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Auteur Sujet: Ecriture, conscience, inconscient  (Lu 4833 fois)

Hors ligne Gros Lo

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Ecriture, conscience, inconscient
« le: 08 septembre 2008 à 17:27:02 »

Hu-hu, vive le thème de philo spé des KM...

Oui, donc, voilà les questions qui se posent...

en admettant bien que dans ce topic, on ne parle pas de conscience morale, mais de conscience comme la capacité de penser : conscience comme contraire d'inconscient et non d'inconscience.
et pour l'écriture, j'veux parler du travail d'écriture.


Pour ne pas faire doublon, un /!\: c'est pas de la question de l'inspiration dont il s'agit ; elle est proche, bien sûr, mais c'est plutôt l'inspiration sur le plan de la forme que sur le plan du fond.

Je m'explique.

Quand on écrit, on croit choisir ses mots. Mais est-ce que c'est vraiment le cas ?
On a appris pas mal de poèmes et de fables, en primaire et au collège, ensuite ç'a été les tirades, et encore de temps en temps on nous demande de mémoriser des passages de roman.

Et, pour moi, tout cet agglomérat de vers et de prose, de médiéval et de romantique, d'argotique et d'ampoulé, que l'on n'a pas constamment en tête, ressurgit quand bon lui semble. Ici, une tournure de Voltaire ; là, un morceau de vers de La Fontaine. Quand on écrit, on croit choisir ses mots. Admettons que notre personnage soit un tenancier qui aime les grands discours. Et on se dit : "tiens, ce serait une bonne idée si je prenais un ton un peu vieillot et distancié pour raconter ce passage-là."
Et voilà qu'on rédige :
"L'aubergiste, quelque peu éméché, prouva par ses borborygmes qu'il fallait mettre un terme à la politique du Sultan, ce tyran, cet aristocrate qui se prélassait dans des bains de violette et de camphre sans prêter attention à son peuple, et d'où venaient des idées fumeuses de rénovation des cultes."

Et on est très fier, et la plupart du temps on ne se rend pas compte que La Fontaine est derrière ces belles tournures.
Le "quelque peu" a pu être de notre seul ressort. Mais ensuite, la mémoire s'en mêle, et l'inconscient nous souffle l'enchaînement logique des Animaux malades de la peste.

Bien sûr, pour le coup, ça peut sembler une théorie fumeuse. Mais, de temps en temps, on s'en aperçoit... ça ne vous est jamais arrivé ?

Comment ça fonctionne ? Il suffit de se représenter la conscience divisée en plusieurs couches ; en haut se situe la prise de conscience, et en bas, tandis que les couches de conscience s'éloignent de plus en plus de l'entendement, se situe l'inconscient.
> C'est très schématique, ouip. La première couche de conscience, la première strate, c'est ce qu'on a en tête. Prenons le mot "pomme".

> Les couches suivantes sont directement liés à ce terme et l'influencent fortement ; mais, de même que le présent n'est fait que d'un instant, très fugitif, lié au futur et au passé immédiats, la première strate de notre conscience ne contient que ce mot "pomme", tout en étant influencée par les couches suivantes, qui, elles, contiennent les sensations : "juteux", "croquant", "vert", "rouge", "granuleux", "acidulé", "sphérique"...

> Tout de suite après, dans les couches un peu plus éloignées, il y a les associations d'idées (fruit, arbre, peau, asticot...)

> Dans les couches en-dessous se trouvent les liens plus lointains, mais qui influencent encore le mot originel "pomme" : Blanche-Neige, le jardin d'Eden, la sottise, Pomme d'Api, Reflets d'Acide (en compote de pommes, popom, popo- fin de la digression)...

> A mesure qu'on s'éloigne de la première strate, les associations d'idées se font moins faciles, il faut commencer à réfléchir un peu. Les rimes, gomme, rogomme, bonhomme, baba au rhum, bouteille de rhum, carafe de rhum, cargaison de rhum...

> Et puis au arrive à la fin de ces couches successives, et aux associations si lointaines qu'on les a perdues de vue. Pas de concept de pomme refoulé signifiant en fait le complexe d'OEdipe, bien sûr ; l'inconscient (et pas comme le ça, territoire des instincts refoulés et des pulsions primales... car l'écrivain c'est pas quelqu'un de névrosé, n'est-ce pas. N'EST-CE PAS. Voilà j'préfère.)
Et là, c'est l'inconscient littéraire, si on peut appeler ça vite fait comme ça. A savoir, le terreau, les citations, les lectures, les poèmes, les fables, les tirades, toutes ces lectures qui datent et dont on croit ne se rappeler que l'intrigue (et en flou). Pourtant, la forme est là, conservée, et il suffit d'une disposition d'esprit et du choix de l'expression "quelque peu" pour que Les Animaux malades de la peste lèvent la tête et envoient tout là-haut à l'entendement des bouffées faussement personnelles de tournures de phrase, toute la trame de la fin de la fable : "prouva par... qu'il fallait... ce... ce... d'où venait..."


A partir de ces observations (que vous allez vous empresser de contester, sinon je les aurais pas postées :coeur:), on en vient logiquement à la question désespérante : "mais comment, comment ! comment faire, pour se forger un style, si on est à ce point influencés par les lectures digérées ?", "le syndrome de l'éponge est-il persistant ?" et autres "est-il alors sensé de parler de 'style personnel' " ?
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #1 le: 08 septembre 2008 à 19:29:28 »
Moi, je vois très bien ce que tu veux dire, mais en allemand  :D :D
Je m'explique : Mon vocabulaire étant quand même très limité, il m'arrive d'écrire des phrases, d'instinct, (genre dans un mail, je ne fais pas de poésie en allemand  ;)) et en les relisant, je m'aperçois que j'ai repris la formule de quelqu'un.
Bon, comme je ne lis pas de romans en allemand, ce sont souvent des formulations que j'ai entendues dans des conversations, ou lues... Ben... dans des mails...

bref. Tout ce petit charabia pour dire que je ressens aussi ce que tu décris, mais pas dans les mêmes situations. J'imagine que ton bagage littéraire doit être un peu plus lourd que le mien.  :P
Alors, peut-être faut-il ne pas "trop" lire ? ou bien, tu en es au stade critique, où tu as suffisamment lu pour caser des citations (conscientes ou non) partout, mais pas assez pour qu'elles se "dissolvent" les unes dans les autres de façon homogène, de tel manière qu'elles ne forment plus qu'un aura diffus d'inspiration ?  ::)
Bon, j'arrête, je me perds.
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #2 le: 08 septembre 2008 à 19:56:24 »
"Pomme d'api"
j'adore tes références, Lo' :D

Il y a un petit truc sur lequel je suis plus ou moins d'accord ( mais tu ne l'as jamais affirmer comme tel...):  généralement, si on ressort une phrase qui reprend grosso modo un texte que l'on a déjà appris, on s'en apperçoit
or, ce que tu décris semble se situer sur un autre cadre (du moins, je crois :-[) : on reprend inconsciemment des images, des idées, des tournures de livres que l'on a lus, mais pas forcément appris par coeur
et c'est là que ça devient plus intéressant parce que c'est vraiment de l'inconscient plus de la conscience ( au sens de mémoire) qu'il est question : on se souvient de quelque chose qu'on a lu peut-être une fois dans sa vie, qui ne nous a pas forcément touché sur le moment (sinon cela relèverait de la mémoire), mais qui a ... hum... hiberné dans l'inconscient
perso, je trouve ça fabuleux ( mais c'est pas le sujet :-¬?)

après je ne suis pas sûre que ce soit un gros problème, évidemment si l'on reprend le style d'un auteur, ça va pas, mais il y a toujours des reprises, non ?
je veux dire, nos plus grands auteurs ont eux aussi été inspirés par leurs prédécesseurs
et puis le style, c'est aussi vachement lié à l'époque de publication: il y a le style romantique, parnassien...


Hum...
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #3 le: 09 septembre 2008 à 00:50:26 »

Oui, ça arrive à maturité dans l'inconscient, c'est pour ça que c'est un terreau ; ça murit, toussa toussa.

Et en fait, ce que j'veux aussi dire, c'est qu'on calque. On calque sur tout notre "patrimoine littéraire", sans vraiment en avoir conscience... dès le moment où on ressort du "un..., quelque peu..., prouva par... qu'il fallait..." (etc.), comment pourrait-on se vanter d'avoir un rythme bien à soi ?

Et en litté, beaucoup dépend du rythme...
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #4 le: 09 septembre 2008 à 17:26:17 »
Hum...
arrêtez-moi si je me trompe mais à part quelques auteurs (Rimbaud pour n'en citer qu'un) qui affirment avoir un certain style ( qui se veut donc nouveau ou du moins vraiment différent des autres), la plupart des auteurs ne jugent pas leur style
non ?
c'est nous, qui maintenant aujourd'hui qu'il y a le style flaubertien, baudelairien, etc...

donc en fait, nous, en tant qu'auteurs, on ne pourrait pas prétendre que tous nos textes ont un style, qui serait le nôtre


ensuite, je pense qu'on est plus ou moins obligé  de calquer
ok, la langue française est riche et donc on peut toujours trouver quelque chose de "novateur", mais ça reste grosso modo les mêmes mots que l'on emploie ( je laisse de côté tout ce qui serait les néologismes modernes)
et puis ça ne situe pas que sur les mots, comme tu le dis, il y a le rythme

en fait, je pense qu'il faudrait déjà qu'on se mette d'accord sur ce que l'on entend par "style" (Platon, sors de ma tête! ><)
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #5 le: 09 septembre 2008 à 17:32:48 »

Par style ? la manière d'écrire, une "forme" propre à l'auteur.

Oui justement, le rythme c'est ce qui est le plus aisément inspiré par l'inconscient : /
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #6 le: 09 septembre 2008 à 19:09:21 »
Bon, déja, j'aime pas l'expression "calquer". C'est péjoratif, on dirait un plagiat râté. Si ça te parle, Lo, l'intrigue d'Eragon me semble calquée sur celle du SdA.

En reprenant ton analogie avec le dessin, je dirais plutot que calque, que nous reprenons des traits, des silhouettes, des contours ou des teintes... Mais c'est beaucoup plus diffus qu'un simple calque
Voila
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #7 le: 10 septembre 2008 à 22:00:20 »
(réponse rapide, enfin, j'essaie de faire rapide, car je veux pas me coucher tard  :noange:)

Je n'aime pas non plus le terme de "calque". Disons plutôt ... un "recopiage inspiré"  :noange: Ou alors, plus "simplement" : syndrome de l'éponge  :mrgreen: Mais, quand on éponge un liquide, lorsqu'on essore il ne ressort pas à l'identique. Idem pour quand on mange de la nourriture, d'ailleurs. Bref, ce n'est pas du calque.

Sinon, je dois t'avouer que je suis assez d'accord avec ce que tu as l'air de penser dans ton premier post (surtout au niveau de l'inspiration inconsciente, tout ça). Mais ça ne me pose pas le même problème.

Citer
Il suffit de se représenter la conscience divisée en plusieurs couches ; en haut se situe la prise de conscience, et en bas, tandis que les couches de conscience s'éloignent de plus en plus de l'entendement, se situe l'inconscient.
Ouip, c'est quelque chose que je me dis souvent ^^ En écriture, mais ça fonctionne pareil en math, ou même lors de toute réflexion. Je ne séparerais en fait pas vraiment "conscient" et "inconscient", les deux sont juste les extrémités d'une échelle. Il y a les premières couches de consciences, auxquelles on peut accéder de manière volontaire (on sait quand est-ce qu'on y accède, comment ...), puis les couches moins accessibles (on peut s'en rendre compte si on fait attention ...) et "enfin" celles dont on n'a (presque) pas conscience, et qui influent sur nous sans qu'on s'en rende compte.

Par contre, je ne suis pas trop d 'accord avec ton exemple de la pomme. Pour moi, toute la démarche que tu fais (réfléchir sur ce à quoi se rattache le mot) se situe vers le premier niveau de conscience, très accessible - car justement, on y accède facilement, il suffit de se creuser un peu la tête. Pour moi, les "couches de consciences" sont plus ... un niveau de réflexion, on va dire. Au premier niveau, on peut dire "je pense à ça". Puis petit à petit, ça va s'en éloigner. Par exemple, en reprenant la pomme (c'est un exemple un peu pourri, lol  :mrgreen:) on peut arriver à une pensée qui n'aura "rien" à voir avec la pomme - pour quiconque d'autre que nous-même.

Je crois que j'explique de manière incompréhensible  :mrgreen: Mais je suis partie pour un long message alors tant pis lol.
Pour revenir à l'écriture.
Quand j'écris, mon premier niveau se situe sur les mots de la phrase que j'écris. Puis de la phrase elle-même. Puis du texte tout entier (en gros, pour simplifier  :noange:). Je me projette dans le texte entier pour faire le lien avec ce que j'ai écris avant, ce que je projette d'cérire ... mais si je fais tout ça de manière "totalement consciente", c'est ebaucoup trop galère. Donc j'utilise "différents niveaux". (enfin, je dis que j'utilise, c'est juste une représentation, j'en sais rien  :mrgreen:).
Et pour certains textes (ceux que j'aime le plus, souvent ...) y'a encore un autre stade, où je ne réfléchis pas "vraiment", mais que j'utilise tout de même - qui me fait parfois penser à tout et n'importe quoi, mais pas le texte, mais que j'utilise quand même pour le texte ... bien que pas forcément de manière très consciente.


Ca va, je vous ais bien perdus ?  :mrgreen: Tout ça, c'était pour dire que, dans les premières couches, je suis consciente de ce que j'utilise. Dans les suivantes, pas forcément. Mais c'est pas un problème, au contraire.

Citer
on en vient logiquement à la question désespérante : "mais comment, comment ! comment faire, pour se forger un style, si on est à ce point influencés par les lectures digérées ?", "le syndrome de l'éponge est-il persistant ?" et autres "est-il alors sensé de parler de 'style personnel' " ?
Et ta personnalité ? Est-elle personnelle ? Ou bien le fruit de ton passé, de tes expériences, de ta vie ?
Pour moi, c'est la même question. Avec la même réponse.


Heu ... il est un peu tard, et je suis surtout un peu fatiguée,  donc je poste et si c'est incompréhensible je me relirais demain/après demain  :-¬?
Si la réalité dépasse la fiction, c'est parce que la réalité n'est en rien tenue à la vraisemblance.
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #8 le: 10 septembre 2008 à 22:03:56 »


J'ai pas compris le dernier truc sur la personnalité personnelle. Mais, en fait, on en arrive à un constat fracassant...

les écrivains sont des djinns !

 :mrgreen: et les grands écrivains des afrits. On a des niveaux de conscience, comme tout l'monde, sauf que pour chacun il y a une équivalence, hm, artistique.

Il se fait tard, et ma fatigue n'engendre pas de longs posts, contrairement à certain(e)s ;D donc je vais me retirer... mais je reviendrai sur tout ça plus tard. Enfin, un autre jour.
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #9 le: 13 septembre 2008 à 13:09:06 »
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #10 le: 13 septembre 2008 à 13:32:19 »

Avec un petit commentaire, peut-être, Wind ? :mrgreen:
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #11 le: 13 septembre 2008 à 14:42:52 »
Bien, théorisons donc un peu le truc par rapport à ce que vous avez dit.

Il y a deux visions de l'art qui s'opposent mais qui se rejoignent en un point crucial, selon moi.
La première vision, du divin Platon, est l'idée que l'art est une imitation (imitation du sensible, imitation des Idées). Je place la littérature dans l'art, je précise. L'art est donc selon Platon quelque chose qui n'est absolument pas novateur, mais au contraire limite arriéré, réactionnaire puisque l'art ne fait que copier ce qui existe déjà, dans l'esprit ou dans le monde.
La deuxième conception, de Breton (d'où l'image sur la Révolution surréaliste, qui devrait pourtant se passer de commentaire tant elle est signifiante ! lol), c'est l'idée que l'art est absolument créateur, et donc qu'il ne recopie rien, que ce soit le réel (Breton détestait le réalisme), les convenances sociales et morales (Breton est un révolutionnaire), ou des normes esthétiques quelconques (Breton est, pour ainsi dire, un anti-artiste, la citation suivante va éclairer ceci). Breton dit :
Citer
Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
(Manifeste du surréalisme)
L'art n'est donc pas non plus une conception scientifique du réel.

Voilà comment je vois les choses : Platon, plus de deux millénaires avant l'arrivée du surréalisme, aurait averti par avance André Breton : l'art n'est qu'imitation, il ne peut rien créer. Breton lui répond implicitement : Platon, je suis d'accord avec toi, (sed magis veritas... private joke pour ceux qui comprennent), l'art qui est imitation est une chose médiocre, inférieure. Mais, il existe un art créatif, que toi Platon tu n'as pas vu, puisque tu as méconnu les hypothèses sur l'inconscient (on sait ce que le surréalisme doit à la psychanalyse). L'art créatif, c'est la libre activité de l'inconscient qui s'exprime, l'automatisme psychique sans contrôle externe.

Or, l'une des caractéristiques principales de l'inconscient, c'est qu'il emmagasine et reformule des symboles. Les associations d'idées comme "pomme = rouge" ne valent rien pour un surréaliste, car ce sont des associations d'idées soit dictées par la conscience, soit par l'habitude, la convenance. Ce qui intéresse le surréaliste, ce sont les associations d'idées profondes, celles qui sont effectuées par l'inconscient sans être corrigées par une instance extérieure. Et il suffit d'ouvrir un recueil de poésie surréaliste pour se rendre compte que leurs associations d'idées échappent (partiellement ou totalement) à toute codification a priori des associations d'idées. Cet automatisme psychique dépasse les habitudes de style que j'aurais pu contracter, et dont Loredan a parlé. Sans compter qu'il est quasiment impossible d'imiter un style, et qu'on le personnalise toujours en le reprenant, avec plus ou moins de succès.

Conclusion (rapide), Platon, en lisant Breton soit l'aurait pris pour la déchéance de l'art (ainsi les autoproclamés porte-voix du classicisme d'origine platonicienne), soit il aurait remis en cause sa propre hiérarchie ontologique et reconnu que l'art n'était pas une simple imitation. Mais la pensée de Breton repose sur un postulat que ne partageait pas Platon, à savoir que la réalité n'existe pas, elle est créée par celui qui s'en donne la peine, notamment à l'aide du langage : le langage est créateur de la réalité. Alors que pour Platon le langage ne peut qu'imiter plus ou moins parfaitement les Idées (cf Cratyle).
Mais la question qu'il aurait fallu poser à Platon, c'est la question de savoir ce qui se passe quand un artiste, au lieu de tenter de copier un arbre réel ou une Idée (par exemple l'Idée de la Vertu), tente de copier l'Idée du Beau, qui est une idée au-delà des idées, une idée au-delà de l'essence, non substantielle, non ontologique (cf Banquet). Peut-être que le but des surréalistes est de copier ce qui ne peut pas être copié, de co-créer ce qui est à la base de toute création.
« Modifié: 13 septembre 2008 à 14:49:38 par Windreaver »
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #12 le: 13 septembre 2008 à 15:08:57 »
Eh bien tu sais quoi, Wind ? Tu devrais nous faire plus souvent des posts comme ça  :P J'avoue que je n'ai pas "tout" suivi parfaitement, mais c'est tout de même très intéressant. Je crois que mes idées rejoignes assez celles de Breton. Ton explication est beaucoup plus structurée et compréhensible que la mienne  :noange:

Franchement, si tu veux nous faire partager d'autres visions, ou d'autres thèmes que tu apprécie, si c'est aussi intéressant que ça, n'hésite pas  :P
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Re : Ecriture, conscience, inconscient
« Réponse #13 le: 25 février 2009 à 17:36:35 »
Pfiouu, c'est chouette ce fil ;)Des questions que je me suis souvent posé. En fait, depuis que j'écris ( 30 ans en gros), mon écriture a beaucoup évolué. Peu en fait dans les vingt premières années (en gros hein !) mais énormément depuis au point que j'ai réécrit deux romans après les avoir relu tellement ça m'a surpris du nombre de passages que je trouvais déplorables. Mais ce qui est étrange et qui ramène à ce qui a été dit avant, c'est que je ne lis plus du tout de romans. Mais alors, plus du tout. Par contre je lis pas mal de textes "philosophiques", plutôt ce que j'appelle "le développement personnel". Ca n'est pas vraiment une écriture "littéraire" et pourtant je m'aperçois qu'elle a influencé mes écrits. Non seulement dans le contenu mais aussi dans le style. Alors effectivement, je pourrais me dire que ce que j'écris n'est pas "à moi" mais que ça n'est qu'une bouillie malaxée que je ressers...(beurk). Mais ce qui importe, dans l'écriture, n'est-ce pas tout simplement ce qu'elle nous apporte ? Il me semble qu'on ne peut échapper et se libérer de tout ce qu'on a ingéré, c'est une nourriture qui nous constitue et dès lors qu'on cherche à la transmettre on va se servir de ces "connaissances" diverses, en cherchant bien entendu à se les approprier, à les personnaliser étant donné qu'elles sont le reflet de ce que nous sommes. Et comme nous sommes des "êtres multiples", on se trouvera devant une multitude d'influences personnalisées...
Personnellement, ça ne me pose plus de problèmes pour la simple raison que si je refusais cet état de fait, ça voudrait dire que je dois rejeter tout ce qui vient de l'extérieur et qui me constitue. Ca ferait un sacré coup de balai ! Et je me demande même ce qui resterait. C'est d'ailleurs souvent en filigrane  les questions que se posent mes personnages (et donc moi...) Qu'est-ce qui reste de l'homme quand il n'est plus un citoyen social? Qu'elle serait notre écriture si nous n'avions pas apris ce que les autres ont écrit ? Et d'ailleurs, est-ce que ce premier post aurait été écrit si la notion de conscience n'avait pas été inséré dans nos esprits ? Il me semble que la situation de survie est propice à ce genre d'interrogations. Qu'est-ce qui reste à un homme quand il a tout perdu, jusqu'à la moindre possibilité de survie ? Que deviennent les "connaissances" et tout ce sur quoi il a bâti son existence, ces certitudes qui composent notre "sommeil"?
Mais, bon, c'est un autre sujet. ::)

 


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