Je me lève en sueur, 3h du mat, horrible ! Cauchemar de dingue, j'ai les jambes qui flageolent, un truc de fou !
Oh ! Réveille-toi abruti ! Ce n'est qu'un cauchemar débile ! J'essaie de me rendormir, rien n'y fait, dingue de chez dingue.
La nuit a été courte, j'ai encore les neurones en vrac, le cœur en capilotade et la sueur collée aux cheveux, vite direction la douche et un bon café.
Je réalise tant bien que mal en partant au boulot que ce n'était qu'un rêve, mais cela semblait si réel !
Journée normale, boulot, boulot, ordinateurs en transe, va-et-vient continuel, paperasse, patron, déjeuner sur le pouce. Normal quoi. Sauf que je n'ai pas terminé mon dossier, remue-toi tu vas encore débaucher à la nuit.
Yep ! J'ai terminé, demain je présente le dossier et je pars en congés, bien mérités.
Je saute dans mon parka, je descend les escaliers quatre à quatre, j'arrive sur le trottoir, la soirée n'est pas désagréable, il faut bon en cette fin d'automne. Je décide de rentrer à pieds.
Les rues sont presque désertes et les bruits sont étouffés, l'heure du dîner pour presque tout le monde. Peu de voitures remonte la rue, j'arrive au bout, il me reste à traverser le pont pour enfin me retrouver à la maison, où d'ailleurs personne ne m'attend ;
La lune est noire, il fait sombre dans ce coin, les lumières de la ville ne viennent pas jusqu'ici. J'avance à pas pressés, quand de légers craquements se font entendre derrière moi. Pas ces craquements normaux, plutôt un chuintement craquetant, comme un rouleau qui crisse sur une feuille de papier sulfurisé froissé. Je me retourne, je ne vois rien et le bruit s'arrête. Je repars, à nouveau ce bruit... je presse le pas, non que je sois peureux, mais c'est tout de même étrange et inquiétant.
Je tente un :
qui est là ? Sans espoir de réponse.
Qui est la ? Toujours rien.
J'aperçois le pont au loin, le bruit n'a pas cessé mais semble diminuer. Rassuré, je suppose qu'il s'agissait d'un animal fouissant dans les bois, un sanglier peut-être il y en a pas mal ici.
Alors que j'arrive au pied du pont de bois, j'ai l'impression de le voir bouger, onduler... et tout à coup, mon cauchemar me revient à la mémoire. C'est impossible ! Ca ne peut pas être ça !
Cette nuit j'ai rêvé que la terre était envahie par des millions de chenilles processionnaires, qu'elles bouffaient tout le monde, même qu'on avait retrouvé le corps du papy (oui celui à la soupe) à moitié digéré mais sans la tête.
Mais là je ne rêve plus, elles sont là, bien là.
Des chenilles, des chenilles processionnaires partout, des milliers les unes accrochées aux autres. Elles se déplacent dans un mouvement baveux, dans un bruit qui me fait penser à ce vieux qui aspire sa soupe à la cuillère et qui fait claquer son dentier de satisfaction.
Le bois du pont craque, j'allume mon briquet, horreur il y en a partout ! Pire que des fourmis rouges mangeuses d'homme, pire qu'un gouffre rempli de reptiles menaçants. Toutes piques vénéneuses dehors elles avancent vers la forêt de grands pins, prêtes à tout envahir pour construire leurs nids pour l'hiver, cocon dont elles sortiront pour se nourrir des aiguilles. Elles sont capables de détruire une forêt en un rien de temps.
Non pitié ! Je ne sais plus où poser mes pieds, ça grouille de partout, ça colle aux semelles, il m'est impossible de passer le pont !
C'est alors que je me souviens des conseils de mon grand-père (le papy qui mangeait la soupe), le feu, il n'y a que le feu pour les détruire. Tu mets de l'essence et tu fous le feu, il disait !
De l'essence je n'en ai pas, même pas dans mon briquet ! Je fais volte-face, retour au village, station service, bidon de super (tant qu'à faire il ne faut pas lésiner sur la marchandise).
Retour au pont, elles sont là, je ne sais d'où elles viennent, il y en a partout !
Des branchages – vite – un mouchoir en papier – vite – asperger le tout – vite – la flamme du briquet... le feu salvateur.
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Messieurs les jurés, Monsieur le président du tribunal, je voudrais dire quelque chose pour ma défense : je ne suis pas un incendiaire, j'ai juste tenté de sauver la forêt, ce n'est pas ma faute si les chenilles étaient déjà arrivées sur place ! Quant au village, je ne pouvais pas savoir que les flammèches arriveraient jusque là. Une dernière requête avant de m'envoyer en prison, pourriez-vous me dire si vous avez retrouvé la tête de mon grand-père ?
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