Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

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Auteur Sujet: Poésie pour les nuls  (Lu 13212 fois)

Hors ligne extasy

  • Palimpseste Astral
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Poésie pour les nuls
« le: 24 mars 2016 à 23:49:32 »
Yo !

Ces derniers temps, écrire de la poésie commence à me plaire. Le hic : j'en ai jamais lu, ou presque. Je sais pas par où commencer. Il y a vraiment de tout sur internet et ça m'aide pas. Et je me suis procuré les Fleurs du Mal de Baudelaire mais j'y comprends que dalle :-\

Du coup je me suis dit : pourquoi ne pas mettre ses poèmes préférés (mais genre vraiment ceux qui nous ont marqués de chez marqués), et genre en quelques mots essayer de décrire ce qui nous plait dans ces derniers ?
Je pense que ça me servira d'une très bonne base pour commencer, pour comprendre un peu mieux ces mystérieux vers qui n'ont pour l'instant, pour la plupart, pas grande saveur pour moi. J'imagine que je suis pas le seul à être dans ce cas, et que ça pourrait être un bon catalyseur pour nous du coup, une sélection des poèmes préférés. Ou pas. J'en sais rien en fait. Je sais juste que c'est frustrant de pas capter ><
Du coup pas besoin, je pense, de se lancer dans des explications poussées, à essayer de théoriser l'émotion et tout ça. Si seulement on me disait : "J'aime tout particulièrement ce quatrain" ou "J'aime tout particulièrement ce vers", sans plus d'explication, ça serait amplement suffisant. Après si on sait quoi dire de plus, comme par exemple que c'est la sonorité qui plaît, la métaphore, etc. bah tant mieux :)
Du coup je pense que ça peut peut-être donner quelque chose de cool, si on échange nos impressions.

Bref, je sais pas où je me lance, si ça se trouve ça va mener à rien, mais voilà je me lance en proposant un poème qui m'est très cher. Celui-là, je l'ai non seulement compris, mais il m'a fait chialer en plus de ça. Être Ange de Jacques Prévert.



Être Ange
C’est Étrange
Dit l’Ange
Être Âne
C’est étrâne
Dit l’Âne
Cela ne veut rien dire
Dit l’Ange en haussant les ailes
Pourtant
Si étrange veut dire quelque chose
étrâne est plus étrange qu’étrange
dit l’Âne
Étrange est !
Dit l’Ange en tapant du pied
Étranger vous-même
Dit l’Âne
Et il s’envole.


Pourquoi je l'aime autant, ce petit poème qui n'a l'air de rien ?
C'est parce que l'âne a l'air tout con au début avec ses jeux de mots. C'est parce que c'est un âne qui parle à un ange. Et parce que du coup, le fait qu'il s'envole à la fin, c'est tellement inattendu que ça me bouleverse. C'est tellement beau que ce soit ce petit âne qui a l'air tout con qui s'envole, alors que c'est l'ange qui est censé le faire, que tout simplement ça me donne envie de pleurer. L'idée de l'envol est présente dès le début, puisqu'on parle d'un ange, et que l'accent est mis sur ses ailes à un moment. Et c'est ce retournement de situation totalement inattendu qui me remue.

En gros, trois idées principales dans ce poème pour moi :
Les deux extrêmes : Ange/Âne. Deux personnage totalement opposés.
La supériorité de l'Ange sur l'Âne.
Le renversement, absolument imprévisible. Libérateur. Tous le poème est transfiguré.

En gros :

Ça me donne l'impression que le sens s'envole, que tous les mots disparaissent et ma compréhension avec. Je reste seulement planté là à me demander ce qu'il a bien pu se produire. Sans comprendre, seulement avec la sensation que ça touche à quelque chose de profondément vrai et beau.
C'est cette impression de résolution par le vide qui me laisse scotché, je dirais.

(Edit : enfin je crois hein, c'est dur d'être clair, j'ai l'impression que c'est peut-être pas l'essentiel, j'en sais plus rien. J'ai pas pris un très bon exemple, mais comme c'est l'un des seuls poèmes qui me plaisent et qu'il n'y a pas vraiment de métaphores et tout ça dedans bah voilà, c'est comme ça ^^).

Voilà, je me rends compte en terminant d'écrire que ce n'est pas vraiment possible de dire pourquoi on aime un poème. Du coup, peut-être que ce post ne sert à rien :D

Bref bref bref.
« Modifié: 25 mars 2016 à 01:14:48 par extasy »

Hors ligne Chouc

  • Palimpseste Astral
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  • Chourlotte Brontë
Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #1 le: 25 mars 2016 à 08:54:38 »
Celui qui me touche le plus n'a rien d'original, c'est un grand classique, mais il faut dire que je n'ai pas lu suffisamment de poésie pour disposer d'un grand choix en la matière :

Demain, dès l'aube...

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.



Il me touche simplement par ce qu'il raconte : le deuil.
C'est quelque chose qu'on traverse tous à un moment donné de notre vie, et je trouve qu'Hugo a réussi à rendre avec beaucoup de justesse et de pudeur l'immense douleur que cela représente. Si ma mémoire est bonne, il y est question de sa fille Léopoldine décédée très jeune.
Le début est doux, presque amoureux, on n'a alors conscience que de l'affection qu'il lui porte. Il ne peut pas rester loin d'elle bien longtemps et d'ailleurs, il se sait attendu. Dans le second quatrain, la douleur s'insinue doucement, on sait que ce rendez-vous n'a rien de galant et qu'il n'y est question que de chagrin. Jusqu'au dernier quatrain où la tombe de sa fille est finalement mentionnée.

Je n'ai pas grand chose à ajouter sur le sujet, si ce n'est qu'Hugo parvient à traiter avec brio un thème très délicat.
Tel esprit qui croyait se pendre.

Hors ligne extasy

  • Palimpseste Astral
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #2 le: 25 mars 2016 à 12:03:40 »
Merci pour le poème Chouc, j'aime beaucoup. Pour les raisons que tu as citées, justement. Les deux derniers vers sont terribles  :-\

milena-owein

  • Invité
Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #3 le: 25 mars 2016 à 12:16:24 »
Super idée de fil exta :D
Je suis dans le même cas que toi et du coup j'approuve completement ^^
Pour ma part j'aime pas Baudelaire non plus et j'ai beaucoup de mal à trouver de la poésie qui me plaise, du coup j'en propose un de Corneille :

La peste

J'ai vu la peste en raccourci :
Et s'il faut en parler sans feindre,
Puisque la peste est faite ainsi,
Peste, que la peste est à craindre !

De cœurs qui n'en sauraient guérir
Elle est partout accompagnée,
Et dût-on cent fois en mourir,
Mille voudraient l'avoir gagnée.

L'ardeur dont ils sont emportés,
En ce péril leur persuade,
Qu'avoir la peste à ses côtés,
Ce n'est point être trop malade.

Aussi faut-il leur accorder
Qu'on aurait du bonheur de reste,
Pour peu qu'on se pût hasarder
Au beau milieu de cette peste.

La mort serait douce à ce prix,
Mais c'est un malheur à se pendre
Qu'on ne meurt pas d'en être pris,
Mais faute de la pouvoir prendre.

L'ardeur qu'elle fait naître au sein
N'y fait même un mal incurable
Que parce qu'elle prend soudain,
Et qu'elle est toujours imprenable.

Aussi chacun y perd son temps,
L'un en gémit, l'autre en déteste,
Et ce que font les plus contents
C'est de pester contre la peste.

Celui là je l'aime pour sa forme (en octosyllabe de rime croisé) car c'est la forme que je préfère écrire. Avant de trouver ce poème je n'avais aucun modèle en dehors de la poésie médiévale et c'est pas vraiment la même langue que le français moderne  :/ j'adore la façon dont Corneille arrive à organiser le sens d'un octosyllabe à l'autre, on a une impression de spontanéité en lisant que j'admire beaucoup, il n'y a pas de segment qui donnent une impression de "remplissage" pour obtenir la bonne longueur.

Hors ligne Alan Tréard

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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #4 le: 26 mars 2016 à 15:31:34 »
Eh ! Bien, moi, j'adore ce sujet. C'est toujours intéressant de parler de ce qu'on a aimé dans un poème, de ce qui lui donne de la couleur. Je vais aller rechercher un poème qui m'avait marqué, d'Apollinaire. Sa poésie me transporte toujours. Je le mets en spoiler parce qu'il est un peu long :

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Ce poème est le premier du recueil. On y découvre l'impossible. C'est quelque chose de particulier, d'un peu inattendu. N'ayant eu aucune éducation catholique, il y a une partie du poème que je ne comprends pas, et pourtant, ça m'a ému aux larmes. Comme vous le savez, le premier poème d'un recueil tient le rôle de présentation du recueil. Lorsque vous ouvrez le livre, et que vous en lisez son premier poème, vous entrez dans l'univers du poète. Ainsi, le premier poème est sensé apporter un éclaircissement sur ce qu'on y trouvera. Et là, Apollinaire prend cette démarche au pied de la lettre, comme s'il disait là où il se trouve, là où l'on se trouve en tant que lecteur ; et cependant, plus on avance moins on sait où l'on est. Il a fait un poème qui devrait donner des repères, et qui pourtant nous déroute, telle une ivresse frappante. C'est comme un poème qui égare le lecteur, comme une promenade évasive, une contemplation perdue.
Mon carnet de bord avec un projet de fantasy.

Nocte

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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #5 le: 26 mars 2016 à 22:07:59 »

Brûlé de soifs spirituelles,
j'errais au désert sombre et sourd,
quand un Séraphin aux six ailes
m'apparut dans un carrefour.
De ses doigts légers comme un songe,
touchant mes yeux, il fit s'ouvrir ma prunelle ardente
qui plonge au plus profond de l'avenir,
dilatée, et claire, et pareille à la pupille de l'aiglon
qu'un effroi nocturne réveille.
Et puis il toucha mon oreille
qui s'emplit de bruits et de sons.
Et j'entendis alors l'étrange
frémissement du firmament,
et j'entendis le vol des Anges ;
et j'entendis, depuis ce moment,
Léviathan frôler la mousse
dans les abîmes sous-marins,
la croissance des jeunes pousses,
dans les taillis du val voisin.
Penché sur ma bouche frivole,
il prit ma langue qui pécha
par blasphème et vaines paroles,
et de sa droite, il l'arracha ;
Puis l'Ange, d'un geste farouche
descella de nouveau mes dents ;
sa main sanglante dans ma bouche
mit le dard d'un serpent prudent.
Et puis il fendit de son glaive ma poitrine,
et je sens soudain que sa dextre cruelle
enlève mon cœur palpitant de son sein,
et place, dans la plaie ouverte,
un bloc de charbon embrasé...
Dans la plaine, cadavre inerte,
gisait mon corps martyrisé...
Tout à coup retentit le Verbe,
le Verbe irrité du Très-Haut :
" Ô toi qui gis là-bas dans l'herbe
lève-toi, mortel, il le faut.
Réveille-toi donc de ton somme :
debout, Prophète, entends et vois !
Obéis ! parcours à la fois terres et mers,
et que ta voix brûle partout le cœur des hommes !"

Alexandre Pouchkine - Le Prophète

Hors ligne Loïc

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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #6 le: 26 mars 2016 à 22:22:28 »
Dans les poèmes qui m'ont marqué y a quand même pas mal de Baudelaire.

"Correspondances", d'abord :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Parce que les correspondances dont parle le poème, je les retrouve dedans. Les belles sonorités du sonnet me plaisent vachement.

Et "L'invitation au voyage" :
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
— Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

PARCE QUE LE VERS IMPAIR qu'il est beau, et l'anaphore
"Là tout n'est qu'ordre et beauté
Luxe calme et volupté"


Et pour finir, sans aller vers du plus étonnant/nouveau/qui sort des sentiers battus :

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
       Et nos amours
   Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

       Vienne la nuit sonne l'heure
       Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
       Tandis que sous
   Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

       Vienne la nuit sonne l'heure
       Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
       L'amour s'en va
   Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

       Vienne la nuit sonne l'heure
       Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
       Ni temps passé
   Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

       Vienne la nuit sonne l'heure
       Les jours s'en vont je demeure

(Apollinaire, "Le Pont Mirabeau")
Là aussi c'est le rythme, les sonorités, le tout que je trouve sans longueur ni ennuis, ça coule et ça reste.
"We think you're dumb and we hate you too"
Alestorm

"Les Grandes Histoires sont celles que l'on a déjà entendues et que l'on n'aspire qu'à réentendre.
Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s'installer à son aise."
Arundhati Roy

Hors ligne Ambriel

  • Palimpseste Astral
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #7 le: 26 mars 2016 à 22:28:43 »
Plop

Moi non plus j'y connais rien en poésie donc j'en connais que quelques uns... Notamment un classique que j'avais étudié en primaire et qui m'avait bien marquée (autant par la description que par la "chute" d'ailleurs)

Le dormeur du val de Rimbaud

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Sinon j'avais étudié Apollinaire aussi et j'avais bien aimé certains poèmes mais "Zone" pas du tout par contre ; je l'ai trouvé hermétique, ennuyant etc ^^
Mais les copains suivaient le sapin le coeur serré
En rigolant, pour faire semblant de ne pas pleurer
Et dans nos cœurs pauvre joueur d'accordéon
Il fait ma foi beaucoup moins froid qu'au Panthéon

- Georges Brassens -

Hors ligne barnacle

  • Grand Encrier Cosmique
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #8 le: 26 mars 2016 à 22:53:14 »
Pour faire un peu contraste, dans une approche où le découpage en vers est plus évidemment une affaire de sens (sans que le rythme ou le son y soit absent), la poésie une affaire de sensibilité et d'être-au-monde, au tatonnement admis, le poème liminaire (Dis encore cela...) de A la lumière d'hiver de Jaccottet :

Dis encore cela patiemment, plus patiemment
ou avec fureur, mais dis encore,
en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,
sous l’étrivière du temps.
                                    Espère encore que le dernier cri
du fuyard avant de s’abattre soit tel,
n’étant pas entendu, étant faible, inutile,
qu’il échappe, au moins lui sinon sa nuque,
à l’espace où la balle de la mort ne dévie jamais,
et par une autre oreille que la terre grande ouverte
soit recueilli, plus haut, non pas plus haut,
ailleurs, pas même ailleurs : soit recueilli
peut-être plus bas, comme une eau
qui s'enfonce dans la poussière du jardin,
comme le sang qui se disperse, fourvoyé,
dans l'inconnu.



Dernière chance pour toute victime sans nom :
qu’il y ait, non pas au-delà des collines
ou des nuages, non pas au-dessus du ciel
ni derrière les beaux yeux clairs, ni caché
dans les seins nus, mais on ne sait comment
mêlé au monde que nous traversons,
qu’il y ait, imprégnant ses moindres parcelles,
de cela que la voix ne peut nommer, de cela
que rien ne mesure, afin qu’encore
il soit possible d’aimer la lumière
ou seulement de la comprendre,
ou simplement, encore, de la voir
elle, comme la terre la recueille,
et non pas rien que sa trace de cendre.
« Modifié: 26 mars 2016 à 23:00:30 par barnacle »

Hors ligne Angarth

  • Calligraphe
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #9 le: 26 mars 2016 à 23:03:38 »
Comme les poètes français me laissent généralement de marbre, et que le poème en prose est toujours injustement délaissé, une petite traduction :

Nostalgie de l'Inconnu, Clark Ashton Smith
La nostalgie des choses inconnues, des contrées oubliées ou jamais découvertes... tel est le sentiment qui souvent me submerge. Souvent, je suis pris du désir ardent de voir l'or de soleils étincelants se refléter sur le marbre diaphane de terrasses azurées; parodies minérales de grands lacs étals aux eaux calmes, insondablement calmes... Souvent, je brûle de contempler de légendaires palais de serpentine, de fabuleux castels d'argent et d'ébène dont les colonnes seraient de vertes stalactites. Souvent, j'aspire à admirer les ruines de temples affaissés dont les piliers se dressent encore dans le vaste crépuscule purpurin d'une contrée de légende telle qu'on en peut trouver dans les romances oubliées. Je soupire après des forêts de cèdres, profondes et vertes, où l'enchevêtrement fantastique des ramures pénombreuses laisse entrevoir des éclats de diamant bleu dans lesquels on devine un océan tropical inconnu. Je soupire aussi après les palmiers et les coraux de ces îles qu'un matin d'ambre cisèle, là-bas, par-delà Cathay, par-delà Taprobane... Je soupire enfin après les étranges cités du désert, ces cités secrètes dont les dômes d'airain brûlant et les audacieux pinacles d'or et de cuivre transpercent cruellement un ciel de lazuli torride.

Pourquoi c est mon poète de prédilection (et par là j inclus sa meilleure fiction) : vision cosmique, art de l incantation, grande musicalité, style coloré et vocabulaire infini. Certains de ces traits se faisant moins sensibles que d autres ici.

Hors ligne extasy

  • Palimpseste Astral
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #10 le: 26 mars 2016 à 23:24:44 »
J'aime beaucoup Le Prophète, et les derniers vers où on comprend de quoi il s'agit boostent tous les autres je trouve.

Et wah, j'adore Le dormeur du val, j'avais même l'intention de le poster. Quelles belles descriptions, les haillons d'argent, le val qui mousse de rayons, le lit vert, la lumière qui pleut ; c'est presque... elfique. Re-édit (j'ai du mal à m'exprimer dans ce que je vais dire, dsl : ) le lit vert par exemple je trouve ça top. Il y a une métaphore plus commune, le lit d'herbes. Mais ça aurait encore été un milieu, une transition entre herbe et lit. Ici l'herbe dans son détail est effacée (il est mentionné juste en haut mais ça ne change rien je trouve), comme si ses traits étaient en quelque sorte floutés et qu'on ne pouvait plus distinguer les herbes une par une mais seulement dans leur ensemble à travers ce qui les unit, leur couleur. C'est comme une altération de la perception qui te ferait voir un truc d'une autre façon. Pareil pour les gouttes d'eau qui deviennent des haillons d'argent. Si j'aime ces métaphores, je crois que c'est parce qu'on n'a pas l'impression qu'on part d'un truc A pour arriver à un truc B, comme ça aurait été le cas dans lit d'herbes, où on sait qu'on part d'herbe à lit. On dirait qu'on est au truc B directement, on voit que ça, ou surtout ça. Enfin je sais pas, bref c'est vraiment super. Et ensuite t'as le dernier vers qui te ramène à la réalité, c'est fort [/fin de l'Edit].

Et j'aime bien les Correspondances, je ne sais pas trop pourquoi ; peut-être comme dit Loïc parce qu'il explique les correspondances par des correspondances.

Edit : Angarth a posté entre-temps.
« Modifié: 27 mars 2016 à 15:55:20 par extasy »

Hors ligne Luna Psylle

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    • Page perso du Monde de l'Ecriture
Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #11 le: 27 mars 2016 à 08:45:47 »
La poésie ne m'a pas particulièrement marquée dans ma vie, mais je sais qu'ils sont deux à m'avoir émue.



Tout d'abord, il y :

Chanson d’automne
Paul Verlaine

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Je me souviens l'avoir appris en CP, vers fin Octobre, début Novembre avec pour décor les feuilles qui tombaient au sol avant de se faire emporter par la brise matinale. Le ciel était ni bleu, ni gris, plein de nuances à la fois estivales, à la fois hivernales. Et moi, je récitais sans y penser ces quelques mots qui me faisaient voyager au côté des feuilles mortes vers une destination inconnue. Sauf que là où les mots peuvent sembler négatifs, la sensation que m'offraient ces vers m'apparaissait plus libératrice.



Ensuite, il y a :

Sensations
Arthur Rimbaud

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.

Je n'ai pas trouvé la version que je souhaite (ou il la récite à l'introduction du menu, sans bruitage et avec la musique qui s'élance juste après), mais je vais expliquer avec celle-ci. Déjà, j'aime le ton dans lequel il est récité, cette tranquillité apaisante (de plus, je trouve sa voix absolument sublime). Ensuite, il y a les mots : sentier, rêveur, vent, amour, bohémien (surtout bohémien), femme. Ils ont une signification toute particulière pour moi.
Le sentier, l'image même de ce que je cherche à emprunter, ce chemin "que seuls mes pas pourront fouler".
Rêveur, la définition même de mon esprit, toujours prêt à créer, imaginer, rêver.
Le vent, mon amant de tout temps.
L'amour, à la fois ce que je veux offrir et ce que je veux connaître.
Le bohémien, cet être vagabond, libre de vivre, libre de sentir, de ressentir, libre d'aimer.
Et la femme, tellement de choses que la femme. Le but ultime, la réponse à tous ces besoins.



Je me suis un peu lâchée sur le deuxième, mais bon, au moins c'est expliqué. Voilà pour les poèmes qui me font chaud au cœur.
If the day comes that we are reborn once again,
It'd be nice to play with you, so I'll wait for you 'til then

Hors ligne pehache

  • Grand Encrier Cosmique
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #12 le: 27 mars 2016 à 09:09:10 »
extasy, pour moi ton texte ne relève pas de la poésie, mais du vire-langue, du "texte à dire", à jouer.
Mais je suis un vieux con, la chose est aussi à considérer.

Nocte, c'est dur à lire (sons, rythmes), et, pour moi, dès lors, ça chiotte.
« Modifié: 27 mars 2016 à 09:11:01 par pehache »

Hors ligne Alan Tréard

  • Vortex Intertextuel
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    • Alan Tréard, c'est moi !
Re : Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #13 le: 27 mars 2016 à 20:00:53 »
extasy, pour moi ton texte ne relève pas de la poésie, mais du vire-langue, du "texte à dire", à jouer.
Mais je suis un vieux con, la chose est aussi à considérer.

 :D Assez radical !! Non, d'un point de vue personnel, je peux comprendre que tu reproches la dimension populaire de la poésie de Prévert, pehache ; mais d'un point de vue littéraire, on ne peut s'en affranchir. Prévert est un poète.

C'est une question de désignation.

Tout simplement parce que si on ne catégorisait plus l'œuvre de Prévert autrement que par le mépris, on ne saurait plus la nommer ; et comme tu le sais, écrire, c'est nommer. Donc, il vaut mieux dire "ce poème est un tire-langue" que de dire "ce n'est pas de la poésie," c'est plus pratique pour qu'on trouve chacun ses repères. Pour autant, il est normal de distinguer les poèmes entre eux, de faire une différence entre les uns et les autres.
Mon carnet de bord avec un projet de fantasy.

Hors ligne pehache

  • Grand Encrier Cosmique
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Re : Poésie pour les nuls
« Réponse #14 le: 27 mars 2016 à 20:35:05 »
Mais je ne méprise pas du tout Ptévert et, comme tout le monde, j'espère, je peux en réciter des tas.
Non, c'est le "à la manière de" qui coince.

 


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