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Le Monde de L'Écriture » Salon littéraire » Salle de lecture » Romans, nouvelles » L'Etranger (Albert Camus)

Auteur Sujet: L'Etranger (Albert Camus)  (Lu 28486 fois)

Hors ligne Scorpnix

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L'Etranger (Albert Camus)
« le: 11 juin 2008 à 10:43:24 »
L'étranger est un roman faisant partie du "cycle de l'absurde" d'Albert Camus.

Il met en scène un personnage, Meursault, dont on suit les péripéties. On peut qualifier ce personnage d'Anti-héros, puisqu'il est totalement effacé de la société, il n'a aucune réaction, aucun sentiment... Il est indifférent au monde qu'il l'entoure, et c'est ce qui le rend si intéressant.

Les premières lignes du roman sont : Aujourd'hui, Maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Malgré ce décès, Meusault n'affiche aucune réaction, aucun sentiment...

Tout le roman est à la 1° personne, mais malgré cela le point de vue du narrateur est externe, puisque l'on nous donne aucune réflexion du personnage, aucun état d'âme. Cette situation "paradoxale" donne au roman un vrai caractère, je trouve :)

J'ai vraiment adoré la façon dont ce roman est écrit, et l'intrigue en général, mais surtout j'ai adoré l'évolution de Meursault au cours du roman, lorsqu'il est confronté à son destin et lorsqu'il prend enfin conscience du monde qui l'entoure...

Je le conseille à tous !! :D
« Modifié: 11 juin 2008 à 12:36:32 par Loredan »

Hors ligne Zacharielle

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Re : L'étranger, Alber Camus
« Réponse #1 le: 11 juin 2008 à 11:32:22 »
Un roman en effet extraordinaire (bien que tu aies oublié le t de Albert dans ton titre  :mrgreen:).

Citer
Il met en scène un personnage, Meursault, dont on suit les péripéties.
Comme tu y vas  ;D  Il y a une péripétie importante. Sinon tout ce qu'il relate... Le tram qui passe, etc, c'est pas ce que j'appelle de l'action XD

Ce roman est donc divisé en deux parties qui sont en fait parallèles l'une à l'autre et qui se renvoient le texte en une espèce de miroir déformé ou ce qu'on appelle couramment "l'autre côté du miroir". Le pivot, je ne vous le dis pas parce que sinon ça risque de gâcher la surprise (si l'on peut dire ça).

On peut déjà parler du nom du personnage (son nom de famille, uniquement !) Meursault, qui contient à la fois la "mort" (meurt) et le "soleil" (sault)* ; d'autre part, il s'agit d'un très bon vin  :mrgreen:


*Ce sont par ailleurs les deux personnages principaux du livre. D'abord la mort qui de toute évidence affecte peu/pas du tout notre étranger, même s'il s'agit de la mort de sa mère.

RISQUE DE SPOIL (même si c'est un roman très court ^^)
Il y a aussi le meurtre de l'arabe sur la plage qui est magnifique, avec ce soleil et cette chaleur insoutenable...
FIN

Et aussi le soleil, présent, omniprésent, étouffant même, le soleil de l'Algérie si différent de celui de Paris...

Le cycle de l'absurde contient également une pièce intéressante (Caligula) et un essai de philo (Le mythe de Sisyphe si je me souviens bien).

Enfin bref, je le conseille vivement aussi ^^ en plus c'est l'été, vous comprendrez peut être mieux certains éléments liés à l'environnement météorologique. C'est écrit d'une manière simple et détachée...

Temps de lecture : 1 aller/retour de 30 km à une moyenne de 80km/h

Hors ligne Scorpnix

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Re : L'étranger, Albert Camus
« Réponse #2 le: 11 juin 2008 à 11:45:14 »
C'est vrai que j'y suis allée un peu fort avec "péripéties" mdr, mais ce que je veux dire c'est qu'on suit sa vie, quoi xD

Le mythe de Sisyphe est également un très bon texte, j'aime beaucoup ^^

C'est vrai que c'est un roman très court, et très simple au niveau de l'écriture... Mais il contient plus de choses qu'il en a l'air !  ;)

Hors ligne Milora

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #3 le: 11 juin 2008 à 14:02:11 »
Je l'ai lu en seconde ; je ne peux pas dire que j'ai détesté, mais ça m'a laissée... étrangère ^ ^. Etrangère aux "aventures" du héros, disons. C'est un des rares livres dont je me suis dit, en le refermant, que j'aurais tout aussi bien pu ne pas le lire, ça n'aurait strictement rien changé en moi... Etrange ^ ^


(désolée de casser l'ambiance !  :-[ )
Il ne faut jamais remettre à demain ce que tu peux faire après-demain.

Hors ligne Zacharielle

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Re : Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #4 le: 11 juin 2008 à 15:31:42 »
Je l'ai lu en seconde ; je ne peux pas dire que j'ai détesté, mais ça m'a laissée... étrangère ^ ^. Etrangère aux "aventures" du héros, disons. C'est un des rares livres dont je me suis dit, en le refermant, que j'aurais tout aussi bien pu ne pas le lire, ça n'aurait strictement rien changé en moi... Etrange ^ ^

C'est justement ça qui est fort, non ? Cette capacité qu'à l'homme à rester indifférent ?! no sé

Hors ligne Leia Tortoise

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #5 le: 11 juin 2008 à 17:05:43 »
Je l'ai lu il y a bien longtemps, par curiosité... J'avais assez apprécié, bien que la lecture des classiques ne soit pas trop mon truc, mais c'était effectivement assez fort dans les impressions de lecture...
Of course it is happening inside your head, but why on earth should that mean that it is not real ?
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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #6 le: 11 juin 2008 à 17:13:21 »


C'est très bizarre, je trouve ! le début est super surprenant, mais en même temps, c'est une intro géniale : "Aujourd'hui maman est morte. Ou hier, je ne sais plus."

Sinon, c'est vrai qu'il y a une distance, une incompréhension entre le lecteur et le narrateur, mais c'est ce que j'ai bien aimé...

Mais bon, je préfère Le Premier Homme.
dont be fooled by the gros that I got ~ Im still Im still lolo from the block (j Lo)

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #7 le: 11 juin 2008 à 17:17:47 »
moi j'avais pas vraiment aimé...
j'ai eu la même réaction que Milora en lisant ce bouquin
peut-être que je devrais retenter, sait-on jamais...
"Je crois qu'il est de mon devoir de laisser les gens en meilleur état que je ne les ai trouvés"
Kennit, Les Aventuriers de la Mer, Robin Hobb.

Verasoie

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #8 le: 21 février 2011 à 14:51:21 »
Je l'ai lu il y a deux jours, j'ai vraiment beaucoup aimé. L'écriture est belle, ça se lit très vite, le personnage est attachant dans sa distance je trouve. Sa façon de parler, son indifférence, c'est assez douloureux et en même temps facile de s'y identifier.

J'y ai pas vu le pivot ou le miroir dont parle Zach, par contre.

J'ai surtout beaucoup aimé les deux-trois dernières pages, où on comprend enfin le personnage, je trouve, où lui-même se comprend, et quand la boucle est bouclée, avec cette phrase : "Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre".

Hors ligne Zacharielle

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Re : Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #9 le: 22 février 2011 à 07:23:58 »
J'y ai pas vu le pivot ou le miroir dont parle Zach, par contre.
C'est la transition entre les deux parties, juste après le crime et juste avant le procès. Je me souviens plus bien, c'est un peu loin maintenant, mais j'en garde des images très solaires.

Verasoie

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #10 le: 22 février 2011 à 12:27:26 »
Oui oui j'avais compris que tu parlais de ça, mais je voulais dire que ça m'avait pas semblé être construit en miroir, enfin, qu'en y repensant je voyais pas vraiment de rapport de structure (oh que je m'exprime mal) entre la première et la deuxième partie. Ça m'avait semblé plutôt comme une boucle qui finit son tour à la fin. Mais c'est sûrement parce que j'y faisais pas attention à la lecture ^ ^

pehache

  • Invité
Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #11 le: 28 février 2011 à 10:14:10 »
Passé composé « sartrien »
(ou camusien, en fait!)

Situations, I (folio essai)

Explication de « L’Etranger »de Camus  p92-112

P105 « Le rapprochement avec Hemingway(…). Ce sont les mêmes phrases courtes : chacune refuse de profiter de l’élan acquis par les précédentes, chacune est un recommencement. »
P 106-107

A travers le récit essoufflé de Meursault, j'aperçois en transparence une prose poétique plus large qui le sous tend et qui doit être le mode d'expression personnel de M. Camus. Si L'Étranger forte des traces si visibles de la technique américaine, c'est qu'il s'agit d'un emprunt délibéré. M. Camus a choisi, parmi les instruments qui s'offraient à lui, celui qui lui paraissait le mieux convenir à son propos. Je doute qu'il s'en serve encore dans ses prochains ouvrages.
Examinons de plus près la trame du récit, nous nous rendrons mieux compte de ses procédés. « Les hommes aussi sécrètent de l’inhumain, écrit M. Camus. Dans certaines heures de lucidité l'aspect mécanique de leurs gestes, leur pantomime privée de sens rend stupide tout ce qui les entoure  » Voilà donc ce qu'il faut rendre d'abord : L'Etranger doit nous mettre ex abrupto « en état de malaise devant l'inhumanité de l'homme ». Mais quelles sont les occasions singulières qui peuvent provoquer en nous ce malaise? Le Mythe de Sisyphe nous en donne un exemple : « Un homme parle au téléphone, derrière une cloison vitrée, on ne l'entend pas, mais on voit sa mimique sans portée : on se demande pourquoi il vit.» Nous voilà renseignés : presque trop même, car l'exemple est révélateur d'un certain parti pris de l'auteur. En effet, le geste de l'homme qui téléphone et que vous n'entendez pas n'est que relativement absurde : c'est qu'il appartient à un circuit tronqué. Ouvrez la porte, mettez l'oreille à l'écouteur : le circuit est rétabli, l'activité humaine a repris son sens. Il faudrait donc, si l'on était de bonne foi, dire qu'il n'y a que des absurdes relatifs et seulement par référence à des « rationnels absolus ». Mais il ne s'agit pas de bonne foi, il s'agit d'art; le procédé de M. Camus est tout trouvé : entre les personnages dont il parle et le lecteur il va intercaler une cloison vitrée. Qu'y a t il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre? il semble qu'elle laisse tout passer, elle n'arrête qu'une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de l'Étranger. C'est bien, en effet, une transparence : nous voyions tout ce qu'elle voit. Seulement on l'a construite de telle sorte qu'elle soit transparente  aux choses et opaque aux significations¬ :   
«  A partir de ce moment tout est allé très vite. Les hommes se sont avancés vers la bière avec un drap. Le prêtre, ses suivants, le directeur et moi-même sommes sortis. Devant la porte, il y avait une dame que je ne connaissais pas : « M. Meursault », a dit le directeur. Je n'ai pas entendu le nom de cette dame et j'ai compris seulement qu'elle était infirmière déléguée. Elle a incliné sans un sourire son visage osseux et long. Puis nous nous sommes rangés pour laisser passer le corps »

Des hommes dansent derrière une vitre. Entre eux et le lecteur on a interposé une conscience, presque rien, une pure translucidité, une passivité pure qui enregistre tous les faits. Seulement le tour est joué précisément parce qu'elle est passive, la conscience n'enregistre que les faits. Le lecteur ne s'est pas aperçu de cette interposition. Mais quel est donc le postulat impliqué par ce genre de récit? En somme, de ce qui était organisation mélodique, on a fait une addition d'éléments invariants ; on prétend que la succession des mouvements est rigoureusement iden¬tique à l'acte pris comme totalité. N'avons-nous pas affaire ici au postulat analytique, qui prétend que toute réalité est réductible à une somme d'éléments? Or, si l'analyse est l'instrument de la science, c'est aussi l'instrument de l'humour. Si je veux décrire un match de rugby et que j'écrive : « J'ai vu des adultes en culotte courte qui se battaient et se jetaient par terre pour faire passer un ballon de cuir entre deux piquets de bois », j'ai fait la somme de ce que j'ai vu; mais j'ai fait exprès d'en manquer le sens ; j'ai fait de l'humour. Le récit de M. Camus est analytique et humoristique. II ment   comme tout artiste   parce qu'il prétend restituer l'expérience nue et qu'il filtre sournoisement toutes les liaisons signifiantes, qui appartiennent aussi à l'expérience: C'est ce qu'a fait naguère un Hume, lorsqu'il déclarait ne découvrir dans l'expérience que des impressions isolées. C'est ce que font aujourd'hui encore les néo réalistes américains, lorsqu'ils nient qu'il y ait entre les phénomènes autre chose que les relation externes. Contre eux la philosophie contemporaine a établi que les significations étaient elles aussi des données immédiates. Mais ceci nous entraînerait trop loin. Qu'il nous suffise de marquer que l'univers de l'homme absurde est le monde analytique des néoréalistes. Littérairement le procédé a tait ses preuves: c'est celui de L'Ingénu ou de Micromégas;. c'est celui de Gulliver. Car le XVIII° siècle a eu aussi ses étrangers,   en général de « bons sauvages » qui, trans¬portés dans une civilisation inconnue, percevaient les faits avant d'en saisir le sens. L'effet de ce décalage n'était il pas précisément de provoquer chez le lecteur le sentiment de l'absurde? M. Camus semble s'en souvenir à plusieurs reprises, en particulier quand il nous montre son héros réfléchissant sur les raisons de son emprisonnement.
Or, c'est ce procédé analytique qui explique l'emploi dans L'Étranger de la technique américaine. La présence de la mort au bout de notre route a dissipé notre avenir en fumée, notre vie est « sans lendemain », c'est une succession de présents »(…)


« notre vie est « sans lendemain », c’est une succession de présents. » 108 et « Là où Bergson voyait une organisation indécomposable, son œil ne voit qu’une série d’instants. »
« Ce que notre auteur emprunte à Hemingway, c’est donc la discontinuité de ses phrases hachées qui se calque sur la discontinuité du temps. » p 109 « C’est pour accentuer la solitude de chaque unité phrastique que M. Camus a choisi de faire son récit au passé composé. Le passé défini est le temps de la continuité : « il se promena longtemps », ces mots nous renvoient à un plus-que-parfait, à un futur ; la réalité de la phrase, c’est le verbe, c’est l’acte, avec son caractère transitif, avec sa transcendance. « Il s’est promené longtemps » dissimule la verbalité du verbe ; le verbe est rompu, brisé en deux : d’un côté nous trouvons un participe passé qui a perdu toute transcendance, inerte comme une chose, de l’autre le verbe « être » qui n’a que le sens d’une copule, qui rejoint le participe au substantif comme l’attribut au sujet ; le caractère transitif du verbe s’est évanoui, la phrase s’est figée ; sa réalité, à présent, c’est le nom. »…
« Si, par dessus le marché, on a soin de la réduire autant que possible à la proposition principale, sa structure interne devient d’une simplicité parfaite ; elle y gagne d’autant en cohésion. »
« Naturellement on n’organise pas les phrases entre elles ; elles sont purement juxtaposées ; en particulier on évite toutes les relations causales, qui introduiraient dans le récit un embryon d’explication et qui mettraient entre les instants un ordre différent de la succession pure. » p110
p112 « Et comment classer cet ouvrage sec et net »…
« Nous ne saurions l’appeler un récit : le récit explique et coordonne en même temps qu’il retrace, il substitue l’ordre causal à l’enchaînement chronologique. »

Hors ligne colinep11

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #12 le: 06 mai 2012 à 14:21:18 »
Je suis en train de le lire :P La prof' de français nous a donnés ce livre à livre ^^ C'est vrai que la narration est bien maîtrisée, enfin, encore heureux :P
La lumière est une danseuse capricieuse consciente de sa grâce. Carlos Ruiz ZAFÓN

pehache

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Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #13 le: 06 mai 2012 à 21:21:27 »
Situations, I (folio essai)

Explication de « L’Etranger » p92-112
P 106-107

A travers le récit essoufflé de Meursault, j'aperçois en transparence une prose poétique plus large qui le sous tend et qui doit être le mode d'expression personnel de M. Camus. Si L'Étranger forte des traces si visibles de la technique américaine, c'est qu'il s'agit d'un emprunt délibéré. M. Camus a choisi, parmi les instruments qui s'offraient à lui, celui qui lui paraissait le mieux convenir à son propos. Je doute qu'il s'en serve encore dans ses prochains ouvrages.
Examinons de plus près la trame du récit, nous nous rendrons mieux compte de ses procédés. « Les hommes aussi sécrètent de l’inhumain, écrit M. Camus. Dans certaines heures de lucidité l'aspect mécanique de leurs gestes, leur pantomime privée de sens rend stupide tout ce qui les entoure  » Voilà donc ce qu'il faut rendre d'abord : L'Etranger doit nous mettre ex abrupto « en état de malaise devant l'inhumanité de l'homme ». Mais quelles sont les occasions singulières qui peuvent provoquer en nous ce malaise? Le Mythe de Sisyphe nous en donne un exemple : « Un homme parle au téléphone, derrière une cloison vitrée, on ne l'entend pas, mais on voit sa mimique sans portée : on se demande pourquoi il vit.» Nous voilà renseignés : presque trop même, car l'exemple est révélateur d'un certain parti pris de l'auteur. En effet, le geste de l'homme qui téléphone et que vous n'entendez pas n'est que relativement absurde : c'est qu'il appartient à un circuit tronqué. Ouvrez la porte, mettez l'oreille à l'écouteur : le circuit est rétabli, l'activité humaine a repris son sens. Il faudrait donc, si l'on était de bonne foi, dire qu'il n'y a que des absurdes relatifs et seulement par référence à des « rationnels absolus ». Mais il ne s'agit pas de bonne foi, il s'agit d'art; le procédé de M. Camus est tout trouvé : entre les personnages dont il parle et le lecteur il va intercaler une cloison vitrée. Qu'y a t il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre? il semble qu'elle laisse tout passer, elle n'arrête qu'une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de l'Étranger. C'est bien, en effet, une transparence : nous voyions tout ce qu'elle voit. Seulement on l'a construite de telle sorte qu'elle soit transparente  aux choses et opaque aux significations¬ :   
«  A partir de ce moment tout est allé très vite. Les hommes se sont avancés vers la bière avec un drap. Le prêtre, ses suivants, le directeur et moi-même sommes sortis. Devant la porte, il y avait une dame que je ne connaissais pas : « M. Meursault », a dit le directeur. Je n'ai pas entendu le nom de cette dame et j'ai compris seulement qu'elle était infirmière déléguée. Elle a incliné sans un sourire son visage osseux et long. Puis nous nous sommes rangés pour laisser passer le corps »

Des hommes dansent derrière une vitre. Entre eux et le lecteur on a interposé une conscience, presque rien, une pure translucidité, une passivité pure qui enregistre tous les faits. Seulement le tour est joué précisément parce qu'elle est passive, la conscience n'enregistre que les faits. Le lecteur ne s'est pas aperçu de cette interposition. Mais quel est donc le postulat impliqué par ce genre de récit? En somme, de ce qui était organisation mélodique, on a fait une addition d'éléments invariants ; on prétend que la succession des mouvements est rigoureusement iden-tique à l'acte pris comme totalité. N'avons-nous pas affaire ici au postulat analytique, qui prétend que toute réalité est réductible à une somme d'éléments? Or, si l'analyse est l'instrument de la science, c'est aussi l'instrument de l'humour. Si je veux décrire un match de rugby et que j'écrive : « J'ai vu des adultes en culotte courte qui se battaient et se jetaient par terre pour faire passer un ballon de cuir entre deux piquets de bois », j'ai fait la somme de ce que j'ai vu; mais j'ai fait exprès d'en manquer le sens ; j'ai fait de l'humour. Le récit de M. Camus est analytique et humoristique. II ment   comme tout artiste   parce qu'il prétend restituer l'expérience nue et qu'il filtre sournoisement toutes les liaisons signifiantes, qui appartiennent aussi à l'expérience: C'est ce qu'a fait naguère un Hume, lorsqu'il déclarait ne découvrir dans l'expérience que des impressions isolées. C'est ce que font aujourd'hui encore les néo réalistes américains, lorsqu'ils nient qu'il y ait entre les phénomènes autre chose que les relation externes. Contre eux la philosophie contemporaine a établi que les significations étaient elles aussi des données immédiates. Mais ceci nous entraînerait trop loin. Qu'il nous suffise de marquer que l'univers de l'homme absurde est le monde analytique des néoréalistes. Littérairement le procédé a tait ses preuves: c'est celui de L'Ingénu ou de Micromégas;. c'est celui de Gulliver. Car le XVIII° siècle a eu aussi ses étrangers,   en général de « bons sauvages » qui, trans¬portés dans une civilisation inconnue, percevaient les faits avant d'en saisir le sens. L'effet de ce décalage n'était il pas précisément de provoquer chez le lecteur le sentiment de l'absurde? M. Camus semble s'en souvenir à plusieurs reprises, en particulier quand il nous montre son héros réfléchissant sur les raisons de son emprisonnement.
« notre vie est « sans lendemain », c’est une succession de présents. » 108 et « Là où Bergson voyait une organisation indécomposable, son œil ne voit qu’une série d’instants. »
« Ce que notre auteur emprunte à Hemingway, c’est donc la discontinuité de ses phrases hachées qui se calque sur la discontinuité du temps. » p 109 « C’est pour accentuer la solitude de chaque unité phrastique que M. Camus a choisi de faire son récit au passé composé. Le passé défini est le temps de la continuité : « il se promena longtemps », ces mots nous renvoient à un plus-que-parfait, à un futur ; la réalité de la phrase, c’est le verbe, c’est l’acte, avec son caractère transitif, avec sa transcendance. « Il s’est promené longtemps » dissimule la verbalité du verbe ; le verbe est rompu, brisé en deux : d’un côté nous trouvons un participe passé qui a perdu toute transcendance, inerte comme une chose, de l’autre le verbe « être » qui n’a que le sens d’une copule, qui rejoint le participe au substantif comme l’attribut au sujet ; le caractère transitif du verbe s’est évanoui, la phrase s’est figée ; sa réalité, à présent, c’est le nom. »…
« Si, par dessus le marché, on a soin de la réduire autant que possible à la proposition principale, sa structure interne devient d’une simplicité parfaite ; elle y gagne d’autant en cohésion. »
« Naturellement on n’organise pas les phrases entre elles ; elles sont purement juxtaposées ; en particulier on évite toutes les relations causales, qui introduiraient dans le récit un embryon d’explication et qui mettraient entre les instants un ordre différent de la succession pure. » p110
p112 « Et comment classer cet ouvrage sec et net »…
« Nous ne saurions l’appeler un récit : le récit explique et coordonne en même temps qu’il retrace, il substitue l’ordre causal à l’enchaînement chronologique. »


Verasoie

  • Invité
Re : L'Etranger (Albert Camus)
« Réponse #14 le: 06 mai 2012 à 21:52:52 »
Merci pour l'extrait pehache ! Qui l'a écrit ?

Je trouve le point de vue intéressant mais pas satisfaisant... Je préfère vraiment penser que le style de l'Étranger doit moins à l'absurde (même s'il y a ça, forcément) qu'au personnage de Mersault. Je l'ai relu récemment et je trouve le personnage vraiment fascinant - parce qu'il défend son indifférence, c'est pas juste une absence de sentiments, ni la volonté de montrer que tout est absurde et que rien n'a de sens : c'est sa façon d'être, dont il se satisfait d'ailleurs, et qui semble pas absurde mais évidente. Et d'ailleurs il dit lui-même qu'à la fin il sera justifié.

Enfin c'est mon point de vue très très personnel dessus mais comme j'ai ce bouquin à coeur, finalement, j'me permets de venir l'étaler haha.

 


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