[Alan Tréard]

Publier

J'ai publié en quatre ou en trois, parfois loin de ce que j'avais connu précédemment.

J'en ai vu publier sur la tête ou dans la panique, publier avec ferveur ou sans accommodement. Publier pour le plus grand bien de tous ou dans l'impossibilité d'exister.

Publier pour rire ou pour faire peur, publier pour comprendre ou pour affirmer autre chose.

Publier pour produire, publier pour porter. Publier pour aimer, publier pour envoûter.

Les yeux rivés sur une simple publication, la sienne, publier pour souffrir, publier pour offrir.

Publier pour se donner le droit d'exister. Publier pour faire partie de l'espace, publier pour expirer ou s'imaginer publiant. Publier par nécessité, parce que le lectorat en redemande toujours un peu plus. Publier par avidité, publier par convoitise.

Publier modérément ou publier dans la précipitation. Publier pour interpeller, ou bien publier pour sentir le vent tourner. Publier par espoir ou publier par mécontentement.

Mettre un terme à la publication, reprendre celle-ci en tout point. Se demander pourquoi l'on publie soi-même, se demander pourquoi l'on y croit. Répondre à une commande en tout point, la détourner pour mieux la satisfaire. Publier dans le devoir, ça c'est quelque chose d'inévitable, publier pour le devoir de publier.

Manque de foi ou manque de lucidité, il n'y a jamais une raison qui l'emporte, la publication fait acte.

Publication constante, publication féconde. Publication évasive, publication constructive.

Sélective, intransigeante, publication facile ou publication docile.

Publication d'abord ou publication ensuite.

Sans arrêt ou bien publier un arrêté.

Publication parfois ou publication par excès.

Par ignorance, par certitude, par inconstance, par énumération.

Et de demander ; ai-je encore publié ?

[Alfred]

C'est la deuxième fois que je le lis depuis hier, et je n'sais toujours pas quoi en penser.

*réflexion devant l'écran, à se tortiller un bout de moustache*

En fait, j'y vois d'la critique, négative. Non pas de l'acte de publier en soit, mais dans ce qui en découle, de l'abus dans lequel on tombe, tous — l'industrialisation de la littérature.

Mais aussi une forme d'espoir, par la remise en question — la fin de la phrase restant fataliste tout de même.

Mettre un terme à la publication, reprendre celle-ci en tout point. Se demander pourquoi l'on publie soi-même, se demander pourquoi l'on y croit. Répondre à une commande en tout point, la détourner pour mieux la satisfaire. Publier dans le devoir, ça c'est quelque chose d'inévitable, publier pour le devoir de publier.

*regard sur l'horloge — vingt minutes restantes et faut passer chez l'imprimeur*

Je constate surtout que mille choses maintenant me viennent à l'esprit en relisant tes vers, ça fourmille on dirait, mais le temps me manque.

Donc, sûrement à plus tard.

PS: Faut aussi préciser que la publication, le monde de l'édition et tout ce merdier, j'y connais que d'chi.

[Alan Tréard]

Merci pour ton retour qui m'encourage à revoir la copie, et pourtant à la laisser en suspens le temps de bien considérer la profondeur de ton analyse.

Quand tu es dans un journal indépendant qui traite une information que plus personne ne traite parce que la censure fait rage dans la grande presse et que les journalistes n'ont plus droit d'aller dans des « zones de non-droit » en plein Paris à cause des confrontations populaires, que tu es le seul à détenir des informations essentielles à la compréhension de certains enjeux, et que la panique est telle que l'on préfère ignorer les réalités plutôt que de les exposer tel quel ; alors dans cet instant tu peux comprendre tous les enjeux de la publication, la place de l'écrit, et l'impact négatif qu'aurait un détournement de l'information à tous les niveaux.

La question de la publication n'est pas simple, les enjeux n'y sont pas les mêmes que ceux de la politique ou de la musique, on est dans un environnement à part entière, avec ses forces et ses travers, avec ses incertitudes et ses processus.

La littérature porte tout son intérêt sur le sujet, et j'aurais eu une fois l'occasion d'y exposer mon propre regard ; chaque publication porte une identité qui lui est propre.

[Alfred]

Quand tu es dans un journal indépendant qui traite une information que plus personne ne traite parce que la censure fait rage dans la grande presse et que les journalistes n'ont plus droit d'aller dans des « zones de non-droit » en plein Paris à cause des confrontations populaires, que tu es le seul à détenir des informations essentielles à la compréhension de certains enjeux, et que la panique est telle que l'on préfère ignorer les réalités plutôt que de les exposer tel quel ; alors dans cet instant tu peux comprendre tous les enjeux de la publication, la place de l'écrit, et l'impact négatif qu'aurait un détournement de l'information à tous les niveaux.

Situation vécue je suppose ? Et si oui, pardonne ma curiosité mais faut avouer que ça titille tout de même, dans quel contexte ?

Du point de vue d'un simple écrivain de chambre, rêvant de pouvoir un jour publier, le monde éditorial ressemble à un gigantesque labyrinthe où un pas sur deux rime avec chausse-trappe.

Ça donne pas envie, mais alors pas du tout, et on se demande d'ailleurs, comment on va faire, le jour venu où on se retrouvera, là, devant l'imprimante, un tas de feuilles encore chaudes entre les mains qui tremblent, de fatigue et d'excitation, à se demander, "si ?".

Alors que pourtant, à en voir certains, comme Yann Moix qui a publié son journal intime des attentats de Charlie Hebdo ou du Bataclan y'a un ou deux ans, la publication est aussi naturelle que de baisser sa braguette, sortir sa queue et pisser dans les hautes herbes comme enfant chez mamie.

Peut-être que c'est une question de couilles et de confiance, j'sais pas.

J'ai pas beaucoup de couilles hors du plumard — 'fin, me semble pas.

[Alan Tréard]

  J'aime beaucoup ton regard très humain et qui est révélateur du contexte dans lequel tout un chacun peut se retrouver à publier.

L'esprit critique est nécessaire pour qui souhaite favoriser la publication, esprit critique signifie parfois "musée des horreurs", et cela reste un éternel sujet à traiter quand on se confronte à ces enjeux.

Situation vécue je suppose ? Et si oui, pardonne ma curiosité mais faut avouer que ça titille tout de même, dans quel contexte ?

Je suis allé sur le terrain à l'époque où les manifestations contre la loi travail allaient d'interdiction en catastrophe.

Nous avions une petite équipe de journalistes et nous faisions un travail de terrain au plus près des manifestants. Nous avons apporté un autre regard, un regard qui nous était propre, dans un contexte où le discours médiatique avait tendance à reprendre d'un peu trop près le discours du gouvernement.

J'ai vu la peur sur le visage des policiers comme celle sur le visage des manifestants, et je sais à quel point il est fondamental de diversifier les points de vue pour apporter un espace d'expression écrite.

[Alfred]

J'ai vu la peur sur le visage des policiers comme celle sur le visage des manifestants, et je sais à quel point il est fondamental de diversifier les points de vue pour apporter un espace d'expression écrite.

Oh sur ce point je ne peux que plussoyer. Mais j'ai tendance à penser, peut-être à tort d'ailleurs, que plus on avance, nous la société occidentale industrialisée et libérale, et plus la pluralité des points de vue est perçue comme une sorte d'aberration — et ce parlant de la population, non des structures étatiques et autres institutions — malgré Internet et justement cette profusion inédite d'avis, d'opinions, d'angles de vue etc.

C'est paradoxal.

En même temps, le monde entier depuis une trentaine d'années s'est complexifié au point de ne former qu'un gigantesque paradoxe où, inéluctablement, un unique angle d'attaque ne suffit plus.

Dans deux cents ou trois cents ans, si le château de cartes tient toujours la route, cette époque que nous vivons, l'air de rien, un peu dépassé, sera érigée au même niveau que la Révolution Industrielle et la Course à la Lune.

"La Révolution Virtuelle ; l'Homo Virtualis".

[Alan Tréard]

Oui, à mes yeux, c'est un sujet éminemment littéraire ; un sujet qui revient souvent ici, et dont la question de la publication fait partie.

Tous mes remerciements pour cet instant de discussion sur le poème et ses contours, c'est une excellente ouverture pour un poète comme je suis.

[Cyr]

J'ai ressenti ton poème comme un laisser-aller d'arguments, de raisons... Au final, je ne suis, ni pour, ni contre l'acte en te lisant. Je me suis baladée et c'est simplement agréable.
Je n'ai jamais trop compris cette quête de la publication mais parfois j'écris -je n'en fais rien- et je me dis que beaux ou pas mes mots n'auront pas de vie.

Au plaisir de te lire encore,

[Alan Tréard]

Ah ! Te voilà plantée devant le gouffre de la publication, toi aussi ? Faut-il diffuser ou non sa création ? Qu'est-ce qui nous amène ici ou ailleurs ?

Cela ne fait aucun doute, le lien est le même entre les uns et les autres, comme un élan de vie et d'inconnu, et on l'appelle ainsi la publication...