. Tout ce qui ressort de cette description sans nuance que nous livre Wolfe, c’est que le seul objectif de Dupont est d’avoir la meilleure équipe de basket du pays, et que le seul objectif de ses bébés-étudiants est de jouir au maximum de tout ce l’argent de leurs parents ou des sponsors du basket a mis à leur portée.
Il y a probablement du vrai dans cette vision des universités US, mais cette façon monochrome de voir les étudiants est désespérante, autant qu’est lassante la grossièreté de leurs dialogues. Les mêmes descriptions complaisantes des super-muscles des super-crétins sportifs se succèdent péniblement, au même rythme que se répètent les mêmes récits monotones d’orgies de pizza, de bière, de drogue et de sexe qui semblent constituer le quotidien des nuits chez Dupont.
Voilà pourquoi, page 536, j’ai refermé le livre et regretté de l’avoir même ouvert. Je me dis bien, pour me consoler, que les 472 pages dont je me suis privé auraient pu changer mon opinion mais j’ai du mal à m’en convaincre.
Si jamais un jour vous arrivez à bout de Charlotte…, tenez-moi au courant.
  Note :
Cela fait bien deux mois que j’ai écrit cette critique dont j’ai repoussé la publication de jour en jour, bousculé que j’étais par l’actualité. « Il serait bien toujours temps de parler de ce roman déjà vieux de quinze ans ».
Mais, la relisant aujourd’hui juste avant de la publier enfin, je me suis dit que le roman de Wolfe avait repris toute son actualité, tant l’Université qu’il nous a décrit ressemble à celles dont nous parlent les accusatrices de Brett Kavanaugh, le candidat du Donald au poste de juge à la Cour Suprême.




 


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